Interview du médecin du Pape Benoît XVI,
dans l'Osservatore Romano |
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Le 21 août 2010
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(E.S.M.)
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Nous voyons souvent à la télévision, sa haute et rassurante silhouette très
près du Saint-Père.
Il nous livre (un tout petit peu) de sa très attachante personnalité. Et
l'on découvre avec stupéfaction, à travers l'article, quelque chose qui est
de toute évidence "le plan de Dieu"!
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Le pape Benoît XVI et
Patrizio Polisca
Interview du médecin du Pape Benoît XVI,
dans l'Osservatore Romano
Le 21 août 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Nous voyons souvent à la télévision, sa haute et rassurante silhouette très
près du Saint-Père.
Il nous livre (un tout petit peu) de sa très attachante personnalité. Et
l'on découvre avec stupéfaction, à travers l'article, quelque chose qui est
de toute évidence "le plan de Dieu"!
Vous deviendrez médecin du Pape
Mario Ponzi
"Ma io, che non ho per bene l'abbracciar nebbia, non ho voluto narrar niuna
di queste e di somiglianti novelle, ed indovinazioni, e sonomi anzi studiato
di dir sempre cose o vere, o sommamente probabili, producendo per tutto
Uomini, che sicuramente furono nella dignità, della qual ragiono".
C'est ainsi que le célèbre archiviste du Vatican, Gaetano Marini, revendique
la nouveauté de son ouvrage "Degli archiatri Pontifici", publié à Rome en
1784, par rapport au précédent "Thèatron in quo maximorum Christiani orbis
pontificum archiatros Prosper Mandosius nobilis Romanus ordinis Sancti
Stephani eques spectandos exhibet stampato", publié toujours à Rome en 1696.
Le terme « archiâtre » est à l'origine générique - comme le constate
le célèbre archiviste du Vatican Mgr Gaetano Marini, qui notait que dans
l'Antiquité tardive, le mot Archiater était utilisé pour tous les
Professeurs de médecine à Rome et à Constantinople , les deux grandes
capitales de l'Univers " - mais peu à peu, il en est venu à désigner le
médecin du pape, - un mot qui officiellement n'est plus en usage depuis
longtemps, mais n'est pas totalement abandonné.
Depuis le 15 Juin 2009, succédant à Renato Buzzonetti nommé ce jour-là "archiâtre
émérite", la charge est revenue à Patrizio Polisca, qui le 5 juillet
dernier a également été nommé directeur des services de santé et d'hygiène
de l'État de la Cité du Vatican.
Dans cet entretien avec l'auteur de ces lignes, et avec directeur de notre
journal, l'archiâtre, réservé et cordial à la fois, se raconte. C'est une
histoire aussi simple que tracée par la providence qui ressort de ses
propos, évitant le risque d'"embrasser le brouillard" redouté plus
de deux siècles auparavant par Mgr Marini.
- Quand avez-vous eu l'idée de devenir médecin?
- Ma vie est marquée par de nombreux choix qui peuvent sembler, à moi en
premier , illogiques, c'est à dire sans aucune raison apparente. Je suis né
à Petra, en 1953 , une ville de la province de Pesaro, d'une famille modeste
et sans beaucoup de ressources financières. A dix-huit, frais émoulu du
lycée, j'ai commencé à regarder autour de moi. La réalité où j'ai grandi
aurait dû m'incliner vers des choix plus abordables pour ma famille. Au lieu
de cela, je sentis monter en moi une forte envie de devenir médecin,
passionné par l'idée de pouvoir faire, et de faire, quelque chose pour les
autres. Mes parents , malgré tous les doutes et les inquiétudes, m'ont
soutenu, et ensemble, nous saisîmes l'occasion d'un concours à Rome. Je
remportai le prix, et je reçus une bourse d'études à utiliser dans un
collège de mon choix. Je choisis la Résidence universitaire internationale
de l'Opus Dei à Rome. C'était l'année universitaire 1972-1973. Je suis
resté là six ans. Je n'appartiens pas à la Prélature, mais je dois dire que
j'ai reçu dans ce milieu une très bonne formation de départ, qui m'a
fortement marqué. A peine diplômé, je retournai dans les Marches, parce que
je voulais y accomplir ma carrière professionnelle. Mais il n'y avait aucune
possibilité. Le service militaire m'apporta un peu d'air. Je l'accomplis
comme médecin auxiliaire chez les chasseurs alpins, pendant quinze mois.
Puis je décidai de retourner à Rome.
- Comment?
- En suivant un autre de mes choix en apparence illogique. Médecin
aux armées , sans appartenir à aucune faculté, j'aurais dû rentrer à la
maison pour soigner les patients que le service sanitaire national
(ministère de la santé?) m'attribuerait, me marier et vivre tranquillement.
Au lieu de cela - et ne sais vraiment pas pourquoi - je décidai de me lancer
dans la voie de l'université. Choix illogique, parce que , surtout à
l'époque, une carrière universitaire était impensable si l'on n'avait pas
quelqu'un derrière soi . Je me suis spécialisé dans les maladies
infectieuses , et en cardiologie, anesthésie et réanimation. Et j'ai décidé
de fonder une famille : ma femme et moi avons trois enfants .
- Et ensuite?
- J'ai travaillé dans plusieurs cliniques romaines , et particulier,
dans l'une, qui était tenue par une congrégation religieuse. A ces
religieuses est lié un épisode qui a fini par influer fortement sur ma vie.
La supérieure - une espagnole, Mère Caridad - me répétait que je devrais
aller travailler au Vatican. Et quand j'objectais que, puisque ce n'était
pas un hôpital , le lieu ne rentrait pas ma logique professionnelle, elle
répondait calmement: "Non, vous devrez y aller, vous deviendrez médecin
du pape".
Et elle ne me l'a pas dit une seule fois, elle ne cessait de le répéter avec
une insistance impressionnante .
C'était, si je me souviens bien en 1986, quand le médecin de Jean-Paul II,
le Dr Renato Buzzonetti - qui était également directeur des services de
santé du Vatican et auquel je reste lié par la reconnaissance et l'amitié -
m'a appelé pour un entretien. Je me souviens de mon émotion lorsque je
franchis le seuil de la Cité: je ressentais une sensation très étrange ,
mais je ne comprenais pas ce que c'était. Et je ne compris pas davantage
quand je ressentis à nouveau cette sensation en écoutant sa proposition
d'être médecin d'urgence à Castel Gandolfo pour la période d'été. Je compris
un peu plus tard, quand, par hasard, justement à Castello, je rencontrai
Papa Wojtyla. C'était l'été 1987. Jean-Paul II venait de célébrer la messe
et je le vis dans la cour du palais . Son secrétaire particulier, Don Stanislaw, me présenta en disant : "C'est le médecin de garde aujourd'hui".
Je me souviens que le Pape me regarda un peu surpris et dit: "si jeune?". A
ce moment, j'ai réalisé ce qui m'arrivait. Je me tenais devant le pape et
j'étais là pour lui si jamais il avait besoin d'un médecin. Peut-être que
j'étais vraiment trop jeune pour une si grande responsabilité. Mais le
visage de Karol Wojtyla , qui sourit tout de suite après ces paroles, me
rassura. C'est alors que je me rappelai les paroles de Mère Caridad : une
expérience inoubliable qui me donne encore des frissons .
Je n'y pensai pas plus que cela, toutefois. Je le ressentis comme une
opportunité de croissance professionnelle, mûrie d'une manière qui me
convenait, ou du moins plus proche de ma sensibilité chrétienne : ma vie
professionnelle a toujours tourné autour de travaux exécutés dans un sens
chrétien. J'ai même essayé d'approfondir un peu de théologie, passant
quelques examens, mais ensuite je n'ai pas eu le temps de continuer.
- Combien de temps a duré ce service d'été à Castel
Gandolfo?
- Jusqu'en 1994 , lorsque Buzzonetti m'a demandé de devenir médecin
officiel, faisant partie du corps médical du Vatican. J'en fus naturellement
très heureux, mais je n'avais jamais imaginé que cela tomberait sur moi. Non
pas que je me pose le problème: je n'avais aucune ambition précise de
carrière, et ce qui m'arrivait semblait suivre un plan précis . Certainement
pas le mien , même s'il était très beau et me remplissait de joie et
d'enthousiasme. La même chose s'est produite quand à la fin de 1997 , tandis
que se préparait discrètement le voyage de Jean-Paul II à Cuba, son médecin
m'appela, sous le sceau du secret, et me demanda de l'accompagner pour
l'aider au cours du voyage, prévu pour Janvier de l'année prochaine.
Naturellement, j'ai accepté avec enthousiasme, mais - je l'avoue - avec autant
de crainte. De ce premier voyage, au contraire, je me souviens aujourd'hui
avec plaisir de chaque instant , presque de chaque visage rencontré, les
yeux rouges perçants de Fidel Castro, le regard décidé et serein de
Jean-Paul II et le magnétisme qu'il exerçait sur les foules, qui m'a
beaucoup impressionné. Plus tard, vivant les mêmes émotions avec son
successeur, j'ai réalisé que c'étaient ces expériences aux côtés du Pape qui
me captivaient.
- Y eut-il d'autres voyages avec Jean-Paul II?
- Oui, Buzzonetti m'a appelé d'autres fois, surtout quand il y avait
de longs voyages à affronter; pour les plus courts le médecin du pape était
seul. A partir de 2003, j'ai commencé à suivre tous les déplacements du
Pape. Je garde beaucoup de souvenirs , mais ce qui reste le plus mémorable
pour moi, c'est la messe célébrée dans le Cénacle pendant le voyage de l'an
2000 en Terre Sainte .
- Avez-vous eu à intervenir lors d'un voyage du Pape
Jean -Paul II?
- A Bratislava, le Pape a eu un petit mais très douloureux malaise,
en rentrant à la nonciature. La douleur était si aiguë qu'elle a déclenché
une crise respiratoire. Je fus saisi de terreur, une sensation comme je
n'avais jamais connu avant. Mais le problème a été résolu en quelques
minutes.
- Vous avez assisté Jean-Paul II aussi dans les
derniers moments de sa vie?
- J'étais à côté de lui à partir du jeudi après-midi jusqu'au samedi
matin. Ensuite, je l'ai embrassé sur le front et je suis parti. Je ne pense
pas qu'il m'ait reconnu. Je n'étais pas avec lui quand il est mort.
- Comment votre vie professionnelle a-t-elle changé au
Vatican?
- Comme toujours , la Providence a mené les choses. Buzzonetti m'a
demandé d'assurer, avec deux infirmières, l'assistance aux cardinaux durant
le conclave. Une expérience personnelle très importante pour ma vie .
Surtout celle intérieure: j'ai compris le sens de mon appartenance à
l'Eglise du Christ, j'ai réalisé ce que cela signifiait de servir le Pape et
à travers lui, l'Eglise . Puis vint l'élection du cardinal Joseph Ratzinger.
- De quoi vous souvenez-vous?
- Je connaissais le Doyen des Cardinaux depuis quelque temps, et
Buzzonetti et moi fûmes les premiers laïcs à être salués par le nouveau
pape, d'abord lui puis moi. Et là, j'ai eu une grande surprise, parce qu'en
me saluant, il rappela notre première rencontre. Elle avait eu lieu une
quinzaine d'années plus tôt, vers 1990, mais le Pontife se rappelait
parfaitement qu'à cette occasion, nous avions parlé de saint Bonaventure. Je
suis resté stupéfait, incapable de toute réaction. J'étais tellement surpris
que je ne réussis à rien dire; peut-être esquissai-je un de ces étranges
sourires qu'on fait quand on ne sait pas quoi dire.
- En nommant le Dr Buzzonetti archiâtre émérite,
Benoît XVI vous a choisi comme son médecin; à cet instant, vous avez pensé à
la religieuse espagnole et à ce qu'elle vous répétait?
- Après la première émotion , j'avoue y avoir pensé. Maintenant, Mère
Caridad est assez âgée et vit dans un couvent de Barcelone. J'aimerais lui
rendre visite, mais désormais, ma vie a changé et le peu de temps qui me
reste est consacré à ma famille.
- Que fait le médecin du pape pendant la journée?
- Précisément en raison de la grande responsabilité qui lui est
confiée, il a le devoir de se tenir constamment à jour pour éviter de perdre
le professionnalisme acquis. C'est pourquoi je suis resté à l'hôpital
universitaire Tor Vergata , où je travaille dans un service de chirurgie
cardiaque, et donc aux prises avec des tableaux cliniques très complexe. Et
puis, il y a la nécessité de continuer à étudier, et c'est ce qui m'occupe
principalement les samedis et dimanches .
- Et quelle est la relation entre le pape et son
médecin ?
- Je vais vous raconter une histoire . Un jour, je croisai un
professeur d'université de mes collègues. D'un air à la fois grave et
excité, il me demanda : "Mais le Pape, tu l'examines ? ". A ce moment, j'ai
senti un frisson dans le dos. Je devais répondre à cette question, mais j'ai
réalisé que j'étais plus surpris que lui. Et j'ai dû avoir l'air un peu
abasourdi, parce que mon collègue m'a regardé et n'a pas insisté.
Maintenant, la tête froide, revenant à la question, je peux dire que je ne
peux pas imaginer ma vie sans la responsabilité envers le Pape et l'Eglise.
Mais je le vis comme une joie que je partage avec ma famille. Du reste,
c'est un rêve devenu réalité : pratiquer la médecine et être en mesure de le
faire dans une dimension qui a toujours été la mienne: le christianisme, au
maximum de son expression terrestre.
- Vous présidez également la commission médicale pour
juger des guérisons miraculeuses à l'examen de la Congrégation pour les
Causes des Saints .
- C'est une autre expérience merveilleuse qu'il m'est donné de vivre
depuis que le cardinal Palazzini m'a appelé dans la congrégation.
D'illustres collègues font partie de cette congrégation. Et d'être entré
dans cette équipe est un honneur pour moi. Nous sommes appelés à donner
notre avis sur les guérisons miraculeuses, c'est à dire celles qui ne sont
pas explicables par la science et sont attribuables à l'intercession des
saints.
- Vous souvenez-vous d'un cas particulier ?
- J'ai été très impressionné par la guérison instantanée,
simultanée, et durable, de deux enfants dans les Andes péruviennes,
attribuée à l'intercession de Mgr Joseph Marello, béatifié en 1993 et
canonisé en 2001; ils avaient une forme grave de pneumonie certainement
mortelle et ont été guéris instantanément , simultanément et sans aucun
traitement.
- Mais lorsqu'il s'agit de cas éloignés dans le temps,
comment vérifiez-vous les caractéristiques auxquelles vous faites allusion?
- Les médecins d'autrefois étaient non seulement bons mais aussi très
scrupuleux, et enregistraient tout méticuleusement. Et sur la base des
documents, en particulier ceux cliniques, et des convictions de ces
médecins, on arrive le plus souvent à des conclusions. Actuellement le cas
le plus ancien remonte aux dernières décennies du XIXe siècle .
- Et pour le nouveau poste de directeur du Département
de la Santé et d'hygiène du Vatican ?
- C'est une grande responsabilité : il s'agit d'assurer assistance et
soins aux nombreuses personnes qui vivent , travaillent ou passent au
Vatican. Je suivrai une route bien tracée , mais je me réserve un peu de
temps pour mieux approfondir la connaissance du système et des gens qui le
font fonctionner. Je connais tout le monde, et maintenant, il s'agit de
coordonner et d'accomplir ensemble une mission importante. Nous allons
essayer de le faire toujours mieux.
Sources : benoit-et-moi
( texte original © L'Osservatore Romano - 21 août 2010)
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 21.08.2010 -
T/Benoît XVI
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