Conférence du Cardinal José Saraiva
Martins sur Louis et Zélie Martin |
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Le 20 août 2008 -
(E.S.M.)
- Conférence de Son Éminence le Cardinal José Saraiva Martins à
Alençon, pour le 150ème anniversaire du mariage des Vénérables Époux,
Louis et Zélie Martin, béatifiés le 19 octobre prochain, à Lisieux.
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Le Cardinal José
Saraiva Martins - Pour
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Conférence du Card.José Saraiva Martins sur Louis et Zélie Martin
Conférence de Son Éminence le Cardinal José Saraiva Martins, le 12 juillet
2008 à Alençon, pour le 150ème anniversaire du mariage des Vénérables Époux,
Louis et Zélie Martin
I. Un parcours
de sainteté qui transmet la foi
C'est pour moi
une grande émotion et une grâce de Dieu d'être aujourd'hui avec vous en ce
lieu. L'église Notre-Dame d'Alençon, avec son porche gothique flamboyant,
est un vrai bijou ou, comme vous le dites vous-même, une vraie dentelle, le
point d'Alençon en pierre ; on m'a dit que "si on veut mettre Dieu au plus
bel endroit de l'Église, il faut le mettre à la porte !". Je remercie pour
l'attention délicate avec laquelle j'ai été invité ce 12 juillet à faire
mémoire, avec vous tous, du 150e anniversaire du mariage des Vénérables
Serviteurs de Dieu, Zélie Guérin et Louis
Martin. Mariage et vie, dirais-je, réalisés
avec une rare maîtrise, par le véritable Architecte de ce chef d'œuvre
magnifique : les époux Louis et Zélie Martin sont des pierres choisies,
"pierres précieuses et vivantes, sculptées par l'Esprit Saint", telle une
très fine dentelle de point d'Alençon pour l'Église de Dieu que sont les
diocèses de Sées et de Bayeux et Lisieux où ils vécurent et moururent. Noces
d'or dans le Christ, même, trois fois d'or, si on peut dire, puisqu'elles
durent depuis 150 ans. Je pense qu'il faut justifier le terme de : "noces de
granit" comme votre évêque Mgr Jean-Claude Boulanger les a caractérisées sur
le site web du diocèse. Quand on voit les maisons du centre historique de
votre belle et célèbre cité - que je peux admirer -, je trouve tout à fait
adéquate l'image du granit pour caractériser la solidité et la simplicité de
l'amour et de la foi des époux Martin. Permettez-moi de vous rapporter les
paroles d'un contemporain de leur fille Thérèse, Paul Claudel
(1868-1955) qui, dans le
Prologue de l'Annonce faite à Marie, écrit : « Ce n'est pas à la pierre
de choisir sa place, mais au Maître de l'Œuvre qui l'a choisie… La Sainteté
n'est pas d'aller se faire lapider chez les Turcs ou de baiser un lépreux
sur la bouche, mais de faire le commandement de Dieu aussitôt, qu'il soit de
rester à notre place, ou de monter plus haut ». Les Martin sont des
saints choisis par Dieu pour être de ces saints-là, engagés dans la
construction de Son Église. C'est en cela, justement, que réside la sainteté
: s'empresser de faire la volonté de Dieu là où Il nous a placés, il s'agit
de « rester à notre place, ou de monter plus haut ». Dieu est le "Trois fois
saint", Dieu est ce "Père vraiment saint, source de toute sainteté", qui
"sanctifie" les dons et les fidèles "par l'effusion de son Esprit"
(1).
La sainteté, toute sainteté, n'est donc que le reflet de sa gloire.
L'Église, en élevant quelqu'un aux honneurs des autels, veut d'abord
raconter et proclamer la gloire et la miséricorde de Dieu. En même temps,
par son témoignage, elle offre aux croyants un exemple à imiter et, par son
intercession, une aide à laquelle recourir.
Précisément ce 12 juillet, en 1858 à 22 heures, les vénérables serviteurs de
Dieu, Zélie Guérin et Louis Martin ont contracté un mariage civil. Deux
heures plus tard, à minuit, accueillis par l'abbé Hurel, un prêtre ami, ils
ont franchi le seuil de cette église paroissiale pour célébrer leurs noces
dans le Christ ; cela dans la plus stricte intimité, entourés de quelques
parents et amis proches. La nuit de leurs noces rappelle la nuit de Noël et
celle de Pâques, la nuit qui "seule entre toutes" a mérité de connaître le
moment et l'heure de l'événement qui a bouleversé l'histoire de l'humanité.
Ainsi a commencé leur "Cantique des Cantiques".
II. Un couple
apostolique
Thérèse, devenue carmélite, invitait
sa sœur Céline à exprimer un chant d'action de grâce à Jésus à l'occasion de
sa prise d'habit : « Lève les yeux vers la Sainte Patrie ; Et tu verras
sur des trônes d'honneur ; Un Père aimé… une Mère chérie… Auxquels tu dois
ton immense bonheur !… "
(PN 16,1). Les
vénérables Serviteurs de Dieu Zélie et Louis, que le pape aura la joie
d'élever aux honneurs des autels, ont été avant tout un couple uni dans le
Christ, qui a vécu sa mission dans la transmission de la foi avec passion et
avec un rare sens du devoir. Ils ont vécu à un moment particulier de
l'histoire, ce XIXe siècle très différent du nôtre, et cependant, ils ont
témoigné et se sont engagés de façon tout à fait naturelle, je dirai même de
façon physiologique, dans ce que nous appelons aujourd'hui l'évangélisation.
Nous pouvons à juste titre les définir comme un "couple apostolique" tel
Priscille et Aquila : les époux Louis et Zélie se sont engagés comme couple
chrétien laïque dans l'apostolat d'évangélisation, et ils l'ont fait, de
façon sérieuse et convaincue durant toute leur existence, au sein de leur
famille comme à l'extérieur. Le "don de soi" est tout à fait remarquable
dans la vie de ces "incomparables parents"
(2)
selon l'expression même de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus de la Sainte
Face. Mais la sainteté de leur vie, comme leur réputation de sainteté, ne se
limite pas à la période conjugale. Elle est déjà présente auparavant. Leur
vie à tous deux s'est développée dans la recherche de Dieu, dans la prière,
animée par le profond désir de réaliser surtout Sa volonté. Ils s'étaient
orientés, au départ, vers une vie religieuse consacrée. Ils se sont fait
aider dans leur discernement. On n'en finirait pas d'être édifié par les
récits des nombreux actes de charité manifestés dans vos rues par les époux
Martin. Plusieurs Alençonnais, des membres de la famille Martin comme de
leurs amis ont été les témoins directs de leur "don de soi". Ils ont déposé
aux différents Procès informatifs, d'abord pour la cause de Thérèse et, plus
tard, pour celle de ses parents, procès qui ont pour but de vérifier les
critères de sainteté dans l'Église. Dans les témoignages recueillis pour la
cause de Thérèse, de nombreuses personnes ont parlé de ses parents et de
leurs qualités éminemment chrétiennes. Il suffit de lire Histoire d'une âme
et de se promener dans les rues de votre ville pour découvrir les lieux où
Louis et Zélie ont grandi, ont reçu leur formation humaine et chrétienne et
ont travaillé : rue Saint-Blaise pour Zélie, comme dentellière (et quelle
dentellière !) ; rue du Pont-Neuf pour Louis, comme horloger-bijoutier.
C'est là qu'ils ont approfondi leur foi et pensé à se donner au Seigneur.
Dieu toutefois avait d'autres projets sur eux et, un jour, sur le pont
Saint-Léonard, ils se sont croisés, se sont connus et se sont aimés. Puis
ils se sont mariés et sont devenus parents. C'est précisément ici, dans
cette église, que Thérèse, leur dernière fille, est re-née au Christ. Les
fonts baptismaux sont encore les mêmes ; ils représentent le sein de
l'Église, Mère et éducatrice de saints, sein unique qui nous fait tous fils
de l'Unique Père, matrice unique de la sainteté. Elles sont proverbiales,
l'ouverture et la capacité d'accueil de la famille Martin : non seulement la
maison est ouverte et accueillante pour quiconque frappe à la porte, mais le
cœur de ces époux est chaleureux, large et prêt au "don de soi".
Contrairement à
l'esprit bourgeois de leur temps et de leur entourage, qui cachait derrière
un certain decorum la religion de l'argent et le mépris des pauvres, Louis
et Zélie, avec leurs cinq filles, passaient une bonne partie de leur temps
et de leur argent à aider celui qui était dans le besoin.
Au procès de ses parents, Céline Martin, au Carmel Sœur Geneviève, témoigna
de l'amour de son père et de sa mère pour les pauvres : « Si au foyer
régnait l'économie, c'était de la prodigalité quand il s'agissait de
secourir les pauvres. On allait au devant d'eux, on les cherchait, on les
pressait d'entrer chez nous, où ils étaient comblés, ravitaillés, vêtus,
exhortés au bien. Je vois encore ma mère empressée autour d'un pauvre
vieillard. J'avais alors sept ans. Mais je m'en souviens comme si c'était
hier. Nous étions en promenade à la campagne quand, sur la route, nous
rencontrâmes un pauvre vieillard qui paraissait malheureux. Ma mère envoya
Thérèse lui porter une aumône. Il en parut si reconnaissant qu'elle entra en
conversation avec lui. Alors ma mère lui dit de nous suivre et nous
rentrâmes à la maison. Elle lui prépara un bon dîner, il mourait de faim, et
lui donna des vêtements et une paire de chaussures… Et elle l'invita à
revenir chez nous lorsqu'il aurait besoin de quelque chose ».
(3) Et, à propos de son père,
elle ajoute : « Mon père s'occupait de leur trouver un emploi selon leur
condition, les faisant entrer à l'hôpital quand il y avait lieu, ou leur
procurant une situation honorable. C'est ainsi qu'il aida un ménage de la
noblesse en détresse […]. A Lisieux, aux Buissonnets, tous les
lundis, dans la matinée, les pauvres venaient demander l'aumône. On leur
donnait toujours, ou des vivres ou de l'argent ; et souvent c'était la
petite Thérèse qui portait les aumônes. Un autre jour, mon père avait
rencontré à l'église un vieillard qui avait l'air très pauvre. Il l'amena à
la maison. On lui donna à manger et tout ce dont il avait besoin. Au moment
où il allait partir, mon père lui demanda de nous bénir, Thérèse et moi.
Nous étions déjà de grandes jeunes filles et nous nous sommes agenouillées
devant lui, et il nous a bénies » (4). Ce sont des choses
extraordinaires qui se sont passées ici-même ! Nous ne sommes pas devant une
simple bonté, mais devant l'amour pour le pauvre vécu de façon héroïque,
selon l'esprit de l'évangile de Matthieu
(5).
Chez ce couple lumineux resplendit quelque chose de la sainteté de toujours
que nous trouvons tout au long de l'histoire de l'Église.
III. La
réputation de sainteté
Tous les Papes, qui ont eu à
s'occuper de la petite Thérèse
(Saint Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, le bienheureux Jean XXIII, le
Serviteur de Dieu Paul VI - du pape Jean-Paul Ier je parlerai tout à l'heure
- et jusqu'au grand Pape Jean-Paul II),
tous ont mis en lumière l'exemplarité de la sainteté des parents Martin,
soulignant le lien de leur sainteté avec celui de leur fille.
La sainteté de ces
époux n'est pas due à la sainteté de leur fille ; elle est une véritable
sainteté personnelle voulue, poursuivie à travers un chemin d'obéissance à
la volonté de Dieu qui veut tous ses fils saints comme Lui-même est Saint.
Alors, on peut dire que Thérèse est la première "postulatrice" de la
sainteté de ses parents ; sainteté au sens le plus vrai du terme, ce n'est
pas une simple façon de parler. Thérèse parle de son père en employant
plusieurs fois des mots comme "saint", "serviteur de Dieu", "juste". Elle
admire chez ses parents non seulement leurs capacités et leur finesse
humaine ou leur courage au travail, elle remarque aussi leur foi, leur
espérance et leur charité, l'exercice héroïque de ces vertus théologales.
Elle souligne tous les éléments qui font l'objet d'un examen dans les procès
canoniques. Si je pouvais, je la recommanderais comme postulatrice. L'Église
se sent débitrice vis-à-vis de Louis et de Zélie, eux qui ont été de vrais
maîtres et modèles de sainteté pour leur fille Thérèse, comme l'a affirmé
justement Balthasar dans son ouvrage Sorelle nello Spirito (6)
lorsqu'il écrit : « Dans le surnaturel, Thérèse ne réalise que ce qu'elle
a, de quelque manière, vécu dans le naturel. Peut-être n'a-t-elle rien de
plus intime et de plus irrésistible que l'amour de son père et de sa mère.
C'est pourquoi son image de Dieu est déterminée par l'amour de l'enfant pour
ses parents. A Louis et à Zélie Martin nous devons finalement la doctrine de
la "petite voie", la doctrine de "l'enfance", car ils ont rendu vivant en
Thérèse de l'Enfant-Jésus le Dieu qui est plus que père et mère" (7).
Cette observation de Balthasar est d'une importance capitale. Il affirme
très clairement que la doctrine de la "petite voie" qui a fait de Thérèse un
Docteur de l'Église ès Science de l'amour de Dieu, nous la devons à la
sainteté et à l'exemplarité de la vie de Louis et de Zélie ; l'Église, en
s'apprêtant aujourd'hui à béatifier ce couple, montre que la sainteté est
possible, qu'elle est à la portée de tous, quels que soient le choix et
l'état de vie que nous avons embrassés. Et ce peut être une grande sainteté.
Cela ne devrait-il pas être une réalité pour tout foyer ? La famille
n'est-elle pas appelée à transmettre à ses enfants le mystère de "Dieu
qui est plus que père et mère" ? La famille n'est-elle pas une école
d'humanité véritable et un lieu d'exercices à la sainteté ? Elle est le lieu
privilégié pour forger le caractère et la conscience. Voilà la mission, le
devoir de toujours des couples, de la famille chrétienne. A bien y regarder,
la réputation de sainteté de ces époux dépasse déjà les limites de vos
diocèses ; elle est présente aujourd'hui, pourrions-nous dire, dans tout l'Oikoumene
catholique comme il ressort de la documentation abondante et détaillée qui
ne cesse d'augmenter depuis plus de 80 ans. Ce prodige, nous le devons
certes à Thérèse. S'il est vrai que Histoire d'une âme, dont la première
édition date de 1898, est, après la Bible, le livre le plus traduit en de
nombreuses langues, on comprend fort bien l'immense résonance qui en résulte
pour les parents Martin dans le monde. Il n'est sans doute pas exagéré de
dire que, pour ce qui est de la réputation, après la Sainte Famille de
Nazareth, la "sainte famille Martin" vient au second rang. Le Serviteur de
Dieu, Jean-Paul Ier, lorsqu'il était encore Patriarche de Venise
(1969-1978), a écrit, dans un
livre bien connu, Illustrissimi
(8)
: « Quand j'ai vu qu'était introduite la cause de béatification
des parents de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, je me suis dit : "Enfin une
cause à deux ! Saint Louis est saint sans son épouse Marguerite, Monique
sans son mari Patrizio ; Zélie Guérin, par contre, sera sainte avec Louis
Martin son époux et avec Thérèse sa fille ! ». Déjà en 1925, le Cardinal
Antonio Vico, envoyé par Pie XI à Lisieux comme délégué pour présider les
fêtes solennelles en l'honneur de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus,
canonisée depuis peu, s'adressa à Mère Agnès de Jésus
(Pauline, la seconde fille des
Martin) : « Maintenant il
faut s'occuper du papa… C'est de Rome qu'on me charge de vous le dire »
(9). Si l'affaire n'a pas eu de
suite immédiate, on le doit à la perplexité évidente de Mère Agnès de Jésus.
IV. « Incomparables parents »
Tous ceux qui ont abordé, même rapidement,
Histoire d'une âme, n'ont pu que remarquer la personnalité humaine et
spirituelle de ces parents qui ont construit, avec sagesse, l'atmosphère
familiale dans laquelle a grandi Thérèse. Ils n'ont pu qu'aimer ses
"incomparables parents". La riche correspondance de Zélie est un témoignage
de la façon dont Mme Martin a suivi la formation humaine, chrétienne et
spirituelle de tous les membres de sa famille, d'abord celle de son frère
Isidore, avant et après son mariage, celle de sa belle-sœur Céline Fournet
et celle de ses propres filles. Il n'y a pas
une de ses lettres qui ne manifeste la présence de Dieu,
une présence non pas formelle ou de convenance, de circonstance,
mais une référence constante pour tout aspect de la vie.
Une correspondance qui témoigne d'une attention exquise au bien de toute la
personne et à sa croissance globale. Croissance
qui est pleine et valide dans la mesure où elle n'exclut pas Dieu de son
horizon. Louis, son mari, est moins loquace et
n'aime pas écrire. Il ne refuse pas de témoigner ouvertement de sa foi et ne
craint pas les moqueries à son égard ! Dans les rapports avec sa femme, à la
maison avec ses cinq filles, dans la gestion de son horlogerie-bijouterie,
ou encore avec ses amis, dans la rue ou en voyage, en toutes circonstances,
pour lui "Messire Dieu, premier servi". Une famille missionnaire de
première heure quand, en France, depuis peu, surgit l'œuvre de la
Propagation de la foi de Pauline Jaricot
(1799-1862) et que commencent
les mouvements missionnaires du XIXe siècle. Vous savez que les parents
Martin ont inscrit toutes leurs filles à l'Œuvre de la Sainte Enfance
(on conserve encore l'image-souvenir
de l'inscription de Thérèse, le 12 janvier 1882)
et qu'ils envoyèrent des offrandes généreuses pour la construction de
nouvelles églises en terre de mission. Pour Thérèse, le fait de participer
toute jeune aux activités de l'Œuvre de la Sainte Enfance, n'a fait
qu'éveiller et développer son zèle missionnaire. Louis et Zélie furent des
saints qui engendrèrent une sainte, ils furent des époux missionnaires qui,
non seulement, participèrent à l'élan missionnaire de leur temps, mais
éduquèrent pour l'Église la Patronne des Missions Universelles
(1927). Louis et Zélie sont
saints, non pas tant par la méthode ou les moyens choisis pour participer à
l'évangélisation, (qui
sont évidemment ceux de l'Église et de la société de leur temps),
mais ils sont saints par le témoignage du sérieux de leur la foi vécue dans
leur famille. Ils ont évangélisé leurs enfants par l'exemple de leur vie de
couple, puis par la parole et l'enseignement au sein de la famille. A cet
égard, il suffit de rappeler ce que Thérèse elle-même écrit dans Histoire
d'une âme à propos de la fascination qu'exerçaient sur elle son père et sa
mère : « Tous les détails de la maladie de notre mère chérie sont encore
présents à mon cœur, je me souviens surtout des dernières semaines qu'elle a
passées sur la terre ; nous étions, Céline et moi, comme de pauvres petites
exilées, tous les matins, Mme Leriche venait nous chercher et nous passions
la journée chez elle. Un jour, nous n'avions pas eu le temps de faire notre
prière avant de partir et pendant le trajet Céline m'a dit tout bas :
"Faut-il le dire que nous n'avons pas fait notre prière ?..." "Oh ! oui" lui
ai-je répondu ; alors bien timidement elle l'a dit à Mme Leriche, celle-ci
nous a répondu "Eh bien, mes petites filles, vous allez la faire" et puis
nous mettant toutes les deux dans une grande chambre elle est partie...
Alors Céline m'a regardée et nous avons dit : "Ah ! ce n'est pas comme
Maman... toujours elle nous faisait faire notre prière !"... » (10). Son
père, « le Roi de France et de Navarre »
(11),
comme elle aimait l'appeler, exerçait une belle fascination spirituelle sur
elle. Sa figure d'homme inspirait vénération et respect : « Que
pourrai-je dire des veillées d'hiver, surtout celles du Dimanche ? Ah !
qu'il m'était doux après la partie de damier de m'asseoir avec Céline sur
les genoux de Papa... De sa belle voix, il chantait des airs remplissant
l'âme de pensées profondes... ou bien, nous berçant doucement, il récitait
des poésies empreintes des vérités éternelles... Ensuite nous montions pour
faire la prière en commun et la petite reine était toute seule auprès de son
Roi, n'ayant qu'à le regarder pour savoir comment prient les Saints... "
(12).
V. Une initiation chrétienne en famille
Nous pouvons définir le manuscrit A
comme "le manuscrit de l'initiation chrétienne familiale de Thérèse". Une
initiation conduite avec le même sérieux que l'apprentissage scolaire. La
foi, chez les Martin, est une foi vécue et non pas une série de normes à
respecter. De sa préparation des sacrements de l'initiation chrétienne,
Thérèse, toujours dans le manuscrit A
(1895), remercie non seulement
ses parents déjà décédés
(la maman en 1877 et le papa en 1894)
mais aussi ses sœurs aînées. Je veux souligner ici la valeur particulière,
non seulement des parents, mais aussi celle des sœurs aînées, donc de la
famille entière. Les parents éduqués eux-mêmes par l'enseignement de
l'Église, ont transmis à leur tour cet enseignement reçu à tous les enfants.
Et ils l'ont tellement bien fait, qu'ils ont mérité que la plus illustre de
leurs filles, après avoir été elle-même enseignée et formée par ces
"incomparables parents", est devenue Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de
la Sainte Face, qui aujourd'hui enseigne toute l'Église et toute l'humanité
comme docteur (1997).
Ab ipsis docta docet : Enseignée, elle enseigne maintenant. C'est là
le défi que l'Église lance aujourd'hui à toutes les familles chrétiennes,
avec la béatification de cette famille. Ils n'ont pas été de simples
instruments qui ont véhiculé la foi, comme un aqueduc transporte l'eau, mais
le depositum fidei, le dépôt de la foi, ils l'ont transmis et enrichi
par leur propre expérience personnelle de foi, d'espérance et de charité.
Ils n'ont pas transmis la foi comme quelque chose de traditionnel, de
fragmentaire et de notionnel, mais comme quelque chose de vivant. Non pas
une foi qui serait un héritage comme celui que laissent les morts ; car
l'héritage vient après la mort ; non, par le baptême, ils ont greffé leurs
enfants dans le courant vivant et vital de l'Église, ne se substituant pas à
l'Église, mais avec l'Église et dans l'Église. Ils ont collaboré avec
l'Église en parfaite harmonie. Il faut encore observer que la sainteté de ce
couple se trouve en accord avec le concile Vatican II et d'autres Documents
de l'Église. Je pense surtout à la constitution pastorale
Gaudium et
Spes dans son chapitre sur la sainteté du mariage et de la famille (13)
: « Précédés par l'exemple et la prière commune de leurs parents, les
enfants, et même tous ceux qui vivent dans le cercle familial, s'ouvriront
ainsi plus facilement à des sentiments d'humanité et trouveront plus
aisément le chemin du salut et de la sainteté ».Comment ne pas voir la
proximité de la famille Martin avec ce texte ? Tout cela peut nous
surprendre quand on songe combien leur temps est distant du nôtre. Il y a
150 ans, le 12 juillet 1858 se situait dans la France du Second Empire.
Nous, hommes et femmes du Troisième Millénaire, nous pouvons éprouver une
difficulté à imaginer leur genre de vie quotidienne, sans électricité, sans
chauffage, ni radio ni télévision, rien de tous ces moyens modernes de
communication qui caractérisent notre vie moderne. Mais nous, ici,
aujourd'hui, nous jugeons la sainteté, non pas la distance qui nous sépare
de leur témoignage ; nous jugeons la sainteté, non la forme dans laquelle
elle nous parvient. Leur sainteté est distante de nous dans la forme mais
non dans la substance, le contenu et la doctrine. Les Martin ont su garder
le bon vin jusqu'à la fin
(Jn 2/10). Même
à la lumière des documents de l'Église, ce couple peut être proposé comme
une famille engagée dans l'évangélisation de ses fils. A leur époque, il
s'agissait d'une évangélisation plus empruntée, peut-être, au catéchisme et
aux préceptes, la doctrine de l'Église était enseignée non seulement dans la
paroisse mais aussi dans la famille, on apprenait par cœur les vérités de la
foi. En tout cela l'Église suivait la méthode d'enseignement courante à
cette époque où la mémoire jouait un rôle important. La famille Martin est
témoin dans sa maison - avec ses enfants et ceux qui les entourent, ses
parents et ses domestiques - du rôle de l'évangélisation, non seulement en
tant que couple : toute la famille a une mission et une tâche à développer.
Paul VI écrivait dans son encyclique
Evangelii
Nuntiandi (71)
quelque chose que nous voyons vécu dans la famille Martin. « Au sein de
l'apostolat évangélisateur des laïcs, il est impossible de ne pas souligner
l'action évangélisatrice de la famille. Elle a bien mérité, aux différents
moments de l'histoire, le beau nom "d'Église domestique" sanctionné par le
concile Vatican II. Cela signifie, que, en chaque famille chrétienne,
devraient se retrouver les divers aspects de l'Église entière. En outre, la
famille, comme l'Église, se doit d'être un espace où l'Évangile est transmis
et d'où l'Évangile rayonne. Au sein donc d'une famille consciente de cette
mission, tous les membres de la famille évangélisent et sont évangélisés.
Les parents non seulement communiquent aux enfants l'Évangile, mais peuvent
recevoir d'eux ce même Évangile profondément vécu. Et une telle famille se
fait évangélisatrice de beaucoup d'autres familles et du milieu dans lequel
elle s'insère ».La maison rue du Pont-Neuf, celle de la rue Saint-Blaise
et celle des Buissonnets ont toujours été, malgré les différents
déménagements, une "petite Église domestique" où encore une fois les Martin
sont bien en harmonie avec notre temps. La famille de Louis et de Zélie, a
été, pour leurs cinq enfants - quatre autres sont morts en bas âge - le lieu
privilégié de l'expérience de l'amour et de la transmission de la foi. Dans
la maison, dans l'intimité de la chaleur familiale et de la vie domestique,
chacun a reçu et donné. Au milieu des multiples soucis professionnels, les
parents ont su l'un et l'autre communiquer les premiers enseignements de la
foi à leurs propres enfants, dès la plus tendre enfance. Ils ont été les
premiers maîtres dans l'initiation de leurs enfants à la prière, à l'amour
et à la connaissance de Dieu, en montrant qu'ils priaient tout seuls et
ensemble, en les accompagnant à la messe et aux visites au Saint-Sacrement ;
ils leur ont enseigné la prière, pas simplement en disant qu'il fallait
prier mais en transformant leurs maisons en "une école de prière". Ils ont
enseigné combien c'était important de rester avec Jésus, en écoutant les
Évangiles qui nous parlent de lui. De plus, la vie spirituelle, cultivée dès
la jeunesse, comme ce fut le cas pour Zélie et Louis, s'alimentait à la
source de la vie paroissiale. Ils étaient de fidèles lecteurs de l'Année
liturgique de Dom Guéranger, livre très apprécié par Thérèse elle-même, qui
en prit connaissance justement à la maison. Chers frères et sœurs, Louis et
Zélie nous révèlent une vérité simple, même très simple : la sainteté
chrétienne n'est pas un métier pour un petit nombre. Elle est bien la
vocation normale de tous, de chaque baptisé. Louis et Zélie nous ont dit
simplement que la sainteté concerne la femme, le mari, les enfants, les
soucis du travail, et même la sexualité. Le saint n'est pas un surhomme, le
saint est un homme vrai. Le 4 avril 1957, Céline - au Carmel sœur Geneviève
de la Sainte Face -, en déposant au procès sur l'héroïcité de son père,
parle de « la beauté d'une vie conjugale vécue tout entière pour le bon
Dieu seul, sans aucun égoïsme ni repli sur soi. Si le serviteur de Dieu
désirait beaucoup d'enfants, c'était pour les donner à Dieu sans réserve. Et
tout cela dans la simplicité d'une existence ordinaire, laborieuse, semée
d'épreuves accueillies avec abandon et confiance dans la Divine Providence
». Je termine en reprenant les mots mêmes qui ont conclu la déclaration sur
les vertus de Louis et de Zélie le 13 octobre 1987 : « Nous avons devant
nous un couple, et une famille, qui ont vécu et agi en pleine consonance
avec l'Évangile, préoccupés seulement de vivre à chaque instant de la
journée le plan préparé par Dieu pour eux. En interrogeant et en écoutant Sa
voix, ils n'ont rien fait d'autre que de se perfectionner. Louis et Zélie
Martin ne sont pas protagonistes de gestes éclatants ou d'une densité
apostolique particulière, mais ils ont vécu la vie quotidienne de toute
famille, illuminés toujours par le divin et le surnaturel. C'est là l'aspect
central, de portée ecclésiale, offert à l'imitation des familles
d'aujourd'hui. En mettant devant nous la famille Martin, on pourra recevoir
aliment, force, orientation, pour éviter le laïcisme et la sécularisation
moderne, et ainsi triompher de beaucoup de misères, et voir le don de
l'amour conjugal et, avec lui, le don de la paternité et de la maternité
dans la lumière d'un incommensurable Don de Dieu ».
Le
Cardinal José Saraiva Martins
Notes :
(1) Prière
eucharistique II (2) "La mère incomparable" (Manuscrit A, 4 v°) et "le
père incomparable" (Lettre 91) (3) Positio I, p.420 §603. (4)
Positio I, §56, p.41 Idem ? (5) Matthieu 25, 31-46, particulièrement
le verset 40: "c'est à moi que vous l'avez fait". (6) Soeurs dans
l'Esprit, Thérèse de Lisieux et Elisabeth de Dijon. (7) In Summarium
Documentorum, XXVIII, Roma, 1987, p.1042 (8) Illustrissimi est un
ouvrage publié en janvier 1976, traduit en français sous le titre Humblement
vôtre (nouvelle Cité, Paris 1978). Il s'agit d'un recueil de " lettres
ouvertes " écrite par Mgr Albino LUCIANI, Patriarche de Venise, deux années
et demi avant d'être élu pape sous le nom de Jean-Paul Ier. Il s'adresse à
des personnages historiques ou de la mythologie, à des écrivains, à des
personnes de la littérature italienne ou étrangères, ou encor à des Saints
de l'Église. (9) cf. Summarium Documentorum, op. cit., p. 1138.
(10) . Manuscrit A, 12 r°. (11) Cf. Manuscrit A, 19 v°. (12)
Manuscrit A, 18 r°. (13) GS 48, 2° partie, chap. 1, n° 48 §3. (14)
Procès, vol. II, summarium, page 22, ad. 6.
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Communiqué du Bureau des Célébrations Liturgiques de Benoît XVI
Sources :
http://notredamedesneiges.over-blog.com
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un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 20.08.2008 -
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