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Pape émérite, pape empêché. Où en est la rédaction des nouvelles
normes ?
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Le 17 septembre 2021 -
(E.S.M.)
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Cet été, un article érudit paru dans une revue spécialisée
italienne a relancé la rumeur d’une possible démission du pape
François. Il laissait entrevoir de nouvelles normes canoniques
concernant tant la renonciation d’un pape que son incapacité totale.
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Pape émérite, pape empêché. Où en est la rédaction des nouvelles normes ?
Le 17 septembre 2021 - E.
S. M. -
L’auteur de l’article, Geraldina Boni, professeur ordinaire de droit
canon et de droit ecclésiastique à l’Université de Bologne, est
également conseillère du Conseil pontifical pour les textes
législatifs, et il n’en fallait pas plus pour laisser entendre qu’au
Vatican, on serait en train de préparer, à la demande du pape
régnant, des normes susceptibles de fournir un cadre juridique à une
renonciation prochaine.
Mais il n’en est rien. D’après les informations de Settimo Cielo,
rien ne bouge au Vatican et personne, encore moins le Pape, ne
s’avance dans une telle direction.
Cette initiative a pris naissance hors des murailles léonines à
l’initiative d’un réseau international de chercheurs gravitant
autour du professeur Boni, des chaires de droit canon et de droit
ecclésiastique de l’Université de Bologne, comme il y a un
millénaire de cela, quand le célèbre Gratien y enseignait et qu’a
commencé à prendre forme l’architecture juridique de l’Église
catholique.
Le chantier auquel tous ces chercheurs se sont attelé est en fait
une plateforme virtuelle multilingue, accessible à tous, sur
laquelle ils sont en train d’élaborer petit à petit de nouvelles
normes pour combler les lacunes du droit canon actuel sur deux
points cruciaux : la renonciation et l’empêchement total d’un pape.
Quand ces chercheurs estimeront avoir mis au point un projet
adéquat, ils l’offriront au « législateur suprême », c’est-à-dire au
Pape François, qui décidera ce qu’il convient d’en faire.
Jusqu’à présent, personne n’avait parlé en détail de ce chantier, de
la manière dont il fonctionne et de ce qu’il est en train de
construire. Le professeur Boni le fait à présent dans cet article
qu’elle a rédigé pour Settimo Cielo.
À elle la parole.
Deux vides juridiques à combler
de Geraldina Boni
(traduction française revue par l’auteur)
On se souvient des affaires récentes qui ont secoué la papauté et
qui ont abouti, après la renonciation de Benoît XVI, à la mise en
place d’une cohabitation inédite entre le pontife romain régnant et
un pape « émérite ». Par ailleurs, il est de plus en plus évident
qu’une situation dans laquelle un pape affaibli par le grand âge ou
des problèmes de santé puisse rester en vie grâce à la médecine ou
la technologie tout en n’étant plus en mesure d’assumer le « munus
petrinum » est appelée à se reproduire.
L’éventualité dans laquelle le siège de Rome serait empêché est
seulement mentionnée dans le Code de Droit Canonique mais n’est pas
réglementée. Bien que le can. 335 fasse allusion à une loi spéciale
dans un tel cas de figure, la loi en question n’a jamais été
promulguée. Et surtout, aucune solution juridique n’a jamais été
envisagée pour assurer la direction de l’Église universelle si le
pontife romain n’était plus en mesure de la gouverner à cause d’un
empêchement total, permanent et irréversible, avec des conséquences
potentiellement graves pour l’Église universelle. Ce sont ces deux
lacunes légales importantes qu’il conviendrait de combler.
À la suite de la publication en juillet dernier d’un de mes articles
dans la revue scientifique « Stato, Chiese e pluralisme
confessionnel », j’ai tâché de susciter le débat au sein des
canonistes sur ces problèmes cruciaux, en présentant à titre
d’exemples plusieurs lois possibles, volontairement envisagées de
manière critique, alternative ou à tout le moins interrogative de
sorte à laisser de l’espace à un débat contradictoire constructif.
Entretemps, depuis 2020 déjà, un petit groupe de canonistes issus de
différents pays a établi deux schémas réglementaires, après avoir
identifié les principaux points à traiter. Cette équipe a coopéré à
distance – une chose désormais habituelle en cette période de
pandémie – en organisant plusieurs réunions en ligne pour réfléchir
ensemble en toute liberté aux questions qui sont sur la table ;
échangeant ensuite des projets que chacun commentait et critiquait
en détail. En donnant également des votes de préférence motivés pour
départager deux ou plusieurs options, qui s’appuyaient à leur tour
sur différentes visions théologiques et dogmatiques qui sous-tendent
invariablement les normes juridiques en vigueur.
Les deux projets de proposition de lois, l’une pour le cas de figure
du siège de Rome totalement empêché et l’autre pour la situation
canonique d’un évêque de Rome qui aurait renoncé à son office ont
été, une fois le travail préparatoire achevé, publiés sur un site
web pour être consultés par les canonistes du monde entier.
Initialement rédigées en italien et en espagnol, ces deux versions
constituent les principaux textes de référence mais, pour dans le
but d’élargir le spectre des débats, des traductions en anglais, en
français et en allemand ont aussi été publiées.
Pour le projet du siège de Rome empêché, la nouveauté la plus
importante concerne l’introduction (notamment à travers une
modification du Code de Droit Canonique) de l’empêchement total pour
« inhabilitas » irrémédiable du Pape en tant que troisième cause de
cessation de l’office pétrinien, qui viendrait alors s’ajouter au
décès et à la renonciation. Dans le cas où le siège de Rome serait
complètement empêché pour « inhabilitas » irrémédiable du
pape – telle qu’il ne soit même plus en mesure de renoncer
volontairement à son office -, la situation, dûment constatée à
travers une procédure strictement réglementée (moyennant une
consultation médicale et ratification du collège cardinalice à la
majorité qualifiée), serait équipollée en droit au siège vacant ;
avec par conséquent la convocation d’un conclave pour l’élection du
nouveau successeur de Pierre. On passerait donc, pour ainsi dire,
outre le siège empêché pour passer en situation de vacance, sans
qu’il y ait une renonciation qui, du fait de l’incapacité du Pape,
serait naturellement impossible. On voit tout de suite, ne fût-ce
qu’avec cette brève description, comment cela remettrait en cause
des notions fondamentales du Droit canonique, en l’espèce le
principe « prima sedes a nemine iudicatur », indissociable du primat
de l’évêque de Rome.
Pour le projet sur le « pape émérite », on a en revanche décidé,
étant donné la situation délicate actuelle, de limiter sensiblement
la discipline, en n’ajoutant que les quelques normes strictement
nécessaires pour éviter des équivoques dommageables et prévenir des
pratiques préjudiciables. En outre, ces normes sont surtout
formulées non pas de manière prescriptive et impérative mais
exhortative : surtout dans l’intention – modérant dans une certaine
mesure l’exercice de certains droits du renonçant – de n’offenser en
aucune manière la dignité de celui qui a occupé le trône de Pierre.
On retrouve donc, après certaines normes importantes sur l’acte de
renonciation (par exemple sur les formalités ou la date d’entrée en
vigueur), des dispositions sur le titre et l’appellation, la
résidence, la rémunération, les rapports avec le pontife romain, la
condition personnelle, le style de vie, les responsabilités
ecclésiales et publiques, les funérailles et la sépulture de
l’évêque de Rome qui a renoncé.
Depuis l’ouverture récente de la plateforme internet, on assiste à
l’émergence d’un « locus » virtuel de débat scientifique jamais
expérimenté auparavant par les canonistes, proposant des accès sans
filtre et avec des possibilités de collaboration importantes, de
sorte que le « forum » des experts puisse se dérouler très largement
sur le web, au sein d’une sorte de « table ronde » informatique sans
exclusion subjectives ou de quelque nature que ce soit, sinon celles
qui sont naturellement nécessaires afin de garantir la sérénité
d’une dialectique scientifique. Sur cette plateforme multimédia, qui
est une sorte d’ « agora » virtuelle, tous les juristes – ainsi que
les théologiens et historiens – peuvent apporter leur propre
contribution intellectuelle, aussi bien en la signant et en la
rendant visible à toute la communauté scientifique, que de manière
anonyme, en envoyant le fruit de leur réflexion à l’équipe de
rédaction qui en tiendra compte et répondra au rédacteur. Tout un
chacun peut également télécharger, outre les schémas, les
commentaires et les projets en cours de construction, des avis plus
largement argumentés, des dossiers, de la documentation en tout
genre, des bibliographies, etc.
Au terme de ce travail en commun, les projets seront présentés au
législateur suprême, afin qu’il puisse s’en servir s’il le juge
opportun : car c’est à lui qu’il revient de rédiger le texte latin
authentique qui sera promulgué après s’être appuyé sur des
latinistes et des canonistes, qui ne peuvent pas ne pas se prononcer
sur la transposition technique des normes en latin juridique qui
sous-tend inévitablement les schémas composés dans les langues
nationales.
Voici l’adresse de la plateforme :
www.progettocanonicosederomana.com
La communauté des canonistes met donc au service du Vicaire du
Christ et, avec lui, de l’Église et du peuple de Dieu, ses propres
connaissances et ses propres compétences, tout en favorisant la mise
en œuvre de la « synodalité » dans l’exercice de la fonction
législative, en promouvant une méthode largement participative dans
la formation des normes en vue d’obtenir le meilleur résultat
possible.
C’est ainsi que l’on procédait aux débuts des sciences juridiques, à
l’aube de l’an Mil : c’était une époque de grande exubérance qui a
vu s’établir un lien très fort, particulièrement entre les juristes
et les papes législateurs, souvent issus des bancs et des chaires de
l’Université de Bologne. Comme Gratien, un pionnier qui a été le
fondateur d’une école clairement novatrice du point de vue
méthodologique qui a grandement contribué au cours des siècles
suivant à la construction de l’architecture juridique de l’Église,
répondant en temps utile aux défis d’une nouvelle époque à travers
l’alliance féconde entre « auctoritas », le pouvoir législatif et «
ratio », la doctrine.
Nous voudrions aujourd’hui rééditer cette expérience extraordinaire,
en conjuguant ces anciennes racines avec les frontières mises à
notre disposition par les technologies de la communication : pour
encourager de la sorte le partage et la solidarité dans
l’élaboration des lois. Voilà l’apport spécifique que le droit canon
pourrait offrir à l’aube du troisième millénaire en assumant, une
fois encore et à l’aide d’instruments inédits, un rôle moteur : avec
l’objectif de bâtir une solution aux problèmes actuels qui soit le
plus possible cohérente avec la justice, selon la véritable vocation
du droit.
Sources : Un article de
Sandro Magister, vaticaniste à
L’Espresso
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 17.09.2021
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