Le pape Benoît XVI repense le célibat
du clergé. Pour le renforcer |
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Rome, le 15 juin 2010 -
(E.S.M.)
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C'est, dit-il, le signe que Dieu existe et qu'il y a des gens qui se
laissent gagner par la passion pour lui. C'est pour cette raison que ce
célibat constitue un grand scandale et que l'on veut le faire disparaître.
La transcription intégrale de la dernière intervention de Benoît XVI à ce
sujet. Et d'un étonnant discours antérieur, qu'il avait prononcé en 2006
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Le pape Benoît XVI -
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Le pape Benoît XVI repense le célibat
du clergé. Pour le renforcer
Par Sandro Magister
Le 15 juin 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Benoît XVI a répondu à ceux qui s’attendaient à une
"relecture" de la règle du célibat du clergé latin. Mais à sa façon.
Le soir du jeudi 10 juin, sur la place Saint-Pierre, au cours de la veillée
de clôture de l'Année Sacerdotale, le pape Joseph Ratzinger, répondant à
cinq questions posées par autant de prêtres venus des cinq continents, a
consacré l’une de ses réponses à expliquer la signification de la chasteté
des prêtres. Il l’a fait sous une forme originale, en s’éloignant de la
littérature historique, théologique et spirituelle courante.
La transcription intégrale et authentifiée de la réponse du pape, diffusée
par le Vatican deux jours plus tard et reproduite ci-dessous, permet de
comprendre en profondeur son raisonnement.
Le célibat – a dit le pape – est une anticipation "du monde de la
résurrection". Il est le signe "que Dieu existe, que Dieu a quelque chose à
voir avec ma vie, que je peux fonder ma vie sur le Christ, sur la vie
future".
C’est pourquoi – a-t-il également dit – le célibat "est un grand scandale".
Pas seulement pour le monde d’aujourd’hui "dans lequel Dieu n’a rien à
voir". Mais pour la chrétienté elle-même, dans laquelle "on ne pense plus à
l’avenir de Dieu et dans laquelle le présent de ce monde paraît suffisant à
lui seul".
*
Cela suffit à faire comprendre que ce qui constitue un fondement de ce
pontificat, ce n’est pas le relâchement du célibat du clergé, mais son
renforcement. En liaison étroite avec ce que Benoît XVI a plusieurs fois
indiqué comme étant la "priorité" de sa mission :
"À notre époque où, dans de vastes régions de la terre, la foi risque de
s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité
qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux
hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a
parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage [...] en
Jésus Christ crucifié et ressuscité".
Le pape affirmait cela dans sa mémorable lettre ouverte aux évêques du monde
entier, écrite le 10 mars 2009.
Mais encore auparavant, il y avait eu un autre discours important dans
lequel Benoît XVI avait explicitement lié le célibat du clergé à la
"priorité" qui est de conduire les hommes vers Dieu, et il avait expliqué le
motif de ce lien.
Ce discours est celui qu’il avait adressé à la curie romaine le 22 décembre
2006 et dans lequel il commentait les voyages qu’il avait faits hors
d'Italie cette année-là.
À propos de son voyage en Allemagne, trois mois plus tôt, celui du célèbre
discours de Ratisbonne, le pape commençait ainsi :
"Le grand thème de mon voyage en Allemagne était Dieu. L'Église doit parler
de tant de choses : de toutes les questions liées à l'être qu’est l'homme,
de sa propre structure et sa propre organisation et ainsi de suite. Mais son
véritable et - sous certains aspects - unique thème est 'Dieu'. Et le grand
problème de l'Occident est l'oubli de Dieu : c'est un oubli qui se répand.
En définitive, chaque problème particulier peut être ramené à cette
question, j'en suis convaincu. C'est pourquoi, au cours de ce voyage, mon
intention principale était de bien mettre en lumière le thème de 'Dieu', me
rappelant aussi du fait que dans certaines parties de l'Allemagne vit une
majorité de non-baptisés, pour qui le christianisme et le Dieu de la foi
semblent des choses qui appartiennent au passé.
"En parlant de Dieu, nous abordons aussi précisément le thème qui, dans la
prédication terrestre de Jésus, constituait son intérêt central. Le thème
fondamental de cette prédication est le règne de Dieu, le 'Royaume de Dieu'.
Ce qui est exprimé à travers cela, ce n’est pas quelque chose qui viendra un
jour ou l'autre, dans un avenir indéfini. Ce n’est pas non plus le monde
meilleur que nous cherchons à créer pas à pas, avec nos forces. Dans le
terme 'Règne de Dieu' le mot 'Dieu' est un génitif subjectif. Cela signifie
que Dieu n'est pas un ajout au 'Royaume' que l'on pourrait peut-être même
laisser de côté. Dieu est le sujet. Royaume de Dieu signifie en réalité :
Dieu règne. Il est lui-même présent et il est déterminant pour les hommes
dans le monde. Il est le sujet et, là où ce sujet manque, il ne reste rien
du message de Jésus. C'est pourquoi Jésus nous dit que le Royaume de Dieu ne
vient pas de façon à ce que l'on puisse, pour ainsi dire, se mettre sur le
côté de la route et observer son arrivée. 'Il est au milieu de vous!' (cf.
Lc 17, 20 sq.). Il se développe là où est réalisée la volonté divine. Il est
présent là où se trouvent des personnes qui s'ouvrent à sa venue et qui
laissent ainsi entrer Dieu dans le monde. C'est pourquoi Jésus est le
Royaume de Dieu en personne : l'homme dans lequel Dieu est parmi nous et à
travers lequel nous pouvons toucher Dieu, nous approcher de Dieu. Là où cela
se produit, le monde est sauvé".
Ayant dit cela, Benoît XVI continuait en liant à la question de Dieu
justement celle du sacerdoce et du célibat sacerdotal :
"Paul appelle Timothée - et à travers lui l'évêque et en général le prêtre -
'homme de Dieu' (1 Tm 6, 11). Tel est le devoir central du prêtre : apporter
Dieu aux hommes. Certes, il ne peut le faire que s’il vient lui-même de
Dieu, s'il vit avec et de Dieu. Cela est exprimé de façon merveilleuse dans
un verset d'un psaume sacerdotal que nous - l'ancienne génération - avons
prononcé lors de notre admission à l'état clérical : 'Seigneur, mon partage
et ma coupe : de toi dépend mon sort' (Ps 16 [15], 5). L'orant-prêtre de ce
psaume interprète son existence à partir de la forme de la distribution du
territoire établie dans le Deutéronome (cf. 10, 9). Après la prise de
possession de la Terre, chaque tribu obtient par tirage au sort sa portion
de la Terre sainte et prend ainsi part au don promis par le chef de lignée,
Abraham. Seule la tribu de Lévi ne reçoit aucun terrain : sa terre, c’est
Dieu lui-même. Cette affirmation avait certainement une signification tout à
fait pratique. Les prêtres ne vivaient pas, comme les autres tribus, de la
culture de la terre, mais des offrandes. Toutefois, l'affirmation va plus
loin. Le véritable fondement de la vie du prêtre, le sol de son existence,
la terre de sa vie, c’est Dieu lui-même. Dans cette interprétation de la vie
sacerdotale par l'Ancien Testament - interprétation qui apparaît également à
plusieurs reprises dans le psaume 118 [119] - l'Église a vu à juste titre
l'explication de ce que signifie la mission sacerdotale à la suite des
Apôtres, dans la communion avec Jésus lui-même. Aujourd'hui le prêtre peut
et doit également dire avec le Lévite : 'Dominus pars hereditatis meae et
calicis mei'. Dieu lui-même est ma part de terre, le fondement extérieur et
intérieur de mon existence. Ce théocentrisme de l'existence sacerdotale est
nécessaire précisément dans notre monde totalement fonctionnel, dans lequel
tout est fondé sur des prestations qui peuvent être calculées et vérifiées.
Le prêtre doit véritablement connaître Dieu de l'intérieur et l'apporter
ainsi aux hommes : tel est le service prioritaire dont l'humanité a besoin
aujourd'hui. Si, dans une vie sacerdotale, on perd cet aspect central de
Dieu, le zèle pour l'action disparaît peu à peu. Dans l'excès des choses
extérieures, il manque le centre qui donne un sens à tout et qui le
reconduit à l'unité. Il y manque le fondement de la vie, la 'terre' sur
laquelle tout cela peut demeurer et prospérer.
"Le célibat - qui vaut pour les évêques dans toute l'Eglise orientale et
occidentale, et, selon une tradition qui remonte à une époque proche de
celle des Apôtres, pour les prêtres en général dans l'Eglise latine - ne
peut être compris et vécu, en définitive, que sur la base de ce fondement.
Les raisons uniquement pragmatiques, la référence à la plus grande
disponibilité, ne suffisent pas. Cette plus grande disponibilité de temps
pourrait facilement devenir aussi une forme d'égoïsme, qui s'épargne les
sacrifices et les difficultés découlant de l'exigence de s'accepter et de se
supporter réciproquement contenue dans le mariage ; elle pourrait ainsi
conduire à un appauvrissement spirituel ou à une dureté de cœur. Le
véritable fondement du célibat ne peut être contenu que dans la phrase : 'Dominus
pars' - Tu es ma terre. Il ne peut être que théocentrique. Il ne peut
signifier être privés d'amour, mais il doit signifier se laisser gagner par
la passion pour Dieu et apprendre ensuite, grâce à une présence plus intime
à ses côtés, à servir également les hommes.
"Le célibat doit être un témoignage de foi : la foi en Dieu devient concrète
dans cette forme de vie qui n’a de sens qu’à partir de Dieu. Placer ma vie
en Lui, en renonçant au mariage et à la famille, signifie que j'accueille et
que je fais l'expérience de Dieu comme réalité et que je peux donc
l'apporter aux hommes. Notre monde devenu totalement positiviste, dans
lequel Dieu entre en jeu tout au plus comme une hypothèse mais non comme une
réalité concrète, a besoin de s'appuyer sur Dieu de la façon la plus
concrète et la plus radicale possible. Il a besoin du témoignage de Dieu qui
réside dans la décision d'accueillir Dieu comme terre sur laquelle se fonde
notre existence.
"C'est pourquoi aujourd'hui le célibat est si important dans notre monde,
même si son application à notre époque est constamment menacée et remise en
question. Une préparation attentive est nécessaire au cours du chemin vers
cet objectif, de même qu'un accompagnement persévérant de la part de
l'évêque, d'amis prêtres et de laïcs, qui soutiennent ensemble ce témoignage
sacerdotal. Il faut une prière qui invoque sans cesse Dieu comme le Dieu
vivant et qui s'appuie sur Lui dans les moments de confusion comme dans les
moments de joie. De cette façon, contrairement à la tendance culturelle qui
cherche à nous convaincre que nous ne sommes pas capables de prendre de
telles décisions, ce témoignage peut être vécu et ainsi, dans notre monde,
il peut remettre en jeu Dieu comme réalité".
*
Quand on relit ce discours de décembre 2006, on n’est pas étonné que Benoît
XVI continue encore maintenant à consacrer autant d’efforts au clergé.
La création de l'Année Sacerdotale, la proposition de personnages
exemplaires comme le saint Curé d'Ars, le renforcement du célibat font
partie – aux yeux du pape – d’un dessein très cohérent qui ne fait qu’un
avec "la priorité suprême et fondamentale de l’Église et du successeur de
Pierre à l’époque actuelle", c’est-à-dire "de conduire des hommes vers
Dieu".
Cela a été confirmé le 10 juin dernier par la réponse du pape au prêtre qui
l’interrogeait sur la signification du célibat, réponse intégralement
transcrite ci-dessous.
EXTRAIT DU DIALOGUE DE BENOÎT XVI AVEC LES PRÊTRES
Rome, Place Saint-Pierre, le 10 juin 2010
SUR LE "SCANDALE" DU CÉLIBAT
Q. – Très Saint Père, je m’appelle Karol Miklosko, je viens d’Europe, plus
précisément de Slovaquie, et je suis missionnaire en Russie. Quand je
célèbre la sainte messe, je me trouve moi-même et je comprends que c’est là
que je rencontre mon identité ainsi que la racine et l’énergie de mon
ministère. Le sacrifice de la croix me révèle le Bon Pasteur qui donne tout
pour son troupeau, pour chacune de ses brebis, et quand je dis : "Ceci est
mon corps, ceci est mon sang" donné et versé en sacrifice pour vous, alors
je comprends la beauté du célibat et de l’obéissance, que j’ai librement
promis au moment de mon ordination. Malgré les difficultés naturelles, le
célibat me semble évident, lorsque je regarde le Christ, mais je suis
abasourdi quand je lis toutes les critiques profanes contre ce don. Je vous
demande humblement, Très Saint Père, de nous apporter vos lumières sur la
profondeur et sur la signification authentique du célibat ecclésiastique.
R. – Merci pour les deux parties de votre question. La première montre le
fondement permanent et vital de notre célibat ; la seconde montre toutes les
difficultés dans lesquelles nous nous trouvons à notre époque.
La première partie est importante, c’est-à-dire que la célébration
quotidienne de la sainte eucharistie doit vraiment être le centre de notre
vie. Ici les paroles de la consécration sont centrales : "Ceci est mon
corps, ceci est mon sang" ; c’est-à-dire que nous parlons "in persona
Christi". Le Christ nous permet d’employer son "je", nous parlons avec le
"je" du Christ, le Christ nous "attire en lui" et nous permet de nous unir,
il nous unit, à son "je". Ainsi, à travers cette action, à travers ce fait
qu’il nous "attire" en lui-même, de manière à ce que notre "je" soit uni au
sien, il manifeste la permanence et l’unicité de son sacerdoce ; ainsi il
est vraiment toujours l’unique prêtre et pourtant il est très présent dans
le monde, parce qu’il nous "attire" en lui-même, rendant ainsi présente sa
mission sacerdotale. Cela veut dire que nous sommes "attirés" dans le Dieu
du Christ : c’est cette union avec son "je" qui se réalise dans les paroles
de la consécration.
De même, dans le "je t’absous" – parce qu’aucun d’entre nous ne pourrait
absoudre quelqu’un de ses péchés – c’est le "je" du Christ, de Dieu, qui
seul peut absoudre. Cette unification de son "je" et du nôtre implique que
nous sommes également "attirés" dans sa réalité de Ressuscité, que nous
avançons vers la vie complète de la résurrection, dont Jésus parle aux
sadducéens au chapitre 22 de l’évangile de Matthieu : c’est une vie
"nouvelle", dans laquelle on est déjà au-delà du mariage (cf. Mt 22, 23-32).
Il est important que nous nous laissions sans cesse pénétrer par cette
identification du "je" du Christ avec nous, par ce fait d’être "attirés hors
de nous-mêmes" vers le monde de la résurrection.
En ce sens, le célibat est une anticipation. Nous transcendons ce temps et
nous allons de l’avant, de telle sorte que nous nous "attirons" nous-mêmes
ainsi que notre temps vers le monde de la résurrection, vers la nouveauté du
Christ, vers la vie nouvelle et vraie. Le célibat est donc une anticipation
rendue possible par la grâce du Seigneur qui nous "attire" en lui vers le
monde de la résurrection ; il nous invite sans cesse à nous transcender
nous-mêmes, à transcender ce présent, vers le véritable présent de l’avenir,
qui devient présent aujourd’hui.
Nous arrivons ici à un point très important. Un grand problème de la
chrétienté dans le monde d’aujourd’hui est que l’on ne pense plus à l’avenir
de Dieu : le présent de ce monde semble suffisant à lui seul. Nous voulons
seulement ce monde, vivre dans ce monde. Nous fermons ainsi les portes à la
véritable grandeur de notre existence. Le sens du célibat comme anticipation
de l’avenir est justement d’ouvrir ces portes, d’agrandir le monde, de
montrer la réalité de l’avenir que nous vivons déjà comme présent. Vivre,
donc, en témoignage de la foi : nous croyons vraiment que Dieu existe, que
Dieu a quelque chose à voir dans ma vie, que je peux fonder ma vie sur le
Christ, sur la vie future.
Et nous connaissons maintenant les critiques profanes dont vous avez parlé.
Il est vrai que, pour le monde agnostique, pour le monde dans lequel Dieu
n’a rien à voir, le célibat est un grand scandale, parce qu’il montre
justement que Dieu est considéré et vécu comme une réalité. Avec la vie
eschatologique du célibat, le monde futur de Dieu entre dans les réalités de
notre temps. Et cela devrait disparaître !
En un certain sens, cette critique permanente du célibat peut surprendre, à
une époque où il est de plus en plus à la mode de ne pas se marier. Mais ce
refus du mariage diffère totalement, fondamentalement, du célibat, parce
qu’il est fondé sur la volonté de ne vivre que pour soi-même, de n’accepter
aucun lien définitif, de vivre à tout moment en pleine autonomie, de décider
à tout moment quoi faire, que prendre de la vie ; c’est donc un "non" à ce
qui lie, un "non" à ce qui est définitif, une façon d’avoir la vie pour soi
seul. Le célibat, c’est justement le contraire : c’est un "oui" définitif,
une façon de se laisser prendre en main par Dieu, de se mettre dans les
mains du Seigneur, dans son "je", et c’est donc un acte de fidélité et de
confiance, un acte qui suppose aussi la fidélité du mariage ; c’est vraiment
le contraire de ce "non", de cette autonomie qui ne veut pas se donner
d’obligations, qui ne veut pas entrer dans un lien ; c’est bien le "oui"
définitif qui suppose, qui confirme le "oui" définitif du mariage. Et ce
mariage est la forme biblique, la forme naturelle de la manière d’être homme
et femme, fondement de la grande culture chrétienne, de grandes cultures du
monde. Et si cela disparaît, la racine de notre culture sera détruite.
C’est pourquoi le célibat confirme le "oui" du mariage par son "oui" au
monde futur et nous voulons donc aller de l’avant et rendre présent ce
scandale d’une foi qui fait reposer toute l’existence sur Dieu. Nous savons
qu’à côté de ce grand scandale que le monde ne veut pas voir, il y a aussi
les scandales secondaires de nos insuffisances, de nos péchés, qui cachent
le véritable et grand scandale et qui font penser : "Mais ils ne vivent pas
vraiment en prenant Dieu pour base". Mais il y a tant de fidélité ! Le
célibat – comme le montrent justement les critiques - est un grand signe de
la foi, de la présence de Dieu dans le monde. Prions le Seigneur pour qu’il
nous aide à nous libérer des scandales secondaires, pour qu’il rende présent
le grand scandale de notre foi : la confiance, la force de notre vie, qui
est fondée sur Dieu et sur Jésus-Christ !
Le soir du 10 juin 2010 sur la place Saint-Pierre, lors de cette même
veillée de clôture de l'Année Sacerdotale, Benoît XVI a également répondu à
d’autres questions portant sur d’autres sujets.
Voici deux de ces questions avec leurs réponses : la première porte sur
l’étude de la théologie, la seconde sur la baisse des vocations.
SUR LA THÉOLOGIE "SCIENTIFIQUE"
Q. – Très Saint Père, je suis Mathias Agnero et je viens d’Afrique, plus
précisément de Côte d’Ivoire. Vous êtes un pape théologien, alors que nous,
quand nous y arrivons, nous lisons à peine quelques livres de théologie pour
notre formation. Mais il nous semble qu’une fracture s’est créée entre la
théologie et la doctrine et, plus encore, entre la théologie et la
spiritualité. Nous sentons que nos études ne doivent pas être uniquement
académiques mais qu’elles doivent alimenter notre spiritualité. Nous en
ressentons le besoin dans l’exercice même de notre ministère pastoral. On a
quelquefois l’impression que la théologie n’a pas Dieu pour centre et
Jésus-Christ pour premier "lieu théologique", mais au contraire les goûts et
les tendances les plus répandus ; la conséquence, c’est la prolifération
d’opinions subjectives qui permettent l’introduction dans l’Église elle-même
d’une pensée non catholique. Comment ne pas être désorientés dans notre vie
et dans notre ministère quand c’est le monde qui juge la foi et non pas le
contraire ? Nous nous sentons "décentrés" !
R. – Vous abordez là un problème très difficile et douloureux. Il y a
effectivement une théologie qui veut surtout être académique, apparaître
comme scientifique, et qui oublie la réalité vitale, la présence de Dieu, sa
présence parmi nous, le fait qu’il nous parle aujourd’hui et pas seulement
dans le passé. Déjà saint Bonaventure, en son temps, distinguait deux formes
de théologie ; il disait : "Il y a une théologie qui vient de l’arrogance de
la raison, qui veut tout dominer, qui fait passer Dieu de l’état de sujet à
celui d’objet que nous étudions, alors qu’il devrait être le sujet qui nous
parle et qui nous guide".
Il y a vraiment cet abus de la théologie, qui est arrogance de la raison et
qui ne nourrit pas la foi, mais dissimule la présence de Dieu dans le monde.
Et puis il y a une théologie qui veut connaître davantage, par amour de
l’être aimé, qui est stimulée par l’amour et guidée par l’amour, qui veut
connaître davantage l’être aimé. C’est celle-là qui est la vraie théologie,
qui vient de l’amour de Dieu, du Christ, et qui veut entrer plus
profondément en communion avec le Christ.
En réalité, aujourd’hui, les tentations sont grandes ; surtout on voit
s’imposer ce que l’on appelle la "vision moderne du monde" (Bultmann :
"modernes Weltbild"), qui devient le critère de ce qui serait possible ou
impossible. Et c’est justement avec ce critère selon lequel tout est comme
toujours et tous les événements historiques sont du même genre, que l’on
exclut précisément la nouveauté de l’Évangile, que l’on exclut l’irruption
de Dieu, la véritable nouveauté qui est la joie de notre foi.
Que faut-il faire ? Je voudrais dire avant tout aux théologiens : ayez du
courage. Et je voudrais également dire un grand merci aux très nombreux
théologiens qui font du bon travail. Il y a des abus, nous le savons, mais
partout dans le monde il y a un très grand nombre de théologiens qui vivent
véritablement de la Parole de Dieu, qui se nourrissent de la méditation, qui
vivent la foi de l’Église et qui veulent contribuer à ce que la foi soit
présente dans notre aujourd’hui.
Et je voudrais dire aux théologiens en général : "N’ayez pas peur de ce
fantôme du caractère scientifique !". Je m’intéresse à la théologie depuis
1946 ; j’ai commencé à l’étudier en janvier 1946 et j’ai donc connu presque
trois générations de théologiens. Je peux dire que les hypothèses qui, à
cette époque et dans les années Soixante et Quatre-vingt, étaient les plus
neuves, absolument scientifiques, presque absolument dogmatiques, ont depuis
lors vieilli et perdu leur valeur ! Beaucoup d’entre elles paraissent
presque ridicules. Donc, il faut avoir le courage de résister à l’apparent
caractère scientifique, de ne pas se soumettre à toutes les hypothèses du
moment, et de penser véritablement à partir de la grande foi de l’Église,
qui est présente à toutes les époques et qui nous donne accès à la vérité.
De plus, il ne faut surtout pas penser que la raison positiviste, qui exclut
ce qui est transcendant – qui ne peut pas être accessible – est la véritable
raison ! Cette raison faible, qui ne présente que les choses que l’on peut
expérimenter, est vraiment une raison insuffisante. Nous, théologiens,
devons faire usage de la grande raison, qui est ouverte à la grandeur de
Dieu. Nous devons avoir le courage d’aller au-delà du positivisme, jusqu’à
la question des racines de l’être.
Cela me paraît très important. Il faut donc avoir le courage de faire usage
de la grande, de la vaste raison, il faut avoir l’humilité de ne pas se
soumettre à toutes les hypothèses du moment, il faut vivre de la grande foi
de l’Église de tous les temps. Il n’y a pas de majorité contre la majorité
que constituent les saints : la vraie majorité, ce sont les saints de
l’Église et c’est sur les saints que nous devons nous orienter !
Aux séminaristes et aux prêtres je dis la même chose : pensez que la Sainte
Écriture n’est pas un livre isolé : elle est vivante dans la communauté
vivante de l’Église, qui est le même sujet au cours des siècles et qui
garantit la présence de la Parole de Dieu. Le Seigneur nous a donné l’Église
comme sujet vivant, avec la structure des évêques en communion avec le pape,
et ce grand ensemble des évêques du monde en communion avec le pape nous
assure le témoignage de la vérité permanente. Ayons confiance en ce
magistère permanent de la communion des évêques avec le pape, qui représente
pour nous la présence de la Parole ; ayons confiance en la vie de l’Église.
Ensuite nous devons faire preuve d’esprit critique. Certes la formation
théologique – je m’adresse ici aux séminaristes – est très importante.
Aujourd’hui, il faut bien connaître la Sainte Écriture, y compris face aux
attaques des sectes ; nous devons vraiment être des amis de la Parole. Nous
devons également connaître les courants de pensée de notre temps pour être
capables de répondre de manière raisonnable, pour pouvoir donner – comme le
dit saint Pierre – "raison de notre foi". La formation est très importante.
Mais nous devons aussi faire preuve d’esprit critique : le critère de la foi
est le critère selon lequel il faut aussi voir les théologiens et les
théologies. Le pape Jean-Paul II nous a donné un critère absolument sûr, qui
est le catéchisme de l’Église catholique : nous y voyons la synthèse de
notre foi et ce catéchisme est vraiment le critère qui permet de voir si une
théologie est acceptable ou inacceptable. Je vous recommande donc de lire,
d’étudier ce texte, pour que nous puissions aller de l’avant avec une
théologie qui soit critique au sens positif de ce mot, c’est-à-dire critique
contre les tendances de la mode et ouverte aux véritables nouveautés, à la
profondeur inépuisable de la Parole de Dieu, qui se montre nouvelle à toutes
les époques, y compris à la nôtre.
SUR LA BAISSE DES VOCATIONS
Q. – Très Saint Père, je m’appelle Anthony Denton et je viens d’Océanie,
d’Australie. Ce soir, nous sommes un très grand nombre de prêtres réunis
ici. Mais nous savons que nos séminaires ne sont pas pleins et qu’à
l’avenir, dans plusieurs parties du monde, une baisse du nombre de prêtres
nous attend, et même une baisse brutale. Que peut-on faire de vraiment
efficace pour les vocations ? Comment proposer notre vie, en ce qu’elle a de
grand et de beau, à un jeune homme de notre temps ?
R. – Vous posez vraiment un grand et douloureux problème de notre temps : le
manque de vocations, à cause duquel des Églises locales risquent de se
dessécher, parce qu’il leur manque la Parole de vie, la présence du
sacrement de l’eucharistie et des autres sacrements. Que faire ? La
tentation est grande de prendre nous-mêmes l’affaire en mains, de
transformer le sacerdoce – le sacrement du Christ, le fait d’être choisi par
lui – en une profession normale, en un "job" avec ses horaires, chacun étant
son propre maître pour le reste, ce qui en ferait une vocation comme une
autre et la rendrait accessible et facile.
Mais c’est une tentation qui ne résout pas le problème. Elle me fait penser
à l’histoire de Saül, le roi d’Israël, qui, avant la bataille contre les
Philistins, attend Samuel pour le nécessaire sacrifice à Dieu. Et comme
Samuel n’est pas là au moment prévu, c’est Saül lui-même qui fait le
sacrifice, bien qu’il ne soit pas prêtre (cf. 1 Sam 13) ; il croit résoudre
ainsi le problème, ce qui n’est bien sûr pas le cas, parce que s’il se
charge de ce qu’il ne peut pas faire, il se fait Dieu ou presque et il ne
peut pas s’attendre à ce que les choses se passent vraiment comme si c’était
Dieu qui les avait faites.
Nous non plus, nous ne résoudrions rien si nous nous limitions à exercer une
profession comme les autres, en renonçant à la sacralité, à la nouveauté, au
caractère spécial du sacrement que seul Dieu donne, qui ne peut venir que de
son appel et pas de notre "action". Nous devons d’autant plus prier Dieu –
comme le Seigneur nous y invite – frapper à la porte de Dieu, à son cœur,
pour qu’il nous donne des vocations ; prier avec beaucoup d’insistance, de
détermination, de conviction aussi, parce que Dieu ne rejette pas une prière
insistante, constante, confiante, même s’il nous laisse faire, même s’il
nous fait attendre, comme Saül, plus longtemps que nous ne l’avons prévu. Le
premier point me paraît donc être ceci : encourager les fidèles à avoir
cette humilité, cette confiance, ce courage, de prier avec insistance pour
les vocations, de frapper au cœur de Dieu pour qu’il nous donne des prêtres.
En plus de cela, je voudrais peut-être indiquer trois points. Le premier est
que chacun de nous devrait faire de son mieux pour vivre son sacerdoce de
manière à être convaincant, de manière à ce que les jeunes puissent dire :
c’est une vraie vocation, on peut vivre ainsi, de cette façon on fait
quelque chose d’essentiel pour le monde. Je pense qu’aucun de nous ne serait
devenu prêtre s’il n’avait pas connu de prêtres convaincants en qui brûlait
le feu de l’amour du Christ. Donc, et c’est le premier point, cherchons à
être nous-mêmes des prêtres convaincants.
Le second point est que nous devons inviter, comme je l’ai déjà dit, à
l’initiative de la prière, à avoir cette humilité, cette confiance, de
parler à Dieu avec force et décision.
Le troisième point est qu’il faut avoir le courage de parler avec les jeunes
s’ils ont des raisons de penser que Dieu les appelle, parce qu’une parole
humaine est souvent nécessaire pour que l’appel divin soit entendu ; il faut
parler avec les jeunes et surtout les aider à trouver un cadre de vie dans
lequel ils puissent vivre. Le monde d’aujourd’hui est tel que la maturation
d’une vocation sacerdotale semble presque exclue ; les jeunes ont besoin
d’environnements dans lesquels la foi est vécue, dans lesquels apparaît la
beauté de la foi, dans lesquels il apparaît que c’est un modèle de vie, "le"
modèle de vie. Il faut donc les aider à trouver des mouvements, ou la
paroisse – la communauté paroissiale – ou d’autres environnements où ils
soient vraiment entourés par la foi, par l’amour de Dieu, et où ils puissent
donc être ouverts pour que l’appel de Dieu leur parvienne et les aide. Du
reste, rendons grâces au Seigneur pour tous les séminaristes de notre temps,
pour les jeunes prêtres, et prions. Le Seigneur nous aidera !
Texte intégral
►
Benoît XVI répond aux questions de cinq prêtres - veillée de prière sacerdotale
La transcription intégrale du dialogue entre Benoît XVI et des prêtres, le
10 juin 2010 :
Veglia a conclusione dell'Anno Sacerdotale
Et la documentation complète, en plusieurs langues, relative à l'Année
Sacerdotale, sur le site du Vatican :
hAnnée du
Sacerdoce
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.06.2010 -
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