Homélie de Mgr Vingt-Trois pour les
obsèques du cardinal Lustiger |
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Paris, le 10 août 2007 -
(E.S.M.) - Le cardinal Jean
Marie Lustiger avait choisi les textes de sa messe d'obsèques, notamment
l'Evangile de l'Annonciation à Marie, dans lequel nous lisons ces mots:
"Rien n'est impossible à Dieu", qui étaient sa devise épiscopale. C'est
cette parole qu'a développé Mgr Vingt-Trois dans son homélie.
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Mgr. Vingt-Trois
Homélie de Mgr Vingt-Trois pour les obsèques du cardinal Lustiger
Le cardinal Jean Marie Lustiger avait choisi les textes de sa messe d'obsèques, notamment l'Evangile de l'Annonciation à Marie qui avait été
celui de sa consécration en tant qu'évêque à Orléans en 1979, dans lequel
nous lisons ces mots: "Rien n'est impossible à Dieu",
qui étaient sa devise épiscopale. C'est cette parole qu'a développé Mgr
Vingt-Trois dans son homélie.
Homélie
« Rien n’est impossible à Dieu… »
Cette parole de l’ange Gabriel à Marie, rapportée par l’évangile de saint
Luc que nous venons d’entendre, éclaire l’existence de chacun de ceux que
Dieu appelle et qu’Il accueille dans son alliance. Elle éclaire
particulièrement la vie du cardinal Jean-Marie Lustiger que nous
accompagnons aujourd’hui tandis qu’il entre dans la lumière de Dieu et avant
que son corps ne repose dans sa cathédrale.
A travers ce que sa discrétion et sa pudeur ont laissé paraître de son
histoire personnelle, nous comprenons que les enchaînements d’une vie
peuvent toujours être déchiffrés de manière différente, selon la clé de
lecture que l’on utilise. On peut évidemment lire l’histoire de la famille
Lustiger dans la seule logique des bouleversements européens du XX° siècle
qui conduisirent une famille juive à s’expatrier de Pologne en France, puis
à subir la chasse meurtrière des nazis. On peut aussi la lire comme un
chemin au long duquel les épisodes douloureux et les épreuves atroces sont
comme la partie visible et cruellement éprouvée d’une alliance entre Dieu et
l’humanité, entre Dieu et son Peuple élu, entre Dieu et chacun des humains
dont Il veut faire ses fils.
Cette lecture croyante de l’histoire d’une vie est celle que Jean-Marie
Lustiger a voulu partager dans les quelques ouvrages où il a levé le voile
sur son histoire. Ce n’était pas chez lui un besoin de se justifier, moins
encore un exercice apologétique. C’était un acte de foi et d’action de grâce
: la volonté de témoigner du ressort ultime de son existence. Pouvons-nous
quelques instants le suivre sur cette voie de la foi et de l’action de grâce
pour évoquer quelques traits de cette personnalité si riche ?
Pour ceux qui ont eu la chance de l’approcher et de le connaître
personnellement, ce n’est ni son intelligence, ni l’acuité de son esprit, ni
l’amplitude de sa culture, toutes réelles qu’elles fussent, qui frappaient
d’abord, mais plutôt la vigueur et la force de sa foi. Avant tout, il était
un croyant. Que ce soit dans l’accueil de la Parole de Dieu, dans
l’expérience vécue des sacrements de l’Église, dans l’annonce de l’Évangile
ou dans la conduite quotidienne de sa vie, tout était reçu de Dieu et tout
était rapporté à Dieu. Sa découverte et sa rencontre en Jésus-Christ du Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, avaient établi définitivement sa vie dans le
régime de la grâce, du don reçu gratuitement et sans autre motif que la
miséricorde du Dieu tout-puissant.
Persuadé d’avoir tout reçu gratuitement, il était passionné du désir
d’annoncer à tous la surabondance de l’amour de Dieu pour l’humanité et de
transmettre l’appel du Christ à vivre de cet amour. Depuis son premier
ministère auprès des étudiants jusqu’à ses dernières initiatives
apostoliques comme archevêque de Paris, toute son activité, foisonnante et
incessante, était animée par ce désir. Des chemins de la Terre Sainte aux
routes de Chartres, des appels paroissiaux à « Agir par la Foi » aux
initiatives diocésaines couronnées par « Paris-Toussaint 2004 », toutes ces
entreprises dans lesquelles il s’engageait sans réserve visaient à faire
connaître le Christ, Sauveur du monde.
Loin de se laisser enfermer dans le monde ecclésiastique, il avait dans la
société française et dans le monde entier d’innombrables contacts: dans
l’université comme dans le monde économique, dans les milieux politiques
comme dans l’univers culturel. Son élection à l’Académie Française établit
avec cette illustre compagnie des liens qui n’étaient pas seulement de
convenance. Ce tissu serré de relations était comme une sorte de paroisse
universelle où il voulait exercer son ministère de prêtre du Christ et de
témoin de la foi. Créé cardinal par le regretté Jean-Paul II, il portait
avec lui le souci pastoral de l’Église entière en partageant profondément sa
vision de l’homme dans le monde de ce temps.
Avec l’encouragement et le soutien du Jean-Paul II, il a posé pour le
développement des relations entre les juifs et les chrétiens des actes
décisifs que peut-être lui seul pouvait engager. Son histoire personnelle le
conduisait à se reconnaître comme un témoin privilégié de la vocation
universelle de l’Alliance conclue au Sinaï entre Dieu et son Peuple. Quelles
que soient les incompréhensions bien explicables ou les souffrances secrètes
dont il était blessé, jamais il ne renonçait à ce qu’il comprenait comme sa
mission propre.
Ce que l’acuité de l’analyse et la perspicacité de l’intelligence lui
révélaient comme une fulgurance se traduisait immédiatement en projet
d’action et d’évangélisation. Ce qui lui advenait devait servir à
l’accomplissement de la mission avec une exigence dont tous ses
collaborateurs ont été les témoins et les acteurs sous son impulsion. Dans
une période de la vie de l’Église où les regrets et les lassitudes
risquaient de réduire les ambitions apostoliques à la mesure des moyens
supposés, il discernait, - et pas seulement pour le plaisir intellectuel du
paradoxe -, des opportunités nouvelles et il engageait de nouveaux projets,
quitte à perturber la quiétude même des moins timorés. Ce n’était chez lui
ni le désir de promouvoir ses œuvres propres, ni l’impatience d’agir, comme
certains pouvaient l’en soupçonner. Cette tension permanente vers des
objectifs à atteindre relevait de l’espérance raisonnée et d’une lecture des
« signes des temps ».
En un quart de siècle cette passion de l’évangélisation s’est exprimée par
des fondations qui trouvent peu à peu leur maturité : création de nouvelles
paroisses, constructions d’églises, École cathédrale, Radio Notre-Dame,
Séminaire diocésain, Fraternité Missionnaire des Prêtres pour la Ville,
télévision KTO, Faculté Notre-Dame, Collège des Bernardins sont autant de
ces projets dont l’articulation et la cohérence apparaissent à mesure qu’ils
se développent. Il faut aussi évoquer les Journées Mondiales de la Jeunesse
de Paris en 1997 et leur rayonnement tant en France que dans le monde et le
lancement des Congrès pour l’évangélisation dont Budapest sera la prochaine
étape en septembre 2007.
Cette activité était enracinée dans une vie de communion au Christ. Prêtre,
puis évêque d’Orléans et Archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger fut
vraiment un maître spirituel. Il ne fut pas seulement un prédicateur
talentueux et écouté, il avait le souci de la qualité de la prière dans l’Église,
jusque dans la perfection de la mise en œuvre liturgique, conscient que Dieu
agit à travers les gestes et les signes donnés aux hommes. Les moins avertis
pouvaient bien n’y voir qu’un travers de maniaquerie ; en fait, ce qui
l’animait était le souci de vivre par la pureté et la beauté des signes le
sens profond des rites et d’aider les fidèles à y entrer. Comment
pourrions-nous l’oublier dans cette cathédrale dont il a souhaité et réalisé
le réaménagement que nous voyons et où il a si souvent présidé la Messe
dominicale, célébré la Messe chrismale, ordonné les prêtres et les diacres
du diocèse ?
Soucieux d’encourager les prêtres dans l’engagement spirituel de leur
ministère, il a renouvelé les propositions de retraite sacerdotale et mis en
œuvre des « lundis de prière » où il aimait se joindre aux prêtres dans un
climat de recueillement et de partage fraternel. Encore ne savons-nous rien
du secret de sa prière et de sa relation personnelle avec Dieu. Mais on
pressentait qu’elle était assez forte pour surmonter les fausses modesties
et les craintes humaines quand il était convaincu que l’annonce de l’Évangile
était en cause.
Au cours de l’année écoulée, l’aggravation de son état de santé l’a
contraint à réduire ses activités et à servir d’une autre manière. De
chacune des étapes, il a accueilli les symptômes avec lucidité et courage.
Il a offert sans se plaindre la nécessité d’un temps de vie dans la
dépendance de la maladie. Le véritable sacrifice offert à Dieu, ce fut
d’accepter cette limitation avec sérénité.
Si le temps de l’historien n’est pas encore venu, nous sommes déjà dans le
temps de l’action de grâce. Nous rendons grâce à Dieu d’avoir envoyé sur
notre chemin un témoin tel que Jean-Marie Lustiger. Les fruits de son
ministère parmi nous ne révèlent pas seulement une personnalité
exceptionnelle ; ils sont à reconnaître avant tout comme des signes de
l’œuvre de Dieu dans l’histoire humaine. Ils nous encouragent à comprendre
comment nos limites et nos faiblesses, les difficultés rencontrées et les
épreuves subies, sont autant d’occasions de reconnaître la puissance de Dieu
agissant dans la faiblesse de ses serviteurs. Quelle que soit la valeur de
la « poterie », pour reprendre l’expression de Paul, c’est de Dieu, - nous
en sommes convaincus -, que vient la puissance extraordinaire du trésor qui
nous est confié. C’est Dieu Lui-même qui se penche sur la faiblesse de ses
serviteurs et de ses servantes pour les couvrir de l’ombre de son Esprit et
les associer à l’enfantement mystérieux auquel participe la création tout
entière.
Le 8 décembre 1979, lors de sa consécration épiscopale à Orléans, la
liturgie de la fête de l’Immaculée Conception proposait le récit de l’Annonciation
dans l’évangile selon saint Luc. Est-ce cette occasion providentielle ou un
choix plus délibéré qui conduisit Jean-Marie Lustiger à prendre le message
de l’ange comme une phrase de référence, sinon comme une devise : « Rien
n’est impossible à Dieu ! » ? Toujours est-il qu’il aimait revenir à cette
profession de foi en la puissance de Dieu à travers la faiblesse des
comportements humains. Ses entreprises les plus hardies n’ont-elles pas été
marquées par cette confiance que Dieu seul peut construire et conduire son
Église selon sa volonté ? S’il s’émerveillait, ce n’était ni de la
notoriété, des charges ou des honneurs, ni non plus des incompréhensions ou
des jalousies, qui constituent la face visible de l’existence de quiconque
approche des sommets des organisations humaines. Ce qui était la source de
sa joie et de son action de grâce, c’était de voir que la Providence
accomplissait son œuvre par des voies qui nous restent souvent mystérieuses
mais que la foi apprend à reconnaître. Il ne recherchait pas l’approbation
du monde, mais il cherchait toujours avec confiance et obstination à
déchiffrer cet itinéraire par lequel Dieu veut conduire son Peuple.
Par le témoignage de sa vie, comme de celle de tant de disciples du Christ
depuis deux mille ans, nous avons la preuve quotidienne que, vraiment, «
rien n’est impossible à Dieu. » Ce qui a été vrai dans la vie de la Vierge
Marie, ce qui a été vrai dans la vie de Jean-Marie Lustiger, est vrai aussi
dans la nôtre et nous sommes donc appelés avec lui à reprendre à notre
compte la réponse de Marie au message de l’ange : « Voici la servante du
Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »
+ André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris
Message du pape Benoît XVI lu par le cardinal
Poupard
Après l'homélie de Mgr. Vingt-Trois, le cardinal Poupard a lu un message du
Pape Benoît XVI en hommage au cardinal défunt ►
Message du pape Benoît XVI en hommage au Cardinal Lustiger
Discours de Maurice Druon lors des obsèques de Mgr
Lustiger
L'académicien Maurice Druon a résumé vendredi 10 août lors des obsèques de
Mgr Lustiger d'un trait, au nom de l'Académie française dont Jean-Marie
Lustiger était membre, le parcours improbable de ce « frère supérieur »
comme il l'a appelé : « Ardent, vigoureux, mobile, multiple, prêchant,
écrivant, créateur du message religieux audiovisuel, autoritaire parce que
intransigeant sur l’essentiel, ami sans faille aucune de Jean-Paul II qu’il
soutint, aida, représenta dans toutes ses entreprises universelles, vous
fûtes, Aron Jean-Marie Lustiger, pendant un quart de siècle, une manière de
miracle : l’incroyable survenu, l’invraisemblable manifesté, l’impossible
existant ; vous fûtes le cardinal juif. » ►
Lire le discours
Texte de Mgr Lustiger inscrit sur une plaque commémorative à Notre-Dame de
Paris
Le cardinal Lustiger a rédigé ce texte en vue d'une plaque commémorative à
installer dans la cathédrale
Je suis né juif.
J’ai reçu le nom
de mon grand-père paternel, Aron.
Devenu chrétien
par la foi et le baptême,
je suis demeuré juif
comme le demeuraient les Apôtres.
J’ai pour saints patrons
Aron le Grand Prêtre,
saint Jean l’Apôtre,
sainte Marie pleine de grâce.
Nommé 139e archevêque de Paris
par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II,
j’ai été intronisé dans cette cathédrale
le 27 février 1981,
puis j’y ai exercé tout mon ministère.
Passants, priez pour moi.
† Aron Jean-Marie cardinal Lustiger
Archevêque de Paris
En ouverture de la cérémonie, Mgr. Vingt-Trois a prononcé quelques paroles
que nous reproduisons ci-dessous.
Message de Mgr André Vingt-Trois aux funérailles de
Mgr Jean-Marie Lustiger
Le cardinal Jean-Marie Lustiger vient de nous quitter après plusieurs mois
d’un long traitement qu’il a supporté avec constance. Les dernières semaines
ont été plus particulièrement douloureuses et pénibles pour lui. Je veux
d’abord exprimer notre reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui
l’ont accompagné au long de ces derniers mois, en particulier au personnel
de la Maison Jeanne-Garnier. Nous sommes tous frappés par le chagrin de son
départ, même s’il nous y avait préparés depuis quelque temps.
Pour moi, c’est à la fois un père, un frère et un ami que je perds, après
avoir reçu la lourde charge de lui succéder à la tête du diocèse de Paris.
Depuis deux ans, j’ai pu apprécier d’une manière nouvelle sa délicatesse à
mon égard. Toujours disponible pour répondre aux questions que je souhaitais
lui poser et me donner les conseils dont j’avais besoin, sans jamais essayer
d’interférer dans les décisions que j’avais à prendre ni vouloir s’en mêler
de quelque façon.
Pour beaucoup d’évêques de France, de prêtres et de diacres de Paris, c’est
celui qui les a consacrés dans leur ministère qui s’en va. Ils savent que ce
départ n’est pas un abandon et qu’il continuera de veiller sur eux et de
leur être proches.
Pour les catholiques parisiens, c’est un archevêque exceptionnel qui les
quitte. Pendant presque vingt-cinq années d’épiscopat à Paris, il a marqué
profondément la vie de notre diocèse. Sans cesse, il a eu le souci de
relancer la mission des chrétiens dans un monde très changeant. Par ses
nombreuses initiatives, il a profondément amélioré les moyens apostoliques
de notre diocèse : moyens de formation, moyens de communication, moyens de
relations culturels avec la société. Des noms évoqueront longtemps les
institutions et les initiatives de son ministère épiscopal : École
cathédrale, Radio Notre-Dame, Séminaire de Paris, KTO, Paris-Toussaint 2004,
Collège des bernardins, etc.
Pour notre pays, c’est une grande figure qui disparaît. Fils d’immigrés, il
avait à cœur de défendre les droits de l’homme dans une société démocratique
à laquelle il était profondément attaché. Toujours prêt à intervenir dans
les débats publics aux moments difficiles ou importants comme à accueillir
discrètement des personnages officiels, il tenait une place particulière
dans notre société et dans les débats intellectuels de notre temps,
notamment par sa participation à l’Académie française.
Cardinal de l’Église romaine, il a été un conseiller fidèle et discret des
papes successifs, tout entier dévoué au service de l’évangélisation dans le
monde. Ses nombreux voyages et ses relations internationales donnaient un
lustre particulier au siège de Paris. Sa réflexion comme son histoire
personnelle l’on conduit a joué un rôle important dans l’évolution des
relations entre juifs et chrétiens.
La tristesse de sa famille que nous partageons, notre tristesse, bien
naturelle en ce moment pénible, est largement tempérée par l’action de grâce
que nous devons rendre à Dieu pour ce qu’Il a accompli par la vie de son
serviteur. Nous croyons qu’il entend la phrase de l’Évangile : C’est bien,
bon et fidèle serviteur,… entre dans la joie de ton Seigneur
(Mt 25, 21).
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Sources: Archevêché de Paris -
E.S.M.
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.08.2007 - BENOÎT XVI |