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La catastrophe globale
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Le 07 novembre 2014 -
(E.S.M.)
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Nous
voyons à quel point le pouvoir de l'homme a atteint des dimensions
monstrueuses. Le pape Benoît XVI pose cette question : comment la grande
volonté morale que tous approuvent et que tous appellent de leurs vœux
peut-elle devenir une décision personnelle ?
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Benoît XVI - Pensées
sur l'environnement
Extraits de la première partie "SIGNES DES TEMPS" - Entretien de Benoît XVI
avec Peter Seewald
1)
Dans l'intimité de Benoît XVI - 03.11.2014
2)
En 2010, Benoît XVI concevait la renonciation du pape comme possible -
04.11.2014
3)
Causes et chances de la crise de l'Eglise - 05.11.2014
4) LA CATASTROPHE GLOBALE
La crise de l'Église est une chose, la crise de la
sécularisation en est une autre. La première est peut-être grande, mais
l'autre ressemble de plus en plus à une catastrophe globale permanente.
Le changement climatique élargit la ceinture tropicale, fait monter le
niveau des mers, fondre les pôles, grandir les trous de l'ozone. Nous vivons
des tragédies comme le désastre du pétrole dans le golfe du Mexique, de
gigantesques incendies, des inondations catastrophiques sans précédent, des
vagues de chaleur insoupçonnées et des périodes de sécheresse. Le secrétaire
général des Nations Unies, Ban Ki-moon, affirmait déjà en novembre 2007,
devant l'assemblée de l'ONU à New York, que l'État de la planète Terre
constituait un « danger extrême ». Une commission d'enquête de l'ONU a
établi qu'il ne restait à l'humanité que peu de décennies avant d'atteindre
un point de non-retour, où il sera trop tard pour que nous puissions
contrôler par nos propres moyens la problématique du monde hautement
technicisé. Beaucoup d'experts estiment même que ce point est déjà atteint.
« Dieu vit tout ce qu'il avait fait : cela était très bon », est-il écrit
dans la Genèse1. On peut donc être
effrayé par ce qu'est devenu entre-temps ce rêve d'une planète. La question
est la suivante : la terre ne supporte-t-elle tout simplement pas l'énorme
potentiel de développement de notre espèce ? Elle n'est peut-être même pas
faite pour que nous y demeurions durablement... Ou nous nous y prenons très
mal.
Que nous ne resterons pas ici éternellement, les saintes Écritures nous le
disent, tout comme l'expérience. Mais il y a sûrement quelque chose que nous
faisons mal. Je pense que c'est toute la question du concept de progrès qui
se pose ici. L'ère moderne a cherché sa voie parmi les concepts fondamentaux
de progrès et de liberté. Mais qu'est-ce que le progrès ? Nous voyons
aujourd'hui que le progrès peut être aussi destructeur. C'est pourquoi nous
devons réfléchir aux moyens de faire en sorte que le progrès soit bien un
progrès.
Le concept de progrès avait à l'origine deux aspects : d'une part, c'était
un progrès de la connaissance. On entendait par là : comprendre la réalité.
C'est ce qui s'est produit, et dans une dimension incroyable, entre autres
grâce à la combinaison d'une conception mathématique du monde et à
l'expérimentation. Aujourd'hui, nous sommes ainsi capables de reconstituer
l'ADN, la structure de la vie, de même que la structure du fonctionnement de
la réalité tout entière — au point d'être capable de la réassembler en
partie et de commencer déjà à construire nous-mêmes de la vie. Dans cette
mesure, ce progrès a aussi apporté à l'homme de nouvelles possibilités.
1. Gn, 1,31. (N.d.T.)
L'idée fondamentale était: le progrès, c'est la
connaissance.
Et la connaissance, c'est le pouvoir. C'est-à-dire que je peux aussi
disposer de ce que je connais. La connaissance a apporté le pouvoir, mais de
telle sorte que ce pouvoir qui est le nôtre nous permet aussi de détruire ce
monde que nous croyons avoir percé à jour.
Il devient ainsi manifeste qu'il manque un point de vue essentiel dans la
combinaison que nous connaissons à ce jour, celle d'un concept de progrès
fait de connaissance et de pouvoir : l'aspect du bien. La question est :
qu'est-ce qui est bien ? Où la connaissance doit-elle mener le pouvoir ?
S'agit-il seulement de pouvoir disposer des choses, ou faut-il poser la
question des critères intérieurs, de ce qui est bon pour l'homme, pour le
monde ? Voilà, me semble-t-il, ce qui ne s'est pas suffisamment produit.
Ainsi l'aspect éthique, dont relève la responsabilité devant le Créateur,
est-il au fond largement absent. Si l'on n'exerce que son propre pouvoir
grâce à sa propre connaissance, cette sorte de progrès devient véritablement
destructrice.
Quelles conséquences cela devrait-il avoir
maintenant ?
Il faudrait aujourd'hui engager un grand examen de conscience. Qu'est-ce
réellement que le progrès ? Est-ce un progrès que de pouvoir détruire ?
Est-ce un progrès de pouvoir fabriquer, sélectionner et éliminer soi-même
des êtres humains ? Comment le progrès peut être maîtrisé du point de vue
éthique et humain ? Mais ce ne sont pas seulement les critères du progrès
qui doivent être considérés maintenant. Outre la connaissance et le progrès,
il s'agit aussi de l'autre concept fondamental des temps modernes : de la
liberté, entendue comme liberté de pouvoir tout faire.
De cette idée, on tire la prétention selon laquelle la science n'est pas
divisible. C'est-à-dire que ce que l'on peut faire, on doit aussi le faire.
Toute autre attitude serait contraire à la liberté.
Est-ce vrai ? Je pense que ce n'est pas vrai. Nous
voyons à quel point le pouvoir de l'homme a atteint des dimensions
monstrueuses. Et ce qui n'a pas grandi parallèlement, c'est son
potentiel éthique. Cette inégalité se reflète
aujourd'hui dans les fruits d'un progrès qui n'est pas pensé moralement.
La grande question est maintenant : comment peut-on corriger le concept de
progrès et sa réalité pour ensuite le maîtriser positivement de l'intérieur
? Une grande réflexion fondamentale est ici nécessaire.
La conférence sur le climat de la planète, en
décembre 2009 à Copenhague, a bien montré à quel point nous nous compliquons
la tâche lorsqu'il s'agit de changer ces critères du progrès. Les
gouvernements de ce monde avaient eu besoin de dix-sept années, depuis la
première rencontre de Rio jusqu'à ce sommet décisif que les scientifiques,
les défenseurs de l'environnement et les politiciens ont qualifié de l'une
des conférences les plus importantes de l'histoire de l'humanité. Elle se
fondait sur les résultats des recherches effectuées par plus d'un millier de
scientifiques qui, sous mandat du Groupe d'experts Intergouvernemental sur
l'Évolution du climat, le GIEC, ont calculé que les températures globales
actuelles ne devaient pas s'élever de plus de deux degrés, sous peine de
voir le climat basculer de manière irréversible.
Mais le projet de compromis de Copenhague ne contient même pas de
propositions concrètes. La limite de deux degrés sera maintenant dépassée en
toute certitude. Cela provoquera des tempêtes, des inondations, des récoltes
desséchées. Ce résultat ne doit-il pas aussi renforcer le point de vue de
ceux qui tiennent l'humanité pour tout simplement incapable de résoudre dans
un effort collectif une menace comme celle du réchauffement climatique ?
C'est effectivement le grand problème. Que pouvons-nous faire ? Face à la
catastrophe menaçante, on a partout pris conscience du fait que nous devons
prendre des décisions morales. Il y a aussi une conscience plus ou moins
marquée d'une responsabilité globale, une conscience du fait que l'éthique
ne doit plus concerner seulement son propre groupe ou sa propre nation, mais
avoir en vue la terre et tous les humains.
Il existe ainsi un certain potentiel de connaissance morale. Mais faute de
disposition au renoncement, il sera difficile de le traduire en volonté et
en actes politiques. Cela devrait être discuté dans le cadre des budgets
nationaux et en fin de compte par les individus — la question est alors de
savoir quelle charge on fait peser sur les différents groupes.
Il devient ainsi évident qu'au bout du compte la volonté politique ne peut
pas être efficace si elle ne communique pas à toute l'humanité — notamment
chez les principaux vecteurs du développement et du progrès — une nouvelle
conscience morale approfondie, une propension au renoncement qui prenne une
forme concrète et devienne aussi un critère de valeur pour l'individu.
La question est donc celle-ci : comment la grande
volonté morale que tous approuvent et que tous appellent de leurs vœux
peut-elle devenir une décision personnelle ? Car tant que cela ne se
produit pas, la politique reste impuissante. Qui peut faire en sorte que
cette conscience générale pénètre aussi dans la sphère personnelle ? Seule
peut le faire une instance qui touche les consciences, qui est proche de
l'individu et n'appelle pas à de simples effets d'annonce.
L'Église est mise au défi sur ce point. Elle ne partage pas seulement la
grande responsabilité, elle est souvent, dirais-je,
l'unique espoir. Car elle est si proche de la conscience de beaucoup
d'hommes qu'elle peut les amener à certains renoncements et imprimer dans
les âmes des attitudes fondamentales.
Le philosophe Peter Sloterdijk dit : « Les
hommes sont des athées de l'avenir. Ils ne croient pas en ce qu'ils savent,
même quand on leur apporte la preuve incontestable de ce qui va survenir.
»
Sur le plan théorique, ils le savent peut-être. Mais ils se disent que cela
ne tombera pas sur eux. Qu'en tout cas, eux ne changeront pas leur vie. Et
puis, au bout du compte, ce ne sont pas seulement les égoïsmes individuels
qui s'opposent les uns aux autres, mais aussi les égoïsmes de groupe. On est
habitué à un certain type de vie et quand celui-ci est menacé, alors
naturellement on se défend. On voit aussi trop peu de modèles de renoncement
concret possible. De ce point de vue, les communautés religieuses ont une
importance exemplaire. Elles peuvent montrer à leur manière qu'un style de
vie fondé sur le renoncement rationnel, moral, est tout à fait praticable,
sans mettre entièrement entre parenthèses les possibilités de notre temps.
S'il s'agit de donner le bon exemple, l'État se
montre un bien mauvais modèle. Les gouvernements accumulent les dettes à une
hauteur jusqu'alors inouïe. Un pays comme l'Allemagne dépense à lui seul,
pour l'année 2010, 43,9 milliards d'euros pour payer des intérêts aux
banques : parce que malgré toute notre richesse, nous avons vécu bien
au-dessus de nos moyens. À lui seul, le paiement de ces intérêts suffirait à
assurer pendant un an l'alimentation des enfants des pays en développement.
Dans le monde entier, depuis l'explosion de la crise financière, les dettes
des États ont augmenté de 45 % — s'élevant à plus de cinquante mille
milliards de dollars, chiffres inconcevables, situation encore inouïe. Pour
l'année 2010, les seuls membres de l'Union Européenne auront levé plus de
huit cents milliards d'euros de nouveaux crédits. La nouvelle dette
budgétaire des États-Unis est de mille six cents milliards de dollars, le
chiffre le plus élevé de tous les temps. Le professeur de Harvard Kenneth
Rogoff dit aussi qu'il n'y a plus de normalité, qu'il n'en reste plus qu'une
illusion. Il est avéré que les générations suivantes seront accablées de
dettes gigantesques. N'est-ce pas aussi un problème moral d'une folle
ampleur ?
Bien sûr que si, parce que nous vivons aux dépens des générations futures.
On voit bien ici que nous vivons dans la non-vérité. Nous vivons sur
l'apparence, et nous faisons comme si ces dettes massives ne concernaient
que nous. Ici aussi, tout le monde comprend en théorie qu'il faudrait une
réflexion générale pour voir de nouveau ce qui est réellement possible, ce
que l'on peut, ce que l'on doit faire. Et pourtant cela ne pénètre pas dans
le cœur des hommes.
Il faut un examen de conscience global sur les différents plans de
financement particuliers. L'Église a essayé d'y contribuer avec l'encyclique
Caritas in Veritate,. On n'y donne pas de réponses qui résoudront tout.
Mais on a fait un pas pour placer les choses dans une autre perspective,
pour ne pas les regarder du point de vue de la faisabilité et du succès,
mais en considérant qu'il existe une norme de la charité, qui s'oriente
selon la volonté de Dieu et pas seulement d'après nos souhaits. Dans cette
mesure, on devrait donner des impulsions qui mèneraient à un véritable
changement de conscience.
Nous avons reconnu le problème de la destruction de
l'environnement. Mais l'idée que la condition préalable au sauvetage de
l'écologie soit le sauvetage de notre couche d'ozone psychique et
particulièrement celui de nos forêts tropicales spirituelles, cela semble ne
pénétrer que lentement dans notre conscience. Qu'en est-il de la
pollution de la pensée, de la souillure de nos âmes ? Beaucoup de ce que
nous admettons dans cette culture de médias et de commerce correspond au
fond à une charge toxique qui aboutit presque nécessairement à un
empoisonnement spirituel.
Qu'il y ait un empoisonnement spirituel et qu'il nous
guide d'avance dans de fausses perspectives, on ne peut pas le nier.
Nous en libérer de nouveau au moyen d'une réelle conversion, pour utiliser
ce mot fondamental de la foi chrétienne, c'est l'une des exigences dont
l'évidence est entre-temps devenue visible de tous. Dans notre monde
organisé par la science et la modernité, de tels concepts n'avaient plus de
signification. Une conversion, dans le sens de la foi en une volonté de Dieu
qui nous indique le chemin, était considérée comme démodée et dépassée. Mais
je crois que l'on commence peu à peu à comprendre qu'il y a quelque chose de
vrai lorsque nous disons que nous devons changer de manière de voir les
choses.
L'abbesse et médecin Hildegard von Bingen a déjà
exprimé ce lien il y a neuf cents ans : « Quand l'être humain pèche, le
cosmos souffre. » Les problèmes de l'heure historique que nous vivons
aujourd'hui, écrivez-vous dans votre livre sur Jésus, sont les conséquences
du fait que Dieu n'est plus entendu. Vous parlez même de « l'extinction
de la lumière qui vient de Dieu ».
Pour beaucoup, l'athéisme pratique est aujourd'hui
la règle normale de vie. On se dit que quelque chose ou quelqu'un a
peut-être effectivement créé le monde dans des temps immémoriaux, mais cela
ne nous concerne en rien. Si cette disposition d'esprit devient une attitude
de vie générale, alors la liberté n'a plus de critères, alors tout est
possible et permis. C'est pourquoi il est urgent que la question de Dieu
reprenne une place centrale. Ce n'est cependant pas un Dieu qui existe
quelque part, mais un Dieu qui nous connaît, qui nous parle et nous concerne
— et qui est aussi notre juge.
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Lumière du Monde
Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.11.2014
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