Première prédication de l'Avent en
présence du pape Benoît XVI |
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Le 04 décembre 2009 -
(E.S.M.)
- A 9h00 ce matin, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en présence
du Saint-Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, le P.
Raniero Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu sa première Prédication de l’Avent
sur le thème : « Ministres du Christ et dispensateurs des mystères de
Dieu ».
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Chapelle « Redemptoris
Mater »
Première prédication de l'Avent en
présence du pape Benoît XVI
« Ministres du Christ et dispensateurs des mystères de Dieu »
(1 Corinthien 4, 1)
Le 04 décembre 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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A 9h00 ce matin, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en présence
du Saint-Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, le P.
Raniero Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu sa première Prédication de l’Avent
sur le thème : « Ministres du Christ et dispensateurs des mystères de
Dieu » (1 Corinthien 4, 1) - Prêtres selon
le Cœur du Christ.
Le but, en cette année sacerdotale en cours, est de mettre en lumière
l'identité originaire et « L'âme de tout sacerdoce », en lui
redonnant la première place parmi toutes les fonctions historiques et
contingentes assumées au cours des siècles.
Le sacerdoce fondé sur les valeurs de Jésus
Ne pas juger mais sauver, c’est le propre de celui qui suit le Christ, a
déclaré le Père Raniero Cantalamessa, capucin, prédicateur de la Maison
pontificale, au cours de la première prédication de l’Avent. Les trois
méditations de l’Avent porteront sur la nature et la mission du sacerdoce, à
partir des lettres de Saint Paul, dans le cadre de l’année sacerdotale en
cours. Le Père Cantalamessa a souligné que la sympathie, l’esprit de
solidarité et la compassion à l’égard des autres sont les traits
caractéristiques de la vie sacerdotale. Mais il est important de prendre
conscience des priorités fondamentales qu’il faut puiser directement à
l’Evangile en s’inspirant de l’œuvre de Jésus.
Les prochaines méditations auront lieu les 11 et 18 décembre.
Première prédication
« Serviteurs et amis de Jésus Christ »
1. A la source de tout sacerdoce
Dans le choix du thème à proposer pour ces prédications à la Maison
pontificale j'essaie toujours de me laisser guider par la grâce particulière
que l'Eglise est en train de vivre. L'an dernier, c'était la grâce de
l'Année Saint-Paul, cette année, c'est la grâce de l'Année sacerdotale que
nous vous sommes tous, Saint-Père, profondément reconnaissants d'avoir
proclamée.
Le Concile Vatican II a consacré un document entier, le Presbyteroroum
ordinis, au thème du sacerdoce ; en 1992, Jean-Paul II a adressé à toute
l'Eglise l'exhortation post-synodale
Pastores Dabo Vobis, sur la formation
des prêtres dans les circonstances actuelles ; en convoquant cette Année
sacerdotale, le Souverain Pontife actuel a tracé un bref mais intense profil
du prêtre à la lumière de la vie du saint Curé d'Ars. Il y a eu
d'innombrables interventions d'évêques particuliers sur ce thème, sans
parler des livres écrits sur la figure et la mission du prêtre, au cours du
siècle qui vient de s'achever, dont certains constituent de très grandes
œuvres littéraires.
Que peut-on ajouter à tout cela dans le bref temps d'une méditation ? Je me
sens encouragé par le dicton par lequel, je me souviens, un prédicateur
commençait son cours d'exercices : « Non nova ut sciatis, sed vetera ut
faciatis » : l'important n'est pas de connaître des choses nouvelles, mais
de mettre en pratique celles que l'on connaît. Je renonce par conséquent à
toute tentative de synthèse doctrinale, de présentations globales ou de
profils idéaux sur le prêtre (je n'en aurais ni le temps, ni la capacité) et
je tente, si possible, de faire vibrer notre cœur sacerdotal, au contact de
quelque parole de Dieu.
La parole des Ecritures qui nous servira de fil conducteur est 1 Corinthiens
4, 1 dont nombre d'entre nous se souviennent dans la traduction latine de la
Vulgate : « Sic nos existimet homo ut ministros Christi et dispensatores
mysteriorum Dei » : « Qu'on nous regarde donc comme des serviteurs du Christ
et des intendants des mystères de Dieu ». Nous pouvons y ajouter, pour
certains aspects, la définition de la Lettre aux Hébreux : « Tout grand
prêtre, en effet, pris d'entre les hommes, est établi pour intervenir en
faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu » (He 5, 1).
Ces phrases ont l'avantage de nous ramener aux racines communes de tout
sacerdoce, c'est-à-dire au stade de la révélation où le ministère
apostolique ne s'est pas encore diversifié, donnant lieu à trois degrés
canoniques d'évêques, prêtres et diacres qui, au moins en ce qui concerne
les fonctions respectives, ne deviendront clairs qu'avec saint Ignace
d'Antioche, au début du IIe siècle. Cette racine commune est mise en lumière
par le Catéchisme de l'Eglise catholique qui définit l'Ordre sacré comme «
le sacrement grâce auquel la mission confiée par le Christ à ses Apôtres
continue à être exercée dans l'Église jusqu'à la fin des temps : il est donc
le sacrement du ministère apostolique » (n. 1536).
C'est à ce stade initial que nous tenterons de nous référer le plus possible
dans nos méditations, afin de recueillir l'essence du ministère sacerdotal.
Pendant cet Avent, nous ne prendrons en considération que la première partie
de la phrase de l'Apôtre : « Serviteurs du Christ ». Si Dieu le veut, nous
poursuivrons notre réflexion pendant le Carême, en méditant sur ce que
signifie pour un prêtre être « administrateur des mystères de Dieu » et
quels sont les mystères qu'il doit administrer.
« Serviteurs du Christ ! » (avec le point d'exclamation, pour indiquer la
grandeur, la dignité et la beauté de ce titre) : voilà la parole qui devrait
toucher notre cœur dans cette méditation et le faire vibrer d'un saint
orgueil. Ici, il n'est pas question des services pratiques ou ministériels,
comme administrer la parole et les sacrements (de cela, comme je le disais,
nous parlerons pendant le Carême) ; nous ne parlons pas, en d'autres termes,
du service en tant que acte, mais du service en tant qu'état, en tant que
vocation fondamentale et en tant qu'identité du prêtre, et nous en parlons
dans le sens et l'esprit même de Paul qui, au début de ses lettres se
présente toujours ainsi : « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par
vocation ».
Sur le passeport invisible du prêtre, celui avec lequel il se présente
chaque jour devant Dieu et devant son peuple, à côté de « profession », on
devrait pouvoir lire : « Serviteur de Jésus Christ ». Tous les chrétiens
sont naturellement serviteurs du Christ, mais le prêtre l'est à un titre et
dans un sens tout particulier, de même que tous les baptisés sont prêtres,
mais le ministre ordonné l'est à un titre et dans un sens différent et
supérieur.
2. Continuateurs de l'œuvre du Christ
Le service essentiel que le prêtre est appelé à rendre au Christ est celui
de continuer son œuvre dans le monde : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi
je vous envoie » (Jn 20, 21). Dans sa célèbre Lettre aux Corinthiens, le
Pape saint Clément commente : « Le Christ est envoyé par Dieu et les Apôtres
par le Christ... Ceux-ci, qui prêchaient partout dans les campagnes et dans
les villes, nommèrent leurs premiers successeurs, qui ont été mis à
l'épreuve par l'Esprit, pour être évêques et diacres ». Le Christ est envoyé
par le Père, les apôtres par le Christ, les évêques par les apôtres : ceci
est la première énonciation claire du principe de la succession apostolique.
Mais cette parole de Jésus n'a pas uniquement une signification juridique et
formelle. En d'autres termes, elle ne fonde pas seulement le droit des
ministres ordonnés de parler en tant qu' « envoyés » du Christ ; elle
indique également le motif et le contenu de ce mandat qui est le même que le
mandat par lequel le Père a envoyé son Fils dans le monde. Et pourquoi Dieu
a-t-il envoyé son Fils dans le monde ? Ici également nous renonçons à des
réponses globales, exhaustives, pour lesquelles il faudrait lire tout
l'évangile ; seulement quelques déclarations programmatiques de Jésus.
Devant Pilate, il affirme solennellement : « Je ne suis venu dans le monde,
que pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37). Continuer l'œuvre du
Christ comporte donc, pour le prêtre, le fait de rendre témoignage à la
vérité, de faire briller la lumière du vrai. Il faut seulement tenir compte
de la double signification du mot vérité, aletheia, chez Jean. Cette
signification oscille entre la réalité divine et la connaissance de la
réalité divine, entre une signification ontologique ou objective et une
signification gnoséologique ou subjective. La vérité est « la réalité
éternelle telle qu'elle a été révélée aux hommes, qui se réfère aussi bien à
la réalité elle-même qu'à sa révélation »1.
L'interprétation traditionnelle a compris la « vérité » surtout dans le sens
de révélation et connaissance de la vérité ; en d'autres termes, comme
vérité dogmatique. Ceci est certes une tâche essentielle. L'Eglise, dans son
ensemble, l'accomplit à travers le magistère, des conciles, des théologiens,
et le prêtre individuel qui prêche au peuple la « saine doctrine ».
Cependant, il ne faut pas oublier l'autre signification de la vérité, chez
Jean : celle de réalité connue, plus que de connaissance de la réalité. A la
lumière de cela, la tâche de l'Eglise et de chaque prêtre ne se limite pas à
proclamer les vérités de la foi, mais doit aider à en faire l'expérience, à
entrer dans une relation profonde et personnelle avec la réalité de Dieu, à
travers l'Esprit Saint.
« La foi, a écrit saint Thomas d'Aquin, ne se termine pas à l'énoncé, mais à
la chose » (« Fides non terminatur ad enuntiabile sed ad rem »). De la même
manière, les maîtres de la foi ne peuvent pas se contenter d'enseigner les
soi-disant vérités de foi, ils doivent aider les personnes à puiser la «
chose », à ne pas avoir seulement une idée de Dieu mais à faire l'expérience
de Dieu, selon le sens biblique de connaître, différent, comme nous le
savons, du sens grec et philosophique.
La déclaration que Jésus prononce en présence de Nicodème est une autre
déclaration programmatique d'intentions : « Dieu n'a pas envoyé son Fils
dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui
» (Jn 3, 17). Cette phrase doit être lue à la lumière de celle qui vient
juste avant : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle
». Jésus est venu révéler aux hommes la volonté salvifique et l'amour
miséricordieux du Père. Toute sa prédication est résumée dans la parole
qu'il adresse à ses disciples lors de la dernière Cène : « Le Père lui-même
vous aime ! » (Jn 16, 27).
Etre continuateur de l'œuvre du Christ, dans le monde, signifie adopter
précisément cette attitude de fond vis-à-vis des personnes, également celles
qui sont le plus éloignées. Ne pas juger, mais sauver. La manière de traiter
les personnes, sur laquelle la Lettre aux Hébreux insiste le plus en
décrivant la figure du Christ comme Grand Prêtre, et de tout prêtre, ne
devrait pas passer inaperçue : la sympathie, le sens de la solidarité, la
compassion pour le peuple.
Il est dit du Christ : « Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à
compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout, d'une manière
semblable, à l'exception du péché ». Il est dit du prêtre humain que « pris
d'entre les hommes », il « est établi pour intervenir en faveur des hommes
dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour les
péchés. Il peut ressentir de la commisération pour les ignorants et les
égarés, puisqu'il est lui-même également enveloppé de faiblesse, et qu'à
cause d'elle, il doit offrir pour lui-même des sacrifices pour le péché,
comme il le fait pour le peuple » (He 4, 15-5, 1-3).
Il est vrai que dans les évangiles, Jésus se montre aussi sévère, juge et
condamne. Mais avec qui le fait-il ? Pas avec les gens simples qui le
suivaient et venaient l'écouter, mais avec les hypocrites, ceux qui se
suffisent à eux-mêmes, les maîtres et les guides du peuple. Jésus n'était
vraiment pas, comme on le dit de certains hommes politiques : « fort avec
les faibles et faible avec les forts ». Il était tout le contraire !
3. Continuateurs, pas successeurs
Mais dans quel sens pouvons-nous parler des prêtres en tant que
continuateurs de l'œuvre du Christ ? Dans toute institution humaine, comme
l'empire romain à l'époque, les ordres religieux et toutes les entreprises
du monde, aujourd'hui, les successeurs continuent l'œuvre, mais pas la
personne du fondateur. Le fondateur est parfois corrigé, dépassé et même
renié. Il n'en est pas ainsi dans l'Eglise. Jésus n'a pas de successeurs
parce qu'il n'est pas mort, il est vivant ; « ressuscité des morts... la
mort n'exerce plus de pouvoir sur lui ».
Quelle sera alors la tâche de ses ministres ? Celle de le représenter,
c'est-à-dire de le rendre présent, de donner une forme visible à sa présence
invisible. C'est en cela que consiste la dimension prophétique du sacerdoce.
Avant le Christ, la prophétie consistait essentiellement à annoncer un salut
futur, « dans les derniers jours », après lui, elle consiste à révéler au
monde la présence cachée du Christ, à crier comme Jean-Baptiste : « Au
milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas ».
Un jour, quelques Grecs « s'avancèrent vers Philippe... et ils lui firent
cette demande : 'Seigneur, nous voulons voir Jésus' » (Jn 12, 21). C'est la
demande, plus ou moins explicite, qu'a dans le cœur toute personne qui
s'approche aujourd'hui d'un prêtre.
Saint Grégoire de Nysse a forgé une expression célèbre, généralement
appliquée à l'expérience des mystiques : « Sentiment de présence »2. Le
sentiment de présence est plus que la simple foi dans la présence du Christ
; c'est avoir le sentiment vivant, la perception presque physique de sa
présence de Ressuscité. Si cela est vraiment de la mystique, ça signifie que
tout prêtre doit être un mystique, ou au moins un « mystagogue », celui qui
introduit les personnes dans le mystère de Dieu et du Christ, comme en les
tenant par la main.
La tâche du prêtre n'est pas différente, même si elle lui est subordonnée, à
celle que le Saint-Père indiquait comme une priorité absolue du successeur
de Pierre et de l'Eglise tout entière dans la lettre adressée aux évêques le
10 mars dernier : « À notre époque où dans de vastes régions de la terre la
foi risque de s'éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s'alimenter,
la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et
d'ouvrir aux hommes l'accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce
Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage
dans l'amour poussé jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1) - en Jésus Christ crucifié
et ressuscité... Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans
la Bible : c'est la priorité suprême et fondamentale de l'Église et du
Successeur de Pierre aujourd'hui ».
4. Serviteurs et amis
Mais nous devons maintenant faire un pas en avant dans notre réflexion. «
Serviteurs de Jésus Christ ! » : ce titre ne devrait jamais se trouver seul
; il faut toujours y ajouter, au moins dans notre cœur, un autre titre :
celui d'amis !
La racine commune à tous les ministères ordonnés qui se profileront par la
suite, est le choix des Douze, que fit un jour Jésus ; c'est ce qui, de
l'institution sacerdotale, remonte au Jésus historique. La liturgie place,
il est vrai, l'institution du sacerdoce, le Jeudi saint, à cause de la
parole que Jésus prononça après l'institution de l'Eucharistie : « Faites
ceci en mémoire de moi ». Mais cette parole suppose aussi le choix des
Douze, sans parler du fait que, prise seule, elle justifierait le rôle de
sacrificateur et liturge du prêtre, mais pas celui, tout aussi fondamental,
d'annonciateur de l'évangile.
Maintenant, qu'a dit Jésus à cette occasion ? Pourquoi a-t-il choisi les
Douze, après avoir prié toute la nuit ? « Et il en institua Douze pour être
ses compagnons et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 14-15). Etre avec Jésus
et aller prêcher : être et aller, recevoir et donner : voilà en quelques
mots l'essentiel de la tâche des collaborateurs du Christ.
Etre « avec » Jésus ne signifie bien sûr pas seulement une proximité
physique ; il y a là, déjà, à l'état embryonnaire, toute la richesse que
Paul renfermera dans la formule dense « en Christ » ou « avec le Christ ».
Cela signifie partager tout de Jésus : sa vie itinérante, certes, mais aussi
ses pensées, ses objectifs, son esprit. Le mot « compagnon » vient du latin
médiéval et signifie celui qui a en commun (con-) le pain (panis), qui mange
le même pain.
Dans ses discours d'adieu, Jésus fait un pas supplémentaire en complétant le
titre de compagnons par celui d'amis : « Je ne vous appelle plus serviteurs,
car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous appelle
amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait
connaître » (Jn 15, 15).
Il y a quelque chose de touchant dans cette déclaration d'amour de Jésus. Je
me souviendrai toujours du moment où il me fut donné, à moi aussi, l'espace
d'un instant, de goûter un peu de cette émotion. Lors d'une rencontre de
prière, quelqu'un avait ouvert la Bible et avait lu un passage de Jean. Le
mot « ami » m'a touché avec une profondeur inouïe ; il a remué quelque chose
en moi, au point que pendant tout le reste de la journée je ne cessais de me
répéter à moi-même, rempli d'étonnement et d'incrédulité : Il m'a appelé ami
! Jésus de Nazareth, le Seigneur, mon Dieu ! Il m'a appelé ami ! Je suis son
ami ! Et j'avais l'impression qu'avec une telle certitude, on pouvait voler
sur les toits de la ville et même traverser le feu.
Quand il parle de l'amour de Jésus Christ, saint Paul semble toujours « ému
» : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? » (Rm 8, 35), «
il m'a aimé
et s'est livré pour moi ! » (Ga 2, 20). Nous avons tendance à nous méfier de
l'émotion et même à en avoir honte. Nous ne savons pas de quelle richesse
nous nous privons. Jésus « frémit en son esprit », « se troubla
» et «
pleura » devant la veuve de Naïn (cf. Lc 7, 13) et les sœurs de Lazare
(cf. Jn 11, 33.35). Un prêtre capable de s'émouvoir quand il parle de l'amour de
Dieu et de la souffrance du Christ ou quand il reçoit la confidence d'une
grande souffrance, est bien plus convainquant qu'avec des raisonnements
infinis. S'émouvoir ne signifie pas forcément se mettre à pleurer ; c'est
quelque chose que l'on perçoit dans les yeux, dans la voix. La Bible est
remplie du pathos de Dieu.
5. L'âme de tout sacerdoce
Une relation personnelle, pleine de confiance et d'amitié, avec la personne
de Jésus, constitue l'âme de tout sacerdoce. En vue de l'année sacerdotale,
j'ai relu le livre de Dom Chautard « L'âme de tout apostolat » qui fit tant
de bien et secoua tant de consciences dans les années précédant le concile.
A une époque où les « œuvres paroissiales » telles que le cinéma, les
patronages, les initiatives sociales, les cercles culturels, suscitaient un
grand enthousiasme, l'auteur ramenait brusquement le discours au cœur du
problème, en dénonçant le danger d'un activisme vide. « Dieu, écrivait-il,
veut que Jésus soit la vie des œuvres ».
Il ne réduisait pas l'importance des activités pastorales, bien au
contraire, mais il affirmait que sans une vie d'union avec le Christ,
celles-ci n'étaient que des « béquilles » ou, comme les définissait saint
Bernard, de « maudites occupations ». Jésus dit à Pierre : « Simon,
m'aimes-tu ? Pais mes brebis ». L'action pastorale de tout ministre de
l'Eglise, du pape jusqu'au dernier prêtre, n'est que l'expression concrète
de l'amour pour le Christ. M'aimes-tu ? Alors, pais ! L'amour pour Jésus est
ce qui fait la différence entre le prêtre fonctionnaire et manager et le
prêtre serviteur du Christ et dispensateur des mystères de Dieu.
Le livre de Dom Chautard aurait très bien pu avoir pour titre « L'âme de
tout sacerdoce », parce que c'est du prêtre dont il est question, en
pratique, dans l'ensemble de l'ouvrage, comme agent et responsable en
première ligne de la pastorale de l'Eglise. A l'époque, le danger contre
lequel on voulait réagir était l'« américanisme ». L'Abbé fait en effet
souvent référence à la lettre de Léon XIII « Testem benevolentiae » qui
avait condamné cette « hérésie ».
Aujourd'hui, cette hérésie, si l'on peut parler d'hérésie, n'est plus
seulement « américaine ». C'est une menace qui constitue un piège pour le
clergé de toute l'Eglise, notamment à cause de la diminution du nombre de
prêtres, et qui s'appelle activisme frénétique. (Du reste, une bonne partie
des requêtes qui provenaient, à l'époque, des chrétiens des Etats-Unis, et
en particulier du mouvement créé par le serviteur de Dieu Isaac Hecker,
fondateur des Paulist Fathers, qualifiées d' « américanisme », comme par
exemple la liberté de conscience et la nécessité d'un dialogue avec le monde
moderne, n'étaient pas des hérésies, mais des requêtes prophétiques que le
Concile Vatican II, fera, en partie, siennes !).
Le premier pas, pour faire de Jésus l'âme de son sacerdoce, est de passer du
Jésus personnage au Jésus personne. Le personnage est celui duquel on peut
parler à l'envi, mais auquel et avec lequel personne ne songe à parler. On
peut parler d'Alexandre le Grand, de Jules César, de Napoléon, autant qu'on
le souhaite, mais si quelqu'un affirmait parler avec l'un d'eux, on
l'enverrait immédiatement voir un psychiatre. La personne, en revanche, est
quelqu'un avec qui et auquel on peut parler. Tant que Jésus reste un
ensemble de nouvelles, de dogmes ou d'hérésies, quelqu'un que l'on place
instinctivement dans le passé, un souvenir, et non une présence, c'est un
personnage. Il faut se convaincre qu'il est vivant et présent, et qu'il est
plus important de parler avec lui que de parler de lui.
L'une des caractéristiques les plus belles de la figure de don Camillo, de
Guareschi, en tenant bien sûr compte du genre littéraire adopté, est sa
manière de parler, à voix haute, avec Jésus sur la Croix, de tout ce qui se
passe dans la paroisse. Si nous prenions l'habitude de le faire, de façon
aussi spontanée, avec nos propres mots, combien de choses changeraient dans
notre vie sacerdotale ! Nous nous rendrions compte que nous ne parlons
jamais dans le vide, mais à quelqu'un qui est présent, écoute et répond,
même s'il ne le fait pas à voix haute comme avec Don Camillo.
6. Mettre les « gros cailloux » à l'abri
De même qu'en Dieu toute l'œuvre extérieure de la création jaillit de sa vie
intime, « du flux incessant de son amour », et de même que toute l'activité
du Christ jaillit de son dialogue ininterrompu avec le Père, ainsi, toutes
les œuvres du prêtre doivent être le prolongement de son union avec le
Christ. « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie », signifie
aussi cela : « Je suis venu dans le monde sans me séparer du Père, vous,
allez dans le monde sans vous séparer de moi ».
Lorsque ce contact s'interrompt, c'est comme lorsqu'il y a une coupure de
courant dans une maison. Tout s'arrête, il fait noir, ou, s'il s'agit de
l'approvisionnement en eau, les robinets ne donnent plus d'eau. On entend
parfois dire : Comment peut-on rester prier tranquillement quand tant de
besoins réclament notre présence ? Comment peut-on ne pas courir quand la
maison brûle ? C'est vrai, mais imaginons ce qui arriverait à une équipe de
pompiers qui accourrait, toutes sirènes hurlantes, pour éteindre un incendie
et, parvenue sur le lieu de l'incendie, réaliserait qu'elle n'a pas de
citerne, et donc pas même une goutte d'eau. C'est ce qui nous arrive, quand
nous courrons prêcher ou accomplir tout autre ministère, vides de prière et
d'Esprit Saint.
J'ai lu quelque part une histoire qui s'applique, me semble-t-il, de façon
exemplaire, aux prêtres. Un jour, un vieux professeur fut appelé à
intervenir, en tant qu'expert, sur la planification la plus efficace de son
temps, devant les cadres supérieurs de quelques grosses compagnies
d'Amérique du Nord. Il décida de tenter une expérience. Debout, il prit, de
dessous la table, un grand vase en verre, vide. Il prit également une
douzaine de cailloux de la grandeur d'une balle de tennis qu'il déposa un à
un, délicatement, dans le vase, jusqu'en haut. Quand in ne fut plus possible
d'ajouter des cailloux, il demanda aux élèves : « Le vase vous semble-t-il
plein ? » et tous répondirent : « Oui ! ».
Il se pencha à nouveau et prit, de dessous la table, une boîte remplie de
gravillon qu'il versa sur les gros cailloux, en bougeant le vase pour que le
gravillon puisse descendre entre les gros cailloux jusqu'au fond. « Et
maintenant, le vase est-il plein ? » demanda-t-il. Devenus plus prudents,
les élèves commencèrent à comprendre et répondirent : « Peut-être pas encore
». Le vieux professeur se pencha à nouveau et pris cette fois un sachet de
sable qu'il versa dans le vase. Le sable remplit les espaces entre les
cailloux et le gravillon. Il demanda à nouveau : « Et maintenant, il est
plein ? ». Tous, sans hésiter, répondirent : « Non ! ». En effet, le
professeur prit la carafe qui se trouvait sur la table et versa l'eau
jusqu'au ce que le vase fut rempli.
Puis il demanda : « Quelle grande vérité nous montre cette expérience ?
».
Le plus audacieux répondit : « Cela montre que même quand notre emploi du
temps est complètement rempli, avec un peu de bonne volonté, on peut
toujours y ajouter un engagement supplémentaire, une autre chose à faire ».
« Non », répondit le professeur. « Cette expérience montre que si l'on ne
met pas d'abord les gros cailloux dans le vase, on ne réussira jamais plus à
les faire entrer ». « Quels sont les gros cailloux, les priorités, dans
votre vie ? L'important est de mettre ces gros cailloux d'abord dans vos
emplois du temps ».
Saint Pierre a indiqué, une fois pour toutes, quels sont les gros cailloux,
les priorités absolues des apôtres et de leurs successeurs, évêques et
prêtres : « Quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service
de la Parole » (Ac 6, 4).
Nous les prêtres, plus que quiconque, sommes exposés au danger de sacrifier
l'important au profit de l'urgent. La prière, la préparation de l'homélie ou
la préparation à la messe, l'étude et la formation, sont toutes des choses
importantes, mais pas urgentes ; si on les reporte, le monde ne s'écroule
pas, en apparence, alors qu'il y a une quantité de petites choses - une
rencontre, un coup de téléphone, un petit travail matériel - qui sont
urgentes. On finit ainsi par reporter continuellement les choses importantes
à un « plus tard » qui n'arrive jamais.
Pour un prêtre, mettre d'abord les gros cailloux dans le vase peut
signifier, très concrètement, commencer la journée par un temps de prière et
de dialogue avec Dieu, afin que les activités et les engagements divers ne
finissent pas par prendre toute la place.
Je termine par une prière de l'Abbé Chautard, qui est imprimée sur le
programme de ces méditations : O Dieu, donnez à l'Eglise de nombreux
apôtres, mais ravivez dans leur cœur une soif ardente d'intimité avec Vous
ainsi qu'un désir d'œuvrer pour le bien du prochain. Donnez à tous une
activité contemplative et une contemplation active. Ainsi soit-il !
(Trad. ZF09120409)
1H. Dodd, L'interpretazione del Quarto Vangelo, Paideia, Brescia 1974, p.
227
2Gregorio Nisseno, Sul Cantico, XI, 5, 2 (PG 44, 1001) (aisthesis parousias)
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Sources : www.vatican.va
-
E.S.M.
et
H2Onews
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.12.2008 -
T/Avent |