Les quatre registres de la
morale |
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Le 04 avril 2009 -
(E.S.M.)
- Les récentes polémiques relatives aux déclarations du pape
Benoît XVI ont montré l’ignorance où se trouvent beaucoup de nos
contemporains, pas seulement les journalistes, de la manière
dont se posent les questions morales. Pour dire les choses de
manière carrée, toute question morale peut être posée sur quatre
registres différents : le bien, le moindre mal, la miséricorde,
les politiques publiques.
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St Thomas d'Aquin
Les quatre registres de la morale
Le 04 avril 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- Les récentes polémiques relatives aux déclarations du pape Benoît XVI ont
montré l’ignorance où se trouvent beaucoup de nos contemporains, pas
seulement les journalistes, de la manière dont se posent les questions
morales. Pour dire les choses de manière carrée, toute question morale peut
être posée sur quatre registres différents : le bien, le moindre mal, la
miséricorde, les politiques publiques.
Le bien
Le premier de ces registres est celui du bien dans
l’absolu.
Une société où personne ne ferait violence à personne, où tous les hommes
s’aimeraient et s’entraideraient comme des frères, nul doute que cela ne
soit le bien dans ce qu’il a d’absolu. Cela implique entre les hommes
peut-être pas l’égalité mais au moins la justice, la courtoisie, la
solidarité.
Qu’en est-il de la relation de l’homme et de la femme ? Françoise Sagan dont
les romans ne contribuèrent pas peu à la révolution sexuelle dit une fois :
« Si tout était à recommencer, je voudrais n’avoir connu qu’un seul homme
; nous nous serions rencontrés jeunes et nous aurions vieilli ensemble.
» On aura reconnu là l’idéal du mariage chrétien.
Que, dans le cadre d’une relation exclusive de ce genre, faire l’amour dans
la plus totale confiance et sans aucune sorte d’artefact, soit le mieux, qui
en disconviendra ?
À vrai dire, nos contemporains se mettraient assez facilement d’accord sur
ce qu’est le bien en soi. Mais tous ne sont pas d’accord sur le point de
savoir si cet idéal peut être atteint ou non. Les uns pécheront par excès
d’idéalisme, en supposant qu’une société parfaitement harmonieuse est
possible, quitte à s’abandonner à de dangereuses utopies. D’autres seront au
contraire exagérément pessimistes, pensant par exemple que l’harmonie entre
l’homme et la femme est un rêve impossible, qu’un mariage réussi n’existe
pas en ce bas monde.
Le moindre mal
Le second registre où se déploie la réflexion morale est celui du moindre
mal ou comme on disait autrefois celui de la casuistique ou étude des cas.
Une expression à laquelle Pascal a fait une mauvaise presse, dénonçant les
abus que, selon lui, les jésuites en faisaient et qui, pourtant, désigne un
exercice nécessaire. Le Talmud lui-même n’est-il pas d’abord un vaste manuel
de casuistique élaboré à partir de l’absolu de la Torah, la loi, laquelle en
reste pour l’essentiel au premier registre ?
Pourquoi l’étude des cas ? Parce que, hélas, la vie morale ne se déroule pas
dans un monde parfait, mais dans un univers déjà marqué par le péché et
parfois gravement. Quelque bonne volonté que j’aie, je vis dans un monde où
pullulent les violents, les voleurs, les menteurs, les adultères et je suis
obligé de faire avec. Si je suis attaqué seul, je peux à la rigueur suivre
le précepte évangélique « Ne répondez pas au méchant ». Si ma femme et mes
enfants sont attaqués, si mes compatriotes sont agressés, ce précepte ne
peut plus s’appliquer. J’ai non seulement le droit mais même le devoir de
défendre ceux qui sont agressés et cela en ayant recours à mon tour à la
violence. Tuer n’est certainement pas devenu un bien mais peut être dans
certains cas le moindre mal.
Si une pauvre femme voit ses enfants mourir de faim, voler pour les nourrir
est juste. C’est en tous cas le moindre mal.
Il vaut certes mieux qu’une prostituée s’amende et renonce à son négoce.
Mais si elle n’y renonce pas, utiliser le préservatif pour se protéger et
protéger ses partenaires est sans aucun doute pour elle, non seulement un
droit mais un devoir. Ce n’est pas le bien mais c’est là aussi le moindre
mal.
Mais où est le moindre mal ? La réponse est rarement claire. Promouvoir le
préservatif dans les milieux les plus menacés par le Sida est sans doute
nécessaire. Mais si cette promotion s’adresse à l’ensemble de la société, ne
revient-elle pas de manière subliminale à poser comme normatif un
comportement à risque et donc à favoriser l’épidémie ? Cette question est à
étudier au cas par cas en fonction des temps et des lieux. La casuistique
n’est pas seulement affaire de raisonnement, elle est aussi affaire de
discernement, de mesure, parfois d’intuition. Elle tient compte en tous les
cas des situations concrètes.
La miséricorde
Le troisième registre de la morale est celui de la miséricorde. Elle est une
composante essentielle de l’héritage juif et chrétien. Dieu est
miséricordieux pour les pécheurs nous disent les testaments, l’ancien et
encore plus le nouveau, et il nous demande de l’être à notre tour « C’est
la miséricorde que je demande et non point le sacrifice »
(Os 6,6), « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »
(Mt 7,1). L’Église est le ministre de cette miséricorde. Une
miséricorde qui s’exerçait, il faut bien le dire, plus facilement dans les
sociétés où tout le monde était d’accord pour dire où était le bien et le
mal.
Aujourd’hui, les choses sont moins simples. Comme jamais dans le passé, la
nature du bien est l’objet de controverses en particulier en matière
sexuelle et familiale. L’Église est dès lors, plus que dans le passé,
obligée de jouer le rôle rébarbatif de qui rappelle la règle morale car
personne le fera à sa place : elle semble alors manquer à la miséricorde.
Depuis le commencement, l’Église tient ce double discours : rappel de la
règle, annonce du pardon en mettant selon les temps et les lieux l’accent
tantôt sur l’un tantôt sur l’autre.
Mais cela, du fait de l’inculture chrétienne, est de plus en plus ignoré.
C’est ce qui conduisit une fois tel journal du soir à titrer stupidement «
Les évêques de France changent de position sur la contraception » alors
qu’ils s’étaient contentés de passer du registre du bien en soi à celui de
la miséricorde.
Cette miséricorde, est-il nécessaire de le rappeler ? est sans mesure, aussi
immense que Dieu lui-même. « Comme est loin l’Orient de l’Occident, il
efface de nous nos péchés » (Ps 103). Mais
elle suppose que le pécheur se repentisse, qu’il reconnaisse son tort et
donc qu’il accepte la règle morale, qu’il ne s’enferme pas, comme il arrive
souvent, dans un processus sans fin d’auto-justification.
Les politiques publiques
S’agissant de la morale individuelle, on a fait le tour de la question avec
ces trois registres. Il en existe cependant un quatrième qui est proprement
politique. La question est la manière dont les pouvoirs publics doivent se
comporter face à telle ou telle règle morale. Doivent-ils la traduire en loi
civile, assortie au besoin de sanctions pénales, ou engager telle ou telle
politique publique pour en favoriser le respect, les deux options n’étant
pas d’ailleurs incompatibles : la sobriété au volant fait l’objet de
sanctions lourdes en cas de manquement mais aussi d’une propagande
insistante. Doivent-ils au contraire s’abstenir de légiférer et laisser les
individus libres face à leur conscience ?
Un certain libéralisme promeut cette dernière position au motif que la
morale serait une affaire privée, qu’au nom de la « laïcité », l’État
n’aurait pas à imposer tel ou tel choix, que les tenants de telle out telle
confession n ‘auraient pas à étendre leurs options morales aux autres.
Le raisonnement libéral ne prend pas en compte que la morale, y compris la
morale chrétienne, ne fait, pour l’essentiel, que prescrire les règles d’une
vie sociale harmonieuse, la coexistence pacifique et la solidarité des
hommes en société. Or cela est aussi l’objet de la loi civile. Personne n’en
doute s’agissant du Code de la route. La corrélation est aujourd’hui moins
évidente (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas)
en matière de morale sexuelle. D’où les polémiques qui existent à ce sujet.
L’idée d’une « morale laïque » est d’autant plus étrangère à l’Église
qu’elle n’a jamais prétendu avoir une morale propre mais que sa morale n’est
rien d’autre que la « loi naturelle » qu’il lui revient de rappeler
mais seulement par subsidiarité, quand les autres autorités sociales l’ont
perdue de vue. Le principal théologien qui se soit penché sur la morale,
saint Thomas d’Aquin, ne fait pour l’essentiel que reprendre la morale
d’Aristote, tenue pour universelle sous la réserve de quelques ajustements
comme ce qui concerne l’esclavage
Même si la morale et la loi civile se recouvrent assez largement, un certain
décalage a toujours existé. Il est ainsi des règles morales qui ne sont que
rarement sanctionnées par la loi. Si personne ne nie que le mensonge, quel
qu’il soit, soit moralement mauvais, il n’est sanctionné dans aucune société
dès lors qu’il n’a pas de caractère solennel. Dans le droit positif
français, il ne l’est que dans les cas les plus graves : faux serment,
dénonciation calomnieuse, tromperie sur les marchandises, propagation de
fausses nouvelles, etc.
Mais hors le cas des fautes bénignes, la limite entre ce qui est du ressort
de la morale privée, individuelle ou familiale et ce qui est du ressort de
la loi varie d’une société à l’autre. Le droit du chef de famille de
châtier, même par le bâton, sa femme et ses enfants, fut longtemps admis par
la société, sur le modèle romain, comme quelque chose qui n’était pas du
ressort de l’Etat. Aujourd’hui, ce dernier est heureusement de plus en plus
mobilisé contre les violences conjugales ou la maltraitance des enfants.
S’agissant de l’avortement, l’évolution est inverse : longtemps tenu pour
une affaire d’État, il est considéré par la majorité de nos concitoyens
comme une affaire privée. La loi a suivi sur ce sujet l’évolution des
mentalités, malgré l’opposition de l’Église. Derrière cette question se
trouve un débat plus fondamental : qui est l’autre qu’il faut respecter dans
la vie en société ? Est-ce seulement la personne inscrite à l’état-civil ou
bien faut-il inclure l’enfant conçu et pas encore né ? Le principe du
respect d’autrui n’est pas mis en cause dans les politique publiques ; il se
durcit même si l’on considère la toute nouvelle interdiction de fumer dans
les lieux publics ; mais le périmètre de prise en compte d’autrui , le «
périmètre civique » est objet de débat. Au temps d’Aristote, les esclaves en
étaient exclus ; aujourd’hui, pour beaucoup, les enfants à naître. Le
christianisme a toujours tendu à élargir ce périmètre.
Dès qu’il est question de l’avortement, on ne sait jamais sur quel registre
se situe le débat. « Êtes-vous pour ou contre l’avortement ? » ne veut rien
dire. Dans l’absolu, bien peu de gens le considèrent comme un acte positif
(premier registre) et aucun pays d’Europe n’a adopté le régime de la
permissivité totale qui prévaut aux États-Unis depuis 1973. La vraie
question politique (quatrième registre) est : quel statut légal doit-il
avoir ? Doit-il faire l’objet d’une interdiction pure et simple ou bien,
même si on le considère comme un acte mauvais, faut-il ouvrir la porte à une
certaine tolérance ?
Même une encyclique aussi rigoureuse qu’Evangelium
Vitae (1995) laisse sur ce sujet la porte
entrebâillée (n. 71). Tout en rappelant avec
insistance la gravité de l’avortement et le caractère absolu du droit à la
vie dès la conception, elle reconnait que « le rôle de la loi civile est
certainement différent de la morale et de portée plus limitée » et que « les
pouvoirs publics peuvent parfois renoncer à réprimer ce qui provoquerait par
son interdiction un dommage plus grave ». Elle envisage ainsi de manière
incidente la possibilité d’une « tolérance légale de l’avortement et de
l’euthanasie », tout en précisant que cette tolérance ne saurait se
fonder ni sur la reconnaissance d’un droit ni sur le vœu d’une majorité. Il
ne s’agit là ni d’une logique du moindre mal au sens strict
(au moins du moindre mal individuel puisque ce passage ne
concerne que l’attitude des pouvoirs publics), ni de miséricorde,
mais de la seule opportunité politique.
À côté des lois, il y a les politiques publiques. Quand le pape Benoît XVI a répondu à
des
questions de journalistes dans l’avion qui le menait au Cameroun, il n’a
pas porté un jugement sur la légitimité du préservatif. Il ne s’est placé
sur aucun des trois premiers registres. Il s’est placé uniquement sur le
plan politique. Il n’a pas nié — à la différence de l’évêque d’Orléans
(qui a reconnu son erreur) et contrairement à ce que certains
Occidentaux ont fait semblant de comprendre pour pouvoir mieux se déchaîner
contre lui —, que l’usage d’un préservatif par un homme un jour ne soit pas
efficace pour protéger cet homme ce jour-là. Il a porté un jugement critique
sur une politique de prévention qui se réduirait à la distribution massive
de préservatifs, la seule qui soit préconisée par les organisations
internationales et pratiquée dans les pays développés.
Dans les pays d’Afrique, les organisations caritatives, dont la majorité
sont catholiques, associent la distribution du préservatif
(la logique du moindre mal) à l’éducation à une
sexualité responsable, cela en plein accord avec les gouvernements
africains. C’est ce primat de l’éducation et de l’amour qu’a rappelé le pape
: « Je dirais qu'on ne peut pas surmonter ce problème du sida uniquement
avec la distribution de préservatifs. Si on n'y met pas l'âme, si on n'aide
pas les Africains, on ne peut résoudre ce fléau. »
Le problème est que le jugement à porter en matière de politique publique ne
peut être lui aussi que très délicat. Il s’appuie sur une connaissance du
terrain : on ne peut par exemple raisonner de la même manière dans un
village africain où le cachet d’aspirine est déjà un luxe et dans une
société de consommation comme la nôtre. Il suit, comme la casuistique dont
il se rapproche, la logique du moindre mal, laquelle dépend d’une
appréciation des réalités qui ne peut être que complexe.
L’Église, qui s’est toujours attachée à élever le niveau de l’humanité dans
toutes ses composantes et l’a fait au cours des siècles en adoucissant la
condition de l’esclave (Antiquité), en
promouvant le mariage monogame et en combattant le mariage consanguin
(Haut Moyen-Âge), puis en instituant l’Université
(XIIe siècle), l’école secondaire
(Ignace de Loyola, XVIe siècle) puis primaire
(Jean-Baptiste de la Salle, XVIIe siècle),
l’hôpital (Vincent de Paul, XVIIe siècle), doit
suivre un chemin étroit en évitant deux écueils : celui d’un irréalisme qui
ne tiendrait pas assez compte de l’humanité réelle — c’est ce qu’on lui
reproche souvent en matière de sexualité —, et celui du laxisme qui, en la
prenant au contraire trop en compte, l’encouragerait à demeurer dans son
état de stagnation — c’est ce qu’on lui a reproché dans le passé en matière
sociale. Elle cherche à servir de levier (de « levain
dans la pâte » dit l’Évangile) mais le levier ne doit pas
casser. L’exercice est délicat ; il suppose lui aussi du discernement.
On peut regretter que ceux qui rapportent tel ou tel jugement moral ou telle
ou telle prise de position de l’Église ne précisent pas sur lequel de ces
quatre registres se situe le débat. Compte-tenu du manque d’éducation de nos
contemporains sur ces questions, il vaudrait mieux qu’ils le fassent. Mais
les autorités morales, en premier lieu l’Église elle-même, devraient aussi
prendre en compte cette ignorance et, les premières, prendre l’initiative
d’être plus explicites. À coup sûr certains malentendus seraient ainsi
évités.
Roland Hureaux
Sources : libertepolitique
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.04.09 -
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