Franz Michel Willam, le théologien
que Benoît XVI a tiré de l'oubli |
|
Rome, le 03 juillet 2007 -
(E.S.M.) - Auteur en 1932 d'une célèbre vie du
Christ, il était oublié de tous. Benoît XVI le cite dans "Jésus de
Nazareth" et un chercheur autrichien explique pourquoi, en se basant sur
une correspondance inédite entre les deux hommes
|
Un biographe du pape Benoît XVI a écrit:
"La simplicité lui appartient".
Franz Michel Willam, le théologien que le pape Benoît XVI a tiré de l'oubli
Auteur en 1932 d'une célèbre vie du Christ, il était oublié de tous. Benoît
XVI le cite dans "Jésus de Nazareth" et un chercheur autrichien explique
pourquoi, en se basant sur une correspondance inédite entre les deux hommes
par Sandro Magister
Dans les premières lignes de la préface de son "Jésus de Nazareth", Benoît
XVI rappelle que pendant sa jeunesse, dans les années 30 et 40, "une série
de livres enthousiasmants sur Jésus a été publiée".
Et de citer les noms de certains auteurs: Romano Guardini, Karl Adam,
Daniel-Rops, Giovanni Papini, Franz Michel Willam.
Les quatre premiers, et plus encore les deux premiers, sont encore assez
connus et lus. Mais ce n’est pas le cas du dernier. Franz Michel Willam
(1894-1981) est aujourd’hui un inconnu pour presque tout le monde. Il est
tombé dans l’oubli.
Alors, pourquoi Joseph Ratzinger le cite-t-il ?
Dans le "long chemin intérieur" qui a conduit Joseph Ratzinger à écrire
"Jésus de Nazareth", Willam ne semble pas être un auteur de référence.
Romano Guardini, Henri de Lubac, Rudolf Schnackenburg et le rabbin
Jacob Neusner le sont bien davantage.
Du philosophe et théologien italo-allemand Romano Guardini, on retrouve chez
le pape l’idée du rôle central de l’Église pour
permettre à l’homme de se rapprocher réellement de Jésus, en tout temps et
en tout lieu, à travers l’Eucharistie et les autres sacrements.
Chez le théologien français Henri de Lubac, Benoît XVI a puisé la
connaissance profonde de la pensée des Pères de l’Église
et l’intuition de l’union entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Avec le grand exégète allemand Schnackenburg, le pape partage la conviction
que la méthode historico-critique
ne suffit pas, à elle seule, pour comprendre
pleinement qui est Jésus.
Entre le rabbin
Jacob Neusner et Benoît XVI, le dialogue se poursuit jusque dans les
pages de "Jésus de Nazareth" et même après, comme l’a expliqué Magister dans
un article du 11 juin dernier.
Willam, lui, n’est cité qu’une seule fois dans le livre, au début, et il
semble qu’ensuite on perde sa trace. Mais en est-il vraiment ainsi ?
L’énigme est résolue grâce à un article publié dans le dernier numéro de "Vita
e Pensiero", la revue de l’Université Catholique du Sacré-Cœur de Milan.
Il est écrit par le jeune théologien Philipp Reisinger, autrichien comme
Willam.
Citant une correspondance entre Joseph Ratzinger et Franz Michel Willam dans
les années 60, il montre qu’ils avaient en commun la conviction que le
secret de la grande théologie chrétienne – celle qui ne s’adresse pas
seulement aux connaisseurs – est "la simplicité", "le regard clair sur
l’essentiel".
Une simplicité et un essentiel que Benoît XVI a voulu imprimer sur chaque
page de son livre "Gesù di Nazaret".
Voici l’article paru sur le n. 3 de l’année 2007 de
"Vita e Pensiero" :
Ratzinger et l'"aumônier" théologien. Une
correspondance inédite
par Philipp Reisinger
L’autrichien Franz Michel Willam est certainement la personnalité la moins
connue aujourd’hui, parmi les auteurs cités par Benoît XVI dans la préface
de son livre “Jésus de Nazareth”.
Qui était-ce ? Et pourquoi le pape évoque-t-il son souvenir ? Peu de gens
connaissent la correspondance, conservée au couvent de Thalbach à Bregenz,
en Autriche, entre celui qui était alors Joseph Ratzinger, professeur
d’université, et Franz Michel Willam, plus âgé que lui de 33 ans.
Ils furent en contact étroit, notamment en 1967 et 1968. L’un des motifs de
ces contacts était le livre de Willam “Vom jungen Roncalli zum Papst
Johannes XXIII. [Du jeune Roncalli au pape Jean XXIII]”, publié en 1967, et
l’article de Ratzinger “Was heißt Erneuerung der Kirche? [Que signifie la
rénovation dans l’Eglise?]” paru un an plus tôt dans la revue “Diakonia”.
On trouvait dans ce dernier texte la phrase: “La
vraie réforme est celle qui s’occupe de ce qui est authentiquement chrétien,
qui se laisse interpeller et former par cela”. La vraie réforme,
la vraie rénovation demande de la simplicité. “La
Rénovation est simplification”: voilà comment Ratzinger résumait
efficacement sa thèse.
Willam, qui avait découvert et mis en évidence la simplicité comme idée
dominante chez le pape Jean XXIII, évoquait de la manière suivante – dans
une lettre à l’évêque Paulus Rusch – ce qui constituait pour lui le passage
central de l’article de Ratzinger:
“Voici comment se présente la théorie de la simplicité
selon Joseph Ratzinger: il y a la simplicité de la commodité, qui est la
simplicité de l’imprécision, un manque de richesse, de vie et de plénitude.
Et puis il y a la simplicité de l’origine, qui est la vraie richesse. La
rénovation est simplicité, non pas dans le sens d’une sélection ou d’une
réduction, mais bien plutôt une simplification dans le sens de devenir
simple, de se diriger vers cette vraie simplicité qui est le mystère de ce
qui existe”.
Le 22 mai 1967, Willam écrit à Ratzinger:
“J’ai effectué une recherche sur les concordances dans les cinq volumes de
discours et de documents du pontificat. Les mots ‘simple’ et ‘simplicité’
sont les mots-clés les plus fréquents. Jean XXIII leur donne certainement le
même sens que vous: étudier la chose de manière précise et se demander:
comment dois-je m’exprimer pour que tout le monde comprenne le résultat ?”.
“J’ai reçu récemment votre livre sur le pape Jean XXIII. Je l’ai déjà
parcouru et je le trouve vraiment émouvant”, répond le professeur Ratzinger
après avoir reçu le volume.
Ratzinger, qui venait d’être nommé doyen de la Faculté de théologie de
Tubingen, écrivit un compte-rendu long et particulièrement bienveillant du
livre de Willam dans “Theologische Quartalschrift”, 6, 1968:
“On peut dire que ce livre est, de loin, la publication la plus importante,
à ce jour, pour éclairer la personnalité de Jean XXIII. Il est également
d’une importance fondamentale pour comprendre le
Concile Vatican II. L’ouvrage est très au-dessus de la multitude de
textes qui ont été écrits à ce sujet, parce que les informations sont très
complètes et les rapprochements évidents. [...] L’auteur mérite donc d’être
remercié sans réserves pour son patient travail, et aussi – ce n’est pas son
moindre mérite – parce qu’il a su dire beaucoup en peu de pages”.
Willam a été vraiment heureux de ce compte-rendu, qu’il a cité dans presque
toutes les lettres qu’il a écrites dans les semaines qui ont suivi sa
publication. Il devait écrire à un ami: “On a l’impression que, dans son
argumentaire, Ratzinger pense à différents dialogues qui ont eu lieu pendant
le Concile Vatican II, y compris avec des non catholiques comme Oscar
Cullmann”.
Willam admirait beaucoup le professeur Ratzinger et lui demanda conseil en
de nombreuses occasions, se laissant corriger et conseiller par lui avec
simplicité, malgré leur importante différence d’âge. Dans la lettre, déjà
citée, du 22 mai 1967, il demandait notamment au professeur son aide pour
une publication concernant John Henry Newman, et il concluait avec un
compliment ému:
“Ne connaissant aucun théologien aussi proche que vous
de Jean XXIII par la manière de penser – le mot-clé ‘simplicité’ que
vous avez en commun en est un témoignage objectif – c’est à vous que
j’adresse cette demande”.
La simplicité, si profondément décisive pour Willam, s’exprimait aussi par
le fait qu’il ne s’est jamais senti appelé à formuler une théologie qui lui
soit particulière. Il cherchait plutôt à recueillir les signes des temps et
être témoin de l’éternel dans le contexte de tous les changements survenus
au cours de sa vie.
Il y a là aussi un point commun avec Ratzinger, qui devait déclarer un jour:
“Je n’ai jamais chercher à créer un système particulier, une théologie
spéciale. Je veux simplement penser en lien avec la foi de l’Église,
c’est-à-dire penser en lien avec les grands penseurs de la foi. Il ne
s’agit pas d’une théologie isolée et venant de moi-même, mais d’une
théologie qui s’ouvre de la manière la plus large possible au chemin de
pensée commun de la foi”.
Franz Michel Willam est né le 14 juin 1894 à Schoppernau dans le Vorarlberg.
Son père était cordonnier et batelier et donc de condition modeste. Il
partageait avec son grand-père maternel, le poète patriotique Franz Michel
Felder, non seulement son prénom, mais aussi l’amour de sa patrie et de son
peuple, l’attirance pour l’écriture et la recherche, ainsi qu’une myopie
tendant vers la quasi-cécité.
|
En 1917, Willam est ordonné
prêtre à Brixen et il devient docteur en théologie en 1921. Après
quelques expériences pastorales, on lui confie le rôle d’aumônier à
Andelsbuch, où il a exercé comme vicaire et comme chercheur jusqu’à sa
mort, le 18 janvier 1981. |
Recherché et estimé par beaucoup de gens, l’écrivain, savant et
anthropologue a toujours voulu être appelé “aumônier”, parce que ce nom
exprimait ce qu’il était et avait toujours voulu être: prêtre et pasteur.
Sa vie a été modeste et au milieu des gens, mais aussi profondément
enracinée dans la tradition catholique. Bien que vivant solitaire dans la
forêt de Bregenz, il est resté en contact permanent avec le monde
scientifique de la théologie et notamment avec beaucoup de chercheurs
newmaniens. Il était capable aussi bien de discuter d’agriculture de
montagne avec les gens qu’il rencontrait lors de ses nombreuses promenades
que de lire sans problème, dans son bureau envahi par des montagnes de
livres, des auteurs anglais, français, espagnols, italiens, latins et grecs
en l’absence de tout dictionnaire. Les savants modernes de la nature comme
Heisenberg lui étaient aussi familiers que les philosophes grecs Platon et
Aristote.
Willam a réussi, entre autres, à démontrer que la gnoséologie de Newman
avait des racines beaucoup plus aristotéliciennes que platoniciennes. Cette
théorie – d’abord fortement combattue par les experts – fut plus tard
universellement acceptée, et le simple chapelain est ainsi devenu un
spécialiste reconnu de Newman.
L’œuvre de Willam comprend 33 livres et 372 textes – poésies, récits,
essais, comptes-rendus – publiés dans 79 revues différentes.
Le volume de 1932 “Das Leben Jesu im Lande und Volke Israels [La
vie de Jésus dans le territoire et dans le peuple d’Israël]”,
publié en dix éditions et traduit en douze langues, est son chef-d’œuvre. Ce
fut en son temps un véritable best-seller, qui assura à Willam une célébrité
internationale.
Pour écrire ce livre, Willam a étudié à fond l’histoire juive et observé
comme un anthropologue, pendant plusieurs mois, les us et coutumes de la
Palestine.
Sa “Vie de Jésus”, écrite avant que ne se soit développée l’exégèse
historico-critique de la Bible, ne s’occupe pas de la question de
l’historicité des Évangiles ni des diverses sources linguistiques et
idiomatiques de la Sainte Écriture. Son but consiste purement et simplement
à présenter au lecteur la vie et donc la personne de Jésus en partant des
Évangiles, dont il remplissait de vivacité le contenu, grâce aux
connaissances qu’il tirait de ses études d’anthropologie.
Quand Willam parle de Jésus, il nous donne en même temps une leçon “de
regard” au vrai sens du mot: il nous fait voir, entendre et percevoir comme
le Seigneur a vécu et agi.
Willam n’est pas un simple théoricien qui élabore sa pensée indépendamment
des événements concrets et donc en s’éloignant progressivement de la
réalité. Il n’écrit pas seulement pour une poignée de spécialistes. Son but
premier est la formation religieuse du peuple. Cet objectif découle de son
amour et de sa proximité particuliers avec l’homme simple; c’est ainsi qu’il
a réussi à combiner un esprit lucide à un langage linéaire et
compréhensible.
Un biographe du pape Benoît XVI a écrit: “La
simplicité lui appartient. Il n’a jamais été caractérisé par un
détachement hautain, même lorsqu’il abordait des problèmes théologiques
complexes”.
Le fruit de la simplicité, c’est un regard clair
sur l’essentiel. C’est précisément cela que Willam partageait
avec Ratzinger qui, en le citant dans la préface de “Jésus de Nazareth” le
préserve à juste titre de l’oubli.
Traduction française par Charles de
Pechpeyrou, Paris, France.
La revue de l'Université Catholique du Sacré Cœur
de Milan qui a publié l'article de Philipp Reisinger:
►
Vita e Pensiero
"Jésus de Nazareth" Tous les articles sur le
livre
Sources:
La chiesa.it
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.07.2007 - BENOÎT XVI -
Table Livre |