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Benoît XVI indique le chemin
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Le 02 août 2021 -
(E.S.M.)
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Luisella Scrosatti revient, avec un peu plus de détails, sur
l’interview que Benoît XVI a accordée par écrit au périodique
allemand Herder Korrespondenz. Loin du contingent et des
polémiques associées, il prend de la hauteur pour dénoncer la
bureaucratisation de l’Eglise (en Allemagne, mais pas seulement),
réduite à une structure « sans le coeur et l’esprit », et qui
éloigne les fidèles. Et il évoque avec tendresse ses années de tout
jeune vicaire à Münich, il y a 70 ans.
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Le pape Benoît XVI
Benoît XVI indique le chemin
Traduction benoit-et-moi
Le 02 août 2021 - E.
S. M. -
Dans une interview écrite accordée au périodique
Herder Korrespondenz, Benoît XVI souligne
la distance croissante entre la mission ecclésiale authentique et
l' »église de bureau« , faite de bureaucratie et de
documents sans « le cœur et l’esprit ». Une situation qui ne
concerne pas seulement l’Église en Allemagne, mais qui est plus
générale et alimente « l’exode du monde de la foi ». Se souvenant de
sa précieuse année d’aumônier à Bogenhausen, Ratzinger nous rappelle
que Dieu seul est la réponse contre les totalitarismes, passés et
présents.
Les flèches de Benoît XVI à l’encontre de l’Eglise d’Allemagne dans
sa récente interview écrite pour
Herder Korrespondenz
(8/2021) ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Les passages les
plus prisés sont tirés de la fin de l’interview consacrée par le
pape émérite à la reconstitution de l’année qu’il a passée comme
aumônier de la paroisse du Précieux Sang dans le quartier de
Bogenhausen à Munich (1er août 1951 – 1er octobre 1952).
Dans les dernières lignes, Ratzinger a tiré les conclusions de ce
qu’il avait pu mûrir de cette expérience vieille de soixante-dix
ans, jusqu’à aujourd’hui. Jeune prêtre dans sa première aventure
pastorale, il avait déjà remarqué comment la vie de foi se vidait
progressivement, laissant debout des structures de plus en plus
incapables de nourrir et de soutenir la foi. Un processus, pas trop
lent mais inexorable, qui a conduit à ce qu’on appelle l’Amtskirche,
une « église de bureau », d’appareil, de bureaucratie, qui reste
debout comme une façade sans âme et qui est non seulement stérile,
mais tellement encombrante qu’elle étouffe les germes de vie
chrétienne authentique qui tentent de vivre et de se développer.
« Le mot ‘Amtskirche‘ a été inventé pour exprimer le
contraste entre ce qui est officiellement exigé et ce en quoi on
croit personnellement. Le mot ‘Amtskirche‘ insinue une
contradiction interne entre ce que la foi exige et signifie
réellement et sa dépersonnalisation ».
Ce phénomène, Ratzinger ne l’associe pas seulement à l’Église
« allemande », mais à une situation plus générale, qui trouve
certainement une expression particulièrement significative dans
« une grande partie des textes institutionnels de l’Église en
Allemagne ». Ratzinger/Benoît XVI a toujours insisté sur le fait que
la vraie réforme de l’Église et sa renaissance authentique dépendent
de la sainteté de ses membres, de la force de leur témoignage. Mais
dans cet entretien, l’accent est mis sur une tension désormais
radicalisée entre la fonction et l’esprit. La tension dans les
documents produits : « Tant que dans les textes institutionnels de
l’Église, seule parlera la bureaucratie (/fonction), mais pas le
cœur et l’esprit, l’exode du monde de la foi continuera ». Tension
dans les positions décisives : « Dans les institutions de l’Église –
hôpitaux, écoles, Caritas – de nombreuses personnes sont impliquées
dans des positions décisives qui ne soutiennent pas la mission
interne de l’Église et obscurcissent ainsi souvent le témoignage de
cette institution ».
Non pas qu’il y ait en soi une contradiction entre la fonction et
l’esprit ; mais c’est comme si Benoît XVI voulait revenir sans cesse
sur ce point, parce qu’à ce jour, l’Amtskirche a donné
naissance à un nombre plus que tolérable de documents et d’œuvres
sans « le cœur et l’esprit ». Il y a une clé autobiographique dans
ses dernières déclarations : lui, le Pape qui a fait un pas de côté
; qui a choisi de gravir la montagne, comme un nouveau Moïse, alors
que notre époque va de plus en plus mal (car
ingravescente aetate signifie aussi cela) ; qui a
quitté non pas l’Église, mais l’Amtskirche, faite de
bureaux, de positions, de procédures, sans toutefois abandonner cet
habit blanc et en insistant pour garder le titre de Pape émérite.
Il ne prétend pas ainsi « séparer les bons des mauvais », comme le
donatisme voulait le faire à l’époque augustinienne ; mais cela
ne signifie pas qu’il n’y ait pas un besoin urgent de « séparer les
croyants des incroyants ». Un problème qui aujourd’hui, selon lui,
« est devenu encore plus évident ».
Ce n’est certainement pas un hasard si Benoît est sorti de son
silence pour parler de cette année sans beaucoup d’expérience
pastorale au début de sa vie sacerdotale. Entre un souvenir et un
autre, racontés avec ce subtil sens de l’humour et de l’auto-ironie
qui l’a toujours distingué, Ratzinger jette des indices importants
dans le cœur et l’esprit du lecteur. Il raconte la grande figure du
curé de Bogenhausen, le père Max Blumschein, qui lui a appris
l’importance d’être présent au confessionnal (tous les jours de 6 à
7 heures, et le samedi après-midi, de 16 à 20 heures), car « il
valait mieux y passer une heure sans confesser, plutôt que de faire
fuir quelqu’un à cause d’un confessionnal vide ». Il dit avoir vécu
« de très près combien les hommes attendent le prêtre, combien ils
attendent la bénédiction qui vient de la puissance du sacrement […]
Ils voyaient en nous des hommes concernés par la mission du Christ
et capables d’apporter sa proximité aux hommes ».
La vie simple mais fatigante de l’aumônier et du curé rendait la
présence du Christ et la vie de l’Église beaucoup plus tangible que
la pléthore de documents écrits en langue de bois, quand ce n’est
pas de fer, comme une épée (voir le récent motu proprio
Traditionis Custodes), qui paralysent la vie de l’Église depuis
des années. Un langage, un contenu et une mentalité qui ne viennent
pas du Christ, mais du monde. C’est pourquoi Benoît XVI rappelle le
discours qu’il a prononcé à Fribourg, à l’occasion de son voyage
apostolique en Allemagne en 2011, dans lequel il parlait de la
nécessité d’une « démondanisation ». Il n’est pas vrai, comme
certains l’ont écrit, que Ratzinger revient en arrière (/renie ses
propos). Au contraire, il a affirmé que le processus nécessaire de
se purger du monde et de sa logique est l’aspect négatif, mais
néanmoins nécessaire, d’une véritable réforme de l’Église : « Le mot démondanisation indique la partie négative du mouvement que
j’entends, c’est-à-dire sortir du discours et des limites d’une
époque pour aller vers la liberté de la foi ». On ne peut espérer
voler sans couper les liens qui nous attachent au sol.
La référence à l’expérience de Bogenhausen l’a également marqué pour
une autre raison, à peine évoquée dans l’interview, mais plus
largement mise en évidence dans la biographie de Peter Seewald. Son
prédécesseur à la paroisse du Précieux Sang était le père Alfred
Delp, qui fut pendu par la Gestapo en 1945 dans la prison de
Plötzensee. Delp avait laissé un journal et quelques phrases, comme
celle-ci qu’il avait gravée sur le mur de sa cellule, alors qu’il
avait les mains liées : « L’heure de la naissance de la liberté
humaine est l’heure de la rencontre avec Dieu. Le genou plié et les
mains vides tendues sont les gestes originels de l’homme libre. Nous
devons avoir confiance en la vie, car nous ne la vivons pas seuls,
mais Dieu la vit avec nous ».
Des expressions qui se sont gravées de manière indélébile dans l’âme
du jeune Ratzinger et qui révèlent la signification anthropologique
de son insistance, en tant qu’évêque, cardinal et pontife, sur la
primauté de Dieu dans la vie du monde et de l’Église. Parce que Dieu
seul – écrit le père Delp – est le dernier bastion de défense contre
cette « pression despotique des masses […] qui prostitue jusqu’au
dernier espace intime, dévore la conscience, viole le jugement et
finalement aveugle et étouffe l’esprit ». Malheur, donc, à cette
époque « où les voix de ceux qui crient dans le désert sont réduites
au silence, étouffées par le bruit du quotidien dans les rues, ou
interdites, ou noyées par l’ivresse du progrès, ou retenues ou
affaiblies par la peur et la lâcheté ».
Benoît XVI ne s’est pas contenté de lancer une « bordée » contre
l’Église d’Allemagne ; il tente, pour la énième fois, d’indiquer la
seule issue à ce qui apparaît de plus en plus comme le totalitarisme
le plus meurtrier de l’histoire. Seul Dieu, seul le Crucifié est la
seule véritable barrière contre la montée du mal.
Sources : Traduction
benoit-et-moi
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 02.08.2021
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