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Pour Benoît la priorité c’est Dieu, pour François c’est l’homme
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Le 27 décembre 2020 -
(E.S.M.)
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Ce qui frappe dans le magistère et dans les principaux actes de
cette dernière phase du pontificat du Pape François, c’est la mise
de côté de cette « priorité » qui, pour son prédécesseur
Benoît XVI, « est au-dessus de toutes les autres »,
aujourd’hui plus que jamais, à une époque “où dans de vastes
régions du monde, la foi est en danger de s’éteindre comme une
flamme privée de nourriture”.
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Le pape Benoît XVI
et François
Deux papes, deux agendas. Pour Benoît la priorité c’est Dieu, pour François
c’est l’homme
Un article de
Sandro Magister, vaticaniste à
L’Espresso.
Le 27 décembre 2020 - E.
S. M. - Comme ce Pape l’avait écrit dans sa
lettre aux évêques du 12 mars de 2009 – la priorité consistant à
“rendre Dieu présent dans ce monde et à ouvrir aux hommes l’accès
à Dieu. Et pas à n’importe quel Dieu mais à ce Dieu qui a parlé sur
le Sinaï ; à ce Dieu sur le visage duquel nous reconnaissons l’amour
poussé jusqu’à l’extrême, en Jésus crucifié et ressuscité”.
Noël approche. Mais de ce Dieu qui est né à Bethléem, il ne reste
qu’une trace ténue dans la dernière encyclique «
Fratelli tutti » de François, au point que Salvatore
Natoli, un philosophe réputé, y a plutôt discerné l’image d’un Jésus
qui n’est « rien d’autre qu’un homme », et dont la noble
mission a simplement été de montrer aux hommes que « dans leur
don réciproque, ils ont la possibilité des ‘dieux’ à la manière de
Spinoza : ‘homo homini deus’ ».
Le silence total sur Dieu est tout aussi impressionnant dans le
message vidéo avec lequel François a lancé le « Global Compact on
Education », un plan ambitieux – et qu’il a ensuite mis en œuvre en
cheville avec l’ONU – qu’il a lui-même offert à « toutes les
personnalités publiques » engagées au niveau mondial dans le domaine
de l’éducation, quelle que soit la religion à laquelle ils
appartiennent.
Dans ce plan, les mots d’ordre sont tous exclusivement séculiers. La
formule dominante est « nouvel humanisme », avec son cortège de «
maison commune », de « solidarité universelle », de « fraternité »,
de « convergence », d’ « accueil »… Ni plus ni moins que pour cet
autre réseau mondial de « Scholas Occurentes » créée par Jorge Mario
Bergoglio en Argentine et qu’il a ensuite érigé, une fois devenu
Pape, en fondation de droit pontifical avec siège dans la Cité du
Vatican.
Et c’est même chose qui s’est passée pour cette nouvelle initiative
pontificale intitulée « Economy of Francesco », dans laquelle le
Pape, endossant le costume de son homonyme saint d’Assise, propose
au monde rien moins qu’un « pacte pour changer l’économie actuelle
», voire pour la renverser complètement en surfant sur la vague des
« mouvements populaires », à part que son partenaire dans cette
entreprise n’est rien moins que le « Concil for Inclusive Capitalism
», c’est-à-dire les magnats de Ford Foundation, Johnson & Johnson,
Mastercard, Bank of America, Rockefeller Foundation et compagnie.
Et Dieu dans tout ça ? On pourra toujours opposer aux critiques du
Pape Bergoglio – comme on l’a écrit – que « toute la doctrine
traditionnelle trinitaire et christologique » est chez lui «
présupposée » et « qu’il ne faut pas nécessairement la répéter
textuellement et intégralement ».
Mais ce n’était clairement pas l’option de Benoît XVI qui, même
comme Pape émérite, n’a cessé de répéter et d’affirmer avec force
qu’il fallait « mettre Dieu en avant et non pas le présupposer »,
encore dernièrement dans ses « notes » offertes au pape régnant à la
veille du sommet sur les abus sexuels de février 2019.
Et effectivement, dans ces « notes », Joseph Ratzinger a encore une
fois pointé du doigt l’oubli de Dieu comme étant la cause première
de la crise actuelle de l’Église, dans la sphère sexuelle mais pas
uniquement.
Récemment, un livre rédigé à plusieurs mains vient de paraître sous
la direction de Livio Melina, l’ancien président de l’Institut
Pontifical Jean-Paul II sur le mariage et la famille et Tracey
Rowland, la théologienne australienne récompensée cette année par le
prix « Joseph Ratzinger ». Cet ouvrage repropose et commente ce
texte capital du dernier Ratzinger – ainsi qu’une réponse qu’il a
écrite en réponse aux objections de la théologienne allemande Birgit
Aschmann :
► AA.VV., “Chiesa sotto accusa. Un
commento agli ‘Appunti’ di Benedetto XVI”, Edizioni Cantagalli,
Siena, 2020.
Nous reproduisons ci-dessous un passage du premier chapitre du livre
signé par le cardinal Camillo Ruini. Il s’agit d’une lecture
particulièrement pertinente, à l’approche de la Natalité de Jésus.
Les sous-titres sont rédactionnels.
« Ne pas présupposer Dieu, mais le mettre
en avant »
Le primat de Dieu dans la théologie de Joseph Ratzinger
de Camillo Ruini
La question-clé abordée par Joseph Ratzinger dans sa théologie est
celle de la vérité du christianisme. On peut la résumer comme suit :
l’Église antique a opté pour le Dieu des philosophes – concrètement
celui de la philosophie grecque – tandis qu’elle prenait ses
distances avec les dieux des religions. Ce choix, déjà préparé dans
l’Ancien Testament et en particulier dans sa traduction grecque dite
des « Septante », a mis en lumière la vérité du christianisme, cette
vérité même que cherchait la philosophie grecque et dont les
religions païennes semblaient toujours plus dépourvues. Le
christianisme s’est donc affirmé comme étant la véritable
philosophie. Comme l’a magistralement dit Tertullien, « Le Christ a
affirmé d’être la vérité, non la coutume ». C’était alors un choix
fortement missionnaire, qui a rendu la foi compréhensible à tous.
Dans le même temps, l’Église antique a gardé intacte la différence
qui distingue le Dieu biblique du Dieu des philosophes : le Dieu
biblique est le Dieu qui a un nom, qui peut être interprété et prié
; c’est donc le Dieu éminemment personnel avec lequel nous pouvons
entrer en relation. C’est le Dieu qui n’est pas pure pensée mais qui
est de manière indissociable pensée et amour, le Dieu qui
s’intéresse à chacun de nous, qui part à la recherche de la brebis
perdue et qui se réjouit pour le pécheur qui se repent ; bien plus,
c’est le Dieu qui prend sur lui nos péchés et qui, ainsi, nous
sauve. À la différence du Dieu des philosophes qui ne se rapporte
qu’à lui-même, c’est le Dieu qui est absolu tout en étant relation
et toute-puissance qui crée, soutient et aime ce qui est différent
de lui.
C’est cette option pour le Dieu des philosophes, unie à la
non-réduction à un tel Dieu, qui a permis au christianisme de
dépasser le divorce entre rationalité et religion qui affligeait le
monde antique. En effet, le Dieu de la raison est désormais un Dieu
qui peut être objet de prière, le Dieu des philosophes est désormais
le Dieu sauveur dont l’homme a besoin. Selon l’opinion de Ratzinger,
c’est à la fois cette option pour le Dieu des philosophes et la
réconciliation entre rationalité et religion qui se trouve à la base
de la victoire du christianisme dans le monde antique.
Raison, foi et vie dans le christianisme antique
Une seconde raison de cette victoire, et elle est d’importance
égale, réside dans la pertinence morale du christianisme. Ce que
Dieu exige des hommes coïncide avec ce qui est bon par nature et
avec ce que chaque homme porte en lui gravé dans son propre cœur, de
telle sorte que, quand cela se présente, il le reconnaît comme un
bien, selon les paroles de l’apôtre Paul sur les païens qui, même
s’ils n’ont pas la loi, « par nature agissent selon la Loi » (Rm 2,
14-15).
De cette manière, l’unité critique fondamentale avec la rationalité
philosophique, présente dans le concept chrétien de Dieu, se
confirme et se concrétise dans l’unité critique avec la morale
philosophique, en l’occurrence la morale stoïque. Cependant, tout
comme le christianisme a dépassé les limites du concept
philosophique de Dieu, le passage de la théorie éthique à une praxis
morale communautaire vécue et mise en acte s’est produit en
particulier grâce à la concentration de toute la morale dans le
double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
On peut donc dire que le christianisme convainquait en vertu du lien
de la foi avec la raison et de l’orientation de l’action vers la “caritas”,
le soin aimant des souffrants, des pauvres et des faibles, par-delà
toute différence de condition sociale. En d’autres mots, la force
qui a transformé le christianisme en une religion mondiale résidait
dans la synthèse entre raison, foi et vie, une synthèse qui se
résume dans l’expression “religio vera”. […]
La rupture de l’âge moderne
La synthèse entre raison, foi et vie qui est à la base de la
victoire du christianisme est longtemps restée vive et efficace à
travers la transformation des situations historiques. Cependant, au
cours de ces derniers siècles, cette synthèse s’est progressivement
affaiblie et elle ne parvient désormais plus à convaincre. Dans
l’Europe d’aujourd’hui, la rationalité et le christianisme sont
souvent considérés comme contradictoires et mutuellement exclusifs.
C’est ainsi que le christianisme a fini par se retrouver dans une
crise profonde, basée sur la crise de sa prétention de vérité.
Ratzinger se demande pourquoi cela s’est produit et qu’est-ce qui a
concrètement changé, aussi bien dans le christianisme que dans la
rationalité.
En ce qui concerne le christianisme, la réponse est qu’à l’encontre
de sa nature, il était devenu tradition et religion d’État tandis
que la voix de la raison avait été trop domestiquée. C’est l’un des
mérites de l’illuminisme moderne d’avoir remis à l’ordre du jour
certaines valeurs originales du christianisme et d’avoir rendu à la
raison sa voix propre. Le Concile Vatican II a de nouveau mis en
évidence la profonde correspondance entre christianisme et
illuminisme, en cherchant à parvenir à une véritable conciliation
entre Église et modernité, qui constitue le grand patrimoine que les
deux parties doivent protéger.
C’est pourtant du côté de la rationalité qu’est intervenu le
changement décisif. L’unité relationnelle entre raison et foi à
laquelle Thomas d’Aquin avait donné une forme systématique s’est
effritée toujours plus à travers les grandes étapes de la pensée
moderne, jusqu’à la situation culturelle d’aujourd’hui, caractérisée
par le primat de la science et de la technique: l’idée que la
connaissance scientifique soit la seule à être réellement valide est
répandue. Dans ce cadre, la théorie de l’évolution a fini par
revêtir le rôle d’une sorte de vision du monde ou de “philosophie
première” qui serait d’une part rigoureusement scientifique et qui
constituerait de l’autre, au moins potentiellement, une explication
ou une théorie universelle de la réalité toute entière, au-delà de
laquelle les questions ultérieures sur l’origine et la nature des
choses ne seraient plus nécessaires ni même permises. L’affirmation
“Au commencement était le Logos” se trouve donc renversée, avec à
l’origine de toute la matière-énergie, le hasard et la nécessité. Le
résultat final est donc l’athéisme.
La disparition de la vérité
Dans la culture actuelle, des telles positions sont de plus en plus
contestées parce qu’elles font fi des limites intrinsèques de la
connaissance scientifique. Mais Ratzinger observait qu’à cause du
grand changement pour lequel, depuis Kant, on considère que notre
raison n’est plus en mesure de connaître la réalité en elle-même, et
surtout la réalité transcendante, l’alternative culturellement la
plus crédible au scientisme aujourd’hui n’est pas le primat du Logos
mais plutôt l’idée que “latet omne verum”, chaque vérité est cachée,
c’est-à-dire que la véritable réalité de Dieu nous est complètement
inaccessible et inconnaissable: et dans ce cas, l’issue finale, est
par conséquent l’agnosticisme. L’approche du divin propre aux
grandes religions ou visions du monde oriental retrouvent donc droit
de cité en Occident, un peu comme, pendant les premiers siècles de
l’ère chrétienne, le néoplatonisme avait cherché à se poser en
alternative au christianisme.
D’autre part, tout comme la foi chrétienne s’est concrétisée dans
une forme précise de vie et d’éthique, les formes de rationalité qui
tendent à se substituer au christianisme s’expriment de manière
analogue dans des orientations éthiques concrètes. Si “chaque vérité
est cachée”, au niveau pratique, la valeur fondamentale devient
celle de la tolérance. Si en revanche l’évolutionnisme est la
théorie qui explique tout, ce sera alors la sélection naturelle, la
lutte pour la survie et la victoire du plus fort qui se trouveront à
la base de l’éthique.
Pour une revanche de la raison
Pour Ratzinger, le véritable objectif de cette analyse est
naturellement de chercher les pistes d’un nouvel accord de la raison
et de liberté avec le christianisme, c’est-à-dire proposer la vérité
salvifique du Dieu de Jésus Christ à la raison de notre temps.
Dans ce but, il convient avant tout “d’élargir les espaces de la
rationalité”. La limitation de la raison à ce qui est expérimentable
et calculable est juste et nécessaire dans le cadre des sciences
naturelles et constitue la clé de leurs développements incessants,
mais si on l’universalise et qu’on l’absolutise, elle devient
insoutenable, inhumaine et en fin de compte contradictoire. En
effet, l’homme ne pourrait alors plus s’interroger rationnellement
sur les réalités essentielles de sa propre vie, sur son origine et
son destin, sur le bien et sur le mal moral mais il devrait laisser
ces problèmes décisifs à un sentiment détaché de la raison. Ainsi,
fatalement, le sujet humain finit par être réduit à un produit de la
nature, qui n’est pas libre en tant que tel: on assiste alors à un
renversement total du point de départ de la culture moderne qui
consistait en la revendication de l’homme et de sa liberté.
En approfondissant ce discours, Ratzinger observait que la véritable
alternative devant laquelle nous nous trouvons est de savoir si la
raison est due au hasard et est un sous-produit de l’irrationnel ou
si en revanche elle est à l’origine de tout. L’intelligibilité de la
nature, qui constitue le présupposé du savoir scientifique en tant
que tel, exige l’existence d’une intelligence créatrice et montre
ainsi que la conviction fondamentale de la foi chrétienne, “In
principio erat verbum”, est toujours valide aujourd’hui.
En ce qui concerne plus particulièrement l’agnosticisme, nous devons
nous demander s’il est encore concrètement réalisable. La question
de Dieu n’est en effet pas purement théorique mais éminemment
pratique et a des conséquences dans tous les domaines de notre vie.
Même si, en théorie, j’adhère à l’agnosticisme, en pratique je reste
cependant contraint de choisir entre deux alternatives: soit vivre
comme si Dieu n’existait pas, en adoptant en pratique une posture
athée, soit vivre comme si Dieu existait et était la réalité
décisive de mon existence, en adoptant de fait une posture de
croyant. La question de Dieu est donc impossible à éluder et
l’agnosticisme se révèle irréalisable. Les tentatives de se passer
de Dieu sont donc vouées à l’échec, aussi bien au niveau théorique
qu’au niveau pratique: ce n’est qu’en reconnaissant à Dieu la
première place que notre raison peut retrouver toute son ampleur.
[…]
Une “étrange pénombre”, l’avènement de Dieu
La valorisation de la raison dans la théologie de Ratzinger n’est
nullement de type rationaliste. Au contraire, il considère que la
tentative de la néoscolastique de démontrer la vérité des prémisses
de la foi – les “preambulae fidei” – à travers une raison
indépendante de la foi elle-même a échoué et que d’éventuelles
tentatives similaires sont destinées à subir le même sort. De fait,
surtout dans le climat culturel d’aujourd’hui, l’homme reste
prisonnier d’une “étrange pénombre” qui pèse sur la question des
réalités éternelles: pour qu’une relation véritable avec Dieu puisse
émerger, c’est Dieu lui-même qui doit prendre l’initiative de venir
à l’homme et de s’adresser à lui.
La raison seule ne suffit donc pas, elle n’est pas autosuffisante.
Tout comme la foi a besoin de la raison, la raison a besoin de la
foi pour être assainie en tant que raison et être reconduite à
elle-même, pour pouvoir à nouveau voir par elle-même.
La grande tâche qui se trouve face à nous, c’est de construire un
nouveau rapport entre la foi et la raison. Une tâche que, nonobstant
toutes les difficultés actuelles, nous pouvons affronter avec
confiance parce que “seul le Dieu qui s’est rendu fini pour déchirer
notre finitude et la conduire à l’ampleur de son infinité est en
mesure de venir à la rencontre des questions de notre être”. Encore
une fois, le primat de Dieu et l’initiative salvifique qu’il a
entreprise en Jésus Christ ne fait qu’un avec la revendication de la
vérité du christianisme.
Sources : Sandro
Magister, vaticaniste à
L’Espresso
-
E.S.M.
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 27.12.2020
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