Benoît XVI nous exhorte à avoir le courage
d'aimer notre prochain |
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Le 27 décembre 2007 -
(E.S.M.) - Le Samaritain, souligne Benoît XVI,
ne peut être que l'image de Jésus Christ. Dieu lui-même, qui est pour
nous l'étranger lointain, s'est mis en route pour prendre soin de sa
créature blessée. Dieu, si loin de nous, s'est fait notre prochain en
Jésus Christ. Cette parabole est d'une actualité patente.
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Le bon
Samaritain -
Van Gogh -
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Benoît XVI nous exhorte à avoir le courage d'aimer notre prochain
Chapitre 7 - Le message des paraboles
(pages 207 à 243)
1) Nature et
finalité des paraboles
► Benoît
XVI
2) Jésus
lui-même est la semence, il est le Royaume de Dieu en personne
►
Benoît XVI
3) Qu'est-ce en fait qu'une
parabole ? Et que cherche celui qui la dit ?
►
Benoît XVI
4)
La parabole du bon Samaritain :
2. Trois grands récits en paraboles chez Luc
Vouloir interpréter ne serait-ce qu'un nombre relativement important des
paraboles de Jésus dépasserait le cadre de ce livre. Aussi me limiterai-je,
avertit Benoît XVI, à
trois grands récits en forme de paraboles, extraits de l'Évangile de saint
Luc, dont la beauté et la profondeur touchent instinctivement même
les non-croyants : l'histoire du bon Samaritain, la parabole du fils
prodigue et celle de Lazare et du riche.
La parabole du bon Samaritain
(Lc 10, 25-37)
L'histoire du bon Samaritain traite de la question fondamentale qui se pose
à l'homme. Un scribe, c'est-à-dire un maître de l'exégèse, demande au
Seigneur : « Maître, que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ?
» (10, 25). Luc ajoute que le Docteur de la Loi aurait posé cette question
pour mettre Jésus à l'épreuve. Étant scribe, il connaît personnellement la
réponse donnée par la Bible, mais il veut savoir ce que va répondre ce
prophète qui ne l'a jamais étudiée. Le Seigneur le renvoie tout simplement à
l'Écriture, puisqu'il la connaît, et il fait en sorte qu'il donne lui-même
la réponse. Le Docteur de la Loi la donne de façon très pertinente, citant
ensemble le Deutéronome (6, 5) et le Lévitique
(19, 18) : «Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force »
et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lc 10, 27). Sur cette
question, Jésus n'enseigne rien d'autre que la Torah dont le sens est tout
entier réuni dans ce double commandement. Mais le scribe, qui connaissait
très exactement la réponse à sa propre question, doit alors se justifier.
Car si la parole de l'Écriture est incontestée, la manière dont il faut
l'appliquer pratiquement dans la vie soulève des questions qui étaient
l'objet de controverses dans les écoles (et aussi dans la vie).
Concrètement, la question est de savoir qui est «
le prochain ». La réponse
habituelle, appuyée sur des textes de l'Écriture, était que par « prochain »
il fallait entendre les membres du même peuple. Le peuple constitue une
communauté solidaire dans laquelle chacun est responsable de tous et
réciproquement. Chacun étant soutenu par la collectivité, chacun devait
considérer l'autre « comme soi-même », comme une partie de cette
collectivité dont procédait l'espace où il vivait. Mais alors, les
étrangers, les hommes qui appartiennent à un autre peuple, ne sont-ils pas
le « prochain » ? Penser ainsi était contraire à l'Écriture qui, se
souvenant qu'en Égypte Israël avait lui-même vécu une existence d'étranger,
appelait aussi à l'amour envers les étrangers. Mais ce qui restait en débat,
c'était de savoir où tracer les frontières internes. En règle générale, on
considérait que seul l'étranger « établi » sur la terre d'Israël et
partageant la vie du peuple élu faisait partie de la communauté solidaire,
et pouvait donc être considéré comme le « prochain ». D'autres restrictions
au concept de « prochain » avaient également cours. Une sentence rabbinique
enseignait que l'on n'était pas obligé de considérer comme son prochain les
hérétiques, les délateurs et les renégats
(J. Jeremias, Die Gleichnisse Jesu, op. cit., p. 274). De même, il était clairement
établi que la notion de prochain ne s'appliquait pas aux Samaritains, qui,
quelque temps auparavant, entre l'an 6 et 9, durant les fêtes de la Pâque
juive, avaient souillé le Temple de Jérusalem en y répandant des ossements
humains (Ibid., p. 276).
C'est à cette question concrète que Jésus répond par la parabole de l'homme
qui, sur la route de Jérusalem à Jéricho, tombe sur des bandits qui le
dépouillent et le laissent à moitié mort : une histoire tout à fait
réaliste, car, sur cette route, de telles attaques avaient lieu
régulièrement. Un prêtre et un lévite, c'est-à-dire des hommes qui
connaissent la Loi, qui sont spécialistes de la question du salut et voués à
son service, arrivent sur ces entrefaites et passent leur chemin. Il n'est
pas du tout certain qu'il s'agisse d'hommes sans cœur, peut-être avaient-ils
peur eux-mêmes
et essayaient-ils d'atteindre la ville le plus vite possible, peut-être
étaient-ils maladroits et ignoraient-ils ce qu'ils devaient faire pour
aider, d'autant que, de toute façon, il n'y avait apparemment plus
grand-chose à faire. Arrive alors un Samaritain, probablement un commerçant
qui est obligé de faire souvent ce parcours et qui visiblement connaît le
tenancier de l'auberge la plus proche. Un Samaritain, c'est-à-dire quelqu'un
qui ne fait pas partie de la communauté solidaire d'Israël et que rien
n'oblige à voir son « prochain » dans l'homme agressé.
Il faut rappeler ici que quelques paragraphes plus haut l'évangéliste avait
raconté que Jésus, en route pour Jérusalem, avait envoyé en avant des
messagers qui, arrivant dans un village samaritain, voulurent chercher un
logis pour lui. « Mais on refusa de le recevoir, parce qu'il se dirigeait
vers Jérusalem » (Lc 9, 52). Alors, les fils du tonnerre - Jacques et Jean —
furieux, dirent au Seigneur : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le
feu tombe du ciel pour les détruire ? » (Lc 9, 54). Jésus les réprimanda. Et
ils trouvèrent à se loger dans un autre village.
Or, voici que le Samaritain entre en scène. Que va-t-il faire ? Il ne
demande pas jusqu'où s'étendent ses devoirs de solidarité, ni quels mérites
lui assureront la vie éternelle. Les choses se passent autrement :
il a le
cœur déchiré. L'Évangile emploie le mot hébreu qui désignait à l'origine le
sein de la mère et l'attention maternelle. En voyant l'homme dans cet état,
le Samaritain est touché au fond de ses « entrailles », au tréfonds de son
âme. « II fut saisi de pitié » traduit-on aujourd'hui, ce qui affaiblit la
force originelle du texte. Grâce à l'éclair de miséricorde qui frappe son
âme, c'est maintenant lui qui devient le prochain de l'autre, sans se poser
la moindre question ni se soucier du moindre danger. Cela implique qu'il y a
déplacement de la
question : il ne s'agit plus de savoir quel autre est ou n'est pas mon
prochain, il s'agit de moi-même. Je dois me faire le prochain des autres, et
alors, l'autre comptera pour moi « comme moi-même ».
Si la question avait été : le Samaritain est-il lui aussi mon prochain ?, la
réponse aurait été, dans la situation donnée, un « non » sans équivoque.
Mais Jésus renverse les choses. Le Samaritain, l'étranger, se fait lui-même
mon prochain et me montre que je dois apprendre par moi-même, de
l'intérieur, à être le prochain de tous, et que la réponse se trouve déjà en
moi. Il me faut devenir quelqu'un qui aime, une personne dont le cœur se
laisse bouleverser par la détresse de l'autre. C'est alors que je trouverai
mon prochain, ou plus exactement, c'est alors que je serai trouvé par lui.
Dans son interprétation de la parabole, Helmut Kuhn déborde certes du sens
littéral du texte, mais il souligne très justement le caractère radical de
l'énoncé lorsqu'il écrit : « Dans le domaine politique, l'amour-amitié est
fondé sur l'égalité des partenaires. Par contre, la parabole symbolique du
Samaritain souligne « radicalement l'inégalité : le Samaritain, un étranger
au peuple, se trouve face à l'anonymat de l'autre, celui qui accorde son
aide se trouve face à la victime sans défense d'une attaque de bandits. Ce
que veut nous faire comprendre cette parabole, c'est que l'agapè se fraie un
chemin à travers tous les ordres politiques dans lesquels domine le principe
du do ut des (ndlr : Le type de rapport qui lie les
Romains a leurs dieux a été souvent indiqué avec la formule do ut des,
c'est-à-dire "je te donne afin que tu me donnes"), les dépassant et prenant ainsi un caractère surnaturel. Dans
son principe même, elle se situe bien sûr par-delà ces ordres politiques ;
mais il y a plus, elle signifie leur inversion : les premiers seront les
derniers (cf. Mt 19, 30). Et les doux posséderont la terre
(cf. Mt 5, 4)
(H. Kuhn, « Liebe ». Geschichte eines Begriffi,
p. 88s, voir bibliographie, p. 400).
» Une chose est claire : une nouvelle universalité se fait jour, fondée sur
le fait que, de l'intérieur, je
me fais déjà le frère de tous ceux que je rencontre et qui ont besoin de mon
aide.
Cette parabole est d'une actualité patente. Si nous la transposons à
l'échelle de la société internationale,
nous voyons que nous sommes
concernés par les peuples d'Afrique que l'on dépouille et que l'on pille.
Nous voyons aussi à quel point ils sont notre « prochain » : notre mode de
vie, notre histoire, dans lesquelles nous sommes nous aussi impliqués, ont
concouru et concourent encore à leur pillage. Et surtout, nous avons par là
même blessé leur âme. Au lieu de leur faire don de Dieu, du Dieu qui, en
Jésus Christ, nous est proche, au lieu d'accepter et de parachever tout ce
que leurs propres traditions ont de précieux et de grand,
nous leur avons
apporté le cynisme d'un monde sans Dieu, où la seule chose qui importe,
c'est le pouvoir et le profit. Nous avons détruit l'échelle des valeurs
morales de sorte que la corruption et la volonté de pouvoir sans scrupule
finissent par s'imposer comme des évidences. Et l'Afrique n'est pas un cas
isolé.
Bien sûr, il nous faut apporter une aide matérielle et réviser notre propre
mode de vie. Mais nous donnerons toujours trop peu si nous ne donnons que
des choses matérielles. Et tout autour de nous, ne voyons-nous pas aussi des
hommes que l'on a dépouillés et brisés ? Les victimes de la drogue, du
trafic d'êtres humains, du tourisme sexuel, ces êtres détruits
intérieurement qui, au milieu de la richesse matérielle, sont totalement
vides. Tout cela nous concerne et nous appelle à faire nôtres le regard et
le cœur du prochain, et aussi à avoir le courage d'aimer notre prochain.
Car, comme il a été dit, il se peut que le prêtre et le lévite aient passé
leur chemin par crainte plus que par indifférence. Nous devons réapprendre,
de l'intérieur, à prendre
le risque de la bonté. Et nous ne pourrons le faire que si nous devenons
nous-mêmes intérieurement « bons », si de l'intérieur nous nous faisons le «
prochain » des autres et si nous cherchons alors à savoir quelle façon de
servir nous est demandée, autour de nous et dans le cercle plus large de
notre vie, quelle façon de servir nous est individuellement possible et, par
là même, assignée.
Les Pères de l'Église ont lu cette parabole dans une perspective
christologique. On pourrait dire que, s'agissant d'une lecture allégorique,
ils se trompent dans leur interprétation. Mais si nous réfléchissons au fait
que dans toutes les paraboles, de façon chaque fois différente, le Seigneur
nous invite à croire au Royaume de Dieu en sa personne, une interprétation
christologique ne peut jamais être totalement erronée. Elle correspond
toujours, d'une manière ou d'une autre, à une potentialité intrinsèque du
texte, comme un fruit qui croît à partir de sa semence. Les Pères
interprètent la parabole à l'échelle de l'histoire universelle. Cet homme
qu'on a dépouillé et qui gît à moitié mort au bord du chemin, n'est-il pas
une image d'« Adam », de l'homme par excellence, qui en vérité « est tombé
sur des bandits ». N'est-il pas vrai que l'homme, cette créature appelée
homme, tout au long de son histoire, est aliéné, brutalisé, exploité ?
L'humanité dans sa grande masse a presque toujours vécu sous l'oppression.
Et inversement, les oppresseurs sont-ils la vraie image de l'homme, ou n'en
donnent-ils pas plutôt une image dénaturée, avilissante ? Karl Marx a décrit
de façon drastique « l'aliénation » de l'homme. Même s'il n'a pas réussi à
atteindre la profondeur réelle de l'aliénation du fait que sa pensée était
strictement matérialiste, il a livré une image très concrète de l'homme qui
tombe aux mains de bandits.
Au Moyen Âge, les théologiens ont compris les deux indications que donne la
parabole sur l'état de l'homme brutalisé comme l'expression d'une dimension
anthropologique fondamentale. Il est dit de la victime de l'attaque qu'elle
a été d'une part dépouillée, spoliée (spoliatus), d'autre part rouée de
coups et laissée à moitié morte (vulneratus : cf. Lc 10, 30). Les
scolastiques rapportaient cela à la double dimension de l'aliénation de
l'homme. Il est spoliatus supernaturalibus et vulneratus in naturalibus,
disaient-ils, c'est-à-dire spolié de la splendeur de la grâce surnaturelle
qu'il avait reçue en don, et blessé dans sa nature. C'est bien une
allégorie, et elle dépasse, c'est certain, le sens littéral des mots. Mais
il s'agit tout de même d'une tentative pour préciser la nature de la double
blessure qui pèse sur l'histoire de l'humanité.
La route de Jérusalem à Jéricho apparaît alors comme une image de l'histoire
universelle, l'homme qui gît à moitié mort sur le bord comme une image de
l'humanité. Le prêtre et le lévite passent leur chemin : l'histoire en
elle-même, avec ses cultures et ses religions, ne constitue pas à elle seule
la source du salut. Et si l'homme qui a été attaqué est par antonomase
l'image de l'humanité, le Samaritain ne peut être que l'image de Jésus
Christ. Dieu lui-même, qui est pour nous l'étranger lointain, s'est mis en
route pour prendre soin de sa créature blessée. Dieu, si loin de nous, s'est
fait notre prochain en Jésus Christ. Il verse de l'huile et du vin sur nos
blessures, une image dans laquelle on a vu le don salvifique des sacrements,
et il nous conduit jusqu'à l'auberge, c'est-à-dire l'Église,
où il nous fait
soigner en avançant même l'argent pour le coût des soins.
Dans le détail, les différents éléments de l'allégorie varient selon les
Pères de l'Église, et nous pouvons sans crainte les laisser de côté. Mais la
grande vision de l'homme
aliéné et sans défense qui gît au bord de la route de l'histoire, et de Dieu
lui-même qui, en Jésus Christ, est devenu son prochain, nous pouvons sans
crainte la conserver, car c'est une dimension qui va au fond des choses et
qui nous concerne tous. Le puissant impératif que recèle la parabole ne s'en
trouve nullement affaibli, bien au contraire, c'est là qu'il prend sa
dimension pleine et entière. Et c'est ce qui donne enfin toute sa portée au
grand thème de l'amour, qui est le véritable point marquant du texte. Car
nous nous apercevons à présent que nous sommes tous « aliénés », que nous
avons tous besoin de la rédemption. Nous nous apercevons que nous avons tous
besoin de l'amour salvifique dont Dieu nous fait don, afin d'être nous aussi
capable d'aimer, et que nous avons besoin de Dieu, qui se fait notre
prochain, pour parvenir à être le prochain de tous les autres.
Chaque homme est individuellement concerné par les deux personnages de la
parabole. Car chacun de nous est « aliéné », aliéné aussi de l'amour (qui
est l'essence de la « splendeur surnaturelle » dont nous avons été spoliés),
chacun de nous doit nécessairement d'abord être guéri et recevoir l'offrande
du don. Mais chacun d'entre nous devrait aussi se faire samaritain, suivre
le Christ et devenir semblable à lui. Alors nous vivrons de manière juste.
Nous aimerons comme il faut si nous devenons semblables à lui, qui nous a
tous aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 19).
à suivre ...
5) La parabole des deux
frères (le fils prodigue et le fils aîné) et du père miséricordieux
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Sources: www.vatican.va
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 27.12.2007 - BENOÎT XVI
- T/J.N. |