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19 Avril 2005
 
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Humanae Vitae a soulevé la colère des catholiques

Le 25 juillet 1968, dans la lettre encyclique Humanae Vitae (" De la vie humaine "), le Pape Paul VI réaffirmait la condamnation de la contraception artificielle par l’Église catholique.

 

Chapitre II

1968 : l’année où l’Église s’est démembrée

Le 25 juillet 1968, dans la lettre encyclique Humanae Vitae (" De la vie humaine "), le Pape Paul VI réaffirmait la condamnation de la contraception artificielle par l’Église catholique. La nouvelle fit l’effet d’une surprise – ou plutôt d’une bombe. D’autant plus que venait déjà s’ajouter à ce choc celui des théologiens catholiques qui rejetaient publiquement et en grand nombre l’encyclique papale. Après ce qui apparut bientôt comme une accalmie de trois ans – l’enfer se déchaînait dans l’Église catholique.

Jean XXIII avait retiré la question de la contraception de l’ordre du jour du deuxième Concile du Vatican. Il avait plutôt constitué une commission qui devait le guider sur cette question, se réservant à lui-même la décision finale. On affirmait à l’époque que bien de nouveaux facteurs – médicaux, biologiques, psychologiques, sociologiques et démographiques – jetaient un doute sur l’interdiction traditionnelle. Il est évident que le Concile aurait pu s’enliser dans l’examen de ces affirmations et de ces opinions. Le Pape les a soulagés de ce fardeau.

Jean XXIII est décédé durant le Concile et Paul VI a été élu Pape. Sur la question de la contraception, il a maintenu et élargi la commission formée par son prédécesseur. Cela a naturellement donné l’impression que l’Église remettait en question son interdiction de la contraception artificielle. On supposait que ce réexamen pouvait aboutir dans un sens ou dans l’autre : l’interdiction pouvait être maintenue ou levée. Avec cette alternative dans l’air, les mois ont passé. Le Concile a pris fin en 1965 et la décision n’était toujours pas prise. Les années ont passé – presque trois années.

Humanae Vitae soulève la colère des catholiques

Ce n’était pas simplement une attente silencieuse. Ceux qui estimaient possible et désirable la levée de l’interdiction faisaient entendre leur voix. Le bruit courait que la commission informait le Pape que les anciens arguments contre la contraception artificielle ne tenaient plus. L’opinion reçue parmi les théologiens était que la contraception artificielle ne serait plus interdite par le Magistère de l’Église.

Il est important de comprendre l’atmosphère de ce temps. Des théologiens moralistes de renom, à l’extérieur comme à l’intérieur de la commission, écrivaient en faveur de la suppression de l’interdiction. Cela devint, naturellement, un sujet de discussion dans les collèges et les séminaires catholiques romains, et au-delà. La discussion se poursuivit dans des publications à grand tirage. On espérait voir l’Église revenir bientôt sur son interdiction, ce qui influença la pastorale. Il fallait difficilement s’attendre à ce que les couples qui se préparaient au mariage soient orientés vers une interdiction dont les jours étaient comptés. Il est probable que les confesseurs eux aussi réagissaient différemment avec les pénitents qui utilisaient la contraception.

C’est dans cette atmosphère que l’annonce du mois de juillet 1968 est survenue en faisant l’effet d’une véritable bombe . Une réaction de colère était inévitable de la part de ceux qui avaient engagé leur réputation professionnelle en prenant parti pour la levée de l’interdiction. Ceux qui avaient participé aux travaux de la commission papale et recommandé avec insistance, et de manière persuasive, pensaient-ils, la levée de l’interdiction, se sentirent trahis. Comment le Pape a-t-il osé ne pas tenir compte de leur avis ?

Qu’est-ce que le Pape Paul VI a dit exactement ?

Son jugement était contenu dans une encyclique qui, comme tous les documents pontificaux, est souvent commentée mais rarement lue. Ceux qui, quelques heures après l’annonce de la publication de l’encyclique, ont signé une annonce dans le New York Times, se joignant à d’autres théologiens moralistes pour rejeter l’enseignement papal, ne pouvaient pas avoir lu l’encyclique. Ils connaissaient sa teneur, le seul et unique point central : Paul VI avait maintenu l’interdiction.

Prêtres et laïcs dénoncent l’Encyclique

Certains événements survenus durant les premiers jours qui ont suivi l’annonce de l’encyclique ont un caractère presque comique. À Adélaïde, en Australie, une scène étrange s’est déroulée dans la cathédrale catholique St. Francis Xavier. En sortant de la Messe, le 4 août 1968, les fidèles ont fait face à des étudiants protestataires brandissant des pancartes et distribuant des brochures en faveur de la contraception. Ils avaient installé une petite cabine portant comme enseigne " Centre de contraception catholique ". Un homme en colère se précipita vers la cabine pour la renverser. On la releva et elle fut renversée à nouveau.

Le dimanche suivant, à Santiago, au Chili, un groupe de huit prêtres et de cent cinquante laïcs qui s’étaient cachés pour passer la nuit dans la cathédrale, refusèrent d’admettre ceux qui venaient assister à la Messe du dimanche. Le groupe a tenu la cathédrale durant quatorze heures, au cours desquelles les prêtres parmi eux ont célébré la Messe. Ils ont expliqué qu’ils protestaient contre les dépenses inutiles en préparation pour la visite prochaine de Paul VI à Bogota, en Colombie. 27

Un théologien moraliste suisse, le père Anton Meinrad Meier, résigna ses fonctions au séminaire de Solothurn en protestation contre Humanae Vitae. Le père Meier déclara que l’encyclique " subordonne le sens commun aux lois biologiques et au Magistère de l’Église et par conséquent se contredit ". 28

Mgr Joseph Gallagher, passant par Rome en revenant d’un pèlerinage en Terre sainte, s’arrêta pour faire une déclaration annonçant qu’il abandonnait le titre de Monsignor. Le père Gallagher, traducteur en anglais des actes du deuxième Concile du Vatican et ancien professeur de philosophie thomiste au St. Mary’s Seminary de Baltimore, a expliqué son geste en disant que le titre de Monsignor devrait impliquer une allégeance spéciale au Saint-Père. Humanae Vitae le mettait dans l’impossibilité de continuer à lui témoigner une telle allégeance. Dans l’ensemble, le père Gallagher trouvait l’encyclique Humanae Vitae " tragique et désastreuse ". 29 Si Paul VI avait préservé la logique interne de l’autorité papale, il avait gravement endommagé son acceptabilité rationnelle, ou du moins c’est ce que pensait le père Gallagher. Le prêtre trouvait que l’enseignement de la nouvelle encyclique était intellectuellement, émotivement et spirituellement répugnant. Il poursuivait sa déclaration en disant qu’accepter le jugement de l’encyclique équivalait à admettre le droit pour l’Inquisition d’employer la torture physique. 30

Entre-temps, de retour à Baltimore, le cardinal Lawrence Shehan, évêque du père Gallagher, exprimait ses regrets et conseillait à son prêtre de relire les documents du Concile qu’il avait lui-même traduits. 31

La presse catholique en Angleterre donna son avis sur l’encyclique. The Tablet, le plus ancien hebdomadaire catholique, hautement respecté en Angleterre et ailleurs, la critiquait sévèrement. Ses commentaires portaient sur le statut de l’encyclique plutôt que sur son contenu : " Ceci va inévitablement soulever des questions quant au statut des encycliques, à leur autorité et à leur force obligatoire. Impossible de prédire si elles en seront dévaluées ou sanctionnées. Un nouveau chapitre dans la relation du Pape avec ses évêques et avec l’ensemble des fidèles vient de s’ouvrir sur une sombre note. " Le journal prévoyait le doute et la consternation parmi les catholiques, de nouvelles bravades chez les autres, et une méfiance mutuelle. 32

Le père Hans Küng, professeur de théologie à Tübingen, a déclaré à la radio de Zurich que les catholiques devraient prendre Humanae Vitae au sérieux et le lire loyalement, mais s’ils en concluaient que leur mariage serait mis en danger en suivant ses principes, ils devaient suivre leur propre conscience. En faisant cela, ils ne devraient pas se considérer pécheurs. Dans l’ensemble, il considérait qu’ Humanae Vitae représentait une crise, la crise la plus sérieuse des temps modernes. Il y voyait un bon côté, cependant, en ce qu’elle obligerait l’Église à réévaluer ses concepts d’autorité et d’infaillibilité. " Cela doit être fait en reconnaissant que l’Esprit divin a renouvelé l’Église à maintes reprises en dépit des erreurs des papes, des évêques, des théologiens, des prêtres, des hommes et des femmes. " 33

À de rares exceptions près, les évêques n’ont pas critiqué l’encyclique. Pour confirmer la règle, il y eut bien sûr cette variable hiérarchique qu’est l’archevêque Thomas Roberts, jésuite missionnaire à la retraite, qui s’était déjà déclaré en faveur du contrôle des naissances. L’avenir lui paraissait sombre. L’encyclique, pensait-il, aggraverait la crise de l’autorité dans l’Église, sèmerait la confusion parmi les catholiques et entraînerait des défections des prêtres déjà préoccupés par les problèmes de régulation des naissances. Quant aux fidèles, l’évêque retraité de Bombay déclara qu’ils avaient déjà pris leur propre décision concernant la contraception et qu’ils continueraient à le faire. 34 La réaction de l’archevêque Robert était prévisible pour tous ceux qui avaient lu Contraception and Holiness [Contraception et sainteté]. 35

Mise en cause des sources de l’encyclique

La réaction à Humanae Vitae créa une situation incroyable. Le Pape, à titre de Vicaire du Christ et successeur de saint Pierre, n’avait fait que réaffirmer et expliquer une interdiction maintenue depuis longtemps par l’Église catholique sur la contraception, et les dissidents l’accusaient cependant de semer la confusion dans l’Église.

Des amis ont dit qu’il était lui-même calme et soulagé après cette rude épreuve. Il laissait derrière lui les rapports des commissions, les lettres des évêques, les interventions des prix Nobel, les prières des fidèles, et littéralement des années d’études personnelles. Il était peut-être calme et soulagé, mais on peut également imaginer qu’il se préparait à affronter une autre tempête. L’éventualité de cette tempête, son caractère inéluctable même, devait lui apparaître clairement alors qu’il réfléchissait sur sa décision. Il apparaît maintenant à l’évidence que la perspective d’une controverse permanente n’a pas affecté la conclusion douloureuse à laquelle il était parvenu.

Seul un futur historien serait en mesure de relever en détails les étapes suivies par Paul VI dans la rédaction de son encyclique Humanae Vitae. Pour le moment cependant, dans la pensée populaire, il existait au moins deux versions de ce qui s’était passé.

Dans la première, le Souverain Pontife de l’Église catholique romaine, impressionné par les rapports majoritaires de la commission papale et influencé par l’avis de quelques évêques et cardinaux, se dirigeait vers un renversement historique de la position de l’Église sur la régulation des naissances lorsqu’il fut rappelé à l’ordre par les éléments conservateurs du Vatican. Paul VI, dans cette version des faits, était prisonnier de la vieille garde, des vestiges de la bureaucratie papale qui avaient survécu à l’esprit de réforme du récent Concile œcuménique. Le Pape se trouvait à présent enfermé dans une indifférence médiévale envers le monde réel, et ni sa présence à Castel Gondolfo ni sa visite prochaine en Amérique du Sud ne pouvaient masquer le fait qu’il était prisonnier du Vatican. En insistant sur l’autorité de la papauté, il l’avait fait tomber dans le discrédit et peut-être même l’avait-il mise sur le chemin de son déclin et de sa chute.

Il existe une deuxième version, celle que suggérait Mgr Ferdinando Lambruschini, professeur de théologie à l’Université du Latran, à Rome, lorsqu’il présenta l’encyclique à la presse au matin du 29 juillet 1968. Le Pape, dit Mgr Lambruschini, avait fait preuve d’un grand courage. 36 En dépit de pressions terribles, malgré la possibilité d’un défi ouvert, d’une désaffection et même d’un schisme, il avait maintenu la position traditionnelle de l’Église sur la nature du mariage, position réitérée par le récent Concile œcuménique. Le Pape avait maintenu sa position; il ne pouvait rien faire d’autre.

Quelle que soit la version que nous acceptions, le Pape avait parlé et la position de l’Église catholique romaine sur la contraception artificielle était une fois de plus claire et sans équivoque.

Mais l’était-elle vraiment ? Certes, le Pape avait parlé, mais qu’elle était précisément la force de sa lettre ?

Les théologiens contestent l’autorité de l’encyclique

Mgr Lambruschini, un membre de la commission formée par le Pape, semblait se donner beaucoup de peine pour assurer que l’enseignement d’ Humanae Vitae " n’était pas irréformable ". 37 Il faisait remarquer que l’encyclique ne devait pas être considérée comme une déclaration infaillible; elle était néanmoins une déclaration de l’autorité enseignante de l’Église et les catholiques devaient lui accorder leur " plein et loyal assentiment ". 38 Cependant, selon Mgr Lambruschini, l’encyclique ne mettait pas un terme à la discussion théologique du sujet de la régulation des naissances, même si elle " ne laissait pas la question de la régulation des naissances dans un état de vague incertitude ". 39

Mgr Lambruschini parlait évidemment de subtilités théologiques que seuls des professionnels pouvaient être en mesure de saisir. Humanae Vitae maintenait que la contraception artificielle était opposée à la loi divine parce que contraire à la nature du mariage et à l’amour conjugal. En un mot, elle affirmait que la contraception était une violation de la loi naturelle. Dans ce cas, comment pouvait-on considérer le jugement réformable ?

La confusion augmente parmi les laïcs

Dans les jours qui ont suivi, les catholiques se demandaient, perplexes, comment une chose qui était maintenant moralement mauvaise pouvait à l’avenir devenir moralement bonne.

La contraception n’appartenait certainement pas à la même classe que l’ancienne interdiction de manger de la viande le vendredi. Chacun savait que si tout catholique avait l’obligation de faire pénitence, faire abstinence de viande un certain jour de la semaine était simplement une loi de l’Église qui pouvait être – et qui a été – abrogée. L’Église allait-elle dire aux futures générations de catholiques que la contraception artificielle était licite ?

De toute façon, sur le plan pratique, devait-il jamais exister un doute parmi les catholiques sur la position de leur Église concernant la contraception artificielle ? Le Pape Paul VI ne réaffirmait-il pas simplement la position traditionnelle en décidant qu’il n’existait pas de bonnes raisons de changer de position ?

En fait, c’était uniquement au niveau de la pratique que résidait la difficulté.

Rares étaient les laïcs catholiques qui avaient personnellement étudié le raisonnement derrière l’interdiction de la contraception artificielle par l’Église. Dans le passé, qu’ils l’aient ou non observée, ils avaient accepté l’interdiction comme un des éléments faisant partie de leur croyance, un signe qui les distinguaient de tant d’autres de leurs semblables. Au cours des années qui ont précédé Humanae Vitae, cependant, de nombreux catholiques avaient entendu des voix autres que celle de l’Église qui tenaient un tout autre discours. L’interdiction était considérée comme sujette au doute et à la discussion. Les catholiques ont entendu dire que la question serait examinée au deuxième Concile du Vatican. Une commission spéciale avait été formée par le Pape. Le Pape lui-même allait bientôt annoncer un changement.

Entre-temps, bien des couples catholiques entendaient de leurs confesseurs qu’ils pouvaient licitement, en bonne conscience, en prévision du changement, utiliser des moyens contraceptifs. Ces confesseurs se basaient sur l’opinion de théologiens (tous les confesseurs ne sont pas théologiens, et vice versa). Si nuancée qu’aient pu être les discussions parmi les théologiens, l’avis parvenu jusqu’aux couples mariés avant Humanae Vitae était qu’ils pouvaient eux-mêmes décider de cette question en prévision de la décision à venir. Il n’est guère surprenant qu’ils furent nombreux à utiliser des moyens contraceptifs, habituellement la pilule.

Il est important ici de bien saisir ce qui était jeu si l’on veut comprendre le dilemme auquel les couples faisaient face. Avant la venue d’ Humanae Vitae, de nouveaux avis avaient remplacé ceux d’avant; et les nouveaux avis étaient acceptés d’une manière assez semblable aux anciens. Le prêtre avait dit que la position de l’Église était la suivante, et les catholiques l’avaient tout simplement acceptée. Les théologiens leur affirmaient autrefois que la régulation des naissances était un péché mortel; à présent, avant Humanae Vitae, un grand nombre de théologiens leur disaient que ce ne l’était pas, que c’était une question de décision personnelle. Ce jugement était transmis aux fidèles dans les confessionnaux, par les journaux et dans les conversations, et la pratique d’un grand nombre de catholiques subit un changement dramatique.

L’apparition d’ Humanae Vitae a placé ces couples mariés dans la position difficile d’entendre que l’avis qui leur avait été donné était mauvais. Ils ne pouvaient pas continuer à utiliser la pilule ni aucun autre moyen contraceptif. Et les prêtres durent en informer leurs paroissiens. À la conférence de presse du Vatican, le 29 juillet, Mgr Lambruschini déclarait : " Tous ceux qui au cours des récentes années ont imprudemment enseigné qu’il était licite d’utiliser des pratiques artificielles pour la régulation des naissances et ont agi en conséquence dans leur conduite pastorale et dans le ministère de la confession doivent changer leur attitude. " 40 Cette remarque ne visait pas un prêtre ici et là. L’archidiocèse de Munich avait, quelque temps auparavant, publié des instructions officielles à ses prêtres disant qu’un couple catholique qui, " en vertu de leur responsabilité chrétienne mutuelle, ayant en vue le bien-être véritable de l’enfant, en vient à penser qu’il ne peut éviter une conduite contraceptive, ne doit pas être imprudemment accusé d’abuser du mariage. " 41 L’archevêque de Munich, le cardinal Doepfner lui-même, était maintenant placé dans une position plutôt difficile.

Chapitre III

À qui appartient l’Église, de toute façon ?

Il est douteux qu’en ce matin de juillet 1968, les couples catholiques qui avaient utilisé la pilule se préoccupaient des difficultés rencontrées par des cardinaux comme Mgr Doepfner. Ils se demandaient plutôt s’ils avaient été induits par leurs prêtres à adopter des pratiques conjugales qu’ils devaient maintenant abandonner. La tentation pour ces couples de se rebeller contre l’Église était compréhensible, mais elle fut rapidement éclipsée par une rébellion publique dans le clergé.

Tout au long de la journée du 29 juillet, date à laquelle l’encyclique de Paul VI fut rendue publique, il devint évident qu’ Humanae Vitae rencontrait une résistance cléricale massive. On la traitait partout avec mépris et dédain. Bien avant d’avoir pu lire l’encyclique, théologiens, sociologues et journalistes catholiques se dissociaient du compte rendu de son enseignement. Le père Robert Johann, s.j., confiait au New York Times, " J’espère, je crois, que les catholiques cultivés ne tiendront pas compte de ce document ". 42

Le père Charles Curran, professeur agrégé de théologie à l’Université catholique d’Amérique, mena une campagne de signatures pour la publication d’une déclaration concernant l’encyclique. La première publication réunissait quatre-vingt-sept signatures. Dans les jours qui ont suivi, le nombre de ceux qui désiraient se joindre au refus du père Curran d’accepter Humanae Vitae devait augmenter pour dépasser les deux cents.

Publié dans le New York Times le 30 juillet 1968 sous la signature de plus deux cents théologiens, la déclaration Curran est un document essentiel pour quiconque espère découvrir ce qui a mal tourné avec Vatican II  :

Comme théologiens catholiques romains, nous reconnaissons respectueusement une fonction distincte de Magistère hiérarchique [fonction d’enseignement] dans l’Église du Christ. En même temps, la Tradition chrétienne assigne aux théologiens la responsabilité particulière d’évaluer et d’interpréter les proclamations du Magistère à la lumière de l’ensemble des données théologiques opératives pour chaque question ou déclaration. Nous présentons ces premiers commentaires à propos de l’encyclique du Pape Paul VI sur la régulation des naissances.

L’encyclique n’est pas un enseignement infaillible. L’histoire montre qu’un grand nombre de déclarations revêtues d’une autorité d’importance égale et même plus grande se sont avérées par suite inadéquates ou même erronées. Par le passé, des déclarations autorisées sur la liberté religieuse, le prêt à intérêt, le droit au silence et les fins du mariage ont toutes été subséquemment corrigées.

L’encyclique de Paul VI exprime de nombreuses valeurs positives sur le mariage. Nous désapprouvons cependant l’ecclésiologie implicite et la méthodologie utilisée par Paul VI dans la rédaction et la promulgation de ce document. Elles sont incompatibles avec une authentique prise de conscience de l’Église telle qu’exprimée et suggérée par les actes du deuxième Concile du Vatican lui-même.

L’encyclique présume continuellement que l’Église s’identifie à la fonction hiérarchique. On n’accorde aucune importance réelle au témoignage de la vie de l’Église dans sa totalité; on néglige le témoignage particulier de nombreux couples catholiques.

L’encyclique ne reconnaît pas le témoignage des églises chrétiennes séparées et des communautés ecclésiales; elle est insensible au témoignage de nombreux hommes de bonne volonté; elle n’accorde pas suffisamment d’attention au sens éthique de la science moderne.

De plus, l’encyclique révèle une notion étroite et positiviste de l’autorité papale, illustrée par le rejet du point de vue majoritaire présenté par la commission établie pour examiner la question ainsi que par le rejet des conclusions d’une grande partie de la communauté théologique catholique internationale.

Nous désapprouvons également certaines des conclusions éthiques particulières que contient l’encyclique. Elles se fondent sur un concept inadéquat de la loi naturelle : on ne tient pas compte des formes multiples de la théorie de la loi naturelle ni du fait que des philosophes compétents en viennent à des conclusions différentes concernant cette question elle-même.

Même le rapport minoritaire de la commission papale a noté une grave difficulté en essayant de présenter une preuve concluante de l’immoralité de la contraception artificielle fondée sur la loi naturelle. Les autres faiblesses comprennent : une insistance exagérée sur les aspects biologiques des relations conjugales comme éthiquement normatifs; une attention excessive accordée aux actes sexuels et à la fonction du sexe considérée en elle-même indépendamment de la personne et du couple; une vision mondiale statique qui minimise le caractère historique et évolutionniste de l’humanité dans son existence finie, tel que décrit dans la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, de Vatican II; des suppositions injustifiées sur les conséquences néfastes des méthodes de régulation artificielle des naissances; de l’indifférence face à l'affirmation de Vatican II qu’une abstinence sexuelle prolongée peut mettre la fidélité en péril et ruiner la dualité de son utilité; une indifférence quasi totale pour la dignité de millions d’êtres humains mis au monde sans la moindre possibilité d’être nourris et éduqués de façon décente.

En réalité, cette encyclique ne témoigne d’aucun développement au-delà de l’enseignement de Pie XI dans Casti Connubii, dont les conclusions ont été mises en doute pour des raisons graves et sérieuses. Ces raisons, dont la voix a été étouffée à Vatican II, n’ont pas été traitées adéquatement par la simple répétition de l’enseignement du passé.

Chacun sait que l’Église enseigne que les catholiques peuvent se dissocier des enseignements autorisés, non infaillibles du Magistère, lorsqu’il existe pour cela des raisons suffisantes.

Par conséquent, à titre de théologiens catholiques romains, conscients de nos devoirs et de nos limites, nous en concluons que les époux peuvent décider de façon responsable en accord avec leur conscience que la contraception artificielle est permise en certaines circonstances et certainement nécessaire pour préserver et favoriser les valeurs et le caractère sacré du mariage.

C’est également notre conviction qu’un véritable engagement envers le mystère du Christ et de l’Église exige en ce moment de tous les théologiens catholiques qu’ils expriment franchement leur avis. 43

Ce document est absolument exceptionnel. Il est permis de dire que si un débutant en théologie recevait ce genre d’appréciation sur sa copie d’examen, il se dirigerait vers un autre domaine. De l’avis des professeurs, le Pape avait échoué en théologie.

Et pourtant, en dépit de sa précipitation et de son olympienne condescendance, cette déclaration montre clairement que le contenu réel d’ Humanae Vitae était d’une importance secondaire aux yeux des signataires. Leur véritable objectif était la papauté ; tout le poids de leurs remarques portait en réalité sur le lieu de l’autorité dans l’Église, en fait sur la nature même de l’Église .

La question centrale : Qu’est-ce que l’Église ?

En réagissant de cette manière à Humanae Vitae, les théologiens dissidents adoptaient un point de vue nouveau sur la fonction enseignante de l’Église : le rôle du Pape est de promulguer et de sanctionner le consensus des croyants. On trouvera ce consensus, nous suggèrent les théologiens, dans le rapport majoritaire de la commission papale, dans le témoignage spécial de nombreux couples catholiques et dans la communauté théologique catholique internationale.

Le Pape a agi naturellement en fonction d’un autre point de vue qui déclare que l’autorité du Saint-Père ne vient pas, comme le suggère les théologiens dissidents, du consensus des fidèles, ni même en un sens plus restreint, du consensus des évêques. Au contraire, l’autorité passe du Pape aux évêques et ensuite, en certains cas, aux fidèles. Tel est la conception de l’Église que nous trouvons dans Lumen Gentium, la Constitution dogmatique sur l’Église, un document de Vatican II qui tient également son autorité du fait qu’il a été promulgué par le Pape :

Le Collège ou corps épiscopal n'a cependant d'autorité que si on le conçoit comme uni à son chef le Pontife romain, successeur de Pierre, lequel conserve intégralement sa primauté sur tous, tant pasteurs que fidèles. En effet, le Pontife romain, en vertu de son office qui est celui de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l'Église, a sur celle-ci un pouvoir plénier, suprême et universel, qu'il peut toujours exercer en toute liberté. 44

À la lumière de cette ecclésiologie clairement exprimée dans les documents de Vatican II, il semble irréfléchi de la par des théologiens dissidents de vouloir mettre en doute l’ecclésiologie du Pape en citant Vatican II pour justifier leur dissidence.

Naturellement, ils pourraient vouloir comparer le passage ci-dessus avec d’autres tirés des actes du Concile, et cela pourrait donner lieu à une intéressante discussion théologique. Mais quel pourrait être l’intérêt d’un tel débat de spécialistes pour les fidèles ?

Au cours de l’agitation qui suivit l’apparition de la nouvelle encyclique, il est douteux que les catholiques se soient précipités en grand nombre pour consulter les documents de Vatican II afin de déterminer quelle ecclésiologie était la bonne : celle du Pape ou celle des théologiens dissidents. Il est également improbable, bien sûr, que beaucoup aient lu la déclaration des théologiens dissidents. Et disons aussi qu’il est même peu probable que beaucoup de catholiques aient lu l’encyclique Humanae Vitae elle-même.

Ce que savaient surtout la plupart des catholiques, c’est que le Pape avait réaffirmé l’interdiction par l’Église de la régulation des naissances et qu’un nombre croissant de théologiens catholiques lui contestaient le droit de le faire. Toutes subtilités mises à part, ces théologiens affirmaient qu’on pouvait être aussi catholique que le Pape – en fait, ils disaient qu’on pouvait être plus catholique que le Pape en refusant de suivre le Pape . Ils ont créé l’impression qu’un rejet de l’autorité enseignante suprême de l’Église catholique romaine n’avait pas logiquement pour conséquence que l’on doive quitter l’Église. Qui plus est, ils ont tenté de redéfinir la nature de l’Église que telle sorte que c’était le Pape qui paraissait déphasé.

Les théologiens dissidents en appelaient au consensus des membres de l’Église, mais la grande majorité des fidèles et même de nombreux prêtres étaient pris entre deux affirmations contradictoires d’autorité. On leur demandait de choisir entre deux ecclésiologies incompatibles et de répondre aux questions fondamentales suivantes : L’Église est-elle simplement la somme de ses membres ? Est-ce l’ensemble des croyants qui constitue la source de la doctrine de l’Église ? La foi catholique est-elle simplement ce que croient la majorité des catholiques, de sorte que le rôle des évêques et du Pape consiste à sanctionner et à exprimer ce consensus ? Ou la doctrine catholique est-elle essentiellement enseignée par les évêques en union avec le Pape de sorte que la pratique et les opinions d’un grand nombre, et même en théorie de la plupart des catholiques, pourraient être en conflit avec cette doctrine ?

Il serait bizarre d’imaginer qu’un quorum du peuple de Dieu avait réfléchi à la question pour en arriver à l’ecclésiologie épousée par les signataires de la déclaration Curran. Il est particulièrement douteux que les catholiques partageaient la vision exprimée dans cette déclaration du rôle de Magistère joué par les théologiens.

Ces théologiens dissidents exhortaient les laïcs à suivre leur conscience. Mais à moins que ce conseil n’eût simplement voulu dire qu’ils devaient faire ce qui leur plaisait, les laïcs faisaient maintenant face à une crise de conscience bien différente de celle qu’avait prévue les théologiens .

Ces théologiens présumaient clairement qu’ils exprimaient le consensus général des catholiques auxquels la voix du Pape parvenait comme étrangère et importune. Le fait est, naturellement, que des bancs de l’église les catholiques ont entendu une cacophonie de voix discordantes et le problème de conscience le plus aigu qu’ils eurent à résoudre fut de décider à quelle voix ils se rendraient.

La plupart des évêques appuient le Pape en 1968

Aux États-Unis, les évêques prirent bientôt le parti du Pape. Leur déclaration fut rendue publique le 31 juillet par l’archevêque John F. Deardon de Détroit, président de la Conférence nationale des évêques catholiques :

La caractère sacré du mariage chrétien le rend particulièrement cher à l’Église. Sa dignité doit être préservée et ses responsabilités remplies. La récente encyclique du Pape Paul VI traduit cette préoccupation.

Le Saint-Père, parlant au nom de l’enseignant suprême de l’Église, a réaffirmé les principes à suivre pour former la conscience chrétienne des personnes mariées dans la poursuite de leurs responsabilités.

Reconnaissant son rôle unique dans l’Église universelle, nous, les évêques de l’Église des États-Unis, nous unissons à lui pour en appeler aux prêtres et au peuple afin qu’ils reçoivent avec sincérité ce qu’il a enseigné, qu’ils l’étudient avec soin et forment leur conscience à cette lumière.

Nous sommes conscients des difficultés que cet enseignement fait reposer sur un grand nombre de personnes mariées consciencieuses dans notre peuple, mais nous devons faire face à la réalité voulant que s’efforcer de vivre la parole de Dieu entraîne souvent des sacrifices.

Confiants dans la fermeté de leur foi, dans leur loyauté envers le Saint-Père et sa fonction, et dans leur recours à l’aide divine, nous leur demandons de répondre en vrais chrétiens à cet enseignement. 45

La situation devenait évidemment électrique. Les évêques américains ont adopté un point de vue sur la question tout à fait différent de celui des théologiens dissidents qui avaient signé la déclaration. Et pourtant, curieusement, plusieurs théologiens ont affirmé avoir trouvé dans la déclaration des évêques un appui à leur propre protestation.

C’est pourquoi Mgr Joseph Bernardin, secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques, a cherché à clarifier la situation. L’évêque Bernardin, affirmant que l’intention des évêques dans la déclaration était claire, ajouta que les évêques " n’avaient nullement l’intention de laisser entendre qu’il existait une divergence quelconque entre leur déclaration et l’enseignement du Saint-Père. Il est vrai que les fidèles doivent former leur propre conscience, mais il est également vrai qu’il ont la responsabilité de se former une conscience droite. " 46

L’évêque Bernardin a poursuivi en citant ce passage de Lumen Gentium  :

Les évêques quand ils enseignent en communion avec le Pontife romain, doivent être respectés par tous comme les témoins de la vérité divine catholique; et les fidèles doivent accepter l'avis donné par leur évêque au nom de Jésus-Christ en matière de foi et de morale, et y adhérer avec un respect religieux. Mais cette soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence, on doit tout particulièrement l'offrir au magistère authentique du Pontife romain, même quand il ne parle pas ex cathedra, de telle sorte que son suprême magistère soit respectueusement accepté et qu'avec sincérité l'on adhère aux décisions qui émanent de lui, selon sa propre pensée et sa volonté manifeste; et celles-ci se manifestent spécialement soit par la nature des documents, soit par de fréquents retours sur la même doctrine, soit dans la manière même de parler. 47

Le dimanche 4 août, dans des messages lus dans chaque paroisse, la plupart des évêques ont ajouté leur déclaration personnelle d’accord avec le Pape et de loyauté envers lui. On avait prédit que les catholiques informés ne tiendraient pas compte d’ Humanae Vitae; ces déclarations fermes en faveur du Vatican ont rendu ces prédictions improbables. Le catholique moyen ne trouverait nulle part un appui pour la fonction d’enseignement que les théologiens dissidents s’étaient arrogée, une fonction qui contournait apparemment celle du Pape et de la hiérarchie.

Les laïcs se retrouvent pris au milieu

Il restait naturellement la possibilité que de nombreux couples catholiques, informés ou non informés, se trouveraient incapables d’accepter en pratique la position de l’Église. Cela était sans doute vrai, comme ce fut toujours le cas.

Le Pape avait prévu cette incapacité dans son encyclique et le cardinal John Heenan de Westminster avait exhorté les fidèles qui ne respectaient pas l’interdiction à ne pas désespérer, à continuer de fréquenter les Sacrements et à prier pour avoir la force de faire ce qui était bien. 48 Il est toujours difficile de faire ce qui est bien, particulièrement en matière de sexualité, mais l’appel du Pape à la compréhension et à la miséricorde était quelque chose de nouveau.

La faiblesse morale est une chose. Le défi des théologiens dissidents se situait à un niveau plus élevé. Ils contestaient la règle même de bonne conduite dans le domaine des relations conjugales. Ils affirmaient prévoir des situations dans lesquelles un couple marié serait obligé en conscience d’employer des moyens qui, selon l’enseignement du Pape et des évêques, étaient en eux-mêmes moralement interdits. Et les théologiens ne parlaient pas comme s’il s’agissait de cas rares et exceptionnels; ils parlaient comme si c’était la règle.

Il est clair qu’une crise était en préparation. Beaucoup de théologiens et de prêtres se séparaient d’un clair consensus parmi ceux chez qui réside la fonction enseignante de l’Église. En agissant ainsi, ils invoquaient contre la hiérarchie ce qu’ils considéraient être une majorité de laïcs. Ils assuraient ces laïcs qu’ils pouvaient continuer à employer des moyens artificiels de contraception, qu’ils pourraient même être obligés de le faire, mais que, de toute façon, c’était à eux de prendre cette décision.

Imaginez dans quelle situation difficile se trouvaient les fidèles. Malgré la rapidité avec laquelle certains laïcs se sont, sans aucune formation ni autorité, attribué le titre de théologien, fort peu de catholiques se considéraient en mesure de se prononcer sur les différences entre la substance d’ Humanae Vitae et celle de la déclaration des théologiens. Ces derniers, pour les flatter, avaient tendance à s’adresser aux laïcs comme à des gens informés, éduqués, matures, etc.

Mais c’était clairement une situation intolérable pour le simple fidèle qui devait choisir entre le Pape et les évêques d’une part, et les théologiens et les journalistes d’autre part qui leur disaient de ne pas s’occuper du Pape et des évêques. Le père Norris Clarke, s.j., professeur de philosophie à l’Université Fordham et président de l’American Catholic Philosophical Association, a déclaré qu’une telle dissidence ouverte après une encyclique était un phénomène unique dans l’histoire de l’Église.

Pas étonnant que beaucoup se soient posé la question : " Combien de temps cela peut-il encore durer ? "

Le chœur des dissidents prend de l’ampleur

Mais d’autres voix dissidentes se firent bientôt entendre. À l’Université Marquette de Milwaukee, le père Bernard Cooke a publié une déclaration signée par treize autres membres du département de théologie. Ils y admettaient que l’encyclique du Pape faisait autorité en ce qui concerne l’immoralité de la contraception artificielle et qu’elle devait être prise au sérieux par les catholiques. Cependant, ajoutaient-ils, Humanae Vitae n’exclut pas leur droit à " former de façon responsable leur conscience sur la question ". 49

Comme l’avait fait Mgr Lambruschini, ce groupe affirma que l’encyclique était " authentique " mais non " infaillible ". Le groupe de Marquette était cependant d’avis que la situation de doute pratique au sujet de l’immoralité de la contraception artificielle existait toujours parce que le Pape n’avait pas traité les points soulevés contre l’ancienne doctrine. Ils écrivaient : " Étant donné que la théologie catholique a toujours enseigné qu’une obligation grave ne peut jamais être imposée à la conscience chrétienne à moins que l’obligation elle-même ne soit absolument certaine, l’encyclique du Pape n’a pas modifié de façon décisive la situation de doute pratique. " Assurément, l’encyclique " introduit un élément nouveau important – son [le Pape] jugement d’autorité sur les questions en cause ". Néanmoins, nous sommes réellement dans la même position où nous étions avant la publication de l’encyclique. " Les confesseurs, les prédicateurs ou les enseignants ne peuvent non plus aller légitimement au-delà du Pape et tenter d’imposer une obligation que sa propre encyclique, de par sa nature même, ne peut pas imposer. " 50

Il devait sembler au catholique moyen qu’un autre groupe de théologiens se mettaient en opposition au Pape et aux évêques. Ils ont même publié à l’intention des confesseurs et des prédicateurs des instructions différentes de celles données par les évêques.

Sans discuter de questions d’ecclésiologie, le groupe Marquette, comme ceux qui ont signé la déclaration Curran, avait une vision de l’autorité enseignante des théologiens qui semblait la rendre indépendante des fonctions du Pape et de l’épiscopat. Le fidèle ordinaire pouvait bien être pardonné si l’avis du groupe Marquette le plongeait dans la confusion. En quoi pouvait consister une " considération sérieuse " d’ Humanae Vitae si l’encyclique avait le peu d’importance que ces hommes lui attribuaient ? De plus, ils laissaient fort peu de doute quant au résultat de cette sérieuse considération.

La déclaration la plus franche fut celle de Mgr George Schlichte, recteur du Séminaire Jean XXIII à Weston, Massachusetts. Le recteur et sept membres du corps professoral ont rejeté l’encyclique Humanae Vitae qu’ils ont trouvée " extrêmement décevante à une époque où les catholiques romains font l’expérience d’un sens nouveau de maturité chrétienne ". 51

Ils poursuivaient en épousant de façon explicite ce que la déclaration Curran laissait entendre à mots couverts :

L’Esprit Saint est présent premièrement dans la communauté du peuple de Dieu, et ceux qui ne reflètent pas le consensus de cette communauté font tort à l’efficacité de la mission de l’Église. La déclaration est l’expression d’un point de vue minoritaire contraire au consensus du congrès laïc international de Rome, à l’opinion presque unanime des théologiens, et elle est en désaccord avec le rapport majoritaire de la commission papale sur la régulation des naissances. Cela peut paraître une expérience humiliante pour l’ensemble de l’Église catholique romaine, mais il peut en émerger un mode de leadership plus authentique, plus sensible à l’esprit de Dieu, et plus dédié à une formation chrétienne responsable. 52

Une fois de plus, le Pape avait échoué en théologie. De plus, il humiliait l’Église et faisait tort à l’efficacité de la mission de l’Église.

" Un catholique est un papiste "

Voilà qui était sérieux. L’atmosphère devenait chargée. La remarque de Samuel Johnson à propos des Irlandais a toujours pu s’appliquer aux théologiens : " Ce sont de braves gens; mais ils ne disent jamais de bien les uns des autres. " Il est cependant quelque peu inhabituel, même pour des théologiens, de dire que le Pape, dans un document solennel et dans lequel il est après tout sur ce point en parfait accord avec ses prédécesseurs et la Tradition catholique tout entière, faisait obstacle à la mission de l’Église. On s’attendait à voir voler les accusations d’hérésie et c’est assurément ce qui arriva bientôt.

Empruntant l’expression à l’arène politique, America , l’hebdomadaire jésuite, avait déjà recommandé de ne pas faire d’ Humanae Vitae un " test de loyauté ". Ses rédacteurs affirmaient que la question la plus sérieuse soulevée par la nouvelle encyclique n’était pas la contraception artificielle mais l’exercice de l’autorité enseignante de l’Église. " Pour notre part, nous ne doutons pas que la tradition justifie pleinement le droit du Pape et des évêques de parler de vie familiale et d’amour conjugal. Bien plus, la tradition établit que tous les catholiques ont le devoir de les écouter. " 53

Dans un débat organisé par la Washington Lay Association, la question s’est rapidement posée de savoir si, ayant écouté, les catholiques avaient le droit de ne pas être d’accord. Au cours du débat, L. Brent Bozell, directeur du magazine Triumph, affirma que tout catholique qui n’accepte pas l’encyclique renie le Pape, renie l’Église, et renie le Christ, parce que ce n’est pas tant la vérité qu’il renie que l’autorité. Les catholiques ont l’obligation d’accepter. Il dit que ceux qui s’intitulent théologiens mais n’acceptent pas l’encyclique ne devraient pas se considérer capables de discussions théologiques sérieuses.

En réponse, l’adversaire de Bozell, un jésuite, dit qu’il ne connaissait aucun manuel de théologie, ancien ou nouveau, qui affirmerait que lorsque le Pape ne parle pas avec infaillibilité les catholiques doivent accorder leur assentiment intérieur s’ils ont de sérieuses raisons de ne pas le faire.

Comme le faisait clairement voir sa dernière déclaration, Bozell se montrait sévère pour de tels prêtres :

Ces prêtres qui refusent d’accepter et de fidèlement mettre en application dans leur activité pastorale l’encyclique de Paul VI sur la régulation des naissances devraient quitter l’Église. Toute personne qui refuse de se soumettre à un enseignement d’autorité du Souverain pontife sur une question de Foi ou de morale, est schismatique; et la simple honnêteté, grandement louée dans les temps présents, lui impose de reconnaître l’état de schisme.

Tout prêtre dont la raison n’est pas persuadée par l’enseignement du Pape devrait prier avec ferveur pour être du nombre de ceux que le Christ a loués " parce qu’ils ont cru sans avoir vu " (Jn 20.29). S’il ne veulent pas faire cela, ils devraient cesser de prétendre représenter l’Église catholique. Autrement, ils seront personnellement responsables d’avoir élargi le schisme et augmenté le scandale. 54

Ce sont des paroles dures. Mais Bozell n’était pas seul. Son collègue du magazine Triumph, Michael Lawrence, fut également sévère au cours du débat de Washington. Lawrence déclara que ceux qui refusent à l’Église le droit d’enseigner sur des questions de morale ne sont tout simplement pas catholiques romains. De plus, ceux qui disent qu’ Humanae Vitae devrait être prise au sérieux, mais qui mettraient en parallèle l’enseignement du Pape et leur propre conscience personnelle, ont une conception " protestante " de la conscience.  " Un catholique n’a pas une conscience libre. " 55

En d’autres termes, si l’on peut naturellement choisir d’être ou non catholique, on n’est pas libre d’être un catholique qui rejette ce que l’Église enseigne. Faire cela, c’est cesser d’être catholique.

Germain Grisez, professeur de philosophie à l’Université Georgetown et auteur du livre Contraception and the Natural Law, l’expliquait ainsi :

Ce qui et particulier avec les catholiques c’est que nous sommes papistes. Je crois que la décision est indubitablement difficile à prendre, et bien des gens auront à décider si oui ou non ils veulent être papistes, c’est-à-dire catholiques. Si l’on est catholique, on est papiste. Et si l’on est papiste, alors on ne peut pas dire, " Rome a parlé, mais la cause continue. " Il faut dire, " Rome a parlé, la cause est jugée ". 56

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