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Un pape d’Afrique noire
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Le 25 avril 2015 -
(E.S.M.)
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Il serait le premier de l’Histoire. Et ce pourrait être le prochain.
Un nom: Robert Sarah. Auteur d’un livre révélation.
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Le cardinal Robert
Sarah
Un pape d’Afrique noire
par Sandro Magister
Le 25 avril 2015 - E.
S. M. -
C’est lui-même qui l’a dit, avec candeur : "J’ai la sensation que Dieu m’a
mis à cette place pour peu de temps". Quatre ou cinq ans, ou même moins.
Il est naturel que cette confidence du pape François ait relancé les
conjectures à propos de celui qui lui succédera.
Et un nom a immédiatement pris la première place dans les classements
élaborés par les parieurs et par les experts : celui du cardinal qui a été
surnommé "le pape François d'Asie", Luis Antonio Gokim Tagle, un Philippin
de mère chinoise, âgé de 56 ans. Un homme qui se déplace en autobus, qui
accueille les clochards dans sa cathédrale, qui ne condamne pas mais
embrasse, et qui a par ailleurs fait des études de théologie aux États-Unis
avec des professeurs "liberal" renommés. C’est son visage joyeux que l’on a
pu voir à côté de François au cours du voyage triomphal que celui-ci a
effectué aux Philippines au mois de janvier dernier.
Mais bien peu de gens ont remarqué que, lors de ce voyage, François avait
emmené avec lui, de Rome, un autre cardinal, qui s’était déjà rendu dans
l’archipel philippin après le raz-de-marée de 2013 pour y apporter "la
charité du pape", en sa qualité de président de "Cor unum".
C’est un Africain nommé Robert Sarah, originaire de Guinée et âgé de 70 ans.
Il était inconnu de la plupart des gens avant que son livre-interview, qui a
été publié en France il y a un mois, ne permette de découvrir son étonnante
personnalité. Au mois de novembre dernier, François lui a accordé une
promotion surprenante en le nommant préfet de la congrégation vaticane pour
le culte divin, une nomination forte dans le cadre de la nouvelle curie qui
devrait naître de la réforme actuellement en cours.
Pour l’Église, c’est maintenant le temps de l'Afrique, à la fois continent
de convertis - elle comptait 2 millions de catholiques en 1900 et ils sont
200 millions aujourd’hui - et terre de martyrs, qu’ils soient égorgés comme
des agneaux sur les bords de la Méditerranée ou massacrés sur un campus
d’université au Kenya. C’est aussi de cela qu’est faite la biographie de
Sarah.
Il naît dans un village au cœur de la savane, dans une famille dont la
conversion est toute récente. À l’âge de 12 ans, il est circoncis et initié
à la vie adulte dans la forêt. Il fait ses études pour devenir prêtre et il
est ordonné, alors que la Guinée, son pays, subit le régime sanguinaire du
marxiste Sekou Touré, et que l’évêque de Conakry, la capitale, est
emprisonné et torturé.
Il étudie la théologie à Rome, à l’Université Pontificale Grégorienne et
surtout à l’Institut Biblique Pontifical, dont le recteur est alors Carlo
Maria Martini et où il a Lyonnet, Vanhoye, de la Potterie comme professeurs.
Il passe aussi un an à la prestigieuse École Biblique de Jérusalem.
Ensuite il regagne la Guinée, son pays, et y devient un humble curé de
paroisse, qui se déplace à pied dans la savane pour rencontrer ses fidèles
jusqu’au dernier, parmi une population qui est majoritairement musulmane.
Jusqu’au jour où, en 1978, Paul VI le nomme évêque alors qu’il a 33 ans, ce
qui fait de lui le plus jeune évêque du monde. Et il lui confie le diocèse
de Conakry, mais Sékou Touré se montre de plus en plus féroce envers ce
nouveau pasteur qui est un défenseur indomptable de la foi. Après la mort
imprévue du tyran, en 1984, on découvrira que Sarah figurait à la première
place sur la liste des ennemis à éliminer.
Jean-Paul II le fait venir à Rome en 2001 et le nomme secrétaire de la
congrégation pour l'Évangélisation des peuples ; à ce poste il s’occupe des
diocèses – il y en a plus de mille - des pays de mission. Et lorsque le
préfet de cette congrégation tombe malade, Sarah devient, à partir de 2008,
le numéro 1 effectif de Propaganda Fide. Cela le met en contact personnel
avec Benoît XVI qui, en 2010, le nomme cardinal et président du conseil
pontifical "Cor unum".
Sarah éprouve une admiration sans bornes pour le pape Joseph Ratzinger. Il a
en commun avec lui l'idée que la priorité absolue, pour l’Église
d’aujourd’hui, c’est de porter Dieu dans le cœur des civilisations, que ce
soit celles où le christianisme, implanté depuis très longtemps, est
aujourd’hui estompé ou renié, ou bien celles qui sont encore païennes.
Cet objectif, Sarah l’attribue aussi au concile Vatican II. Celui-là et pas
un autre, parce que l'éclipse de Dieu est l’abaissement de l’homme. "Dieu ou
rien", c’est le titre de son livre, offre plus de quatre cents pages
fulgurantes de profondeur et de netteté.
La charité envers les laissés-pour-compte du monde doit également révéler
Dieu. Sans rabais. On ne peut pas accepter, dit Sarah, que "pendant que des
chrétiens meurent pour leur fidélité à Jésus, en Occident des hommes
d’Église cherchent à réduire au minimum les exigences de l’Évangile".
Le cardinal Walter Kasper, le premier des grands électeurs de Jorge Mario
Bergoglio, pense déjà à l’avenir et s’inquiète. Lors de sa dernière
interview, il s'est posé cette question : " Le pontificat de François ne
restera-t-il que comme un court interlude dans l’histoire de l’Église ?".
Le livre :
Robert
Sarah avec Nicolas Diat, "Dieu ou rien. Entretien sur la foi", Fayard,
Paris, 2015, 424 pp., 21,90 euros.
MORCEAUX CHOISIS DE "DIEU OU RIEN"
par Robert Sarah
MISÉRICORDE SANS CONVERSION
Désormais, il n'est pas faux de considérer qu'il existe une forme de refus
des dogmes de l'Église, ou une distance croissante entre les hommes, les
fidèles et les dogmes. Sur la question du mariage, il existe un fossé entre
un certain monde et l'Église. La question devient fort simple : le monde
doit-il changer d'attitude ou l'Église sa fidélité à Dieu ? Car si les
fidèles aiment encore l'Église et le pape, mais qu'ils n'appliquent pas sa
doctrine, en ne changeant rien dans leurs vies, même après être venus
écouter le successeur de Pierre à Rome, comment envisager l'avenir ?
Beaucoup de fidèles se réjouissent d'entendre parler de la miséricorde
divine et ils espèrent que la radicalité de l'Évangile pourrait s'assouplir
même en faveur de ceux qui ont fait le choix de vivre en rupture avec
l'amour crucifié de Jésus. Ils estiment qu'à cause de l'infinie bonté du
Seigneur tout est possible, même en décidant de ne rien changer de leur vie.
Pour beaucoup, il est normal que Dieu déverse sur eux sa miséricorde alors
qu'ils demeurent dans le péché. Ils n'imaginent pas que la lumière et les
ténèbres ne peuvent coexister, malgré les multiples rappels de saint Paul :
"Que dire alors ? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la grâce se
multiplie ? Certes non !" […]
Cette confusion demande des réponses rapides. L'Église ne peut plus avancer
comme si la réalité n'existait pas : elle ne peut plus se contenter
d'enthousiasmes éphémères, qui durent l'espace de grandes rencontres ou
d'assemblées liturgiques, si belles et riches soient-elles. Nous ne pourrons
pas longtemps faire l'économie d'une réflexion pratique sur le subjectivisme
en tant que racine de la majeure partie des erreurs actuelles. À quoi
sert-il de savoir que le compte twitter du pape est suivi par des centaines
de milliers de personnes si les hommes ne changent pas concrètement leur vie
? À quoi sert-il d'aligner les chiffres mirifiques des foules qui se
pressent devant les papes si nous ne sommes pas certains que les conversions
sont réelles et profondes ? […]
Face à la vague de subjectivisme qui semble emporter le monde, les hommes
d'Église doivent prendre garde de nier la réalité en s'enivrant d'apparences
et de gloire trompeuses. […] Pour engager un changement radical de la vie
concrète, l'enseignement de Jésus et de l'Église doit atteindre le cœur de
l'homme. Il y a deux millénaires, les apôtres ont suivi le Christ. Ils ont
tout quitté et leur existence n'a plus jamais été la même. Aujourd'hui
encore, le chemin des apôtres est un modèle.
L'Église doit retrouver une vision. Si son enseignement n'est pas compris,
elle ne doit pas craindre de remettre cent fois son ouvrage sur le métier.
Il ne s'agit pas d'amollir les exigences de l'Évangile ou de changer la
doctrine de Jésus et des apôtres pour s'adapter aux modes évanescentes, mais
de nous remettre radicalement en cause sur la manière dont nous-mêmes vivons
l'Évangile de Jésus et présentons le dogme.
*
PERSONNE, PAS MÊME LE PAPE…
François a intitulé un chapitre de son exhortation : "La réalité est plus
importante que l'idée". […] Je pense que le pape souhaite ardemment donner
à l'Église le goût du réel, en ce sens que des chrétiens et même des clercs
peuvent parfois avoir la tentation de se cacher derrière des idées pour
oublier les situations réelles des personnes.
À l'inverse, certains s'inquiètent que cette conception du pape mette en
danger l'intégrité du magistère. Le débat récent sur la problématique des
divorcés et remariés a souvent été porté par ce type de tension.
Pour ma part, je ne crois pas que la pensée du pape soit de mettre en péril
l'intégrité du magistère. En effet, personne, pas même le pape, ne peut
détruire ni changer l'enseignement du Christ. Personne, pas même le pape, ne
peut opposer la pastorale à la doctrine. Ce serait se rebeller contre
Jésus-Christ et son enseignement.
*
UNE NOUVELLE FORME D’HÉRÉSIE
Selon mon expérience, en particulier après vingt-trois années comme
archevêque de Conakry et neuf années comme secrétaire de la congrégation
pour l'évangélisation des peuples, la question des croyants divorcés ou
remariés civilement n'est pas un défi urgent pour les Églises d'Afrique et
d'Asie. Au contraire, il s'agit d'une obsession de certaines Églises
occidentales qui veulent imposer des solutions dites "théologiquement
responsables et pastoralement appropriées", lesquelles contredisent
radicalement l'enseignement de Jésus et du magistère de l'Église. […]
Face à la crise morale, tout particulièrement celle du mariage et de la
famille, l'Église peut contribuer à la recherche de solutions justes et
constructives, mais elle n'a d'autres possibilités que d'y participer en se
référant de façon vigoureuse à ce que la foi en Jésus-Christ apporte de
propre et d'unique à l'entreprise humaine. En ce sens, il n'est pas possible
d'imaginer une quelconque distorsion entre le magistère et la pastorale.
L'idée qui consisterait à placer le magistère dans un bel écrin en le
détachant de la pratique pastorale, qui pourrait évoluer au gré des
circonstances, des modes et des passions, est une forme d'hérésie, une
dangereuse pathologie schizophrène.
J'affirme donc avec solennité que l'Église d'Afrique s'opposera fermement à
toute rébellion contre l'enseignement de Jésus et du magistère. […]
Comment un synode pourrait-il revenir sur l'enseignement constant, unifié et
approfondi du bienheureux Paul VI, de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI ?
Je place ma confiance dans la fidélité de François.
*
LE VRAI SCANDALE, AU SIÈCLE DES MARTYRS
Les martyrs sont le signe que Dieu est vivant et toujours présent parmi
nous. […] Dans la mort cruelle de tant de chrétiens fusillés, crucifiés,
décapités, torturés et brûlés vifs, s'accomplit "le retournement de Dieu
contre lui-même" pour le relèvement et le salut du monde. […]
[Mais] pendant que des chrétiens meurent pour leur foi et leur fidélité à
Jésus, en Occident des hommes d'Église cherchent à réduire au minimum les
exigences de l'Évangile.
Nous allons même jusqu'à utiliser la miséricorde de Dieu, en étouffant la
justice et la vérité, pour "accueillir – selon les termes de la 'Relatio
post disceptationem' du synode sur la famille d'octobre 2014 – les dons et
les qualités que les personnes homosexuelles ont à offrir à la communauté
chrétienne". Ce document poursuivait d'ailleurs en affirmant que "la
question homosexuelle nous appelle à une réflexion sérieuse sur comment
élaborer des chemins réalistes de croissance affective et de maturité
humaine et évangélique en intégrant la dimension sexuelle". En fait le vrai
scandale n'est pas l'existence des pécheurs, car précisément la miséricorde
et le pardon existent toujours pour eux, mais bien la confusion entre le
bien et le mal, opérée par les pasteurs catholiques. Si des hommes consacrés
à Dieu ne sont plus capables de comprendre la radicalité du message de
l'Évangile, en cherchant à l'anesthésier, nous ferons fausse route. Car
voilà le vrai manquement à la miséricorde.
Alors que de centaines de milliers des chrétiens vivent chaque jour avec la
peur au ventre, certains veulent éviter que souffrent les divorcés remariés,
qui se sentiraient discriminés en étant exclus de la communion
sacramentelle. Malgré un état d'adultère permanent, malgré un état de vie
qui témoigne d'un refus d'adhésion à la Parole qui élève ceux qui sont
sacramentalement mariés à être le signe révélateur du mystère pascal du
Christ, quelques théologiens veulent donner accès à la communion
eucharistique aux divorcés remariés. La suppression de cette interdiction de
la communion sacramentelle aux divorcés remariés, qui se sont autorisés
eux-mêmes à passer outre à la Parole du Christ – "Ce que Dieu a uni, l'homme
ne doit pas séparer" – signifierait clairement la négation de
l'indissolubilité du mariage sacramentel. […]
Il existe aujourd'hui une confrontation et une rébellion contre Dieu, une
bataille organisée contre le Christ et son Église. Comment comprendre que
des pasteurs catholiques soumettent au vote la doctrine, la loi de Dieu et
l'enseignement de l'Église sur l'homosexualité, sur le divorce et le
remariage, comme si la Parole de Dieu et le magistère devaient désormais
être sanctionnés, approuvés par le vote de la majorité ?
Les hommes qui édifient et structurent des stratégies pour tuer Dieu,
détruire la doctrine et l'enseignement séculaires de l'Église, seront
eux-mêmes engloutis, charriés par leur propre victoire terrestre dans la
géhenne éternelle.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 25.04.2015 -
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