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Quelle vie défendons-nous?

 

Le 24 novembre  2009  - (E.S.M.) - Les catholiques doivent être capables de transmettre l'amour pour la Vie au sens qu'elle a dans les paroles de Jésus, une Vie qui devient amour pour les créatures souffrantes, et ne pas continuer de répandre et soutenir un concept biologique abstrait qui est étranger à notre tradition, qui nous rend souvent idéologiques et peu crédibles.

Lucetta Scaraffia

Quelle vie défendons-nous?

Lucetta Scaraffia

Le 24 novembre 2009  - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Durant le voyage du Pape Benoît XVI en Afrique, en pleine bataille sur les préservatifs et le sida, dans une vignette humoristique d'un quotidien italien deux personnages se demandaient: "L'Eglise défend la vie?" disait l'un. Et l'autre: "Même celle des virus!". En laissant de côté la malignité de la saynète, il faut admettre que celle-ci posait une question: que veut dire défendre la vie? Quelle est la vie que nous défendons? Qu'est-ce que la vie? Ce sont des questions qu'en général, on ne se pose pas, préférant laisser dans le vague toute la question: c'est précisément pour cela que se révèle extrêmement intéressante la lecture de l'un des derniers essais d'Ivan Illich (La construction institutionnelle d'un nouveau fétiche: la vie humaine in Œuvres complètes, II, 2005) qui affronte de manière directe la question signalant quels sont, selon lui, les dangers que court la culture catholique à défendre ce concept.

Selon Illich, l'Eglise entretient une relation institutionnelle avec une sorte de nouvelle entité appelée "vie" qui est devenue le sujet de nouveaux discours et dont on parle comme de quelque chose de précieux, menacé et rare. Quelque chose qui se prête à une gestion institutionnelle et exige la formation de "spécialistes" toujours nouveaux. Qui utilise cette notion, écrit Illich, oublie qu'elle a une histoire propre à l'Occident, que "l'acceptation d'une vie substantialisée comme réalité divinement conférée se prête à une corruption de la foi chrétienne".

Aujourd'hui, le terme "vie" - regrette Illich - est utilisé à tout propos pour n'importe quoi, on parle de "vie humaine sur la Terre" qui est au centre de la mythologie et des nouvelles sciences écologiques, c'est un nouveau genre de construction sociale que personne n'oserait mettre en question. Elle est susceptible d'être gérée, améliorée et évaluée en terme de ressources disponibles, ce que nous ne ferions jamais en parlant de "personne". Cette "gestion" de la vie a le pouvoir de dessiner des normes de santé, d'éducation, de développement et d'autres idoles modernes - écrit Illich - et l'absence par rapport à ces "valeurs" est vécue comme un besoin qui, à son tour, se traduit en un droit.

Les Eglises, en utilisant leur pouvoir de créer des mythes, nourrissent, consacrent et sanctifient cette notion abstraite de vie humaine qui n'a rien à voir avec la tradition chrétienne. On permet ainsi à cette identité spectrale de remplacer progressivement la notion de "personne" à laquelle est ancré l'humanisme de l'individu occidental. Ce processus de substitution du terme de "personne humaine" par le concept abstrait de "vie", soutient Illich, a commencé lorsque la "main-d'œuvre" est devenu l'objet d'étude, de promotion, d'investissement et d'amélioration, c'est-à-dire lorsque ce concept en soi abstrait a pris l'aspect d'une réalité compacte. Aujourd'hui, les enfants apprennent à penser en termes de "ressources humaines" et non de personnes humaines. Et c'est précisément cette expérience quotidienne d'une existence gérée qui nous conduit à prendre pour réel un monde d'entités imaginaires comme l'éducation universelle, le développement social, le "progrès" des soins de santé, en utilisant des paroles qui suggèrent quelque chose de positif parce que scientifique, moderne, avancé.

Dans ce désert sémantique rempli d'échos confus, nous avons besoin d'un "fétiche prestigieux" qui nous permette de nous présenter comme de nobles défenseurs de valeurs sacrées: par le passé ce fut "la justice sociale, "la paix dans le monde"; aujourd'hui, le nouveau fétiche est "la vie". Il y a les défenseurs de la vie et leurs adversaires, mais en substance c'est la médecine qui gère la vie: c'est ainsi que l'Eglise s'est conquis une nouvelle position sociale qui offre un cadre à ces activités médicales sous les apparences d'un discours éthique.

L'Occident chrétien - écrit Illich - a donné naissance à un nouveau type de condition humaine absolument singulière, qui a muri au sein de ce que Ellul appelle "le régime de la technique", au point d'ouvrir un rôle nouveau aux institutions qui créent des mythes, moralisent, légitiment, c'est-à-dire un nouveau rôle au concept de "vie". Cela ne présente aucune ressemblance avec les idéologies conflictuelles que l'Eglise a affrontées dans la première phase de sécularisation, lorsqu'un Etat ennemi tentait de la rayer de la carte: à présent, on essaie de rendre son rôle superflu avec des pouvoirs qui promeuvent l'assistance, le développement et la justice. Jésus a dit "Je suis la Vie" et non une vie, si bien qu'être simplement vivants, ne signifie pas posséder cette Vie. Du reste, dans Evangelium Vitae, Jean-Paul II dit que "la vie que le Fils de Dieu est venu donner aux hommes ne se réduit pas à la seule existence dans le temps".

En revanche aujourd'hui, le terme - répète Illich - est utilisé pour définir une substance, dont le médecin s'assume toute la responsabilité, que les techniques peuvent prolonger. Mais cette idée de vie, considérée comme une possession, comme une valeur, une ressource nationale, un droit, est une notion exclusivement occidentale, rappelle Illich. Les mouvements chrétiens de défense de la vie ont joué un rôle de premier plan dans la construction sociale de cette idole, parce que, dénonce-t-il, une tentation déplorable menace aujourd'hui les confessions chrétiennes: "Celle de collaborer à la création sociale d'un fétiche qui, dans une perspective théologique, représente le travestissement en idole, de la vie révélée".

Le terme "vie" dans cette conception substantialisée est entré en scène dans les premières années du xix siècle lorsque Lamarck forgea le terme de "biologie" pour définir un nouveau domaine de recherche, la "science de la vie". Après Lamarck la vie n'est plus une question éternelle, mais la trivialisation des explorations de la recherche scientifique pour toute une série de phénomènes comme la reproduction, la physiologie, l'hérédité, l'organisation, l'évolution, etc.

Une nouvelle conscience se crée, qui ne s'inscrit plus dans le domaine de la compréhension de la nature comme vivante, comme matrice dont naissent toutes choses: avec la révolution scientifique s'affirme en effet le modèle mécaniste, qui devient l'unique explication du monde, en opérant ce que Caroline Merchant a défini comme la "mort de la nature". Comment expliquer la présence de formes vivantes dans un cosmos mort? Selon Illich, la réponse à ce problème est la notion de vie substantialisée, qui devient une formule passe-partout pour combler ce vide.

Et c'est précisément à travers cette notion de vie que l'homo oeconomicus, c'est-à-dire celui que le postulat utilitariste considère comme un être défini par les besoins, devient la référence de la réflexion éthique. Le concept de vie tend en effet à vider de contenu la notion juridique de personne - les médecins ne sont plus responsables d'un patient, mais d'une vie - et ce fétiche abstrait nous fait croire, depuis un siècle, que la "préservation de la vie" constituerait une fin suprême de l'action humaine et de l'organisation sociale.

La critique de Illich est forte, mais pas tout à fait nouvelle: sous certains aspects, en effet, Illich reprend un fil de pensée déjà élaboré par Michel Foucault dans les leçons tenues au Collège de France de 1978 à 1979 (Naissance de la biopolitique, 2004). Foucault lui aussi voit à l'origine des changements qui impliquent la vie humaine, le concept de "capital humain", qui ouvre la possibilité de réinterpréter en termes économiques tout un domaine qui jusqu'à aujourd'hui pouvait être considéré de fait comme ne faisant pas partie de la sphère économique, tel que le corps humain. A partir de ce moment-là, en revanche, l'économie assume la tâche d'analyser le comportement humain et sa rationalité. Le capital humain, c'est-à-dire la vie humaine, est composée d'éléments innés et acquis: en théorie, notre patrimoine génétique, l'élément inné, ne coûte rien mais déjà à la fin des années 1970, Foucault prévoyait qu'avec les progrès de la génétique, il pourrait devenir un bien économique.

C'est précisément la rareté, en effet, des bons patrimoines génétiques qui pourrait être objet de contrôle, de filtre, d'amélioration toujours dans le but d'obtenir un capital humain, et donc une qualité de la "vie", plus élevés.

Les intuitions de Foucault ont été confirmées par la réalité actuelle: aujourd'hui les technologies qui concernent la vie (biotechnologies, nano-technologies) constituent un facteur déterminants dans l'économie mondiale. Qui est capable de maîtriser les nouvelles technologies et d'exporter son savoir, possède un avantage dans l'équilibre des forces mondiales.

Mais cette vie transformée en bien économique, sur quelle théorie scientifique se fonde-t-elle? Dans le livre qu'il a consacré au concept de vie, le scientifique André Pichot (Histoire de la notion de vie, 1993), après avoir reparcouru l'histoire de cette notion dans la biologie, en vient à voir son sens ultime dans la biochimie (notamment sous la forme de la "biologie moléculaire") qui a mis en évidence la parfaite identité de la nature de la matière, et des lois qui la gouvernent, chez les êtres vivants et les objets inanimés. Mais réduire la vie à des formules biochimiques est considéré par Pichot comme la tentative de la biologie de se débarasser de la notion de vie, dont on ne sait que faire dans le travail scientifique. Il se trouve ainsi contraint d'admettre que le problème de la spécificité de l'être vivant n'est pas pris en considération par la biologie moderne. Pichot propose alors une définition de l'être vivant comme "entité disjointe par son évolution individuelle" de celle de l'environnement dans lequel il vit. C'est pourquoi, mourir serait "rejoindre son environnement et évoluer avec lui (c'est-à-dire cesser de se différencier)". Le prix Nobel de physique, Erwin Schrodinger, l'un des fondateurs de la biologie moléculaire, dans son oeuvre What is life? (1944) écrit que "la vie semble être un comportement ordonné et régulé par la matière". Ainsi, avant même la découverte de l'adn (1953), il situe l'étude du fonctionnement du vivant au niveau psycho-chimique, c'est-à-dire en dehors de la question de la vie elle-même.

L'historienne des sciences, Lily Kay, démontre que dans la notion de "code", comme dans celle de "programme génétique", se cache l'idée de déchiffrer la vie - Crick et Watson ont annoncé la découverte de l'adn en déclarant "nous avons découvert le secret de la vie" - dans l'intention de la dominer, en dépassant les limites de la mort. La continuation de la vie en soi devient ainsi un objectif indépendant de toute autre démonstration culturelle, sociale ou politique. Le maintien et la prologation de la vie deviennent la base du bio-pouvoir exercé par l'Etat, au point que la santé et la sécurité vont constituer à l'aube du XXIe siècle, le véritable enjeu de la lutte politique.

Nous voyons donc comment le savoir scientifique, qui incarne la toute puissance de la raison, détruit le régime chrétien d'immortalité en transformant la mort en un échec biologique, en une maladie.

Mais alors, serait-ce là la notion de "vie" à laquelle se réfère le discours catholique? Foucault nous met en garde, comme Illich, contre la transformation des êtres humains en entités abstraites et économiquement gérables, comme le "capital humain"; Pichot explique quel est, aujourd'hui, le problème de la biologie à l'égard de la notion de vie: assurément, aucune des définitions analysées par lui ne correspond à l'idée de "vie" aujourd'hui utilisée par notre contexte culturel. On peut en déduire qu'il s'agit d'un terme vague, à la signification facilement manipulable - on peut dire par exemple que celle d'Eluana "n'est pas la vie" - qui se prête à un contrôle des institutions et à une utilisation idéologique. Rien à voir avec la signification complexe - et unique - de personne, pas plus qu'avec le concept de Vie dont a parlé Jésus. Alors ne vaudrait-il pas mieux, en revanche, plutôt que de vie au sens abstrait, parler des problèmes des créatures individuelles - qu'ils soient embryons ou fœtus, ou malades sans espérance de guérison - et les défendre, s'occuper de leur condition fragile, et des possibilités d'intervenir pour les protéger de tentatives de destruction?

Il faut réfléchir sur la provocation d'Illich: les catholiques doivent être capables de transmettre l'amour pour la Vie au sens qu'elle a dans les paroles de Jésus, une Vie qui devient amour pour les créatures souffrantes, et ne pas continuer de répandre et soutenir un concept biologique abstrait qui est étranger à notre tradition, qui nous rend souvent idéologiques et peu crédibles.
 

Sources : www.vatican.va -  E.S.M.
©L'Osservatore Romano - 24 novembre 2009
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 24.11.2008 - T/famille

 

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