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Le 24 février 2009 -
(E.S.M.)
- À la fin du Livre de l’Apocalypse - le dernier livre du Nouveau
Testament - l’auteur brosse une grande fresque où apparaît un ciel
nouveau et une terre nouvelle, et il entend une voix forte qui dit : «
Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils
seront ses peuples et lui sera le Dieu avec eux... »
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Un nouvel ordre mondial
Conférence donnée comme ouverture d'une récollection pour les
Laïcs pour l'entrée en Carême
Le 24 février 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Il n’y a pas tellement d’années, des politiciens, y compris des Chefs
d’État parlaient avec un peu d’orgueil, et sans doute aussi avec une
bonne dose de naïveté, d’établir un nouvel ordre international. Ce
nouvel ordre, c’est-à-dire ce nouveau mode de relation entre les peuples
et entre les classes de personnes au sein des mêmes peuples est en train
de s’écrouler.
Il serait ridicule de voir dans cette crise une forme de punition
divine, comme le disent parfois certains fondamentalistes, aussi bien
catholiques que protestants. Dieu ne s’amuse pas à faire souffrir ses
enfants pour les punir. Si le système est en train de s’écrouler c’est
qu’il était tout simplement construit sur le sable et non sur de solides
fondations. C’est qu’il avait oublié la plupart des valeurs humaines et
spirituelles fondamentales, pour ne privilégier qu’une seule valeur,
d’ordre matériel : l’argent.
Si l’on ne peut voir dans la crise économique actuelle
(et la crise sociale qui suivra sans doute, et ne fait que
commencer), une punition divine, on peut y
voir un appel à la conversion, c’est-à-dire un appel à établir nos vies,
aussi bien collectives qu’individuelles, sur une base solide. C’est ce à
quoi nous sommes invités par l’observance du carême. [ndlr : C'est
d'ailleurs ce que nous rappelle le Saint-Père Benoît XVI dans son
message sur le Carême 2009 :
(ici) ]
Au cours de la journée de demain
(Mercredi des Cendres) et de
dimanche, divers membres de la communauté monastique (Abbaye
de Scourmont)
vont vous présenter la liturgie des cinq dimanches du carême. Mais le
carême ne se réduit pas à la liturgie. C’est
beaucoup plus que la liturgie ; c’est une attitude, un mode de vie.
À la fin du Livre de l’Apocalypse - le dernier livre du Nouveau
Testament - l’auteur brosse une grande fresque où apparaît un ciel
nouveau et une terre nouvelle, et il entend une voix forte qui dit : «
Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils
seront ses peuples et lui sera le Dieu avec eux... » et. un peu plus
loin : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ».
La « nouveauté » est donc au coeur du message du Nouveau Testament,
comme elle était au coeur du message de l’Ancien Testament. En quoi
consiste cette nouveauté ? Tout d’abord dans le fait que Dieu a choisi
d’établir sa demeure avec les hommes, de demeurer avec eux. C’est
l’aspect du mystère de Dieu que nous avons célébré durant tout le temps
de Noël, en commençant avec l’Avent.
Tout l’univers, y compris les humains que nous sommes, est jailli de
l’amour de Dieu. C’est ce que le livre de la Genèse exprime à travers
ses récits allégoriques de la création du monde. Il est évident que le
monde n’a pas été créé en six jours. Personne ne l’a jamais cru, surtout
pas l’auteur du Livre de la Genèse, qui voulait, à travers ce récit
mythique affirmer la seule grande vérité qui compte : nous venons de
Dieu.
(Il y a plusieurs théories, les unes plus scientifiques
que les autres, concernant la façon dont l’être humain et tous les
autres êtres sont apparus sur la terre – l’évolutionnisme, le
créationnisme, et plusieurs versions de l’un et de l’autre – aucune de
ces théories n’est incompatible avec la Bible, car c’est à un autre
niveau qu’elle se situe. Elle veut simplement dire que
nous devons notre existence à Dieu).
Depuis aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire, à travers
les sources écrites ou les autres sources archéologiques que nous
possédons, l’être humain a toujours cru à l’existence d’un être suprême.
L’athéisme théorique contemporain est une toute petite parenthèse dans
l’histoire de l’humanité. Cependant, durant très longtemps, les hommes
se sont imaginé Dieu comme un maître terrible habitant loin, là-haut
dans les cieux. Les grands prophètes de l’Ancien Testament ont
graduellement habitué leur peuple à percevoir Dieu comme présent à leur
vie, comme quelqu’un avec qui on pouvait établir une relation
personnelle d’amour. Et puis, il y a eu Jésus de Nazareth, qui a été la
révélation vivante de cette présence de Dieu dans l’histoire de
l’humanité.
Saint Jean, le plus mystique des Évangélistes le dit de façon
merveilleuse dans le Prologue de son Évangile : « Au commencement
était la Parole de Dieu, qui a tout créé. Cette Parole était en Dieu,
elle était Dieu. Elle s’est incarnée – elle s’est fait chair – et a
habité parmi nous ; c’est-à-dire, a fait sa demeure au milieu de
nous : dans notre histoire, dans notre monde. Sa présence a tout
transformé, a fait un monde nouveau... Et, à la fin du Nouveau
Testament, sous la plume du même Jean – à travers l’un de ses disciples
– nous lisons cette parole que j’ai citée au début : « Voici la
demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux... »
Le monde est nouveau, l’humanité est nouvelle lorsque Dieu y habite,
lorsque Dieu y fait sa demeure. Il vaudrait la peine de méditer
longtemps sur le substantif « demeure » ou le verbe « demeurer ». Ces
mot ont une nuance d’intimité. Si je suis en visite chez quelqu’un pour
quelques jours ou quelques semaines, ce lieu n’est pas ma « demeure »,
même si j’y suis bien reçu. Si je « squatte » pour un certain temps,
même pour longtemps, un terrain ou un édifice, ce terrain ou cet édifice
ne deviennent pas ma « demeure ».
Comment devenons-nous la demeure de Dieu ? Jésus nous le dit au cours de
sa longue conversation avec ses disciples durant le dernier repas qu’il
prit avec eux : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole. Mon Père
l’aimera. Nous viendrons et nous ferons chez lui notre demeure ».
Essayons maintenant de voir, dans une vue synthétique, la lumière que
nous donnent tous ces textes de la Bible : Au commencement, c’est-à-dire
au moment où commença à exister le monde – toutes les choses que nous
connaissons – déjà existait le Verbe, la Parole de Dieu. Il existait au
commencement, donc antérieurement à ce commencement. La création est
déjà une grand nouveauté. Nous appartenons à Dieu, nous sommes les siens
; il est venu chez les siens et beaucoup des siens ne l’ont pas reçu.
Mais à ceux qui l’ont reçu, qui ont écouté sa Parole et l’ont mise en
pratique, il a donné de devenir eux-mêmes enfants de Dieu, en venant
faire en eux sa demeure.
Et ceux-là ont comme mission dans la vie de faire naître sans cesse un
monde nouveau en faisant du monde où ils vivent un lieu de la présence
de Dieu.
La prière continuelle, à laquelle nous sommes tous conviés par
l’Évangile, consiste à être, aussi constamment – et aussi consciemment –
que possible attentifs à cette présence de Dieu en nous, en nos vies,
dans notre univers. Chaque fois que nous nous ouvrons à cette présence,
elle nous appelle à la conversion.
On peut voir la « conversion » comme une transformation, une
purification qui nous prépare à recevoir en nous la présence de Dieu...
Cette vision n’est certes pas fausse. Mais dans l’ensemble la Bible voit
le plus souvent la conversion comme un effet de la présence de Dieu.
Elle est elle-même un don de Dieu. Dans la liturgie du carême nous
entendrons souvent des textes des grands prophètes de l’Ancien Testament
nous rappeler que la conversion consiste dans le fait d’avoir un coeur
nouveau. Nous entendrons en particulier Ézéchiel qui met dans la bouche
de Dieu ces paroles
(Ezéc. 11,19 ; 36,26) : «
J’enlèverai de votre poitrine le coeur de pierre qui s’y trouve et j’y
mettrai un coeur de chair ; et vous serez mon peuple ».
Dans ce beau texte nous avons le lien entre la conversion personnelle et
l’établissement d’un monde nouveau, d’un peuple nouveau où Dieu habite.
Pour qu’il y ait un monde nouveau, il faut que les hommes et les femmes
laissent Dieu transformer le coeur de chacun et de chacune.
En quoi consiste cette conversion du coeur ? Elle consiste dans le fait
de recevoir de Dieu la grâce d’un coeur qui est droit, qui pratique la
justice.
La « justice ». C’est un autre mot qui reviendra souvent dans les
lectures liturgiques de ce temps, et dont le sens est beaucoup plus
profond et large que le sens qu’on lui donne de nos jours. Être juste,
ce n’est pas simplement payer ses dettes et ne pas voler ; c’est
essentiellement avoir une relation droite avec tous – tout d’abord avec
Dieu, mais aussi avec tous les autres et avec soi-même. Dieu est le «
Juste » par excellence. À l’égard des autres, la justice consiste à les
respecter, à reconnaître leur différence, à être attentifs à leurs
besoins. Les prophètes de l’Ancien Testament ont vécu dans un temps où
le Peuple était installé depuis un bon bout de temps dans la Terre
Promise, et où s’étaient établi des fossés entre les riches souvent
exploiteurs et les pauvres opprimés. Ils appellent constamment à la
conversion du coeur. La première lecture biblique du Temps du Carême à
la Messe, c’est-à-dire la première lecture du Mercredi des Cendres, sera
une lecture du prophète Joël qui commence ainsi : « Revenez à moi de
tout votre coeur !... Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements, et
revenez au Seigneur notre Dieu, car il est tendre et miséricordieux,
lent à la colère et plein d’amour... »
Le système économique mondial des dernières décennies, avec le
développement à outrance d’une économie libérale, imposée à toutes les
parties du globe, était assez semblable à la situation dans laquelle
vivaient les prophètes de l’Ancien Testament ; avec cette différence que
les disparités sont aujourd’hui encore plus criantes. Le fait que des
individus peuvent posséder des dizaines de milliards d’euros ou de
dollars, comme fortune personnelle, alors que le tiers des habitants de
la terre n’ont pas de quoi manger à leur faim est aberrant, quelle que
soit l’honnêteté des personnes concernées. Ce système est en lui-même
inique et a fait un nombre énorme de victimes y compris en engendrant
des guerres. Il est en train de s’écrouler.
Je crois qu’il ne doit pas y en avoir beaucoup d’entre nous qui sont en
mesure d’intervenir activement dans les milieux financiers ou
économiques pour travailler à l’élaboration d’un nouvel ordre économique
et social international. Mais nous pouvons tous y intervenir à un niveau
encore plus important et tout à fait nécessaire : par la conversion de
nos propre coeurs.
Or, comme nous l’avons vu tout à l’heure, la transformation de nos
coeurs est un don reçu de Dieu, et non quelque chose que nous réalisons
nous-mêmes. Mais ce don ne se produit que lorsque nous nous y ouvrons,
en laissant Dieu venir et faire sa demeure en nous. C’est une chose à
laquelle nous offrons beaucoup de réticences, à cause des peurs qui nous
habitent.
La Lettre aux Hébreux
(Héb. 2,15) parle de ceux qui
passent toute leur vie dans l’esclavage par peur de la mort, ajoutant
que Jésus est venu précisément, à travers sa propre mort, nous libérer
de cette crainte. Nous savons que notre vie ici-bas aura un terme. Nous
avons beau croire à l’éternité, la mort nous fait souvent peur –
consciemment ou inconsciemment. Nous essayons donc de nous arracher
nous-mêmes à cette crainte, soit en essayant de nous perpétuer à travers
des empires de diverses formes, soit en nous étourdissant dans des
distractions.
Jésus a dû affronter cette peur lui-même, au Jardin de Gethsémani. Dieu
a eu peur. Il a su non pas ignorer ou feindre d’ignorer cette peur, mais
la confronter, l’accepter et, malgré elle, faire confiance à son Père.
Aussi, lorsqu’il nous répète sans cesse, spécialement dans les récits
postérieurs à la Résurrection : « N’ayez pas peur », « ne
craignez pas » ; il ne nous invite pas à ignorer nos peurs mais à
faire en sorte qu’elles ne nous empêchent pas d’agir et d’être fidèles.
* * * * *
J’ai essayé, en ces quelques réflexions, de montrer comment tous les
aspects du mystère du salut qui seront offerts à notre méditation et à
notre contemplation durant le Temps du Carême, se tiennent pour ne
former qu’un seul mystère. Je les rappelle brièvement : Dieu qui a créé
le monde veut le re-créer sans cesse, en se servant de nous. La
transformation des structures de la société suppose et nécessite la
transformation des coeurs. Celle-ci est un don qui nous est offert. Nous
nous y ouvrons en laissant Dieu pénétrer dans nos vies, et faire sa
demeure en nous. C’est ce que nous faisons en nous mettant à l’écoute de
sa Parole et en mettant cette Parole en pratique. Pour cela Jésus nous
montre le chemin. Il est lui-même la Parole qui a fait sa demeure parmi
les hommes. Il a connu le rejet des hommes et, comme tout homme il a eu
peur de la mort ; malgré cette peur il a gardé vive sa confiance et a
remis son âme entre les mains du Père, qui l’a ressuscité.
C’est là l’ensemble du mystère du salut que nous célébrerons tout au
long de ce carême.
Armand VEILLEUX,
Père Abbé de l'abbaye de
Scourmont
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Sources : Abbaye de
Scourmont
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(E.S.M.)
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24.02.2009 -
T/Méditations
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