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Commentaire du Discours de Benoît XVI (1e partie)
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ROME, le 23 septembre 2006 -
(E.S.M.) - Nous publions, avec son aimable autorisation, un
commentaire du discours académique du pape Benoît XVI, sous la plume
de Pierre-Charles Aubrit Saint Pol, Rédacteur en chef de la
Lettre Catholique. (1e
partie)
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Discours de Benoît XVI - Université de
Ratisbonne
Commentaire du
Discours de Benoît XVI (1e partie)
SOYEZ FIERS D’ETRE
DE L’EGLISE CATHOLIQUE APOSTOLIQUE ET ROMAINE
Commenté par Pierre-Charles Aubrit Saint
Pol, Rédacteur en chef de la Lettre Catholique
« Nous sommes au cœur du drame non réductible qui
oppose nos deux cultures. Toutes les deux, dans la logique de leur
développement, sont amenées à une compréhension de l’homme radicalement
opposée, irréconciliable à moins que l’Occident n’abandonne l’essence même
de son identité. Reniera-t-il la grâce qui le fait agir en bien ou en mal :
la reconnaissance de l’usage du libre arbitre, l’usage sacré de la liberté
de conscience. » (extrait du commentaire du discours de Ratisbonne, de P.C.A.St.P.)
« Est ce qui est… La Vérité est ou n’est pas… En témoigner est
une obligation. On ne s’en excuse pas. » ( L’Hermite des temps
nouveaux)
Commentaire et étude du discours
de Ratisbonne prononcé par Sa Sainteté le Pape Benoît XVI
Le sujet du discours que Benoît XVI prononça à
l’Université de Ratisbonne porte sur la relation entre raison et foi et la
violence qui s’oppose à la nature de l’homme et à celle de Dieu. C’est la
raison pour laquelle, il cite l’entête de l’Évangile de saint Jean et en
donne le sens exacte :
"Au commencement
était le logos…Logos signifie à la fois raison et parole, une raison qui est
créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison
», affirme le pape. C’est à ce grand logos, à cette ampleur de la raison,
que nous invitons nos interlocuteurs dans le dialogue des cultures. "
Peu avant de prononcer son discours, le saint
Père fit une prière à Marie : « …donne-moi la force et le courage de dire ce
que je dois dire… » Il ne s’agit pas d’une bourde, mais bien d’un propos
réfléchi et d’un enseignement.
"Une fois par semestre, il
y avait ce que l’on appelait le dies academicus où les professeurs de
toutes les facultés se présentaient devant les étudiants de toute
l’université, permettant ainsi une expérience d’universitas une chose
à laquelle vous aussi, Monsieur le Recteur, vous avez fait récemment
allusion, c’est-à-dire l’expérience du fait que nous tous, malgré toutes les
spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer entre
nous, formons un tout et travaillons dans le tout de l’unique raison dans
ses diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également face à la
responsabilité commune du juste usage de la raison ce phénomène devenait une
expérience vécue" - a rappelé Benoît XVI.
Ce
passage se trouve dans le long préambule de son discours, peut-on le
considérer comme un simple souvenir anecdotique ? Nous sommes en
présence d’un enseignant. La suite de son discours nous laisse à penser que
c’est bien un enseignement, une instruction.
Nous pensons, qu’il serait plus à propos de l’entendre
comme un appel. Un appel aux intellectuels catholiques pour qu’ils
s’unissent dans un même axe, qu’ils fassent front commun contre toutes les
dérives philosophiques et religieuses susceptibles d’entraîner l’humanité
dans un cahot d’inhumanité :
"formons un tout et travaillons dans le tout de l’unique raison dans ses
diverses dimensions". Saurons-nous répondre à
cet appel ? En avons-nous le désir ? En prendrons-nous tous les risques ?
"Cette cohésion intérieure dans l’univers de la raison ne fut même pas
troublée lorsqu’un jour la nouvelle circula que l’un de nos collègues avait
affirmé qu’il y avait un fait étrange dans notre université : deux facultés
qui s’occupaient de quelque chose qui n’existait pas, de Dieu. Même face à
un scepticisme aussi radical, il demeure nécessaire et raisonnable de
s’interroger sur Dieu au moyen de la raison et cela doit être fait dans le
contexte de la tradition de la foi chrétienne : il s’agissait là d’une
conviction incontestée, dans toute l’université. "
Il s’agit d’un autre souvenir anecdotique, il
l’utilise pour poser le fondement de l’enseignement qu’il s’apprête à donner
"il demeure nécessaire et raisonnable de s’interroger sur Dieu
au moyen de la raison et cela doit être fait dans le
contexte de la tradition de la foi chrétienne…"
C‘est une apostrophe adressée aux intellectuels et
théologiens chrétiens mais surtout catholiques. C’est un appel à se
libérer, se purifier définitivement de toute idéologie, d’avoir souci que de
la vérité. La vérité pour ce qu’elle est, comme elle se présente, qu’importe
si elle nous dérange puisqu’elle nous libère. Cet appel invite les
catholiques à se délivrer des attitudes, des pratiques, que certains
courants génèrent. Ils laissent la part belle à la sensiblerie, à
l’affectivité si fortement aliénantes. Ceux-ci en viennent à se défier de la
vie intellectuelle, de l’usage sain de la raison. Ils s’enferment dans des
considérations fâcheuses, des errements doctrinaux, développent un profil
psychologique sectaire.
"Le dialogue porte sur toute
l’étendue de la dimension des structures de la foi contenues dans la Bible
et dans le Coran et s’arrête notamment sur l’image de Dieu et de l’homme,
mais nécessairement aussi toujours à nouveau sur la relation entre comme on
le disait les trois « lois » ou trois « ordres de vie » […] ; je voudrais
seulement aborder un argument assez marginal dans la structure de l’ensemble
du dialogue qui, dans le contexte du thème « foi et raison », m’a fasciné et
servira de point de départ à mes réflexions sur ce thème."
Ce passage détermine la compréhension de la suite du
discours. Le Saint Père prend à bras le corps le fond des difficultés
qui opposent chrétiens et musulmans, plus précisément catholiques et
musulmans et enfin, par extension logique, la civilisation occidentale et la
civilisation musulmane avec ses multiples cultures. Il s’agit d’un acte
d’un courage intellectuel et spirituel d’une extraordinaire portée. C’est
l’événement majeur pour tous les chrétiens de ce début de siècle. Il brise
une des portes infernales des enfers modernes. Il aplanit le chemin pour les
intellectuels catholiques et chrétiens, mais également pour le monde
politique qu’il met face à sa conscience. La nature profonde de la religion
musulmane apparaît pour ce qu’elle est. Il y a quelques années de cela,
l’écrivain égyptien, Naguib Mahfouz, décédé récemment, disait :
"Quand les musulmans admettront que l’homme n’est pas simplement un individu
mais une personne, l’islam disparaîtra…", citation
de mémoire.
La pensée de cet
écrivain ne laisse aucun doute sur la prise de conscience réelle, réaliste :
il y a bien un conflit latent entre ces deux cultures. Et, s’il fallait un
autre témoignage lisons celui du responsable musulman de Marseille :
« Il n’y a rien de choquant dans le discours de Benoît XVI. »
La suite du discours de Benoît XVI n’a donc rien
d’inattendu.
"Dans le septième entretien dialexis
controverse, expose Benoît XVI […] l’empereur aborde le thème du
djihad, de la guerre sainte. Assurément l’empereur savait que dans la
sourate 2-256 on peut lire : « Nulle contrainte en religion ! » […]
l’empereur avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, […],
en disant : Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y
trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de
diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait.
L’empereur, après s’être prononcé de manière si peu amène,
explique ensuite minutieusement les raisons
pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose
déraisonnable. La violence est en opposition avec la nature de Dieu et la
nature de l’âme : Dieu n’apprécie pas le sang dit-il, ne pas agir selon la
raison, sum logô, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le
fruit de l’âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire
quelqu’un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner
correctement, et non de la violence et de la menace […] Pour convaincre une
âme raisonnable, il n’est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d’un
instrument pour frapper ni de quelque autre moyen que ce soi avec lequel on
pourrait menacer une personne de mort […]"
"L’affirmation
décisive dans cette argumentation contre la conversion au moyen de la
violence est : ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu.
L’éditeur Théodore Khoury commente : pour l’empereur, un Byzantin qui a
grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la
doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa
volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable.
Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R.
Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu’à déclarer que Dieu ne serait
pas même lié par sa propre parole et que rien ne l’obligerait à nous révéler
la vérité. Si cela était sa volonté, l’homme devrait même pratiquer
l’idolâtrie."
Nous sommes au cœur du drame
non réductible qui oppose nos deux cultures. Toutes les deux, dans la
logique de leur développement, sont amenées à une compréhension de l’homme
radicalement opposée, irréconciliable à moins que l’Occident n’abandonne
l’essence même de son identité. Reniera-t-il la grâce qui le fait agir en
bien ou en mal : la reconnaissance de l’usage du libre arbitre, l’usage
sacré de la liberté de conscience.
La mise en évidence des deux natures de ces deux
religions et cultures est, dans l’urgence du moment, une nécessité qui ne
pouvait plus attendre. Une nécessité servie pour le plus grand bien des
chrétiens et des musulmans réellement modérés qui comprennent, qu’il y a
incompatibilité entre l’adoration, la prière et la violence. On ne peut être
de Dieu et souhaiter la mort de son ennemi. La mort de l’autre pour
l’honneur de Dieu blesse sa gloire :"l’homme vivant est la gloire
de Dieu, affirme le pape Benoît XVI". Nous
lisons dans ce passage le recul manifeste de Benoît XVI quant à la rudesse
des paroles de l’empereur qui n’est cité que dans le cadre d’une
argumentation déterminée par la nécessité de son discours.
"Ici s’ouvre, dans la compréhension de Dieu et donc de la réalisation
concrète de la religion, un dilemme qui aujourd’hui nous met au défi de
manière très directe. La conviction qu’agir contre la raison serait en
contradiction avec la nature de Dieu, est-elle seulement une manière de
penser grecque ou vaut-elle toujours en soi ? […] En modifiant le premier
verset du Livre de la Genèse, le premier verset de toute l’Écriture Sainte,
Jean a débuté le prologue de son Évangile par les paroles : Au commencement
était le Logos. Tel est exactement le mot qu’utilise l’empereur : Dieu agit
« sun logô », avec logos. Logos signifie à la fois raison et parole,
une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément,
en tant que raison. Jean nous a ainsi fait le don de la parole ultime sur le
concept biblique de Dieu, […] Au commencement était le logos, le logos est
Dieu, nous dit l’Évangéliste. La rencontre entre le message biblique et la
pensée grecque n’était pas un simple hasard. La vision de saint Paul (où) il
vit un Macédonien et entendit son appel : Passe en Macédoine, vient à notre
secours !( Ac. 16, 6-10) cette vision peut-être interprétée comme un «
raccourci » de la nécessité intrinsèque d’un rapprochement entre la foi
biblique et la manière grecque de s’interroger.
En réalité, ce
rapprochement avait déjà commencé depuis très longtemps. Déjà le nom
mystérieux du Dieu du buisson ardent, qui éloigne l’homme des divinités
portant de multiples noms en affirmant uniquement son Je suis, son être,
est, vis-à-vis du mythe, une contestation avec laquelle entretient une
profonde analogie la tentative de Socrate de vaincre et de dépasser le mythe
lui-même. Le processus qui a commencé auprès du buisson atteint, dans l’Ancien
Testament, une nouvelle maturité pendant l’exile, lorsque le Dieu d’Israël,
à présent privé de la Terre et du culte, s’annonce comme le Dieu du ciel et
de la Terre, en se présentant avec une simple formule qui prolonge la parole
du buisson : Je suis. […] Aujourd’hui, nous savons que la traduction grecque
de l’Ancien Testament réalisée à Alexandrie la « Septante » est plus qu’une
simple (un mot qu’on pourrait presque comprendre de façon assez négative)
traduction du texte hébreu : c’est en effet un témoignage textuel qui a
valeur en lui-même et une étape spécifique importante de l’histoire de la
Révélation, à travers laquelle s’est réalisée cette rencontre d’une manière
qui, pour la naissance du christianisme et sa diffusion, a eu une
signification décisive, assure le pape Benoît XVI. Fondamentalement, il
s’agit d’une rencontre entre la foi et la raison, entre l’authentique
philosophie des lumières et la religion.
En partant véritablement de la nature intime de la foi chrétienne et, dans
le même temps, de la nature de la pensée grecque qui ne faisait désormais
plus qu’un avec la foi, Manuel II pouvait dire : Ne
pas agir « avec le logos » est contraire à la nature de Dieu."
Benoît XVI pose la question de savoir si
l’usage de la raison est contradictoire avec la foi. Il n’y répond pas
immédiatement. Il résume l’histoire de l’interpénétration progressive de la
philosophie grecque et de la Révélation hébraïque et chrétienne, son rôle
pour sa compréhension, pour sa diffusion. Il démontre que Dieu lui-même
aurait été l’artisan de l’introduction progressive de la pensée grecque dans
la Révélation qu’Il fait de lui-même. Il donne à l’homme le matériau qui lui
permet de répondre à la nécessité de nourrir et défendre la progressive
prise de conscience qu’il n’est pas seulement un individu impersonnel, mais
une personne, un être en soi. On peut avancer, que dans la pensée de
Benoît XVI sourde l’idée et la contemplation de la volonté qu’a Dieu sur
l’homme. Dieu en fait un être responsable, libre. Il est libre de déposer,
dans un blasphème effarant, cette liberté en le rejetant, Lui son Créateur,
son Dieu. Dans cet exposé, il y a la démonstration progressive et
magistérielle que la Parole entendue par l’homme, révélée à un homme doué de
la parole, serait l’un des sceaux qui signent que ce Dieu, ce Dieu de nos
pères depuis Adam et Eve, est bien un Dieu doué de raison. Et, s’il
s’adresse à l’homme, c’est qu’il établit un entretien privilégié qui
souligne que son interlocuteur est également doué de raison et qu’il veut,
Lui-même, établir une relation raisonnable avec sa propre image qu’est
l’homme. Il semble y avoir une autre idée qui sourde dans la pensée de
Benoît XVI : en effet, il lui apparaît que Dieu, par l’œuvre de l’Esprit
Saint, disposa des dons particuliers au peuple Grecque, pour venir, en son
heure, rendre possible l’universalité de la Révélation Hébraïque et
Chrétienne, de même qu’Il aura agi sur la Rome antique afin que celle-ci
dispose à cette mission sacrée ces moyens pratiques et juridiques.
Benoît XVI le précise clairement plus
loin dans son discours :
"Le rapprochement intérieur
mutuel évoqué ici, qui a lieu entre la foi biblique et l’interrogation sur
le plan philosophique de la pensée grecque, est un fait d’une importance
décisive non seulement du point de vue de l’histoire des religions, mais
également de celui de l’histoire universelle, un fait qui nous crée des
obligations aujourd’hui encore. En tenant compte de cette rencontre, […] ait
en fin de compte trouvé son empreinte décisive d’un point de vue historique
en Europe. Nous pouvons l’exprimer dans l’autre sens : cette rencontre, à
laquelle vient également s’ajouter par la suite le patrimoine de Rome, a
créé l’Europe et demeure le fondement de ce que l’on peut à juste titre
appeler l’Europe."
La 2e partie de cette analyse ►
Commentaire du Discours de Benoît XVI (2e partie)
Pierre-Charles
Aubrit Saint Pol :
lalettrecatholique@yahoo.fr
Son site :
http://lescatholiques.free.fr/
Sources: la lettre catholique - 30bis
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.09.2006 - BENOÎT XVI |