Discours du card. André Vingt-Trois :
présentation de Caritas in Veritate de Benoît XVI |
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Le 22 juillet 2009 -
(E.S.M.)
- Dans l'après-midi du 15 juillet 2009, le cardinal André
Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la conférence
des évêques de France (Cef) a présenté l'encyclique de Benoît
XVI "Caritas in Veritate", lors d'une rencontre réunissant des
responsables du monde politique, économique et social à Paris,
au Collège des Bernardins.
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Discours du card. André Vingt-Trois :
présentation de Caritas in Veritate de Benoît XVI
L'humanité a la mission et les moyens
de maîtriser le monde dans lequel nous vivons
Le 22 juillet 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Dans l'après-midi du 15 juillet 2009, le cardinal André Vingt-Trois,
archevêque de Paris et président de la conférence des évêques de France (Cef)
a présenté l'encyclique de Benoît XVI "Caritas
in Veritate", lors d'une rencontre réunissant des responsables du
monde politique, économique et social à Paris, au Collège des Bernardins.
Nous publions ci-dessous le texte de son intervention:
Avant d'entrer dans la présentation de grands repères de lecture de
l'encyclique Caritas in Veritate, que j'ai le redoutable privilège de vous
présenter maintenant, je voudrais vous livrer une impression personnelle que
j'ai retirée d'une première lecture. La troisième encyclique de Benoît XVI
m'apparaît d'abord comme un formidable message d'espérance que le Pape veut
adresser aux catholiques et, plus largement, à "tous les hommes de bonne
volonté", selon la formule consacrée, c'est-à-dire à tous ceux qui sont
intéressés par des réflexions inspirées par la foi chrétienne et qui sont
disposés à les accueillir sans a priori négatif.
Ce message d'espérance est le suivant: l'humanité a la mission et les moyens
de maîtriser le monde dans lequel nous vivons. Non seulement elle n'est pas
soumise à une fatalité, mais encore elle peut transformer ce monde en
agissant sur les événements ou leurs conséquences, et elle peut faire
progresser la justice et l'amour dans les relations humaines, y compris dans
le domaine social et économique, et même dans une période de crise comme
celle que nous connaissons. Ce message d'espérance n'est pas évident dans
une société qui s'est considérablement complexifiée et dans laquelle les
centres de décision semblent parfois se diluer et échapper aux contrôles
démocratiques et politiques. Et que dire de l'impression ressentie par
nombre de nos contemporains de n'avoir aucune prise sur les événements qui
conditionnent leur vie, y compris dans des régimes démocratiques comme le
nôtre.
Cette espérance se fonde sur une conviction: dans l'univers, tout être
humain a une dimension particulière qui lui permet de n'être pas soumis à la
domination mécanique des phénomènes, qu'ils soient naturels, économiques ou
sociaux. Chacun assume cette dimension particulière dans la mesure où il
reconnaît que l'accomplissement de ses potentialités se reçoit dans une
relation à autrui: l'homme est essentiellement un être de relation, un être
social. Mais il faut encore aller plus loin. L'être humain s'accomplit dans
la relation à un plus grand que lui, un Absolu, plus grand que chacune de
nos existences. En effet, tout homme, qu'il soit croyant ou non, doit bien,
ultimement, prendre position sur la question d'un jugement moral qui dépasse
ses intérêts particuliers et dont sa conscience est le témoin. Bien sûr,
pour les croyants, cette référence à une transcendance a un nom, c'est Dieu.
Cette référence à une transcendance est le fondement d'une conception
anthropologique qui donne sa pleine dimension à la liberté et à la
responsabilité humaines.
Si je voulais maintenant entrer dans la lecture de ce livre de plus de cent
pages, la soirée n'y suffirait pas. Il ne faut évidemment pas y chercher un
catalogue de solutions aux questions lancinantes de notre situation
présente, mais sur beaucoup de sujets de la vie sociale, l'encyclique
apporte une stimulation pour exercer le jugement moral et pour mettre en
œuvre les critères de ce jugement. C'est d'ailleurs pour répondre à cette
stimulation que je vous ai invités ce soir, responsables du monde politique,
économique et social.
Tout d'abord, l'introduction, comme souvent chez le Pape Benoît XVI, n'est
pas une simple formalité. Elle est un peu comme un discours de la méthode.
Elle consiste en une sorte de commentaire du titre de l'encyclique: L'amour
dans la vérité. Elle reprend un thème qui est cher au Pape sur les relations
entre la raison et la foi. Il y développe une réflexion sur l'interaction
entre l'amour et la vérité pour souligner combien chacune est dépendante de
l'autre dans l'accomplissement de son registre propre. L'amour sans la
vérité tourne au sentimentalisme ou au paternalisme inopérant. La vérité
sans l'amour peut être efficace, mais risque toujours de s'enfermer dans une
gnose ou une technique qui oublient la dimension propre de la personne
humaine. Ainsi Benoît XVI nous dit: "Seule, la charité, éclairée par la
lumière de la raison et de la foi permettra d'atteindre des objectifs de
développement porteurs d'une valeur plus humaine et plus humanisante".
Il nous donne ainsi un des thèmes centraux de tout l'ouvrage qui est le
développement. La réflexion du Pape sur le développement s'inscrit d'abord
dans la tradition de la doctrine sociale de l'Eglise, au moins pour la
période moderne, qui remonte à la fin du xix siècle avec l'encyclique de
Léon XIII Rerum
Novarum de 1891. Dans cette relecture historique, il accorde
une attention très particulière au Concile Vatican ii, notamment à la
Constitution
Gaudium et Spes, et à l'encyclique de Paul VI
Populorum Progressio de 1967, consacrée au "développement intégral" de l'homme.
"Intégral", signifie que ce développement concerne l'ensemble de l'humanité
et la totalité des personnes dans chacune de leurs dimensions. Ensuite,
Benoît XVI fait une lecture de la situation présente à la lumière de ce
programme vieux de plus de quarante ans. Il relève les progrès qui ont pu
être accomplis, mais il souligne aussi l'aggravation de certaines
situations, notamment dans l'écart croissant entre une richesse de plus en
plus grande pour certains, certains individus et certains pays, et, d'autre
part, une pauvreté de plus en plus profonde de certains pays et de certaines
personnes à l'intérieur de chaque pays.
La permanence, et même parfois l'accroissement, des inégalités ne peut pas
être passée sous silence. Elle pose inévitablement la question des modèles
de croissance et des modes de vie. Une certaine logique, même implicite,
consiste à laisser jouer la dynamique d'un développement économique
exponentiel en se contentant de mettre en place des parades aléatoires pour
traiter les cas de ceux qui sont victimes de ce développement ou tout
simplement oubliés dans le développement. Mais en fait, il s'agit souvent
d'un palliatif marginal, même s'il est coûteux, et parfois très coûteux. On
réagit par des modes de traitement social des situations de pauvreté sans
accepter que l'équilibre général du système puisse être mis en question. On
privilégie le traitement circonstanciel à court terme plutôt que d'affronter
les questions structurelles.
De même, une conception exclusivement économique et financière du
développement risque de laisser en jachère tout une partie de ce qui
constitue la plus grande richesse des échanges humains, à savoir la culture.
Ceci est vrai pour chaque pays, mais aussi pour le développement
international tel qu'il se vit dans la mondialisation. Peut-on réellement
parler d'échanges humains quand la spécificité humaine de la relation est
négligée ou occultée? Jusqu'à quel point la maîtrise économique et
financière devient-elle le vecteur d'une domination culturelle qui vise à
imposer à toutes les sociétés les standards de nos sociétés industrialisées?
Jusqu'à quel point certaines aides économiques sont-elles conditionnées par
des obligations d'ajuster les modes de vie à nos critères, privant les plus
pauvres de la dignité de leur liberté et privant le monde de la richesse de
leur sagesse?
Cette relecture de la situation présente sous la catégorie du développement
a l'avantage de ne pas poser seulement la question de la lutte, toujours
nécessaire et urgente, contre le sous-développement et ses fléaux principaux
qui sont, encore aujourd'hui, la faim, les maladies liées à la malnutrition
et les violences sociales, découlant d'une misère désespérée. Elle pose
aussi la question de la qualité du développement que nous avons connu dans
les pays industrialisés et de son évaluation morale. En effet, la vision
anthropologique centrale qui sous-tend tout le propos de l'encyclique est
élaborée sur la base de la responsabilité humaine que je définirais ainsi:
chaque homme se réalise en posant des choix réfléchis, libres et volontaires
dont il est prêt à rendre compte en conscience et devant autrui. Selon la
vision que Benoît XVI met en œuvre, il n'y a aucun domaine d'activité
humaine qui échappe à la responsabilité morale. Ni le domaine économique, ni
le domaine financier, ni le domaine technologique, ni le domaine de la
recherche scientifique. C'est la moralité qui définit la valeur
spécifiquement humaine des actions entreprises. Elle ne peut pas être
seulement une question que l'on pose a posteriori quand tout est fini et
décidé, pour aménager des corrections aux marges. Elle est inhérente à la
totalité de la démarche opérationnelle, elle doit en être un élément
constituant permanent. Elle repose sur une évaluation des finalités visées
et des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs. C'est la question
du sens de l'action humaine personnelle et collective. La justice et le bien
commun sont les deux critères pour évaluer ce qui est conforme à un
développement vraiment humain.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, cette obligation de la moralité
n'est pas un luxe pour périodes calmes ou prospères. Et elle ne conduit pas
ceux qui l'assument à l'inefficacité économique ou sociale. Elle est la
condition préalable pour que l'activité humaine ne soit pas un simple effet
incontrôlable et incontrôlé des mécanismes économiques ou financiers, mais
pour qu'elle garde sa spécificité réellement humaine d'action responsable de
l'homme pour l'homme. Bien souvent d'ailleurs l'intérêt bien compris conduit
à prendre en compte cette dimension éthique de l'agir social.
Pour illustrer ce point, je voudrais simplement prendre trois exemples qui
marquent l'organisation de notre vie en société:
1. La prise en considération de l'investissement humain dans le
fonctionnement des entreprises. Le capital social n'est pas simplement
l'apport financier, même s'il est nécessaire. Il est principalement la
participation qualifiée des hommes et des femmes agissant dans l'entreprise.
Nous voyons bien que de nouvelles conceptions managériales ont pris pour
base cet objectif d'associer les collaborateurs au projet de l'entreprise,
jusqu'aux derniers échelons de la chaîne des personnels. Car il faut bien
reconnaître que les hommes n'apportent pas seulement leur capacité de
production à leur entreprise, mais aussi leur engagement personnel. Ainsi,
leur capacité de production ne se réduit aux éléments quantifiables mais
inclut aussi leur apport culturel.
2. Le développement accéléré de la mondialisation provoque une inévitable
redistribution des fonctions entre les Etats, les acteurs économiques et la
société civile. L'internationalisation croissante des centres de décision
économique et financière oblige à reconsidérer les conditions d'exercice du
pouvoir des états nationaux mais aussi les possibilités de participation de
la société civile. Cette nouvelle distribution des pouvoirs appelle des
aménagements des institutions de gouvernance mondiale pour assurer notamment
un réel contrôle des marchés financiers et des formes adaptées de l'exercice
de la subsidiarité respectant la place des organisations syndicales et
associatives.
3. L'encyclique développe à plusieurs reprises une réflexion sur la gratuité
et le don. Reprenant implicitement les résultats de travaux ethnologiques et
anthropologiques sur le don et l'échange, le Pape invite à prendre en
considération la catégorie du don comme constitutive de la dimension
proprement humaine des relations entre les personnes et les sociétés. C'est
par le don que la gratuité trouve son expression pratique. Sans doute, ces
réflexions sont-elles familières et admises pour analyser les relations
privées et affectives. Elles le sont beaucoup moins quand on essaie de les
appliquer aux échanges économiques et financiers. Dans la pratique, et dans
la réflexion de beaucoup, les échanges économiques ne sont compris que dans
les catégories contractuelles des échanges de biens mesurables et
quantifiables. Mais le contrat, au sens strict, rend-il compte vraiment de
la nature anthropologique des relations sociales? L'homme n'apporte-t-il à
l'économie que ses forces de production ou ses capitaux? Quelle place
sommes-nous prêts à reconnaître aux dimensions gratuites de la relation
sociale?
Mais on peut, et on doit, aller encore plus loin. La gratuité et le don ne
sont pas des éléments hétérogènes par rapport aux relations économiques
humaines. Ils sont des éléments constitutifs qui ont aussi un effet positif
et producteur de bien social dans le développement économique.
En conclusion, je dirais que cette encyclique, imposante par sa taille et la
multiplicité des sujets qu'elle aborde, est cependant unifiée par une
perspective générale sur la responsabilité dans l'action économique et
sociale. C'est le service de l'homme qui est le critère ultime et définitif
du projet social. Ce n'est pas l'homme qui est au service d'un projet
social. Mais quel service de l'homme, quelle promotion de l'homme sont
recherchés? Autrement dit, quels sont les modèles d'humanité qui servent de
référence pour établir une évaluation de l'action économique? Comment est
respectée l'unité de la personne humaine dans tous les domaines de sa vie?
Comment éviter de fractionner la perception de l'homme en fonction des
critères de production ou en fonction des critères de consommation? Comment
reconnaître et servir l'unité de la personne humaine? Un homme n'est jamais
seulement un consommateur, jamais seulement un producteur, jamais seulement
un esthète, jamais seulement un mystique. Il est tout à la fois un être de
relation et de production, de consommation et d'échange gratuit, un être
socialisé et acculturé. Cette encyclique est donc un commentaire d'une loi
fondamentale de la doctrine sociale de l'Eglise reprise de Populorum
progressio: "pour tout l'homme et pour tous les hommes".
►
Caritas in Veritate, l'encyclique sociale du pape Benoît XVI
►
Introduction et Ier chapitre : Le
message de Populorum Progressio
►
IIème chapitre : Le développement humain
aujourd'hui
►
IIIème chapitre : Fraternité,
développement économique et société civile
►
IVème chapitre : Développement des
peuples, droits et devoirs, environnement
►
Vème chapitre : La collaboration de la
famille humaine
►
VIème chapitre et conclusion : Le développement des peuples et
la technique
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Sources : (©L'Osservatore Romano - 21 juillet 2009)
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 13.07.09 -
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