Financiarisation du monde : vers la
perte de sens ? |
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Le 17 décembre 2008 -
(E.S.M.)
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L'analyse qui suit a été conduite en
forçant le trait, voulant ainsi saisir les contours du phénomène qui
inquiète et qui semble prendre forme dans ce que Jean-Paul II avait
appelé les «
structures de péché
»
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La
généralisation de la « pensée unique » -
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Financiarisation du monde : vers la perte de sens ?
Le 17 décembre 2008 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Dans Le temps de la fin des temps, Patrick de Laubier consacre
tout un chapitre au « temps des signes »,
ce temps qui serait le nôtre et qui précéderait
l'avènement de la
civilisation de l'amour.
Le caractère omniprésent et envahissant de la finance est l'une des
caractéristiques les plus frappantes de la deuxième moitié du XXème
siècle. En effet, nous sommes en droit de parler de la «
financiarisation » du monde pour décrire ce processus rampant par lequel
des dimensions toujours nouvelles de la vie individuelle et sociale sont
soumises ou exposées aux fluctuations financières, voire
englouties et engluées dans la finance.
Face à un processus dont plus personne ne dispute l'existence, surgit la
question de savoir s'il s'agît seulement d'un changement superficiel, ou
si au contraire la financiarisation affecte la vie des hommes au point
de mériter l'attention dans une perspective eschatologique. En d'autres
termes, il s'agit de savoir si la financiarisation est compatible avec
la civilisation de l'amour et, le cas échéant, dans quelle mesure en
est-elle un signe annonciateur.
La problématique est vaste; et dépasse largement le cadre de ce petit
essai. Les quelques pages qui suivent n'ont donc d'autre prétention que
baliser quelque peu le champs en puisant pour cela à deux sources
différentes : d'une part, dans les réflexions et recherches actuellement
en cours dans le cadre de l'Observatoire de la Finance à Genève et sous
les auspices du programme « Finance - Éthique - Confiance » inspiré par
la Caisse des Dépôts et Consignations à Paris; d'autre part, dans le
corpus de textes et d'analyses portant sur l'enseignement social
chrétien. L'apport spécifique des travaux ainsi que les incessants
efforts de Patrick de Laubier mérite d'être soulignés. Il a familiarisé
ses lecteurs et ses amis avec les contours de la civilisation de l'amour
telle qu'elle transparaît au travers des textes du Magistère, mais aussi
au travers des textes moins connus des révélations mystiques.
Le texte qui suit est divisé en quatre parties
: (1) les ressorts de la financiarisation;
(2) les conséquences de la financiarisation;
(3) la financiarisation et la perte des
sens; (4) la financiarisation et la perte
du sens.
1. Les ressorts de la financiarisation
La financiarisation n'est pas un phénomène isolé dont les tenants et
aboutissants seraient faciles à identifier avec précision. En effet,
elle est l'une des facettes de l'évolution des sociétés les plus
développées de la planète depuis la fin de la dernière guerre. Ainsi,
sans prétendre à l'exhaustive, un certain nombre de facteurs et de
processus apparentés ou parallèles peuvent être mentionnés comme autant
de ressorts qui soutiennent et rendent possible la financiarisation
continue du monde contemporain.
Les progrès technologiques dans le domaine de traitement et de
transmission des données. Les progrès en la matière ont permis, dès les
années 1950, l'internationalisation des banques et progressivement
l'effacement des distances. Par ailleurs, le développement des capacités
de calcul a baissé très sensiblement le coût du traitement des
opérations financières ce qui a naturellement ouvert à la finance de
nouveaux domaines.
La généralisation de la « pensée unique ». Ces dernières décennies, et
plus particulièrement depuis la chute du communisme, la pensée
économique est devenue le paradigme et le discours dominant tant au
niveau public qu'au niveau privé. Selon la pensée unique,
l'accroissement du produit national est l'unique bonheur qui soit digne
de l'homme. Il est la justification suprême aussi bien des décisions
publiques que des comportements privés. En vertu de cette hallucination
collective, des pans toujours nouveaux de la vie sociale ont été soumis
d'un côté à la loi du marché et de l'autre côté, parallèlement,
soustraits, totalement ou partiellement, à la sphère privée,
c'est-à-dire à l'économie domestique. A titre d'exemple, l'on peut citer
la garde des personnes âgées et des handicapées, l'éducation des
enfants, etc. La généralisation des transactions dans ces domaines les a
mis, indirectement à la portée de la finance et en a fait des objets
effectifs ou potentiels de la financiarisation.
La tertiairisation de l'économie mondiale. A la fin du siècle dernier,
les services ne représentaient dans les pays les plus développés
qu'environ un quart du produit national; aujourd'hui, le tertiaire en
est le secteur dominant avec une proportion proche des trois quarts. La
prédominance des services dans la vie économique change radicalement la
nature du travail humain : manipulation physique des biens et ressources
naturelles liée à la production devient secondaire par rapport à
l'exigence généralisée de complaisance par rapport au client. Les
services financiers ne font pas exception : ils se sont développés en
suscitant d'abord et en satisfaisant ensuite une demande du public, des
entreprises et des États.
Le libre-échange et la dérégulation. Depuis la fin de la guerre, les
pays occidentaux ont fait du libre échange la règle qui devait, bien
qu'avec des exceptions,, régir leurs relations économiques réciproques.
Ainsi, dès les année 1950 ont été progressivement abolis les
réglementations limitant la mobilité internationale des capitaux. Plus
récemment, le rôle de l'État en tant que régulateur des activités
économiques en général, et des activités financières plus
particulièrement, a été revu à la baisse. Dans le sillage de la
déréglementation, la finance a pu pénétrer des zones et espaces qui lui
restaient jusque-là, partiellement ou totalement, interdits.
La liste qui précède pourrait être étendue presque indéfiniment, tant le
développement de l'économie mondiale - dont la financiarisation fait
partie - a de multiples facettes qui se mêlent en un écheveau complexe
où il est impossible de distinguer la cause de l'effet. II n'en demeure
pas moins que la financiarisation du monde contemporain est une réalité,
indiscutable. En tant que telle, elle entraîne un certain nombre de
conséquences aussi bien pour les acteurs directement concernés que pour
l'ensemble de la population.
2. Les conséquences de la financiarisation
Avant de passer en revue les plus importantes parmi les conséquences de
la financiarisation, il faut rappeler l'essence du phénomène lui-même.
En effet, la finance n'a pas attendu la fin du XXème siècle pour faire
son apparition, elle serait aussi ancienne que le marché. Les
transactions financières portent sur des actifs lesquels, contrairement
aux biens et aux services qui sont destinés à l'anéantissement plus ou
moins immédiat, ont une durée de vie relativement longue. L'actif est
caractérisé par une certaine permanence, il est donc un élément du
patrimoine. Par conséquent, les transactions financières affectent
directement le patrimoine des acteurs et portent sur ce qu'il est
convenu d'appeler « les richesses ». A la lumière de ce qui précède, la
financiarisation peut être définie comme le processus de multiplications
incessantes à la fois des actifs financiers, et des transactions y
relatives.
Domination des catégories de valeur. La finance fonctionne dans un
espace réduit à deux dimensions : le risque et le
rendement. Tout actif, quel qu'en sait la nature réelle
(bien immobilier, option sur devises, contrat à terme sur le pétrole ou
encore une obligation étatique), peut être
défini de manière suffisante à l'aide de ces deux dimensions. Les autres
caractéristiques de l'objet ou du contrat ont une importance totalement
secondaire. Il s'ensuit que la financiarisation impose un regard
extrêmement réducteur sur les réalités physiques et sociales du monde.
Ce nivellement fournît un cadre de pensée fort confortable puisqu'il se
prête parfaitement aux manipulations mathématiques.
La liquidité, une parodie de la de confiance.
La financiarisation des patrimoines des acteurs permet à ces derniers
d'en suivre au jour le jour l'évolution. En effet, les prix de marché ou
de quasi-marché évoluent journellement pour les actifs essentiels.
Ainsi, dans le cas de la baisse d'un actif, les propriétaires sont
tentés de « sortir » d'un actif dont la valeur marchande diminue pour
éviter que leur patrimoine ne souffre d'une perte même momentanée. La
possibilité « d'entrer » et de « sortir » n'existe réellement que si le
nombre des transactions sur le marché est suffisamment grand pour le
permettre. Si tel est le cas, le marché est dit « liquide ».
La
liquidité devient ainsi le gage de confiance. Pourtant la liquidité
n'est qu'un gage mécanique, il suffit qu'un doute généralisé pousse les détenteurs d'un type d'actif à en vérifier la valeur sur le marché pour
que celle-ci s'effondre posant de ce fait un coup d'arrêt aux progrès de
la financiarisation.
(Il suffit de jeter un coup d'œil sur l'actualité des
ces dernières semaines pour s'en convaincre !)
Permutation des patrimoines plutôt que financement des activités
productives. Il est justifié de s'interroger sur les conséquences
économiques de la financiarisation. Curieusement, il n'existe pas de
démonstrations pour étayer la thèse selon laquelle elle aurait été le
facteur déterminant et indispensable de la prospérité qu'a connu le
monde occidental depuis la dernière guerre. Bien au contraire, des
indices convergents semblent indiquer que la financiarisation a
progressé davantage par la multiplication des transactions sur actifs
existants
(permutation des actifs entre participants)
que par la mise à disposition étendue de l'épargne à des fins
d'investissement productif.
L'individualisation des avoirs. Le développement de l'économie de marché
en général et plus particulièrement de la finance pousse les individus à
préciser toujours davantage les lignes de démarcation qui séparent leur
patrimoine, leur « avoir » de celui des autres. Ceci est
particulièrement visible et nuisible quand les velléités
d'individualisation des avoirs font leur apparition au coeur des
familles, quand la collectivité cherche à faire supporter aux
consommateurs le coût exact des prestations qu'elle est la seule à
offrir à ses membres. La financiarisation doublée de la puissance de
traitement de l'information offre des possibilités toujours plus
alléchantes dans ce domaine auxquelles il est difficile de résister.
D'ailleurs, résister au nom de quoi puisque cette tendance correspond
parfaitement aux injonctions de la pensée unique ?
La transformation en actifs financiers des biens qui avaient une
existence propre. La financiarisation ne peut progresser sans créer -
inventer - de nouveaux actifs financiers ayant des caractéristiques de
risque et de rendement différents des actifs déjà existants. Pour
parvenir à ses fins, il est fréquent que la finance se saisisse d'un
bien qui a par ailleurs une toute autre vocation. Le cas de pétrole
illustre ce propos : dans le courant des années 1970 et sans cesser
d'être une ressource naturelle, le pétrole est devenu un actif financier
souvent détenu non pas pour ses qualités physiques mais bien pour ses
caractéristiques financières. Il en va de même de l'ensemble des
matières premières ou de certaines denrées agricoles qui sont traitées
simultanément et sur les mêmes marchés pour leurs qualités intrinsèques
ainsi que pour leurs spécificités financières. Cette irruption des
finalités financières a une incidence non négligeable sur le
comportement des marchés concernés ce qui affecte les producteurs ou les
utilisateurs des biens en question. Le cas le plus flagrant de création
d'actifs financiers est l'accaparement par les marchés des monnaies
nationales qui dans leur finalité première sont.des moyens de paiement
devant servir de contrepartie dans les échanges de biens et services et
non des actifs financiers.
Une relation de propriété hachée et incomplète. Par définition, un actif
financier est détenu à cause de son rendement/risque et dans une
perspective d'être vendu à plus ou moins longue échéance. Ceci signifie
que la relation qui s'instaure entre son détenteur momentané et l'actif
est une relation de propriété incomplète. En effet, la propriété
implique une responsabilité par rapport à l'actif détenu mais aussi et
avant tout par rapport à tous ceux qui en dépendent par ailleurs. Or,
quand-la propriété est anonyme et éphémère, le sentiment de
responsabilité a peu de chances d'apparaître alors même qu'il serait
souhaitable que l'actif en question ait une dimension sociale immédiate
(action d'une entreprise, créance sur une entreprise en
difficulté, propriété d'un immeuble locatif, etc...),
par ailleurs, la relation de propriété est - dans le cas de la finance -
non seulement éphémère, mais encore incomplète parce que la dimension
d'usage, d'utilisation immédiate de l'actif par le propriétaire est
absente. La relation de propriété instaurée par la financiarisation se
réduit par conséquent uniquement à l'usus fructus et à l'abusus,
l'usus qui implique un rapport d'immédiateté par rapport à
l'actif étant absent.
L'illusion de sécurité : des paris plutôt que des
promesses. La financiarisation est un processus qui ne connaît
pas de répit, il progresse dans l'espace mais aussi dans le temps. Il
séduit des sociétés entières qui, envoûtées par le charme des «
performances financières », s'en remettent à la financiarisation pour
garantir leur avenir. La totalité des pays industrialisés a vu ces vingt
dernières années foisonner des systèmes d'assurance vieillesse basés sur
le principe de la capitalisation. Ces institutions promettent aux
cotisants la sécurité matérielle à terme contre paiement des cotisations
aujourd'hui. Toutes ces institutions reposent sur un pari selon lequel
la financiarisation est un processus sans fin qui progressera à l'infini
comme elle l'a fait depuis quelques années. Le fait de confier
massivement l'épargne aux marchés financiers signifie que les sociétés
en question ont renoncé à gérer cette dernière, donc leur propre avenir,
de manière responsable et préfèrent s'en remettre aux aléas et aux
fluctuations et à la supposée "rationalité des marchés".
3. La financiarisation et la perte des sens
La civilisation de l'amour s'articule autour de l'homme pleinement
épanoui et ouvert à l'amour de son créateur. Cette paraphrase des textes
de Paul VI et de Jean-Paul II met bien en évidence les deux dimensions
indispensables de la civilisation de l'amour : la relation de l'homme avec
Dieu, et la relation avec ses semblables.
L'Église par le biais de son enseignement social a mis en évidence les
principes les plus fondamentaux qui devraient régir toute société
véritablement chrétienne. Il s'agit de la solidarité, de la
responsabilité, de la subsidiarité et de la destination universelle des
biens. Ces principes ont été analysés et présentés avec force par
Patrick de Laubier au travers de ses très nombreuses publications et
interventions. Bornons-nous à nous arrêter brièvement sur chacun d'entre
eux pour savoir dans quelle mesure la financiarisation en assure le
respect.
La solidarité. La financiarisation repose sur l'exacerbation du moi
économique, sur la définition minutieuse de "mon" patrimoine par
opposition à celui des autres. La solidarité, au contraire, est
impossible sans l'ouverture à l'autre doublée de la capacité de donner,
mais aussi de la capacité de recevoir. Si la financiarisation du monde
est compatible avec une solidarité, ce serait avec une solidarité
fonctionnarisée et institutionnalisée qui n'est qu'un pâle reflet de [a
charité évangélique. Un mouvement inquiétant semble d'ailleurs se
dessiner dans ce sens, la financiarisation casse et bouleverse les
réseaux naturels de la solidarité (familles,
clans, quartiers, etc..)
et en transforme les membres les plus faibles en assistés
qu'elle jette ensuite en pâture aux institutions spécialisées. Jean-Paul
II a largement évoqué cette perspective dans
Evangelium Vitae.
La responsabilité. Il s'agit là d'un principe fondamental de toute
civilisation : l'homme est responsable de ses actes, mais aussi de son
prochain. La financiarisation privilégie les catégories de valeurs, ce
faisant elle passe sous silence, occulte et éloigne les conséquences
sociales et humaines des décisions financières. Le fait que les
relations de propriété véhiculées par la financiarisation soient
incomplètes et éphémères souligne encore davantage la dilution des
responsabilités dont elle est porteuse. Il en est ainsi quand les
monnaies nationales ou les matières premières sont détenues sans rapport
avec leur vocation première. De plus, la financiarisation
déresponsabilise l'acteur individuel puisqu'elle lui permet de perdre
son identité en disparaissant dans ce magma informe qu'occulte si bien
l'expression désarmante « le marché veut, le marché pense, le marché
décide ».
La destination universelle des biens. L'Église a affirmé à temps et à
contretemps ce principe qui renforce encore les deux précédents. Il
s'oppose à l'appropriation exclusive, il limite les droits que confère
la propriété tout en reconnaissant le bien fondé de cette dernière. La
financiarisation est incompatible avec la destination universelle des
biens pour deux raisons au moins. D'une part, la financiarisation
exacerbe la valeur au détriment des actifs spécifiques qui n'en sont que
les incarnations passagères. Or, qu'est ce que la destination
universelle de la « valeur » sinon la capacité de don et de partage ?
D'autre part, la financiarisation et les ressorts qui la supportent
s'appuie sur un mode d'appropriation exclusif - sans servitudes d'aucune
sorte - puisque seule la propriété exclusive rend l'actif financier
transférable dans les transactions qui seront à l'avenir nécessaires
pour préserver la valeur du patrimoine.
La subsidiarité. Pris au pied de la lettre, ce principe fort à la mode
dans le monde contemporain signifie que les premiers Intéressés
devraient être autorisés à résoudre tous les problèmes sauf ceux qui les
dépassent. L'application du principe de subsidiarité au monde de la
finance revient à se demander : « qui a donc besoin de la finance ? ».
Cette question est d'une extrême importance. En effet, quand les raisons
purement financières poussent au démantèlement ou, au contraire, au
rachat d'une entreprise viable par ailleurs, quand la finance découvre
subitement une nouvelle classe d'actifs pour les délaisser ensuite, elle
le fait « par le haut » sans se préoccuper le moins du monde des
premiers intéressés. Là financiarisation de tels actifs signifie pour
les premiers intéressés perte d'indépendance et donc d'autonomie. La
financiarisation en tant que créateur de dépendances, de cercles vicieux
- moins souvent vertueux - semble peu compatible avec le principe de
subsidiarité.
Les remarques qui précèdent montrent que la financiarisation - et les
autres processus qui l'accompagnent et la supportent - transforme la
société en profondeur. A l'horizon de cette évolution, en guise
d'épouvantail, se dessine un « homme nouveau », un homme individuel,
vivant dans un univers où dominent les catégories de valeur, habitué à
se mouvoir dans un environnement virtuel où à l'instar de ses
semblables, il est incapable de distinguer entre réalité et fiction.
Bien qu'il s'agisse ici d'une vue de l'esprit, elle suffit pour montrer
que la financiarisation éloigne l'homme de son humanité, corporelle et
spirituelle. L'« homme nouveau » n'est plus en mesure de se donner à ses
semblables en utilisant à cette fin l'ensemble des sens que le créateur
lui a donnés et sans lesquels l'agapè est impossible et a fortiori la
civilisation de l'amour.
4. La financiarisation et la perte du sens
Au delà de l'effet préjudiciable que la financiarisation risque d'avoir
tôt ou tard sur le monde, et duquel elle retarde l'apparition de la
civilisation de l'amour, elle modifie de manière fondamentale le rapport
de l'homme à Dieu. Deux points étayent cette préoccupation.
Depuis son apparition, le marché était un lieu de passage; on y venait
pour vendre et acheter en fonction d'un objectif transcendant par
rapport au marché lui-même. Le marché est une étape vers la libération
comme le dit Jésus au notable : « Tout ce que tu as, vends-le et
distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis
viens et suis moi » (Luc,18;22).
Ici, le marché est un moyen d'accéder au ciel.
L'adoration dont le marché est l'objet aujourd'hui laisse à penser qu'il
n'en n'est plus ainsi et que le marché est aimé et apprécié en tant que
tel. Notre société campe au milieu du marché, après avoir fait de
l'instrument sa propre finalité à l'exemple des familles qui ne savent
plus que faire de leur temps libre et vont se promener dans les grandes
surfaces. Notre société a perdu le sens des finalités. Ceci est vrai des
entreprises industrielles qui - omnibulées par les résultats financiers
qu'elles doivent fournir aux actionnaires sous peine de voir s'effondrer
leurs cours en bourse - ont oublié jusqu'à leur métier et leur
spécificité industrielle. Ceci est vrai des gouvernements qui se font et
défont au rythme des chutes et envolées des bourses ou des monnaies
nationales. Le marché est l'équivalent général, le dénominateur commun,
l'inspirateur universel. Or, le marché ne fonctionne que si son activité
est soumise aux finalités (diverses et variées)
qui le transcendent.
Tel le veau d'or des Égyptiens, le marché est devenu notre l'idole, il a
pris la place de Dieu dans la pensée collective du XXème siècle
finissant qui renoue ainsi avec les traditions animistes les plus
anciennes.
Ndlr : Le pape Benoît XVI dans une de ses
homélies, lors de son voyage en France, nous rappelait que cet appel à
fuir les
idoles reste pertinent aujourd'hui. Le monde contemporain ne s'est-il
pas créé ses propres idoles ? N'a-t-il pas imité, peut-être à son insu,
les païens de l'Antiquité, en détournant l'homme de sa fin véritable, du
bonheur de vivre éternellement avec Dieu ? C'est là, poursuivait Benoît
XVI, une question que tout homme, honnête avec lui-même, ne peut que se
poser. Qu'est-ce qui est important dans ma vie ? Qu'est-ce que je mets à
la première place ? (...)
L'idole est un leurre, car elle détourne son serviteur de la réalité
pour le cantonner dans le royaume des apparences. Or
n'est-ce pas une tentation propre à notre époque, la seule sur laquelle nous
puissions agir efficacement ? (...)
L'argent,
la soif de l'avoir, du pouvoir et même du savoir n'ont-ils pas détourné
l'homme de sa Fin véritable, de sa propre Vérité
? (...)
À tous les hommes de
bonne volonté qui m'écoutent, je redis comme saint Paul : Fuyez le culte des
idoles, ne vous lassez pas de faire le bien
!
[Homélie du pape Benoît XVI en la fête
de St Jean Chrysostome
(lire l'homélie)]
L'analyse qui précède conduit à la conclusion que la poursuite de la
financiarisation nous éloigne plutôt qu'elle nous rapproche de la
civilisation de l'amour. En d'autres termes, la financiarisation
apparaît comme un fléau capable de ravir jusqu'à l'âme de l'homme et de
la détourner durablement non seulement des ses semblables mais surtout
de Dieu. L'analyse qui précède a été conduite en forçant le trait,
voulant ainsi saisir les contours du phénomène qui inquiète et qui
semble prendre forme dans ce que Jean-Paul II avait appelé les «
structures de péché ».
Toutefois, la condamnation de la financiarisation en tant que processus
ne revient pas à la condamnation de la finance en tant que telle. En
effet, l'utilité de la finance a été montrée à beaucoup de reprises
durant les siècles passés et jusqu'à aujourd'hui. La finance joue
pleinement son rôle quand elle met les moyens
monétaires temporairement oisifs à disposition de ceux qui ont des
projets productifs. Cette activité est d'ailleurs parfaitement
compatible non seulement avec le principe de la destination universelle
des biens mais encore avec celui de subsidiarité. Le processus de
financiarisation devient menaçant à partir du moment où la finalité
propre lui échappe
(transformation de l'épargne en investissement)
et qu'elle s'attache davantage à la préservation
(impossible en dernière analyse)
des patrimoines. Ce faisant elle distille un charme subtil qui entraîne
l'homme sur le chemin de la tentation angélique.
Paul H. DEMBINSKI
Dans la
même mouvance
:
La civilisation de l'amour - une exigence
chrétienne au service de la solidarité universelle
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Sources :
spip.php-article154
-
(E.S.M.)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M. sur Google actualité)
17.12.2008 -
T/Spiritualité
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