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Benoît XVI aussi voulait une Église pauvre
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Le 17 juin 2013 -
(E.S.M.)
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L'encyclique du pape François, pensée et écrite par son
prédécesseur, n'est pas le seul signe de continuité entre les deux
derniers papes. À propos de la "pauvreté" de l'Église, ils sont
également d'accord. Il suffit pour s'en convaincre de relire ce que
Ratzinger avait déclaré à Fribourg-en-Brisgau en 2011, dans l'un des
discours majeurs de son pontificat.
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Benoît XVI aussi voulait une Église "pauvre"
par Sandro Magister
Le 17 juin 2013 - E.
S. M. - Il y a deux informations qui, ces jours-ci, ont jeté
une nouvelle lumière sur les rapports qui lient le pape François à son
prédécesseur Benoît XVI.
La première est l'annonce, faite le 13 juin par Jorge Mario Bergoglio
lui-même, de la publication prochaine d’une encyclique écrite "à quatre
mains":
"Le pape Benoît me l’a remise. C’est un document fort, je dirai moi aussi
ici que j’ai reçu ce grand travail : c’est lui qui l’a fait et moi je l’ai
mené à son terme".
Il s’agit de l'encyclique, traitant de la foi, que le pape Joseph Ratzinger
avait prévu de publier à la suite de celles qu’il avait précédemment
consacrées aux deux autres vertus théologales : la charité et l’espérance.
Au moment où il a renoncé au pontificat, elle était presque terminée.
Ce qui est curieux, c’est que la première encyclique de Benoît XVI, "Deus
caritas est", avait également utilisé un certain nombre de matériaux
préparés au cours du pontificat précédent. Mais la construction générale de
cette première encyclique et en particulier la première de ses deux grandes
sections, la plus théologique, étaient typiquement ratzingeriennes.
Cette fois-ci, en revanche, l’encyclique est presque entièrement de la main
de Ratzinger. C’est comme si le pape Bergoglio s’était limité à en écrire la
préface et la conclusion. Sa signature devient le signe d’une vive
reconnaissance envers le pape qui l’a précédé.
*
La seconde information concerne, quant à elle, un livre qui a été publié
cette année en Allemagne et qui est, lui aussi, écrit "à quatre mains" : par
le cardinal Paul Josef Cordes, président émérite de Cor Unum, et par le
théologien et psychiatre Manfred Lütz, membre de l’académie pontificale pour
la vie et consultant auprès de divers services au Vatican.
C’est un livre qui, dès le titre – "L'héritage de Benoît et la mission de
François. Démondanisation de l’Église" – cherche à faire apparaître une
continuité entre les deux papes, en particulier entre le discours adressé
par Benoît XVI aux "catholiques engagés dans l’Église et dans la société",
le 25 septembre 2011 à Fribourg-en-Brisgau, lors de son dernier voyage en
Allemagne, et les affirmations du pape François à propos de l’Église "pauvre
pour les pauvres".
Au début du mois de juin les deux auteurs ont présenté leur livre à
Ratzinger, qu’ils ont rencontré au monastère Mater Ecclesiæ, dans les
jardins du Vatican.
"Je vis comme un moine, je prie et je lis. Je vais bien", a déclaré
Ratzinger à ses deux visiteurs, d’après le récit fait par Lütz à
l’hebdomadaire "Bild" et publié dans le numéro du 5 juin.
Et en ce qui concerne la continuité entre lui et le pape François, il a fait
le commentaire suivant : "Du point de vue théologique, nous sommes
parfaitement d'accord".
Le contenu de cette rencontre n’a obtenu qu’un très faible écho dans les
médias. Toutefois il faut noter que le discours de Benoît XVI à
Fribourg-en-Brisgau a également été passé sous silence, bien à tort, à
l’époque où il a été prononcé. C’est pourtant l’un des plus significatifs
non seulement de ce voyage en Allemagne, avec celui qui a été prononcé au
Bundestag à Berlin, mais de tout le pontificat
►
"Supprimer courageusement ce qu’il y a de
mondain dans l’Église…"
Le seul vaticaniste qui, à Rome, ait donné de l’importance à cet événement,
sur son blog hebdomadaire en langue anglaise "MondayVatican", a été Andrea
Gagliarducci
►
Being Christians. Francis' Church
Challenge, Benedict's Church Challenge
On trouvera ci-dessous la traduction en français de son commentaire.
ÊTRE CHRÉTIEN. LE DÉFI DE L’ÉGLISE DE FRANÇOIS, LE
DÉFI DE L’ÉGLISE DE BENOÎT
par Andrea Gagliarducci
"Dans le développement de l’Église, il y a également une tendance contraire
qui se manifeste, à savoir celle d’une Église satisfaite d’elle-même, qui
s’installe dans ce monde, qui est auto-suffisante et qui s’adapte aux
critères du monde".
Mais aussi : "Il n’est pas rare qu’elle donne ainsi une importance plus
grande à l’organisation et à l’institutionnalisation qu’à l’appel qu’elle a
reçu à être ouverte à Dieu et à ouvrir le monde au prochain".
Et enfin : "Libérée de ses fardeaux et de ses privilèges matériels et
politiques, l’Église peut se consacrer mieux et de manière vraiment
chrétienne au monde entier, elle peut être véritablement ouverte au monde".
Qui a dit cela ?
Le premier nom qui vienne à l’esprit est celui du pape François. Lui qui
s’est fait de l’Église "pauvre pour les pauvres" un drapeau depuis sa
première rencontre avec les journalistes. Lui qui a souligné à plusieurs
reprises que "les institutions servent, mais jusqu’à un certain point". Lui
qui a été jusqu’à demander aux futurs nonces de "conserver leur liberté
intérieure".
Mais les propos que l’on vient de lire en ce début d’article ne sont pas du
pape François. Ils sont de Benoît XVI. Celui-ci les a tenus à
Fribourg-en-Brisgau, le 25 septembre 2011, à l’occasion d’une rencontre avec
les catholiques engagés dans l’Église et dans la société.
Il ne s’agissait pas seulement de propos à replacer dans le contexte de la
situation existant en Allemagne. Dans ce pays, l’Église est riche grâce au
Kirchensteuer, la taxe d’état sur la religion – dont le rendement est
considérable – ce qui lui a permis de multiplier les structures et les
activités caritatives, presque avec complaisance. Mais, en agissant de la
sorte, on a perdu Dieu de vue et les structures sont devenues le centre.
Le mal vient surtout du fait que les chrétiens qui travaillent dans les
structures d’inspiration chrétienne sont de moins en moins nombreux. Or la
sollicitude, l’amour du prochain, le sens même de la mission de l’Église
proviennent de la vision chrétienne. Au nom du service social, on perd une
identité. Et en perdant une identité, on perd le sens de l’Église.
Comme on l’a déjà dit, le problème ne se pose pas uniquement en Allemagne.
Récemment, le secrétaire de la conférence des évêques d’Italie, Mariano
Crociata, qui s’adressait à plus de 200 personnes travaillant dans des
structures sanitaires d’inspiration catholique, a demandé à tous de
préserver leur identité propre et il a souligné la nécessité, pour les
structures d’inspiration catholique, d’employer un personnel ayant une
formation catholique.
De manière plus générale, si l’on élargit la réflexion à toutes les
structures qui s’affirment d’inspiration chrétienne, il y a eu beaucoup de
débats à propos – par exemple – du problème de l’identité des universités
catholiques. Aux États-Unis une opposition très vive est menée, entre
autres, par la Cardinal Newman Society qui ne manque pas une occasion de
souligner les ingérences de l’état dans le choix du personnel qui est
employé dans les écoles catholiques, mais également de montrer du doigt ces
universités qui se détachent de plus en plus des enseignements catholiques.
Il y a un livre qui parle également de ce sujet. Il a été écrit par Manfred
Lütz et par le cardinal Paul Josef Cordes, président émérite de Cor Unum. Il
est intitulé “L’héritage de Benoît et la mission de François.
Démondanisation de l’Église” et il fait apparaître une certaine continuité
précisément entre le discours de Fribourg-en-Brisgau et les propos tenus par
le pape François.
Cordes et Lütz l’ont également remis à Benoît XVI. Celui-ci aurait déclaré
qu’il y a effectivement une certaine continuité théologique.
Cependant il faudra voir comment le pape François va concrétiser son
engagement, au-delà des slogans. Au cours de son pontificat, Benoît XVI n’a
pas seulement affirmé l’importance de la "démondanisation" – qui signifie,
d’après l’interprétation donnée par Mgr Ludwig Müller, "séparer et unir" –
mais il a mis sur pied une structure ayant une base juridique afin de
dépasser le problème de l’identité. La foi, au fond, est vraiment
importante. Mais comment fait-on pour alimenter la foi si, ensuite, une
adhésion à l’Évangile n’est pas demandée dès lors que l’on enseigne, que
l’on soigne, que l’on exerce des activités caritatives au nom de l’Église ?
Sous le pontificat de Benoît XVI, il y a eu une réforme de Caritas
Internationalis, placée sous le signe de la formule "caritas in veritate",
la charité dans la vérité (qui est aussi - ce n’est pas un hasard - le titre
de l’encyclique sociale de Benoît XVI), puis il y a eu le motu proprio
"Intima ecclesiæ", qui régit les organismes caritatifs diocésains et
renforce le contrôle qu’exercent sur ceux-ci les évêques diocésains.
C’est de là que repart le pape François. Et une réforme de "Pastor bonus",
la constitution apostolique qui régit le travail des dicastères romains, se
profile à l’horizon. Aura-t-elle pour objectif une réforme des cœurs ou
s’agira-t-il seulement d’une simple réorganisation ?
Au fond, "il ne s’agit pas ici de trouver une nouvelle tactique pour
relancer l’Église. Il s’agit plutôt d’abandonner tout ce qui n’est que
tactique et de rechercher la pleine sincérité, qui ne néglige ni ne réprime
rien de la vérité de notre temps, mais réalise pleinement la foi à l’époque
actuelle en la vivant, précisément, de manière totale dans la sobriété
d’aujourd’hui, en la portant à sa pleine identité, en lui enlevant ce qui
n’est foi qu’en apparence, mais qui est en vérité convention et habitude".
Benoît XVI avait dit cela à Fribourg-en-Brisgau. Mais apparemment personne
ne s’en était aperçu, cette fois-là.
Le livre :
Paul Josef Cordes, Manfred Lütz : "Benedikts Vermächtnis und Franziskus'
Auftrag : Entweltlichung der Kirche", Verlag Herder, pp. 160, euro 14,99.
Le pape François a annoncé l’encyclique "à quatre mains" lors d’une une
conversation qu’il a eue, le 13 juin, avec les membres du conseil ordinaire
du secrétariat du synode des évêques.
Le discours préparé pour l'occasion – qui n’a pas été lu – annonçait "de
nouveaux développements destinés à favoriser encore davantage le dialogue et
la collaboration entre les évêques ainsi qu’entre eux et l’évêque de Rome".
Improvisant, le pape a ajouté que l'exhortation post-synodale qu’il
s’apprête à écrire portera sur le thème de l’"évangélisation en général",
pas seulement dans les pays de vieille chrétienté.
Il a attiré l’attention - parmi les sujets à aborder lors d’un synode futur
- sur le problème de la famille, étant donné qu’aujourd’hui beaucoup de gens
ne se marient pas, qu’ils cohabitent, et que le mariage devient
“provisoire”.
Il a d’autre part invité à réfléchir au "grave problème" de l’anthropologie
sécularisée. "La laïcité est devenue du laïcisme", a-t-il averti. Et il a
lancé une mise en garde contre les dangers du gnosticisme et du
pélagianisme, dont le mélange donne vie aujourd’hui à une "culture nouvelle"
qui constitue pour les catholiques "un problème anthropologique très
sérieux".
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 17.06.2013-
T/International |