|
Benoît XVI : l’eucharistie reste le banquet des réconciliés
|
Le 15 octobre 2014 -
(E.S.M.)
-
Selon une opinion très répandue, les Églises orientales admettent
que l’on se marie à nouveau après avoir divorcé et elles donnent la
communion à ceux qui se sont remariés. Mais ce n’est pas la vérité,
explique Nicola Bux. Seul le premier mariage est célébré comme un
véritable sacrement.
|
|
Mythe et réalité des seconds mariages chez les orthodoxes
par Sandro Magister
Le 15 octobre 2014 - E.
S. M. -
Le texte que l’on peut lire ci-dessous, est un éclaircissement à
propos de ce que sont, en réalité, les seconds mariages dans la théologie et
dans la pratique des Églises orthodoxes.
L'auteur, Nicola Bux, expert en liturgie et enseignant à la faculté de
théologie de Bari, est consulteur de la congrégation pour le culte divin et
de la congrégation pour les causes des saints. Il a pris part au synode de
2005 consacré à l'eucharistie, dont il raconte ici un épisode intéressant.
ÉGLISE ORTHODOXE ET SECONDS MARIAGES
par Nicola Bux
Dernièrement, le cardinal Walter Kasper s’est référé à la pratique des
Églises orthodoxes en ce qui concerne les seconds mariages pour soutenir que
les catholiques divorcés et remariés devraient eux aussi avoir la
possibilité de communier.
Toutefois il n’a peut-être pas prêté attention au fait que les orthodoxes ne
communient pas lors du rite des seconds mariages, parce que ce qui est prévu
dans le rite byzantin du mariage, ce n’est pas la communion, mais seulement
l’échange de la coupe commune de vin, qui n’est pas du vin consacré.
Par ailleurs on entend dire, chez les catholiques, que les orthodoxes
permettent les seconds mariages et que par conséquent ils tolèrent que l’on
divorce de son premier conjoint.
A vrai dire, il n’en est pas vraiment ainsi, parce qu’il ne s’agit pas de
l'institution juridique moderne. L’Église orthodoxe est disposée à
tolérer
les seconds mariages pour des personnes dont le lien matrimonial a été
dissous non pas par l’État, mais par elle-même, sur la base du pouvoir de
“délier et de lier” qui a été donné à l’Église par Jésus, et à concéder une
seconde opportunité de mariage dans certains cas particuliers (typiquement,
les cas d’adultère durable, mais aussi, par extension, certains cas où le
lien matrimonial est devenu une fiction). La possibilité d’un troisième
mariage est également prévue, mais on cherche à décourager les candidats.
Par ailleurs, la possibilité de se remarier, dans les cas de dissolution du
mariage, n’est donnée qu’au conjoint innocent.
Chez les orthodoxes, les deuxièmes et troisièmes mariages, à la différence
du premier, sont célébrés selon un rite particulier, défini comme “de type
pénitentiel”. Étant donné que, dans le rite des seconds mariages, il
manquait jadis le moment du couronnement des époux – que la théologie
orthodoxe considère comme le moment essentiel du mariage – le second
mariage est non pas un véritable sacrement mais, pour utiliser la
terminologie latine, un "sacramentel", qui permet aux nouveaux époux de
considérer que leur union est pleinement acceptée par la communauté
ecclésiale. Le rite des seconds mariages s’applique également dans le cas
d’époux restés veufs.
Le caractère non-sacramentel des seconds mariages trouve une confirmation
dans le fait que la communion eucharistique a disparu des rites de mariage
byzantins et qu’elle a été remplacée par la coupe, qui est considérée comme
un symbole de la vie commune. Cela apparaît comme une tentative de "désacramentaliser"
le mariage, peut-être à cause de l'embarras croissant qui est créé par les
deuxièmes et troisièmes mariages, en raison de la dérogation qu’ils
constituent par rapport au principe de l'indissolubilité du lien, qui est
directement proportionnelle au sacrement de l'unité : l'eucharistie.
À ce sujet, le théologien orthodoxe Alexandre Schmemann a écrit
qu’effectivement la coupe, élevée au rang de symbole de la vie commune, “met
en évidence la désacramentalisation du mariage, qui se trouve réduit à un
bonheur naturel. Dans le passé, celui-ci était atteint par la communion, le
partage de l'eucharistie, sceau ultime de l’accomplissement du mariage en
Jésus-Christ. Le Christ doit être la véritable essence de la vie ensemble”.
Comment cette "essence" pourrait-elle se maintenir ?
Il s’agit donc d’un “quiproquo” qui peut être imputé, dans le monde
catholique, à l’intérêt faible ou inexistant qu’inspire la doctrine, ce qui
a eu comme résultat le développement de l'opinion, ou exactement de
l’hérésie, selon laquelle la messe sans la communion n’est pas valide. Toute
la préoccupation à propos de la communion pour les divorcés remariés, qui
n’a pas grand-chose à voir avec la conception et la pratique orientale, est
une conséquence de ce point.
Il y a de cela une dizaine d’années, alors que je collaborais à la
préparation du synode consacré à l’eucharistie, synode auquel j’ai ensuite
participé en tant qu’expert en 2005, cette "opinion" fut avancée par
le cardinal Claudio Hummes, membre du conseil du secrétariat du synode. Sur
l’invitation du cardinal Jan Peter Schotte, alors secrétaire général, j’ai
dû rappeler à Hummes que les catéchumènes et les pénitents – parmi lesquels
il y avait des bigames – aux divers degrés pénitentiels, participaient à la
célébration de la messe ou à des parties de celle-ci, sans s’approcher de la
communion.
Cette "opinion" erronée est aujourd’hui très répandue chez les clercs
et chez les fidèles. C’est pourquoi, comme l’a fait observer Joseph
Ratzinger : “Il faut reprendre conscience de manière beaucoup plus claire du
fait que la célébration eucharistique n’est pas dépourvue de valeur pour
ceux qui ne communient pas. [...] Étant donné que l'eucharistie n’est pas un
banquet rituel, mais la prière communautaire de l’Église, dans laquelle le
Seigneur prie avec nous et s’associe à nous, elle reste quelque chose de
précieux et de grand, un véritable don, même si nous n’avons pas la
possibilité de communier. Si nous retrouvions une meilleure connaissance de
ce fait et si nous percevions ainsi l'eucharistie elle-même de manière plus
correcte, il y a plusieurs problèmes pastoraux, comme par exemple celui de
la situation des divorcés remariés, qui perdraient automatiquement une
grande partie de leur poids écrasant”.
Ce qui vient d’être décrit est un effet de l’écart et même de l'opposition
entre le dogme et la liturgie. L'apôtre Paul a demandé que ceux qui ont
l’intention de communier s’examinent eux-mêmes, afin de ne pas manger et
boire leur condamnation (1 Corinthiens 11, 29). Cela signifie : “Celui qui
veut que le christianisme soit seulement une heureuse annonce, dans laquelle
il ne doit pas y avoir la menace du jugement, le falsifie”.
On se demande comment on est parvenu à ce point. Différents auteurs, au
cours de la seconde moitié du siècle dernier, ont soutenu – rappelle
Ratzinger – la théorie qui “fait découler l'eucharistie – de manière plus
ou moins exclusive - des repas que Jésus prenait avec les pécheurs. […] Mais
à partir de cette théorie on arrive ensuite à une idée de l'eucharistie qui
n’a rien de commun avec la coutume de l’Église primitive”. Alors que
Paul protège, en recourant à l'anathème, la communion de l'abus qui pourrait
en être fait (1 Corinthiens 16, 22), la théorie
ci-dessus propose “comme essence de l'eucharistie que celle-ci soit offerte
à tout le monde sans aucune distinction et sans aucune condition
préliminaire, […] même aux pécheurs, ou plus encore, même aux incroyants”.
Non, écrit encore Ratzinger : depuis les origines, l'eucharistie a été
comprise comme un repas pris non pas avec les pécheurs, mais avec ceux
qui s’étaient réconciliés : “Il existait aussi pour l'eucharistie, dès le
début, des conditions d’accès bien définies [...] et de cette manière elle a
construit l’Église”.
Par conséquent l’eucharistie reste “le banquet des réconciliés”, ce
que la liturgie byzantine rappelle, au moment de la communion, par
l'invitation "Sancta sanctis", les choses saintes pour les saints.
Mais, malgré cela, la théorie selon laquelle une messe sans communion est
invalide continue à influencer la liturgie actuelle.
Ce texte de Nicola Bux est tiré de la postface
qu’il a rédigée pour le plus récent ouvrage d’Antonio Livi, théologien et
philosophe de l’Université Pontificale du Latran, dont la publication est
imminente et qui est consacré aux écrits et discours du cardinal Giuseppe
Siri (1906-1989)
►A. Livi, "Dogma e liturgia. Istruzioni
dottrinali e norme pastorali sul culto eucaristico e sulla riforma liturgica
promossa dal Vaticano II", Casa Editrice Leonardo da Vinci, Rome, 2014.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.10.2014-
T/International |