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Quatrième prédication de Carême en présence du pape Benoît XVI
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Le 15 avril 2011 -
(E.S.M.)
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L’importance de l’Evangile au niveau social, l’application
concrète de la charité, est le thème soulevé vendredi matin par le
père capucin Raniero
Cantalamessa, devant le Pape Benoît XVI et la curie romaine.
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Le e père capucin
Raniero Cantalamessa
Quatrième prédication de Carême en présence du pape Benoît XVI
Le 15 avril 2011 - E.
S. M. -
L’importance de l’Evangile au niveau social, l’application concrète de la
charité, est le thème soulevé vendredi matin par le père capucin Raniero
Cantalamessa, devant le Pape Benoît XVI et la curie romaine. Le religieux a, en
particulier, mis l’accent sur le principe évangélique selon lequel le
pouvoir est être au service d’autrui.
Le service est un principe universel ;
il s’applique à tous les aspects de la vie, et de manière spéciale aux
serviteurs de l’Eglise. Le service n’est pas une vertu en soi, mais jaillit
de diverses vertus, surtout de l’humilité et de la charité. C’est une
manière de manifester cet amour qui ne cherche pas son propre intérêt, mais
celui des autres, qui donne sans rien demander en échange
P. Raniero Cantalamessa ofmCap.
Quatrième prédication de Carême
UN AMOUR ACTIF
L'importance sociale de l'Evangile
1. L'exercice de la charité
Dans la dernière méditation, nous avons appris de Paul que l'amour chrétien
doit être sincère ; dans cette dernière méditation nous apprenons de Jean
qu'il doit être également actif : « Si quelqu'un, jouissant des biens de
ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles,
comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Petits enfants, n'aimons ni
de mots ni de langue, mais en actes et en vérité » (1 Jn 3, 16-18). Nous
retrouvons le même enseignement, sous une forme plus colorée, dans l'Epître
de Jacques : « Si un frère ou une sœur sont nus, s'ils manquent de leur
nourriture quotidienne, et que l'un d'entre vous leur dise : ‘Allez en paix,
chauffez-vous, rassasiez-vous, sans leur donner ce qui est nécessaire à leur
corps, à quoi cela sert-il ? » (Jc 2, 16).
Dans la communauté primitive de Jérusalem, cette exigence se traduit par le
partage. Des premiers chrétiens, on dit qu' « ils vendaient leurs
propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les
besoins de chacun » (Ac 2, 45) ; mais ce n'était pas un idéal de
pauvreté, mais de charité, qui les poussait à agir ainsi ; le but n'était
pas que tous soient pauvres ; mais que, parmi eux, nul ne soit « dans le
besoin » (Ac 4, 34). La nécessité de traduire l'amour dans des gestes
concrets n'est pas étrangère non plus à l'apôtre Paul qui, nous l'avons vu,
insiste tant sur l'amour qui vient du cœur. En témoigne l'importance qu'il
accorde aux collectes en faveur des pauvres, auxquelles il consacre deux
chapitres entiers de la Deuxième Epître aux Corinthiens (cf. 2 Co 8-9).
L'Eglise apostolique ne fait, sur ce point, que recueillir l'enseignement et
l'exemple du Maître dont la compassion pour les pauvres, les malades et les
affamés ne restait jamais un sentiment vide, mais se traduisait toujours par
une aide concrète, et qui a fait de ces gestes concrets de charité la
matière du jugement dernier (cf. Mt 25).
Les historiens de l'Eglise voient dans cet esprit de solidarité fraternelle
un des facteurs principaux de la « Mission et expansion du christianisme aux
trois premiers siècles »1. Ceci s'est traduit par des initiatives - et plus
tard par des institutions - prévues à cet effet pour le soin des malades, le
soutien aux veuves et aux orphelins, l'aide aux prisonniers, des cantines
pour les pauvres, l'assistance aux étrangers ...C'est de cet aspect de la
charité chrétienne, dans l'histoire et aujourd'hui, que traite la deuxième
partie de l'encyclique du pape Benoît XVI « Deus caritas est » et
dont s'occupe, en permanence, le Conseil pontifical « Cor Unum ».
2. L'émergence du problème social
Sur cette question, l'époque moderne, surtout le XIXe siècle, a marqué un
tournant, portant le problème social sur le devant de la scène. Il ne suffit
pas de pourvoir, cas par cas, au besoin des pauvres et des opprimés, il
convient d'agir sur les structures qui créent les pauvres et les opprimés.
Le fait qu'il s'agit d'un terrain nouveau, du moins dans sa thématisation,
ressort du titre même et des premiers mots de l'encyclique de Léon XIII «
Rerum novarum » du 15 mai 1891, avec laquelle l'Eglise entre comme
protagoniste dans le débat. Il vaut la peine de relire ce début de
l'encyclique :
« La soif d'innovations (1) qui depuis longtemps s'est emparée des
sociétés et les tient dans une agitation fiévreuse devait, tôt ou tard,
passer des régions de la politique dans la sphère voisine de l'économie
sociale. En effet, l'industrie s'est développée et ses méthodes se sont
complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et ouvriers se sont
modifiés. La richesse a afflué entre les mains d'un petit nombre et la
multitude a été laissée dans l'indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion
plus haute d'eux-mêmes et ont contracté entre eux une union plus intime.
Tous ces faits, sans parler de la corruption des mœurs, ont eu pour résultat
un redoutable conflit ».
Dans cet ordre de problèmes se situe la seconde encyclique du Saint-Père
Benoît XVI sur la charité : «Caritas in veritate ». N'ayant aucune
compétence en la matière, je m'abstiens naturellement d'entrer dans le fond
du contenu de cette encyclique comme des autres encycliques sociales. Mon
intention est d'illustrer le contexte historique et théologique, ledit «
Sitz im Leben », de cette nouvelle forme du magistère ecclésiastique :
autrement dit, comment et pourquoi on a commencé à écrire des encycliques
sociales et on en écrit périodiquement de nouvelles. En effet, ceci peut
nous aider à découvrir quelque chose de nouveau sur l'évangile et sur
l'amour chrétien. Saint Grégoire le Grand dit que « l'Ecriture progresse
avec ceux qui la lisent » (cum legentibus crescit)2, c'est-à-dire
qu'elle révèle toujours de nouveaux sens selon les questions qui lui sont
posées, ce qui est particulièrement vrai dans le présent contexte.
Ma reconstitution se fera « à vol d'oiseau », sommairement, comme on peut le
faire en quelques minutes ; mais les synthèses et résumés ont aussi leur
utilité, surtout lorsqu'en raison de la diversité des tâches, on n'a pas la
possibilité d'approfondir personnellement tel ou tel problème.
Au moment où Léon XIII écrit son encyclique sociale, prédominaient trois
orientations sur la signification sociale de l'évangile. Il y avait tout
d'abord l'interprétation socialiste et marxiste. Marx n'avait pas abordé le
christianisme de ce point de vue, mais certains de ses disciples immédiats
(Engels sur un plan encore idéologique et Karl Kautsky d'un point de vue
historique) traitèrent le problème, dans le cadre de la recherche sur les «
précurseurs du socialisme moderne ».
Ils aboutirent aux conclusions suivantes. L'évangile a été principalement
une grande annonce sociale adressée aux pauvres ; tout le reste, son
revêtement religieux, est secondaire, une « superstructure ». Jésus
fut un grand réformateur social, qui a voulu affranchir de la misère les
classes inférieures. Son programme prévoit l'égalité de tous les hommes,
l'affranchissement des nécessités économiques. Celui de la première
communauté chrétienne fut un communisme ante litteram, de caractère encore
naïf, pas scientifique : un communisme dans la consommation, plus que sans
la production des biens.
Par la suite, l'historiographie soviétique de régime rejettera cette
interprétation qui, selon eux, concède trop au christianisme. Dans les
années 60 du siècle dernier, l'interprétation révolutionnaire réapparaît,
cette fois sous l'angle politique, avec la thèse d'un Jésus à la tête d'un
mouvement « zélote » de libération, mais qui aura une vie courte, et
est en ce moment hors de notre sujet. (Le Saint-Père évoque cette
interprétation dans son dernier livre sur Jésus, à propos de la purification
du temple).
A une conclusion analogue à celle marxiste, mais dans une toute autre
intention, était parvenu Nietzsche. Pour lui aussi, le christianisme est né
comme un mouvement de revanche des classes inférieures, mais le jugement
qu'il faut porter sur cela est entièrement négatif. L'évangile incarne le «
ressentiment » des faibles contre les forts ; c'est l' « inversion de
toutes les valeurs », rogner les ailes à l'élan de l'homme vers la
grandeur. Tout ce que Jésus se proposait de faire était de diffuser dans le
monde, s'opposant à la misère humaine, un « royaume des cieux ».
A ces deux écoles - concordantes sur la façon de voir, mais opposées dans le
jugement à porter, - vient s'ajouter une troisième, que nous pourrions
appeler « conservatrice ». Selon cette dernière, Jésus se
désintéresse totalement des problèmes sociaux et économiques ; lui attribuer
ces intérêts serait le diminuer, le « mondaniser », le relativiser.
Il emprunte des images au monde du travail et a pris à cœur les malheureux
et les pauvres, mais il n'a jamais cherché l'amélioration des conditions de
vie des gens dans la vie terrestre.
3. La réflexion théologique : théologie libérale et
dialectique
Ce sont là les idées dominantes dans la culture du temps, quand on entame
sur la question une réflexion également théologique de la part des Eglises
chrétiennes. Celle-ci aussi se déroule en trois étapes et présente trois
orientations : celle de la théologie libérale, celle de la théologie
dialectique et celle de la théologie catholique.
La première réponse est celle de la théologie libérale de la fin du XIXe
siècle et début du XXe siècle, représentée surtout par Ernst Troeltsch et
Adolph von Harnack. Il vaut la peine de s'attarder un peu sur les idées de
cette école : en effet, nombre des conclusions auxquelles elle est parvenue,
du moins dans ce domaine spécifique, sont celles auxquelles, d'une autre
façon, parvient aussi le magistère social de l'Eglise, et elles sont
toujours actuelles et susceptibles d'être partagées.
Troeltsch conteste le point de départ de l'interprétation marxiste, selon
laquelle le facteur religieux est toujours secondaire par rapport au facteur
économique, celui-ci n'étant qu'une simple superstructure. Etudiant
l'éthique protestante et le début du capitalisme, il démontre que, si le
facteur économique influe sur le religieux, il est également vrai que le
facteur religieux influe sur l'économique. Il s'agit de deux domaines
distincts, pas subordonnés l'un à l'autre.
Harnack, de son côté, prend acte que l'évangile ne nous propose pas un
programme social destiné à combattre et abolir la nécessité et la pauvreté,
n'exprime pas de jugements sur l'organisation du travail, et d'autres
aspects de la vie qui sont importants pour nous aujourd'hui, comme l'art et
la science. Mais heureusement, ajoute-t-il, qu'il en est ainsi ! Quel
malheur s'il en avait été autrement et s'il avait cherché à énoncer des
règles sur les rapports entre les classes, les conditions de travail, etc.
Pour être concrètes, ses règles auraient été fatalement liées aux conditions
du monde d'alors (comme le sont de nombreuses institutions et règles
sociales de l'Ancien Testament), donc anachroniques par la suite et plutôt
un « encombrement inutile » pour l'évangile. L'histoire, également du
christianisme, démontre à quel point il est dangereux de se lier à des
organisations sociales et des institutions politiques d'une certaine époque
et combien il est difficile de s'en libérer.
« Pourtant, poursuit Harnack, il n'existe pas d'autre exemple
d'une religion qui soit née avec un verbe social aussi puissant que la
religion de l'évangile. Et pourquoi ? Parce que les paroles « aime ton
prochain comme toi-même » ici sont véritablement prises au sérieux ; parce
que, par ces mots, Jésus a éclairé toute la réalité de la vie, tout
l'univers de la faim et de la misère ... Au socialisme fondé sur des
intérêts antagonistes, il veut substituer un socialisme qui se fonde sur la
conscience d'une unité spirituelle... La règle spécieuse du ‘libre jeu des
forces', du ‘vivre et laisser vivre' - il serait mieux de dire : vivre et
laisser mourir - est en opposition ouverte avec l'évangile »3.
La position du message évangélique s'oppose, comme on le voit, tant à la
réduction de l'évangile à une proclamation sociale et à la lutte des
classes, qu'à la position du libéralisme économique du libre jeu des forces.
Le théologien évangélique se laisse aller par moments à un certain
enthousiasme : « Un spectacle nouveau - écrit-il - s'offrait au
monde ; jusqu'alors la religion ou s'était conformée aux choses de ce monde,
s'adaptant facilement au statu quo, ou campait dans les nuages, se mettant
en opposition directe avec tout. Alors que maintenant se présentait à elle
un nouveau devoir à accomplir : traiter par le mépris la nécessité et la
misère de cette terre, et pareillement la prospérité terrestre, tout en
soulageant les misères et les besoins de toute sorte ; lever le front vers
le ciel avec le courage qui vient de la foi, et travailler avec le cœur,
avec la main et avec la voix pour les frères de cette terre »4.
Qu'est-ce que la théologie dialectique, qui a succédé à celle libérale après
la première guerre mondiale, a à reprocher à cette vision libérale ?
Principalement son point de départ, son idée du royaume des cieux. Pour les
libéraux, celui-ci est de nature essentiellement éthique, un sublime idéal
moral, qui a comme fondements la paternité de Dieu et la valeur infinie de
chaque âme ; pour les théologiens dialectiques (K. Barth, R. Bultmann, M.
Dibelius et autres), il est de nature eschatologique ; il s'agit d'une
intervention souveraine et gratuite de Dieu, qui ne se propose pas tant de
changer le monde, que de dénoncer son organisation actuelle (« critique
radicale »), d'en annoncer la fin imminente (« eschatologie
conséquente »), en lançant l'appel à la conversion (« impératif
radical »).
Le caractère d'actualité de l'évangile réside dans le fait que « tout ce
qui est demandé n'est pas demandé d'une manière générale, par tous et pour
tous les temps, mais par cet homme et peut-être par lui seul, à ce moment-là
et peut-être seulement à ce moment-là ; et cela est demandé non pas sur la
base d'un principe éthique, mais en raison de la situation de décision dans
laquelle Dieu l'a placé lui, et peut-être lui seulement, maintenant et ici
»5. L'impact de l'évangile sur le social passe par l'individu, non à travers
la communauté ou l'institution ecclésiale.
La situation qui interpelle le croyant en Jésus Christ aujourd'hui est celle
créée par la révolution industrielle avec les mutations conséquentes sur le
rythme de la vie et du travail, avec le mépris de la personne humaine qui en
a résulté. Face à cette situation, il n'est pas donné de solutions «
chrétiennes » toutes faites, chaque croyant est appelé à donner sa
propre réponse sous sa propre responsabilité, dans l'obéissance à l'appel
que Dieu lui fait parvenir dans la situation concrète où il vit, même s'il
trouve un critère de fond dans la règle de l'amour du prochain. Il ne doit
pas adopter une attitude pessimiste et de résignation face aux situations,
mais ne doit pas se faire non plus d'illusion sur le changement du monde.
Peut-on encore parler, dans cette perspective, d'une importance sociale de
l'évangile ? Oui, mais uniquement quant à la méthode, pas quant au contenu.
Je m'explique. Cette vision réduit la signification sociale de l'évangile à
une signification « formelle », en excluant toute signification «
réelle », ou de contenu. En d'autres termes, l'évangile donne la
méthode, ou l'impulsion, pour une attitude correcte ou un agir chrétien
correct, rien de plus.
C'est là le point faible de cette vision. Pourquoi attribuer aux récits et
paraboles de l'évangile un sens uniquement formel (« comment accueillir
l'appel à la décision qui vient à moi, maintenant et ici ») et pas aussi un
sens réel et exemplaire. Est-il légitime, par exemple, à propos de la
parabole du mauvais riche, d'en ignorer les indications concrètes et claires
concernant l'usage et l'abus de la richesse, le luxe, le mépris du pauvre,
pour s'en tenir seulement à « l'impératif de l'heure » qui résonne à
travers la parabole ? N'est-il pas pour le moins curieux que Jésus ait voulu
simplement dire que là, devant lui, il fallait se décider pour Dieu et que,
pour le dire, il ait mis sur pied un récit aussi compliqué et détaillé qui,
au lieu de concentrer l'attention sur le centre d'intérêt, l'en détournerait
?
Une telle solution qui appauvrit le message du Christ se base sur de fausses
prémisses, à savoir qu'il n'y a pas d'exigences communes dans la parole de
Dieu qui concernent le riche d'aujourd'hui comme elles concernaient le riche
- et le pauvre - du temps de Jésus. Comme si la décision demandée par Dieu
était quelque chose de vide et d'abstrait - simplement se décider- et non se
décider sur quelque chose. Toutes les paraboles à fond social sont définies
« paraboles du royaume » et c'est ainsi qu'on leur applique une
signification unique, celle eschatologique.
4. La doctrine sociale de l'Eglise
Comme toujours, la doctrine sociale de l'Eglise catholique cherche davantage
la synthèse que l'opposition, la méthode du et - et, et non du aut - aut.
Elle fait conserver à l'évangile son « double éclairage » :
l'éclairage eschatologique et l'éclairage moral. En d'autres termes, elle
est d'accord avec la théologie dialectique sur le fait que le royaume de
Dieu prêché par le Christ n'est pas de nature essentiellement éthique,
c'est-à-dire un idéal qui tire sa force de la valeur universelle et de la
perfection de ses principes, mais qu'il s'agit d'une initiative nouvelle et
gratuite de Dieu qui, avec le Christ, fait irruption d'en-haut.
Elle s'écarte en revanche de la vision dialectique dans la manière de
concevoir le rapport entre ce royaume de Dieu et le monde. Entre les deux il
n'y a pas seulement une opposition et une incompatibilité, de même qu'il n'y
a pas d'opposition entre l'œuvre de la création et celle de la rédemption,
comme - nous l'avons vu dans la première méditation - il n'y a pas
d'opposition entre agape et eros. Jésus a comparé le royaume de Dieu au
levain mis dans la pâte pour la faire fermenter, à la semence jetée dans la
terre, au sel qui donne du goût aux aliments ; il dit qu'il n'est pas venu
pour juger le monde mais pour le sauver. Ceci nous permet de voir
l'influence de l'évangile dans la vie sociale sous un éclairage différent et
beaucoup plus positif.
Malgré toutes les différences dans la manière de présenter les choses, il y
a cependant quelques conclusions communes qui émergent de toute la réflexion
théologique sur le rapport entre l'évangile et la vie sociale. Nous pouvons
les résumer ainsi. L'évangile ne fournit pas de solutions directes aux
problèmes sociaux (malheur à lui - nous l'avons vu - s'il avait tenté de le
faire !) ; il contient toutefois des principes utiles pour l'élaboration de
réponses concrètes aux diverses situations historiques. Comme les situations
et les problèmes sociaux changent selon les époques, le chrétien est appelé
à incarner au fur et à mesure les principes de l'évangile dans la situation
du moment.
L'apport des encycliques sociales des papes est précisément celui-ci. Elles
se succèdent donc, en reprenant le discours là où les précédentes l'ont
laissé (dans le cas de l'encyclique de Benoît XVI, le discours de la «
Popularum progressio » de Paul VI) et le mettent à jour en fonction des
exigences nouvelles apparues dans une société (ici le phénomène de la
mondialisation) et aussi en fonction d'une interrogation toujours nouvelle
de la parole de Dieu.
Le titre de l'encyclique sociale de Benoît XVI « Caritas in veritate
» indique quels sont, dans ce cas, les fondements bibliques sur lesquels on
entend baser le discours sur la signification sociale de l'évangile : la
charité et la vérité. « La vérité - écrit-il - préserve et exprime
la force de libération de la charité dans les événements toujours nouveaux
de l'histoire. (...) Sans vérité, sans confiance et sans amour du vrai, il
n'y a pas de conscience ni de responsabilité sociale, et l'agir social
devient la proie d'intérêts privés et de logiques de pouvoir, qui ont pour
effets d'entrainer la désagrégation de la société, et cela d'autant plus
dans une société en voie de mondialisation et dans les moments difficiles
comme ceux que nous connaissons actuellement »6.
La diversité ne réside pas seulement dans les choses qui sont dites et dans
les solutions proposées mais aussi dans le genre adopté et dans l'autorité
de la proposition. Elle consiste, en d'autres termes, dans le passage de la
discussion théologique libre au magistère et d'une intervention sociale de
nature exclusivement « individuelle » (comme celle qui est proposée
par la théologie dialectique) à une intervention communautaire, en tant
qu'Eglise et pas seulement en tant qu'individus.
5. Notre rôle
Terminons par un sujet pratique qui nous interpelle tous, également ceux
d'entre nous qui ne sont pas appelés à travailler directement dans le
social. Nous avons vu l'idée que Nietzsche avait de l'importance sociale de
l'évangile. Ce dernier était effectivement pour lui le fruit d'une
révolution, mais d'une révolution au sens négatif, une régression par
rapport à la civilisation grecque ; c'était la revanche des faibles contre
les forts. Ce qu'il visait surtout, c'était la préférence donnée au fait de
servir plutôt que dominer, de se faire petit plutôt que vouloir se
distinguer et aspirer à de grandes choses.
Il accusait le christianisme pour un des plus beaux cadeaux qu'il avait fait
au monde. Un des principes à travers lesquels l'évangile influence le plus
et de manière la plus bénéfique le social est en effet précisément celui du
service. Ce n'est pas pour rien qu'il occupe une place importante dans la
doctrine sociale de l'Eglise. Jésus a fait du service un des piliers de son
enseignement (Lc 22, 25) ; il affirme lui-même qu'il est venu pour servir et
non pour être servi (Mc 10, 45).
Le service est un principe universel ; il s'applique à tous les aspects de
la vie : l'Etat devrait être au service des citoyens, le responsable
politique au service de l'Etat, le médecin au service des malades,
l'enseignant au service des élèves... Mais il s'applique de manière toute
spéciale aux serviteurs de l'Eglise. Le service n'est pas, en soi, une vertu
(la diakonia n'est mentionnée dans aucun catalogue des vertus, ou des fruits
de l'Esprit, dans le Nouveau Testament), mais naît de diverses vertus,
surtout de l'humilité et de la charité. C'est une manière dont se manifeste
cet amour qui « ne recherche pas ses propres intérêts, mais plutôt ceux
des autres » (cf. Ph 2, 4), qui donne sans rien attendre en retour.
Contrairement à celui du monde, le service évangélique n'a pas une
connotation d'infériorité, il n'évoque pas celui qui est dans le besoin,
mais plutôt la supériorité, celui qui est placé en haut. Jésus affirme que
dans son Eglise, c'est surtout celui « qui gouverne » qui doit être «
comme celui qui sert » (Lc 22, 26), le premier doit être « le
serviteur de tous » (Mc 10, 44). Nous nous préparons à la béatification
de Jean-Paul II. Dans son livre « Don et mystère », il explique cette
signification de l'autorité dans l'Eglise, avec une image forte. Il s'agit
de quelques vers composés par lui à Rome pendant la période du Concile :
« Tu es Pierre. Tu veux être ici le Sol
sur lequel marchent les autres... pour arriver là
où tu conduis leurs pas
- comme le rocher soutient les pas bruyants d'un troupeau ».
Terminons en écoutant, comme si elles étaient adressées à nous ici et
maintenant, les paroles que Jésus adressa à ses disciples juste après leur
avoir lavé les pieds : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous
m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je
vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez
vous laver les pieds les uns aux autres. Car c'est un exemple que je vous ai
donné, pour que vous fassiez, vous aussi comme moi j'ai fait pour vous »
(Jn 13, 12-15).
1 A. von Harnack, Mission und Ausbreitung des Christentums in
den ersten drei Jahrhunderten, Leipzig 1902.
2 S. Gregorio Magno, Commento a Giobbe, XX,1 (CCL 143°,p.1003).
3 A. von Harnack, Das Wesen des Christentums, Lipsia 1900. Trad. ital.
L'essenza del cristianesimo, Torino 1903, pp. 93 ss.
4 A. von Harnack, Il cristianesimo e la società, Mendrisio 1911, pp. 12-15.
5 M. Dibelius, Das soziale Motiv im Neuen Testament, in Botschaft und
Geschichte, Tubinga 1953, pp. 178-203.
6 Benoît XVI, "Caritas in veritate", n. 5.
Sources : ZF11041515
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.04.2011 - T/Méditation
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