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Un phénomène tout à fait inédit dans l’histoire des hommes
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Le 14 octobre 2014 -
(E.S.M.)
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François-Xavier Bellamy, philosophe, enseignant,
maire-adjoint de Versailles, est aussi engagé dans le débat d’idées,
très en pointe depuis qu’il a participé à la fondation des «
Veilleurs ». Il vient de publier un essai remarquable (1), à lire et
à faire lire, sur la nécessité vitale de revenir à la transmission
de la culture.
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La transmission du Savoir
L'urgence de transmettre
La Nef – En quoi la crise de la culture, et au-delà de toute la
société, est-elle la conséquence d’une rupture de la transmission, thèse
centrale de votre livre ?
François-Xavier Bellamy – La crise que nous traversons, sous toutes ses
formes, me semble avoir une seule et même racine : dans nos sociétés
occidentales, quelques générations ont refusé de transmettre à leurs
successeurs ce qu’elles-mêmes avaient reçu. Il
s’agit là d’un phénomène tout à fait inédit dans l’histoire des hommes
: une immense majorité d’adultes en sont venus à penser qu’enseigner à leurs
enfants le savoir, la culture, la morale, la religion dont ils avaient
hérité avant eux, allait enfermer leur liberté et les priver de leur
spontanéité. Cette rupture de la transmission, qui
s’est opérée aussi bien à l’école que dans les familles, dans les
institutions publiques comme dans l’Église, est la cause unique des
nombreuses facettes de la crise que nous vivons : échec éducatif, érosion du
lien social, isolement individualiste, fragilisation des familles… Même sur
le terrain de l’économie et de l’environnement, nous
vivons une rupture de la transmission.
Vous écrivez que cette rupture n’est pas due à un échec, mais est le
résultat d’une volonté délibérée qui se manifeste clairement chez trois
grands penseurs, Descartes, Rousseau et Bourdieu : pourriez-vous nous
expliquer cela ?
En effet, cette rupture de transmission est l’aboutissement d’un mouvement
de fond, de très grande ampleur – qu’il sera sans doute difficile de résumer
ici en quelques mots ! Pour le dire simplement, je crois que nous avons
raison de décrire la situation présente comme une crise ; et cependant,
contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément, cette crise n’est
pas un échec, ni un accident. Elle est le résultat de la critique dont la
modernité a fait son obsession. La modernité, vous le savez, commence avec
le travail de Descartes, qui par l’effort du doute tente de se libérer de
tout ce qui lui a été enseigné : pour la première fois, le fait d’avoir reçu
une éducation apparaît comme une malédiction, dont l’esprit critique peut
seul nous délivrer. Rousseau prolonge cette perspective en interdisant à
l’adulte d’influencer l’enfant : il faut le laisser, pour ainsi dire, à
l’état naturel, le protéger de l’inutile fatras de la culture. Bourdieu,
enfin, accomplit cette dénonciation de la transmission, en la présentant
comme l’occasion d’une discrimination, d’une ségrégation sociale. La
condamnation qu’il développait dans Les Héritiers, un ouvrage paru il y a
tout juste cinquante ans, habite désormais notre inconscient collectif…
Comment expliquer que de telles idées heurtant a priori le bon sens
aient pu se concrétiser, malgré le désastre auquel elles conduisent et qui
est maintenant patent ?
Ce qui anime cette volonté de déconstruction, c’est l’orgueil de l’homme qui
voudrait que rien ne le précède, qui refuse d’avoir besoin de rien recevoir.
Et cet orgueil – nous le constatons malheureusement dans nos propres vies,
qui n’en sont jamais complètement indemnes – cet orgueil nous conduit
irrémédiablement à nier le réel lorsqu’il nous oblige à reconnaître que nous
ne pouvons nous suffire à nous-mêmes. Cette négation peut durer jusqu’au
moment où le réel se rappelle brutalement à nous : c’est ce moment que l’on
appelle une crise.
Pourquoi, pour refonder la transmission, faut-il comprendre que la
culture relève davantage de l’être que de l’avoir ?
Nous décrivons souvent la culture comme un bagage : comme si l’école donnait
les « acquis » nécessaires pour s’en sortir dans la vie, pour tirer son
épingle du jeu sur le marché du travail. Quelle perspective réductrice ! La
culture n’est pas un outil qu’on stocke, elle est ce par quoi nous pouvons
devenir nous-mêmes. Elle n’est pas accessoire, mais essentielle. Prenez la
langue, qui en est la première forme : elle ne nous permet pas simplement
d’exprimer une idée qui serait déjà formée en nous. Au contraire : les mots
que nous avons reçus sont tout simplement la condition même de notre pensée.
Ainsi, nous ne portons pas notre culture comme un bagage encombrant : c’est
elle qui nous porte, et qui nous conduit jusqu’à notre propre liberté,
jusqu’à notre être singulier.
La rupture de la transmission conduit à gommer toutes les
différences : n’est-ce pas l’objectif d’une société de consommation
mondialisée où les hommes ne sont plus que des consommateurs
interchangeables, qu’ils vivent à Paris, New York ou Pékin ?
Effectivement, la déconstruction de la transmission nous condamne à
l’aliénation véritable, l’uniformité d’une société privée de ce qui peut
seul faire naître des personnalités et des identités singulières. La
mondialisation est l’une des formes que prend aujourd’hui cet
appauvrissement culturel.
À partir de là, faites-vous un lien entre la destruction de la
culture et l’expansion de l’idéologie libérale-libertaire qui se traduit
aussi bien par la financiarisation de l’économie que par l’évincement des
nations ou l’avancée de toutes les « lois sociétales » comme le « mariage
pour tous » ?
Bien sûr : dans tous les domaines se déploie une même
volonté de déconstruction, dont la modernité espère voir surgir un grand
vide qu’elle confond avec la liberté… Voilà son espoir secret :
lorsque nous serons délivrés du fardeau de la culture, et ainsi rendus
insensibles aux singularités de la nature, nous pourrons enfin construire
seuls nos vies, à partir de rien. La première étape consiste à vider les
mots de leur sens : ne plus pouvoir dire « homme » ou « femme », « vrai » ou
« faux », « bien » ou « mal » – ne plus rien pouvoir dire, pour pouvoir
faire n’importe quoi de notre existence : au fond, il s’agit, pour n’être
plus déterminés par rien, de devenir complètement indifférents, indistincts.
Et pour y parvenir, il faut commencer par combattre la langue elle-même :
affirmer par exemple qu’un papa et une maman, c’est en fait la même chose,
c’est vider ces mots de leur substance, et ainsi rendre impossible toute
distinction, pour pouvoir agir n’importe comment, dans le vide ainsi créé.
De la signification du mariage, il ne reste plus
qu’un chiffre : une paire d’individus. Nous voyons se dessiner
ainsi ce que le pape François, à Lampedusa, appelait « la mondialisation
de l’indifférence » : l’appauvrissement de la culture dissout toute
trace d’altérité, pour ramener les personnes à la plus pauvre des
différences, la distinction numérique. Incapables d’exprimer l’infinie
singularité des personnes, nous ne pouvons plus les considérer que comme des
individus identiques, comme de simples numéros. Le retrait de la langue
accompagne l’hégémonie de la technique et de l’administration. Au fond, il
s’agit de combattre la description du monde jusqu’à ce que soit accomplie sa
numérisation.
Le remède, dites-vous, est de ne plus avoir peur de transmettre
notre culture : comment cela peut-il se faire concrètement dans le contexte
actuel ? Comment redonner le sens des limites sans revenir à la notion de
transcendance, donc de Dieu ?
La crise que nous traversons est l’occasion qui nous est donnée de retrouver
le contact avec le réel. Elle se manifeste bien sûr de façon douloureuse ;
mais il nous appartient sans doute d’offrir à nos contemporains les mots qui
leur manquent pour penser ce qui nous arrive, et la nécessité de ces
distinctions qui doivent nous guider si nous voulons vivre une authentique
liberté. Finalement, la plus urgente des reconquêtes, c’est celle du
vocabulaire ; car encore une fois, c’est dans une langue riche de sens que
notre regard peut contempler le réel, et accepter de s’en émerveiller. C’est
d’ailleurs à cela qu’aspirent ceux qui nous entourent, et tant de jeunes en
particulier, même et surtout parmi les plus déshérités ! Pour faire ce
premier pas, il n’est pas nécessaire, je crois, d’invoquer une transcendance
; même si nous devons être bien conscients que, ultimement, la conversion
que nous avons à vivre et à transmettre est tout entière spirituelle.
Le contraire de la déconstruction, c’est l’action de
grâces.
Vous avez été l’un des animateurs des « Veilleurs » et êtes très
engagé dans le combat intellectuel depuis la mobilisation de la Manif pour
tous : quelle leçon tirez-vous de ces événements et comment voyez-vous
l’avenir, peut-on agir pour inverser la tendance ?
Non seulement nous pouvons « inverser la tendance », mais nous le devons !
Car le chemin de la déculturation est un chemin de mort – l’autre nom de
cette « culture de mort » que l’Église a su si bien, et si tôt, désigner. Je
crois que cette inversion – ou plutôt cette conversion – répond, au fond, à
la soif inconsciente de l’immense majorité de nos contemporains. L’épisode
du débat sur le « mariage pour tous » a révélé, au fond, que la victoire est
peut-être proche ; il a sans doute marqué la dernière victoire d’une
génération obsédée par la destruction de notre héritage, mais qui, de façon
logique, part aujourd’hui sans héritiers. Les jeunes au contraire ont
témoigné en nombre, et avec une grande générosité, de leur désir d’une
société qui accepte de reconnaître ce qu’elle reçoit, la fécondité de la
nature dans les différences qui la traversent, et la richesse de la culture
dans la sagesse qu’elle nous transmet. Voir tant de jeunes se lever pour
refuser qu’on leur vole leur héritage, voilà un immense signe d’espérance !
Propos recueillis par Christophe Geffroy
(1) François-Xavier Bellamy, Les déshérités, ou l’urgence de
transmettre, Plon, 2014, 210 pages, 17 e
A lire et relire :
►
Le
pape Benoît XVI et les valeurs chrétiennes
►
Benoît XVI a présidé la Solennité du baptême du "Fils bien-aimé"
Sources : La
Nef
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.10.2014
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