Liturgie et vie psychique |
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Le 14 avril 2009 -
(E.S.M.)
- Au mois de mai de cette année, l'Association "Religiosité en
psychiatrie et psychothérapie" (RPP)
organise, en collaboration avec l'Université
pontificale Benoît XVI d'Heiligenkreuz, une session intitulée "liturgie
et vie psychique".
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Le pape Benoît XVI -
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Liturgie et vie psychique
Le 14 avril 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Au mois de mai de cette année, l'Association "Religiosité en psychiatrie
et psychothérapie" (RPP) organise, en
collaboration avec l'Université pontificale Benoît XVI d'Heiligenkreuz, une
session intitulée "liturgie et vie psychique". Cette session se
déroulera au monastère cistercien d'Heilengkreuz, près de Vienne en
Autriche, où la liturgie conciliaire est intégralement célébrée en latin et
chantée en grégorien. On y entendra un spécialiste de la thérapie du couple,
Jürg Will, le psychiatre Raphaël Bonelli, et la philosophe Hanna-Barbara
Gerl-Falkovitz, ainsi que le Recteur de l'université d'Heiligenkreuz, Dom
Karl Wallner, O. Cist. Le journal "Tagespost" a interrogé le Père Wallner.
Tagespost: La position des psychothérapeutes, et en particulier de ceux qui
pratiquent l'analyse psychiatrique est généralement plutôt critique par
rapport à la religion. Et voilà que vous organisez au monastère d'Heiligenkreuz
un cycle de conférences intitulé "Liturgie et vie psychique". N'est-ce pas
là un choc frontal entre deux mondes, celui très rationnel de la
psychothérapie, et celui de la foi?
Dom Wallner: Je pense que la psychothérapie, dans ce qu'elle a de
strictement rationnel, arrive lentement à son terme. Dans ce domaine, nous
sommes en effet en train de redécouvrir la dimension spirituelle de ce que
la psychothérapie appelle l'âme. Un dialogue devra nécessairement s'établir
entre ces deux mondes, et nous avons choisi un programme suffisamment large
pour qu'il en soit ainsi. Je pense que nous pourrons nous entendre sur un
point fondamental, à savoir qu'il est indispensable que l'homme trouve des
moments, des attitudes, lui permettant d'atteindre une certaine forme de
repos de l'âme.
Tagespost: N'y a-t-il donc plus de risque de friction entre la
psychothérapie et l'Eglise?
Dom Wallner: Je pense qu'au contraire l'ésotérisme nous a sans doute aidé à
redécouvrir des notions que nous avions eu tendance, dans l'Eglise, à
liquider au nom d'un certain libéralisme: il faut réapprendre à considérer
l'homme dans sa dimension spirituelle et dans sa relation avec Dieu. La
psychologie a en effet compris que l'âme humaine ne pouvait être décrite
sans tenir compte de la notion de transcendance. Nous avons du retard à
rattraper: ce qui dans l'Eglise et dans le domaine de la psychologie est de
l'ordre du rationnel doit prendre en compte le fait que l'homme porte en lui
un profond désir de Dieu.
Tagespost: Jusqu'ici les conférences RPP ont cherché à répondre à la
question de savoir si la religion rend malade, ou si au contraire elle
contribue à une bonne santé psychologique. C'est le genre de questions qu'il
est possible traiter sur un plan académique. Mais la session de cette année
prévoit de confronter les psychiatres à ce qu'il y a de plus sacré, à la
liturgie. N'est-ce pas aller trop loin?
Dom Wallner: Je n'ai pas encore réfléchi à ce que des psychiatres pourraient
dire à propos de liturgie. Mais, par expérience personnelle, je ressens la
liturgie (1) comme un facteur de stabilité essentiel à toute ma vie
émotionnelle, ne serait-ce que sur un plan purement humain. La liturgie
offre un espace immense qui chaque jour s'ouvre à nouveau devant moi.
D'autre part les formes liturgiques comportent aussi une dimension sociale.
Je vis dans un monastère qui est plein à craquer, et qui vit de la liturgie.
C'est à la liturgie que nous devons notre unité, comparable à l'unité des
membres d'un corps; c'est elle qui nous permet de vivre l'expérience de
cette unité. Je suis curieux de savoir comment les gens de l'extérieur vont
appréhender ces choses. Pour moi il est parfaitement clair que la liturgie
(1) a un effet stabilisant et salutaire pour notre être psychologique.
Tagespost: Peut-on généraliser cette idée? L'homme a-t-il besoin de rites
dans la société?
Dom Wallner: L'Eglise a toujours enseigné que l'homme est irrémédiablement
attiré par Dieu: il a de tout temps cherché à exprimer cette attirance à
travers le culte et les rites. Même dans les contextes de théories luttant
consciemment contre toute idée de religion, s'instaurent très vite des rites
séculiers. On peut citer de nombreux exemples de situations qui singent la
liturgie chrétienne: qu'on pense aux cérémonies initiatiques de jeunes en
DDR du temps du communisme; ou encore à certaines émissions de télévision où
l'on vient se confesser en public selon un rituel bien établi, où il manque
pourtant la réconciliation et l'absolution, le seul but n'étant que la
satisfaction de la curiosité du public. Car le monde séculier sait bien au
fond l'importance du rite et du culte pour le bien-être des hommes.
Tagespost: Est-ce la fin de l'idéologie du "faire"? L'homme prendrait-il
conscience de son besoin - comme c'est le cas en liturgie - de pouvoir se
glisser dans quelque chose de pré-établi qu'il n'aurait pas fabriqué
lui-même?
Dom Wallner: J'espère bien que cette folie de se croire obligé de tout faire
par soi-même va cesser. La liturgie est en contradiction totale avec cet
état d'esprit. Si nous avons vécu dans l'Eglise catholique une telle
décadence de la liturgie, c'est bien parce qu'une partie du clergé avait
cédé à cette folie du "faire", du "produire". La liturgie catholique est
essentiellement un "opus operatum": c'est Dieu qui agit à travers le prêtre
et ceux qui célèbrent avec lui. Nous nous plaçons à l'intérieur du rite,
dans le flot du fleuve divin qui coule sur le monde. Nous faisons place à
une réalité que nous n'avons pas créée, une réalité qui n'est présente que
dans la mesure où nous la laissons agir.
La liturgie ne produit pas par elle-même une relation à Dieu, mais le
croyant se conduit de telle façon que - pour le dire crûment - Dieu puisse
faire son boulot à son égard, c'est-à-dire s'approcher de nous dans sa
miséricorde, demeurer au milieu de nous, rendre son salut présent en nous.
L'essence même de la liturgie catholique repose dans ce "faire place" à la
réalité divine, et non pas dans un "produire" quelque chose. Elle est un
"laisser faire Dieu" par ses dons agissants, et dans ce sens en
contradiction totale avec la folie de prétendre tout faire par soi-même.
Tagespost: En même temps la liturgie se présente comme une façon de
s'insérer dans une communauté, composée non seulement des fidèles présents
dans un lieu donné, mais surtout dans la communauté de l'Eglise de tous les
temps et de tous les lieux. Cela peut-il contribuer à ce que l'homme trouve
sa véritable place?
Dom Wallner: Tout rituel, même séculier et d'ordre purement psychologique,
peut contribuer à faire trouver à l'homme sa véritable place dans une
communauté. Cela peut avoir des conséquences positives, mais aussi des
effets négatifs. Konrad Lorenz l'avait bien compris lorsqu'en parlant des
événements de 1938, il disait: "Sitôt que les trompettes retentissent, la
raison sombre". On peut penser aussi aux jeux olympiques de 1936, lorsqu'un
rituel devenu démoniaque a fait que l'individu ne pouvait plus s'échapper du
collectif.
Dans la liturgie de l'Eglise, l'individu n'est lié à la communauté que dans
la mesure où il se laisse séduire par le seul acteur de la liturgie, à
savoir le Christ lui-même. Souvenez-vous des termes utilisés par S. Augustin
dans son commentaire de l'Evangile de S. Jean lorsqu'il parle de l'ostension
de l'hostie: "Lorsque tu dis amen, c'est à toi-même que tu dis oui, à ta
volonté d'être un membre de l'Eglise". Autrement dit: lorsque je célèbre la
liturgie, j'entre dans le Corpus Christi Mysticum, j'entre dans une relation
plus profonde avec les autres membres de ce Corps mystique. A partir de ce
moment-là seulement se constitue la communauté de l'Eglise. J'argumente ici
contre une compréhension superficielle de la liturgie comme acte social,
comme si son but essentiel était de produire un feeling fraternel sur un
plan purement psychologique. Dans la liturgie, plus la relation
transcendante avec le Christ sera forte, mieux pourra se former,
surnaturellement, le lien ecclésial de communauté.
Tagespost: Peut-on alors parler d'une fonction "psycho-hygiénique" de la
liturgie?
Dom Wallner: Absolument. Et je l'expérimente en permanence. Je vis ici dans
une des situations les plus extrêmes à laquelle un homme peut être
confronté, à savoir dans une communauté de 50 hommes célibataires, dans un
monastère. Cela signifie des caractères, des tempéraments très divers: d'une
part nous voulons faire quelque chose de grand pour Dieu, et d'autre part
nous devons vivre en harmonie avec cette communauté sous la conduite d'un
Abbé. Cela n'est possible que parce que nous célébrons ensemble la liturgie.
Un exemple: Il arrive que le coléreux se rende à l'office fou de rage contre
un de ses frères; mais voilà qu'il se retrouve dans le chœur à côté de lui,
et prie Dieu durant deux longues heures. Cela n'est pas neutre,
psychologiquement parlant: cela provoque nécessairement une certaine
détente, une décrispation, un soulagement, ce qui permet en fin de compte un
baiser de paix réussi. Je ne peux pas me représenter une telle forme de vie
sans le déroulement permanent de la liturgie, sans cette conversion
permanente vers Celui qui est la Source.
Tagespost: Pour le moine que vous êtes, la liturgie, c'est du quotidien;
chaque jour est imprégné et porté par la liturgie. Mais que pensez-vous du
fait que pour le fidèle laïc, la liturgie est justement différente de son
quotidien? Du fait que l'espace sacré, les signes sacrés, l'action sacrée,
la langue liturgique, soient justement différents de l'espace quotidien, des
actes et de la langue de tous les jours?
Dom Wallner: Aujourd'hui c'est la mode du bien-être, du wellness. Une mode
qui prospère parce qu'elle considère l'homme dans son intégrité, mais aussi
parce qu'elle lui permet d'expérimenter quelque chose de nouveau, d'entrer
dans un autre monde. En transposant cela sur un plan psychologique, cela
fonctionne aussi: la liturgie est un bien-être pour l'âme. Il n'y a rien de
pire pour moi que d'envisager des liturgies où l'on parlerait, où l'on
bougerait comme dans un quotidien banal. Non, la liturgie nous sort
justement du quotidien, et nous conduit ailleurs, dans un autre monde de
gestes, d'attitudes, de langue. Un prêtre se déplace différemment, ses
vêtements sont différents, les sons, les lieux sont autres. L'idée des
années 70, qui voulait que l'on reproduise la banalité du quotidien à
l'intérieur des édifices sacrés, est à présent dépassée. On construisait
alors des églises dans le style "garage". Mais lorsque des jeunes couples se
marient, ou font baptiser leurs enfants, ils recherchent une certaine
esthétique; ils cherchent une église qui les séduit déjà sur le plan
optique, un endroit où ils puissent éprouver quelque chose comme "le ciel
sur la terre". Ceci constitue d'ailleurs l'essence même de la liturgie: se
sentir autre, expérimenter que là, le ciel touche la terre. Cela se traduit
par des gestes, des actes, une langue. Les jeunes trouvent "cool" qu'ici, à
Heiligenkreuz, nous ayons conservé le latin, parce que c'est différent de
l'uniformité qu'ils connaissent au quotidien. Si la liturgie parvient à nous
donner cette impression du tout autre, alors elle pourra à nouveau attirer
les hommes.
Tagespost: Mais si la liturgie est "bien-être de l'âme", est-ce à dire que
cela fonctionne aussi sans la foi? Pourrait-on utiliser aussi les rituels
d'autres religions en ce qu'ils ont de bienfaisant pour l'âme?
Dom Wallner: Oui, un rituel fonctionne ainsi sur le plan psychologique. J'ai
reçu un abondant courrier de la part de personne athées se sentant vraiment
concernées par le chant grégorien, tout en voulant rester athées. Je dirais
que le Bon Dieu agit toujours sur deux plans: sur le plan naturel et sur le
plan surnaturel. La contemplation d'un lever de soleil n'est pas encore à
proprement parler une expérience du divin, mais à travers cette nature qu'il
a façonnée, le Créateur nous envoie quelque chose de beau. De la même façon,
le Créateur nous permet d'expérimenter le coté positif des cultes et de la
liturgie de diverses religions: mais cela, bien sûr ne nous suffit pas, loin
de là. Dans notre liturgie à nous, Dieu s'est impliqué dans les événements.
Ceux-ci renferment bien plus qu'une simple satisfaction psychologique qui ne
peut qu'être superficielle. Et puis, un rituel religieux qui ne repose pas
sur la foi finit tôt ou tard par s'affadir, devenant ennuyeux, tel une
coquille vide.
Je connais pourtant plusieurs personnes qui, grâce à de telles coquilles,
comme les pratiques de méditation orientales, ont fini par renier leur
athéisme. Ces pratiques venues d'Extrême Orient les ont ensuite menées, par
une réflexion plus approfondie, jusqu'aux portes du christianisme: l'une
d'elles va même entrer dans notre monastère. C'est ainsi que Dieu se sert
des rituels d'autres religions, dans ce qu'ils contiennent de vrai et de
bon, pour conduire jusqu'à ce noyau incandescent où lui-même est présent, et
demeure présent dans son Eglise.
Tagespost: Existe-t-il une relation plus profonde entre salut et guérison?
Dans la liturgie nous rencontrons le salut: pouvons-nous aussi y trouver la
guérison?
Dom Wallner: Tout dépend de ce que nous entendons par salut. Le grand
malheur de ce temps est l'expérience du vide, du manque de sens de la vie.
La liturgie devient alors pour les gens un grand point d'interrogation:
pourquoi font-ils cela? Ils ont besoin d'être guéris de cette maladie
conduisant à ne pas trouver de sens à leur vie. Dans son
discours à Heiligenkreuz, en septembre 2007, le pape Benoît XVI a exprimé cela de très
belle manière: "Une communauté qui se réunit quotidiennement durant quatre
heures pour chanter les louanges du Seigneur, donne un témoignage: le
témoignage de ce que la vie a un sens, qu'il existe quelque chose qui mérite
qu'on lui consacre toute une vie." C'est dans ce sens que la liturgie
comporte pour l'homme d'aujourd'hui un aspect salutaire.
Tagespost: Romano Guardini écrivait que la liturgie ne semble pas se
préoccuper beaucoup de la situation concrète de l'homme. Car, disait-il, "en
réalité elle le sait fort bien: celui qui vit en elle devient authentique,
sain et paisible au plus profond de soi." Alors, on y revient: la liturgie
est-elle une thérapie?
Dom Wallner: Il serait faux d'instrumentaliser la liturgie pour en faire une
thérapie. Nous ne célébrons pas la liturgie avec l'idée qu'elle serait pour
nous et pour les autres une thérapie. Elle est tout d'abord une action
entièrement tournée vers Dieu. Il ne serait pas juste de célébrer la
liturgie en lorgnant sur un possible effet de guérison. La liturgie ne peut
être authentique que dans la mesure où elle est totalement théocentrique.
Mais à partir de là, on peut laisser Dieu agir. Et alors toute une palette
d'effets thérapeutiques devient possible.
(1) Lorsque Dom Wallner parle de liturgie, il est bien entendu qu'il ne
parle que de la liturgie de l'Eglise et non des célébrations imaginées par
des célébrants où des équipes dont certaines instabilités psychologiques
toujours possibles risquent de rejaillir sur les fidèles par le biais de
pratiques liturgiques subjectives (n.d.l.r.).
Sources : Pro
Liturgia
Kath.net. Trad. MH/APL.
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.04.09 -
T/Eglise |