Benoît XVI s'adresse au monde de la
culture au collège des Bernardins |
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Paris, le 12 septembre 2008 -
(E.S.M.)
- Le pape Benoît XVI s'est adressé au monde de la culture
au Collège des Bernardins, édifice cistercien du XIIIe siècle dont la
restauration a été inaugurée le 5 septembre dernier. Le saint-Père a
rédigé ce discours dans sa langue maternelle puis a été traduit en
français, langue dans laquelle il s'est exprimé.
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Le pape Benoît XVI aux
Bernardins
Benoît XVI s'adresse au monde de la culture au collège des Bernardins
Le 12 septembre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- Le pape Benoît XVI s'est adressé au monde de la culture au Collège des Bernardins,
édifice cistercien du XIIIe siècle dont la restauration a été inaugurée le 5
septembre dernier. Le saint-Père a rédigé ce discours dans sa langue
maternelle puis a été traduit en français, langue dans laquelle il s'est
exprimé. Cette visite a débuté par le mot d'accueil du cardinal André
Vingt-Trois, suivi d'une salutation au Pape au nom de tous les invités présents par
le chancelier de l'Institut Gabriel de Broglie. Benoît XVI a ensuite
prononcé
pour son discours devant 700 personnalités du monde de la culture française.
Discours du pape Benoît XVI au collège des Bernardins à l'occasion de sa
rencontre avec le monde de la culture
Monsieur le Cardinal,
Madame le Ministre de la Culture,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Chancelier de l’Institut,
Chers amis,
Merci, Monsieur le Cardinal, pour vos aimables paroles. Nous nous trouvons
dans un lieu historique, lieu édifié par les fils de saint Bernard de
Clairvaux et que votre prédécesseur, le regretté Cardinal Jean-Marie
Lustiger, a voulu comme un centre de dialogue de la Sagesse chrétienne avec
les courants culturels intellectuels et artistiques de votre société. Je
salue particulièrement Madame le Ministre de la Culture qui représente le
gouvernement, ainsi que Messieurs Giscard d’Estaing et Chirac. J’adresse
également mes salutations aux ministres présents, aux représentants de
l’Unesco, à Monsieur le Maire de Paris et à toutes les autorités. Je ne veux
pas oublier mes collègues de l’Institut de France qui savent ma
considération et je désire remercier le Prince de Broglie de ses paroles
cordiales. Nous nous reverrons demain matin. Je remercie les délégués de la
communauté musulmane française d’avoir accepté de participer à cette
rencontre ; je leur adresse mes vœux les meilleurs en ce temps du ramadan.
Mes salutations chaleureuses vont maintenant tout naturellement vers
l’ensemble du monde multiforme de la culture que vous représentez si
dignement, chers invités.
J’aimerais vous parler ce soir
des
origines de la théologie occidentale et
des racines de la culture européenne. J’ai mentionné en ouverture que le
lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture
monastique. De jeunes moines ont ici vécu pour s’initier profondément à leur
vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu évoque-t-il pour nous
encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ?
Pour pouvoir répondre, nous devons réfléchir un instant sur la nature même
du
monachisme occidental. De quoi s’agissait-il alors ? En considérant les
fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu’au cours de la grande
fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la
formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces
où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces
derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle. Comment cela s’est-il
passé ? Quelle était la motivation des personnes qui se réunissaient en ces
lieux ? Quelles étaient leurs désirs ? Comment ont-elles vécu ?
Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que
leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une
culture du passé. Leur motivation était
beaucoup plus simple.
Leur objectif
était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de
ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la
plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure
toujours, trouver la Vie elle-même.
Ils étaient à la recherche de Dieu. Des
choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce
qui, seul, est vraiment important et sûr. On dit que leur être était tendu
vers l’« eschatologie ». Mais cela ne doit pas être compris au sens
chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés vers la fin
du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel :
derrière le
provisoire, ils cherchaient le définitif. Quaerere Deum
: comme ils étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un
désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même
a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche
consistait à la trouver et à la suivre.
Cette voie était sa Parole
qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. La
recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole,
ou, comme le disait Dom Jean Leclercq (1) : eschatologie et grammaire sont
dans le monachisme occidental indissociables l’une de l’autre
(cf. L’Amour des lettres et le désir de Dieu, p.14).
Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son
exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu
est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer
le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses
usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences
profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient
importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du
monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un
chemin vers la parole. Saint Benoît appelle le monastère une dominici servitii schola, une école du service du Seigneur. L’école et la
bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur
la base de laquelle l’homme apprend à percevoir, au milieu des paroles, la
Parole.
Pour avoir une vision d’ensemble de cette culture de la parole liée à la
recherche de Dieu, nous devons faire un pas supplémentaire. La Parole qui
ouvre le chemin de la recherche de Dieu et qui est elle-même ce chemin est
une Parole qui donne naissance à une communauté. Elle remue certes jusqu’au
fond d’elle-même chaque personne en particulier
(cf. Ac 2, 37).
Grégoire le Grand décrit cela comme une douleur forte et inattendue qui
secoue notre âme somnolente et nous réveille pour nous rendre attentifs à
Dieu
(cf. Leclercq, ibid., p. 35).
Mais elle nous rend aussi attentifs les uns aux autres. La Parole ne conduit
pas uniquement sur la voie d’une mystique individuelle,
mais elle nous introduit dans la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi. C’est
pourquoi il faut non seulement réfléchir sur la Parole, mais également la
lire de façon juste. Tout comme à l’école rabbinique, chez les moines, la
lecture accomplie par l’un d’eux est également un acte corporel. « Le plus
souvent, quand legere et lectio sont employés sans spécification, ils
désignent une activité qui, comme le chant et l’écriture, occupe tout le
corps et tout l’esprit », dit à ce propos Dom Leclercq
(ibid., p. 21).
Il y a encore un autre pas à faire. La Parole de Dieu elle-même nous
introduit dans un dialogue avec Lui. Le Dieu qui parle dans la Bible nous
enseigne comment nous pouvons Lui parler. En particulier, dans le Livre des
Psaumes, il nous donne les mots avec lesquels nous pouvons nous adresser à
Lui. Dans ce dialogue, nous Lui présentons notre vie, avec ses hauts et ses
bas, et nous la transformons en un mouvement vers Lui. Les Psaumes
contiennent en plusieurs endroits des instructions sur la façon dont ils
doivent être chantés et accompagnés par des instruments musicaux. Pour prier
sur la base de la Parole de Dieu, la seule labialisation ne suffit pas, la
musique est nécessaire. Deux chants de la liturgie chrétienne dérivent de
textes bibliques qui les placent sur les lèvres des Anges : le Gloria qui
est chanté une première fois par les Anges à la naissance de Jésus, et le
Sanctus qui, selon Isaïe 6, est l’acclamation des Séraphins qui se tiennent
dans la proximité immédiate de Dieu. Sous ce jour, la Liturgie chrétienne
est une invitation à chanter avec les anges et à donner à la parole sa plus
haute fonction. À ce sujet, écoutons encore une fois Jean Leclercq : « Les
moines devaient trouver des accents qui traduisent le consentement de
l’homme racheté aux mystères qu’il célèbre : les quelques chapiteaux de
Cluny qui nous aient été conservés montrent les symboles christologiques des
divers tons du chant »
(cf. ibid., p. 229).
Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines
est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine –
en
présence des anges, je veux te chanter, Seigneur
(cf. 138, 1).
Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière
communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à
la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits
sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos,
de la musique des sphères. les moines, par leurs prières et leurs chants,
doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son
impératif de réelle beauté.
De cette exigence capitale de parler avec Dieu
et de Le chanter avec les mots qu’Il a Lui-même donnés est née la grande
musique occidentale. Ce n’était pas là l’œuvre d’une « créativité »
personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation
de son propre moi, s’érige un monument à lui-même. Il s’agissait plutôt de
reconnaître attentivement avec les « oreilles du cœur » les lois
constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles
de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et
d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps,
authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité.
Enfin, pour s’efforcer de saisir cette culture monastique occidentale de la
parole, qui s’est développée à partir de la quête intérieure de Dieu, il
faut au moins faire une brève allusion à la particularité du Livre ou des
Livres par lesquels cette Parole est parvenue jusqu’aux moines. Vue sous un
aspect purement historique ou littéraire, la Bible n’est pas un simple
livre, mais un recueil de textes littéraires dont la rédaction s’étend sur
plus d’un millénaire et dont les différents livres ne sont pas facilement
repérables comme constituant un corpus unifié. Au contraire, des tensions
visibles existent entre eux. C’est déjà le cas dans la Bible d’Israël, que
nous, chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Ça l’est plus encore quand
nous, chrétiens, lions le Nouveau Testament et ses écrits à la Bible
d’Israël en l’interprétant comme chemin vers le Christ. Avec raison, dans le
Nouveau Testament, la Bible n’est pas de façon habituelle appelée «
l’Écriture » mais « les Écritures » qui, cependant, seront ensuite
considérées dans leur ensemble comme l’unique Parole de Dieu qui nous est
adressée. Ce pluriel souligne déjà clairement que la Parole de Dieu nous
parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles
humaines, c’est-à-dire que Dieu nous parle seulement dans l’humanité des
hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire. Cela signifie, ensuite,
que l’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement
perceptible. Pour le dire de façon moderne : l’unité des livres bibliques et
le caractère divin de leurs paroles ne sont pas saisissables d’un point de
vue purement historique. L’élément historique se présente dans le multiple
et l’humain. Ce qui explique la formulation d’un distique médiéval qui, à
première vue, apparaît déconcertant : Littera gesta docet – quid credas
allegoria…
(cf. Augustin de Dacie, Rotulus pugillaris, I).
La lettre enseigne les faits ; l’allégorie ce qu’il faut croire,
c’est-à-dire l’interprétation christologique et pneumatique.
Nous pouvons exprimer tout cela d’une manière plus simple : l’Écriture a
besoin de l’interprétation, et elle a besoin de la communauté où elle s’est
formée et où elle est vécue. En elle seulement, elle a son unité et, en
elle, se révèle le sens qui unifie le tout. Dit sous une autre forme : il
existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui se découvrent
uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire. À
travers la perception croissante de la pluralité de ses sens, la Parole
n’est pas dévalorisée, mais elle apparaît, au contraire, dans toute sa
grandeur et sa dignité. C’est pourquoi le
Catéchisme de l'Eglise catholique
peut affirmer avec raison que le christianisme n’est pas au sens classique
seulement une religion du livre
(cf. n. 108).
Le christianisme perçoit dans les paroles la Parole, le Logos lui-même, qui
déploie son mystère à travers cette multiplicité. Cette structure
particulière de la Bible est un défi toujours nouveau posé à chaque
génération. Selon sa nature, elle exclut tout ce qu’on appelle aujourd’hui «
fondamentalisme ». La Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement
présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un
dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le
mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit
devenir également un processus vital. Ce n’est que dans l’unité dynamique de
leur ensemble que les nombreux livres ne forment qu’un Livre. La Parole de
Dieu et Son action dans le monde se révèlent dans la parole et dans
l’histoire humaines.
Le caractère crucial de ce thème est éclairé par les écrits de saint Paul.
Il a exprimé de manière radicale ce que signifient le dépassement de la
lettre et sa compréhension holistique, dans la phrase : « La lettre tue,
mais l’Esprit donne la vie »
(2 Co 3, 6).
Et encore : « Là où est l’Esprit…, là est la liberté »
(2 Co 3, 17). Toutefois, la
grandeur et l’ampleur de cette perception de la Parole biblique ne peut se
comprendre que si l’on écoute saint Paul jusqu’au bout, en apprenant que
cet Esprit libérateur a un nom et que, de ce fait, la
liberté a une mesure intérieure : « Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où
l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté »
(2 Co 3, 17).
L’Esprit qui rend libre ne se laisse pas réduire à l’idée ou à la vision
personnelle de celui qui interprète. L’Esprit est Christ, et le Christ est
le Seigneur qui nous montre le chemin. Avec cette parole sur l’Esprit et sur
la liberté, un vaste horizon s’ouvre, mais en même temps, une limite claire
est mise à l’arbitraire et à la subjectivité, limite qui oblige fortement
l’individu tout comme la communauté et noue un lien supérieur à celui de la
lettre du texte : le lien de l’intelligence et de l’amour. Cette tension
entre le lien et la liberté, qui va bien au-delà du problème littéraire de
l’interprétation de l’Écriture, a déterminé aussi la pensée et l’œuvre du
monachisme et a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se
présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que
sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme
fondamentaliste. Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais
la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et
favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens
et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction.
En considérant « l’école du service du Seigneur » – comme Benoît appelait le
monachisme –, nous avons jusque-là porté notre attention prioritairement sur
son orientation vers la parole, vers l’« ora ». Et, de fait, c’est à
partir de là que se détermine l’ensemble de la vie monastique. Mais notre
réflexion resterait incomplète si nous ne fixions pas aussi notre regard, au
moins brièvement, sur la deuxième composante du monachisme, désignée par le
terme « labora ». Dans le monde grec, le travail physique était
considéré comme l’œuvre des esclaves. Le sage, l’homme vraiment libre, se
consacrait uniquement aux choses de l’esprit, retrace Benoît
XVI ; il abandonnait le travail
physique, considéré comme une réalité inférieure, à ces hommes qui n’étaient
pas supposés atteindre cette existence supérieure, celle de l’esprit. La
tradition juive était très différente : tous les grands rabbins exerçaient
parallèlement un métier artisanal. Paul, comme rabbi puis comme héraut de l’Évangile
aux Gentils, était un fabricant de tentes et il gagnait sa vie par le
travail de ses mains. Il n’était pas une exception, mais il se situait dans
la tradition commune du rabbinisme. Le monachisme chrétien a accueilli cette
tradition : le travail manuel en est un élément constitutif. Dans sa
Regula, Benoît ne parle pas au sens strict de l’école, même si
l’enseignement et l’apprentissage – comme nous l’avons vu – étaient acquis
dans les faits ; en revanche, il parle explicitement du travail
(cf. chap. 48).
Augustin avait fait de même en consacrant au travail des moines un livre
particulier. Les chrétiens, s’inscrivant dans la tradition pratiquée depuis
longtemps par le judaïsme, devaient, en outre, se sentir interpellés par la
parole de Jésus dans l’Évangile de Jean, où il défendait son action le jour
du shabbat : « Mon Père (…) est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à
l’œuvre »
(5, 17). Le
monde gréco-romain ne connaissait aucun Dieu Créateur. La divinité suprême
selon leur vision ne pouvait pas, pour ainsi dire, se salir les mains par la
création de la matière. L’« ordonnancement » du monde était le fait du
démiurge, une divinité subordonnée. Le Dieu de la Bible est bien différent :
Lui, l’Un, le Dieu vivant et vrai, est également le Créateur. Dieu
travaille, Il continue d’œuvrer dans et sur l’histoire des hommes. Et dans
le Christ, Il entre comme Personne dans l’enfantement laborieux de
l’histoire. « Mon Père est toujours à l’œuvre et moi aussi je suis à
l’œuvre. » Dieu Lui-même est le Créateur du monde, et la création n’est pas
encore achevée. Dieu travaille ! C’est ainsi que le travail des hommes
devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance
avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le
monde. Sans cette culture du travail qui, avec la culture de la parole,
constitue le monachisme, le développement de l’Europe, son ethos et sa
conception du monde sont impensables. L’originalité de cet ethos devrait
cependant faire comprendre que le travail et la détermination de l’histoire
par l’homme sont une collaboration avec le Créateur, qui ont en Lui leur
mesure.
Là où cette mesure vient à manquer et là où l’homme s’élève lui-même
au rang de créateur déiforme, la transformation du monde peut facilement
aboutir à sa destruction.
Nous sommes partis de l’observation que, dans l’effondrement de l’ordre
ancien et des antiques certitudes, l’attitude de fond des moines était le
quaerere Deum – se mettre à la recherche de Dieu. C’est là,
pourrions-nous dire, l’attitude vraiment philosophique : regarder au-delà
des réalités pénultièmes et se mettre à la recherche des réalités ultimes
qui sont vraies. Celui qui devenait moine s’engageait sur un chemin élevé et
long, il était néanmoins déjà en possession de la direction :
la Parole de
la Bible dans laquelle il écoutait Dieu parler.
Dès lors, il devait
s’efforcer de Le comprendre pour pouvoir aller à Lui. Ainsi, le cheminement
des moines, tout en restant impossible à évaluer dans sa progression,
s’effectuait au cœur de la Parole reçue. La quête des moines comprend déjà
en soi, dans une certaine mesure, sa résolution. Pour que cette recherche
soit possible, il est nécessaire qu’il existe dans un premier temps un
mouvement intérieur qui suscite non seulement la volonté de chercher, mais
qui rende aussi crédible le fait que dans cette Parole se trouve un chemin
de vie, un chemin de vie sur lequel Dieu va à la rencontre de l’homme pour
lui permettre de venir à Sa rencontre.
En d’autres termes, l’annonce de la
Parole est nécessaire. Elle s’adresse à l’homme et forge en lui une
conviction qui peut devenir vie. Afin que s’ouvre un chemin au cœur de la
parole biblique en tant que Parole de Dieu, cette même Parole doit d’abord
être annoncée ouvertement. L’expression classique de la nécessité pour la
foi chrétienne de se rendre communicable aux autres se résume dans une
phrase de la Première Lettre de Pierre, que la théologie médiévale regardait
comme le fondement biblique du travail des théologiens : « Vous devez
toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de
rendre compte (logos) de l’espérance qui est en vous »
(3, 15).
(Logos
doit devenir apologie, la Parole doit devenir réponse). De fait, les
chrétiens de l’Église naissante ne considéraient pas leur annonce
missionnaire comme une propagande qui devait servir à augmenter l’importance
de leur groupe, mais comme une nécessité intrinsèque qui dérivait de la
nature de leur foi. Le Dieu en qui ils croyaient était le Dieu de tous, le
Dieu Un et Vrai qui s’était fait connaître au cours de l’histoire d’Israël
et, finalement, à travers son Fils, apportant ainsi la réponse qui
concernait tous les hommes et que, au plus profond d’eux-mêmes, tous
attendent.
L’universalité de Dieu et l’universalité de la raison ouverte à
Lui constituaient pour eux la motivation et, à la fois, le devoir de
l’annonce. Pour eux, la foi ne dépendait pas des habitudes culturelles, qui
sont diverses selon les peuples, mais relevait du domaine de la vérité qui
concerne, de manière égale, tous les hommes.
Le schéma fondamental de l’annonce chrétienne ad extra – aux hommes qui, par
leurs questionnements, sont en recherche – se dessine dans le discours de
saint Paul à l’Aréopage. N’oublions pas qu’à cette époque, l’Aréopage
n’était pas une sorte d’académie où les esprits les plus savants se
rencontraient pour discuter sur les sujets les plus élevés, mais un tribunal
qui était compétent en matière de religion et qui devait s’opposer à
l’intrusion de religions étrangères. C’est précisément ce dont on accuse
Paul : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères »
(Ac 17, 18). Ce à
quoi Paul réplique : « J’ai trouvé chez vous un autel portant cette
inscription : “Au dieu inconnu”. Or, ce que vous vénérez sans le connaître,
je viens vous l’annoncer »
(cf. 17, 23).
Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes
ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils
cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu
et l’Inconnaissable. Au plus profond, la pensée et le sentiment humains
savent de quelque manière que Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes
choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité, mais la Raison créatrice,
non pas le hasard aveugle, mais la liberté. Toutefois, bien que tous les
hommes le sachent d’une certaine façon – comme Paul le souligne dans la
Lettre aux Romains
(1, 21) – cette connaissance demeure ambiguë : un Dieu
seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si
Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas
pleinement jusqu’à Lui. La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la
possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui
personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La
nouveauté de l’annonce chrétienne réside en un fait :
Dieu s’est révélé. Ce
n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est Logos – présence de la
Raison éternelle dans notre chair. Verbum caro factum est
(Jn 1, 14)
: il en est vraiment ainsi en réalité, à présent, le Logos est là, le Logos
est présent au milieu de nous.
C’est un fait rationnel.
Cependant, l’humilité de la raison sera toujours nécessaire pour pouvoir
l’accueillir. Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu.
Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que
Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi,
en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies
d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup,
Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où
derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente
la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de
Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne.
Quaerere Deum –
chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est
pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé.
Une culture purement
positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non
scientifique, la question concernant Dieu, a conclu Benoît XVI,
serait la capitulation de la
raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec
de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves.
Ce qui
a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à
L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture
véritable.
Merci beaucoup
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Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
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(E.S.M. sur Google actualité) - 12.09.2008 -
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