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DICTATURE DU RELATIVISME
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Le 12 mars 2017 -
(E.S.M.)
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On se demande souvent comment il est possible que les chrétiens,
qui sont personnellement des êtres croyants, n'aient pas la force de
mettre leur foi plus fortement en action sur le plan politique. En
cette période d'élection présidentielle en France, regroupons-nous
derrière Le candidat qui n'a pas peur de clamer sa Foi ! N'ayons pas
peur de faire le choix d'un Président catholique !
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Le pape Benoît XVI et
François Fillon
Dictature du relativisme
Un entretien avec Peter Seewald
Le 12 mars 2017 - E.
S. M. -
L'écrivain britannique Aldous Huxley a prédit en 1932, dans son livre
futuriste, Le meilleur des mondes, que la falsification serait le
levier décisif de la modernité. Dans la fausse réalité, avec sa fausse
vérité — ou même son absence de vérité — à la fin rien n'a plus
d'importance. Il n'y a pas de vérité, il n'y a pas de position fiable.
Effectivement, la vérité est entre-temps considérée comme un concept trop
subjectif pour que l'on puisse encore y trouver un critère communément
valable. La distinction entre l'authentique et l'inauthentique semble
abolie. Tout est dans une certaine mesure négociable. Est-ce cela, le
relativisme contre lequel vous mettez si instamment en garde ?
Il est notoire que le concept de vérité est désormais un objet de soupçon.
On en a beaucoup abusé, c'est exact. Au nom de la vérité, on a pu justifier
l'intolérance et la cruauté. Quand quelqu'un dit : c'est la vérité, ou : je
détiens la vérité, cela nous fait peur. Nous n'avons jamais la vérité,
dans le meilleur des cas c'est elle qui nous a. Personne ne contestera
qu'il faut se montrer prudent et précautionneux en cette matière. Mais la
supprimer simplement en la disant inaccessible, c'est une destruction en
règle.
Une grande partie des philosophes d'aujourd'hui persiste effectivement à
dire que l'homme n'est pas capable de vérité. Mais vu ainsi, il ne serait
pas non plus capable d'ethos. Nous n'aurions plus aucune norme. On
n'aurait plus alors à s'interroger sur comment se débrouiller, si j'ose
dire, et s'il reste un dernier critère, à la rigueur, ce serait de se ranger
à l'avis de la majorité. L'Histoire a pourtant suffisamment montré à quel
point les majorités peuvent être destructrices, par exemple dans des
systèmes comme le nazisme et le marxisme, qui étaient tout particulièrement
opposés à la vérité.
« On est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne
reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement
son propre ego et ses désirs », déclariez-vous dans votre discours pour
l'ouverture du conclave.
C'est pourquoi nous devons avoir le courage de dire : oui, l'homme doit
chercher la vérité ; il est capable de vérité. Que la vérité ait besoin de
critères qui permettent de la vérifier et de s'assurer qu'elle n'a pas été
falsifiée, cela va de soi. Elle doit toujours aussi aller de pair avec la
tolérance. Mais la vérité nous fait alors apparaître ces valeurs constantes
qui ont donné sa grandeur à l'humanité. Il faut apprendre de nouveau et
pratiquer l'humilité qui permet de reconnaître la vérité comme porteuse de
repères.
Que la vérité ne parviendra pas à régner par la force, mais par son
propre pouvoir, c'est le contenu central de l'Évangile selon saint Jean.
Jésus se présente devant Pilate comme La Vérité et comme témoin de la
vérité. Il ne défend pas la vérité avec l'aide de légions, mais la rend
visible par sa Passion, et c'est aussi de cette façon qu'il la met en
vigueur.
Dans le monde devenu relativiste, un nouveau paganisme a pris de plus en
plus d'empire sur la pensée et l'action de l'homme. À côté de l'Église,
c'est devenu depuis longtemps évident, il n'y a pas seulement un espace
libre, un vacuum, mais une sorte d'anti-Église s'est établie. Déjà le pape
de Rome serait à condamner, écrivait un journal allemand, parce qu'avec ses
positions « il a offensé la religion aujourd'hui en vigueur dans ce pays
», c'est-à-dire la « religion de la société civile ». Est-ce la
naissance d'un nouveau « Kulturkampf » (1), comme l'analysait
Marcello Fera ? L'ancien président du Sénat italien parle du « grand
combat engagé par la laïcité contre le christianisme ».
(1). Le Kulturkampf, « combat de civilisation »,
désigne la lutte menée par Bismarck contre les catholiques allemands entre
1871 et 1878. (N.d.T.)
Une nouvelle intolérance se
répand, c'est tout à fait manifeste. Il y a des critères de pensée bien
rodés qui doivent être imposés à tous. On les répand ensuite sous le nom de
tolérance négative. Par exemple, quand on dit qu'à cause de la tolérance
négative, il ne doit pas y avoir de crucifix dans les bâtiments publics. Au
fond, c'est la suppression de la tolérance que nous vivons ainsi, car il
s'agit de refuser à la religion, à la foi catholique, le droit de s'exprimer
de manière visible.
Quand par exemple, au nom de la
non-discrimination, on veut forcer l'Église catholique à modifier sa
position sur l'homosexualité ou l'ordination des femmes, cela veut dire
qu'elle ne peut plus vivre sa propre identité et qu'au lieu de cela, on fait
d'une religion négative et abstraite un critère tyrannique auquel chacun
doit se plier. On prend ça pour la liberté uniquement parce que c'est une
libération de toutes les valeurs qui existaient jusqu'à présent.
Mais en réalité, cette évolution mène peu à peu à la revendication
intolérante d'une nouvelle religion, qui prétend être valable pour tout
parce qu'elle est rationnelle, ou même parce qu'elle est la raison en soi,
qui sait tout et doit délimiter l'espace déterminant pour tous et pour
chacun.
Qu'au nom de la tolérance la tolérance soit abolie, c'est une menace réelle,
et c'est à elle que nous faisons face. Le danger, c'est que la raison — ce
que l'on appelle la raison occidentale — affirme qu'elle a réellement
découvert ce qui est juste et élève une prétention totalitaire qui est
ennemie de la liberté. Je crois que nous devons dénoncer très énergiquement
ce danger. Personne n'est forcé
d'être chrétien. Mais personne ne doit être forcé de devoir vivre la «
nouvelle religion » comme la seule déterminante, celle qui engage l'humanité
tout entière.
L'agressivité avec laquelle cette nouvelle religion se présente, le magazine
Der Spiegel l'a décrite comme « une croisade des athées ». C'est une croisade qui tourne en dérision le christianisme comme une « folie
de Dieu » et qui qualifie la religion de malédiction, cause de toutes les
guerres.
Vous avez vous-même parlé d'une « agression plus ou moins subtile
contre l'Église ». Même sans régime totalitaire, une pression s'exerce
pour vous obliger à penser comme tout le monde. Les attaques contre l'Église
montrent, disiez-vous, « à quel point ce conformisme peut être une vraie
dictature ». Dures paroles.
Mais la réalité, c'est effectivement que des formes précises de comportement
et de pensée sont présentées comme les seules raisonnables et donc les
seules à la mesure de l'être humain. Le christianisme se voit alors exposé à
la pression d'une intolérance qui d'abord le rend ridicule, et veut ensuite
lui dérober son espace vital au nom d'une apparente rationalité.
Il est très important que nous nous opposions à une telle prétention
d'absolu émise par ce type de « rationalité » bien précise. Celle-ci n'est
justement pas la raison pure elle-même, mais la limitation de la raison à ce
que les sciences de la vie permettent de connaître — jointe à l'exclusion de
tout ce qui dépasse cette limite. Il est vrai, bien sûr, qu'il y a aussi eu
dans l'histoire des guerres de religion, que la religion a aussi conduit à
la violence...
Mais ni Napoléon, ni Hitler, ni l'armée américaine au Vietnam. n'ont mené de
combats pour la foi. Inversement, il y a juste soixante-dix ans que des
systèmes athées à l'Ouest et à l'Est ont conduit le monde à la ruine ; dans
une époque éloignée de Dieu, que l'écrivain américain Louis Begley appelait
« un Requiem satanique ».
La grande force du bien reste d'autant plus vraie. Cette force a été déliée
par la religion et grâce à de grands noms — François d'Assise, Vincent de
Paul, Mère Teresa, etc. Elle traverse et illumine toute l'Histoire.
Inversement, les nouvelles idéologies ont conduit à une sorte de cruauté et
de mépris envers l'être humain, chose auparavant inconcevable car on
respectait toujours l'image de Dieu dans l'homme. Sans ce respect, l'homme
se place lui-même comme un absolu et tout lui est permis, alors il devient
réellement destructeur.
D'un autre côté, on pourrait dire qu'un État doit, en considération de
l'égalité de tous, être légitimé à bannir de l'espace public les symboles
religieux, y compris la croix du Christ. Est-ce un raisonnement tenable ?
Sur ce point, il faut d'abord poser une question : pourquoi l'État doit-il
bannir la croix ? Si la croix contenait un message déraisonnable et non
assimilable par d'autres, cela serait plutôt inquiétant. Mais la croix
contient le message que Dieu lui-même souffre, qu'il nous manifeste son
affection à travers sa souffrance, qu'il nous aime. C'est un message qui
n'agresse personne. Voici déjà un point.
D'autre part, il existe aussi bien entendu une identité culturelle au
fondement de nos pays. Une identité qui les forme positivement, qui les
porte depuis l'intérieur et qui détermine toujours les valeurs positives et
la structure fondamentale de la société. Grâce à elles, l'égoïsme est
repoussé dans ses frontières et une culture de l'humain est possible. Je
dirais qu'une telle expression culturelle d'une société par elle-même, qui
en vit positivement, ne peut offenser ceux qui ne partagent pas cette
conviction, et que cette expression ne doit pas non plus être bannie.
En Suisse, les citoyens n'ont pas voté contre la construction de mosquées,
mais contre la construction de minarets dans les mosquées. En France, le
parlement a interdit le port de la burqa. Les chrétiens peuvent-ils s'en
réjouir ?
Les chrétiens sont tolérants, pour eux chacun est responsable de la
conception qu'il se fait de lui-même. Nous sommes reconnaissants qu'il y ait
dans les pays du Golfe arabique (Qatar, Abou Dhabi, Dubaï, Koweït) des
églises où les chrétiens peuvent célébrer l'office divin, et nous souhaitons
qu'il en soit partout ainsi. Il est donc tout naturel que les musulmans
puissent chez nous aussi se rassembler dans des mosquées pour la prière.
En ce qui concerne la burqa, je ne vois aucune raison de prononcer une
interdiction générale. On dit que certaines femmes ne la porteraient pas de
leur plein gré et qu'elle est en réalité une violence faite à la femme. Si
tel est le cas, bien entendu, on ne peut pas être d'accord. Mais si elles
veulent la porter de leur plein gré, je ne vois pas pourquoi on doit la leur
interdire. .
En Italie, 80 % des habitants ont reçu le baptême catholique. Au Portugal,
ce chiffre est de 90 %, en Pologne également, dans la petite Malte 100 %. En
Allemagne, plus de 60 % de la population appartient encore aux deux
religions chrétiennes, une autre partie considérable à d'autres communautés
chrétiennes. La culture chrétienne occidentale est sans aucun doute le
fondement du succès et du bien-être de l'Europe — pourtant aujourd'hui une
majorité accepte d'être dominée par une minorité de directeurs d'opinion.
Situation étrange, sinon schizophrène.
Cela fait apparaître une problématique interne. Jusqu'à quel point en effet
les gens appartiennent-ils encore à l'Église ? D'un côté, ils veulent en
faire partie, ils ne veulent pas perdre ce fondement. De l'autre, ils sont
aussi intérieurement influencés et formés par la pensée moderne. Toute la
vie est marquée par le mélange et la fréquentation non assimilés de volonté
chrétienne fondamentale et d'une nouvelle philosophie. Cela engendre une
sorte de schizophrénie, une existence scindée.
Nous devons nous efforcer de faire en sorte que les deux, Église et pensée
moderne, autant que cela puisse se concilier, s'adaptent l'une à l'autre.
L'existence chrétienne ne doit pas devenir une sphère archaïque que je
maintiens d'une manière ou d'une autre et où je vis en quelque sorte à côté
de la modernité. C'est bien plutôt quelque chose de vivant, de moderne, qui
travaille et forme l'ensemble de ma modernité — qui, littéralement,
l'embrasse.
Qu'il faille mener une grande lutte intellectuelle sur ce terrain, je l'ai
récemment exprimé en fondant un « Conseil pontifical pour la nouvelle
évangélisation. » II est important que nous essayions de vivre et de penser
le christianisme de telle manière que la bonne, la vraie modernité l'accepte
en soi — et en même temps se sépare et se distingue de ce qui devient une
contre-religion.
Objectivement, l'Église catholique est la plus grande organisation du monde,
avec sur le globe terrestre entier un réseau central qui fonctionne bien.
Elle a un milliard deux cent millions de membres, quatre mille évêques,
quatre cent mille prêtres, des millions de religieux. Elle a des milliers
d'universités, de monastères, d'écoles, d'institutions sociales. Elle est le
plus grand employeur après l'État dans des pays comme l'Allemagne. Elle
n'est pas seulement une marque d'excellence, avec des lignes directrices
inébranlables, mais elle a sa propre identité ; avec son propre culte, sa
propre éthique, le Saint des saints, l'eucharistie. Et puis elle est
légitimée « d'en haut » et peut dire d'elle-même : Nous sommes l'originel,
et nous sommes les gardiens du trésor. Que dire de plus ? N'est-il pas
étrange, et n'est-ce pas aussi un scandale, que cette Église ne tire pas
bien plus de ce potentiel incomparable ?
Nous devons naturellement nous poser la question. C'est le télescopage de
deux mondes spirituels, le monde de la foi et le monde sécularisé. La
question est de savoir si le mouvement de sécularisation est juste. Où la
foi peut-elle et doit-elle s'approprier les formes de la modernité ? Et où
doit-elle leur opposer de la résistance ? Cette grande lutte traverse
aujourd'hui le monde entier. Les évêques dans les pays du Tiers-monde, me
disent : chez nous aussi, la sécularisation existe ; et elle coïncide avec
des formes de vie tout à fait archaïques.
On se demande souvent comment il est possible que les chrétiens, qui sont
personnellement des êtres croyants, n'aient pas la force de mettre leur foi
plus fortement en action sur le plan politique. Nous devons avant tout
veiller à ce que les hommes ne perdent pas Dieu du regard. Qu'ils
reconnaissent le trésor qu'ils possèdent. Et qu'ensuite, d'eux-mêmes, avec
la force de leur propre foi, ils puissent se confronter à la sécularisation
et accomplir la séparation des esprits. Cet immense processus est la
véritable grande tâche de notre époque. Nous pouvons seulement espérer que
la force intérieure de la foi présente dans les hommes acquière aussi une
puissance dans la vie publique, en marquant aussi publiquement la pensée, et
pour que la société ne tombe pas simplement dans un gouffre sans fond.
Ne pourrait-on pas aussi envisager qu'après deux millénaires, le
christianisme est tout simplement épuisé, comme cela est arrivé à d'autres
grandes cultures dans l'histoire de la civilisation ?
Si l'on considère cela superficiellement et que l'on se contente d'examiner
le monde occidental, on pourrait le penser. Mais si l'on regarde avec plus
de précision, ce qui m'a été rendu possible par les visites des évêques du
monde entier et par bien d'autres rencontres, on voit que le christianisme
développe aujourd'hui une toute nouvelle créativité. Au Brésil, par exemple,
il y a d'un côté une forte augmentation des sectes qui sont souvent très
suspectes, parce qu'elles promettent pour la plupart la prospérité, le
succès extérieur. Mais il y a aussi de nouveaux éveils catholiques, une
dynamique de nouveaux mouvements, par exemple les « Hérauts de l'Évangile
»,
de jeunes saisis par l'enthousiasme d'avoir reconnu le Christ comme le fils
de Dieu et de le porter dans le monde. Comme me le dit l'archevêque de Sâo
Paulo, il naît constamment là-bas de nouveaux mouvements. Il y a donc là une
force de renouveau et de nouvelle vie. Ou encore pensons à ce que l'Église
signifie pour l'Afrique. Là-bas, elle est souvent le seul point fixe et
stable dans les troubles et les destructions des guerres, le seul refuge où
il y a encore de l'humanité ; où l'on fait quelque chose pour les êtres
humains. Elle s'emploie à prolonger la vie, à soigner les malades, à faire
que des enfants puissent venir au monde et être élevés. Elle est une force
de vie qui crée à nouveau de l'enthousiasme et ouvre ensuite de nouveaux
chemins.
D'une manière moins évidente, et pourtant indéniable, on assiste aussi, chez
nous en Occident, au lancement de nouvelles initiatives catholiques qui ne
sont pas commandées par une structure, par une bureaucratie. La bureaucratie
est usée et fatiguée. Ces initiatives viennent de l'intérieur, de la joie
qui transporte de jeunes êtres. Le christianisme prend peut-être un autre
visage et aussi une autre forme culturelle. Il ne tient pas la place de
donneur d'ordres dans l'opinion mondiale, là ce sont d'autres qui
gouvernent. Mais il est la force de vie sans laquelle les autres choses non
plus ne pourraient pas survivre. Grâce à tout ce que je vois et vis
moi-même, je suis tout à fait optimiste sur le fait que le christianisme se
trouve dans une nouvelle dynamique.
Parfois, on a pourtant l'impression que c'est une loi de la nature qui
permet au paganisme de regagner à chaque fois les territoires qui ont été
défrichés et rendues cultivables par le christianisme. ..
La structure de l'homme est fondée sur le péché originel ; que le paganisme
perce toujours à nouveau en lui, c'est une expérience qui traverse tous les
siècles. La vérité du péché originel se confirme. L'homme retombe sans cesse
en deçà de la foi, il veut de nouveau n'être que lui-même, il devient païen
au sens le plus profond du mot.
Mais la présence divine en l'homme ne cesse de revenir se manifester. C'est
la lutte qui traverse toute l'Histoire. Comme l'a dit saint Augustin :
l'histoire du monde est une lutte entre deux formes d'amour : l'amour pour
soi-même, jusqu'à la destruction du monde ; et l'amour pour les autres,
jusqu'au renoncement à soi-même. Ce combat que l'on a toujours pu observer
se livre encore maintenant.
Sources : Bayard-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 12.03.2017
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