Jésus donne à la Torah sa
forme radicale |
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Le 10 décembre 2007 -
(E.S.M.) -
La perspective sociale est une perspective théologique et la perspective
théologique a un caractère social : l'amour de Dieu et l'amour du
prochain sont indissociables, et l'amour du prochain trouve ici sa
définition très pratique, en tant que perception de la présence directe
de Dieu dans le pauvre et le faible.
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Jérusalem -
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C'est ici
Jésus, indique Benoît XVI, donne à la Torah sa forme radicale
II. La Torah du Messie
1) II a été dit - Et moi je vous dis
►
Benoît XVI
2) La querelle du
sabbat ►
Benoît XVI
3)
La famille, le peuple et la communauté des disciples
de Jésus ►
Benoît XVI
4)
Mais Jésus, votre « Messie », qu'a-t-il donc apporté ?
►
Benoît XVI
5) (suite
et fin du ch. IV)
Compromis et radicalité prophétique
En participant au dialogue du rabbin juif avec Jésus par nos réflexions et
notre argumentation, nous nous sommes faits leurs compagnons sur le chemin
de Jésus vers Jérusalem bien au-delà du Sermon sur la montagne. Revenons
maintenant une nouvelle fois aux antithèses du Sermon sur la montagne dans
lesquelles Jésus reprend des questions issues de la deuxième table du
Décalogue et oppose aux anciennes instructions de la Torah une nouvelle
radicalité de la justice devant Dieu : ne pas se contenter de ne pas tuer,
mais aller à la rencontre de son frère non réconcilié pour se réconcilier
avec lui. Plus de divorce. Non seulement égalité juridique
(œil pour œil,
dent pour dent), mais se laisser frapper sans rendre les coups ; non
seulement aimer son prochain, mais aussi son ennemi.
Le caractère sublime de Yethos
(signification) qui s'exprime ici ne cessera de bouleverser
des hommes de toute origine et de les toucher comme un sommet de la grandeur
morale (pensons simplement à l'attachement du Mahatma Gandhi pour Jésus, qui
reposait justement sur ces textes). Mais ce qui est dit là est-il réaliste ?
Doit-on agir ainsi, est-on même autorisé à le faire ? Certaines de ces
injonctions ne ruinent-elles pas, comme l'objecte Neusner,
tout ordre social
concret ?
Est-ce une façon de construire une communauté, un peuple ?
Sur cette question, la recherche exégétique récente a dégagé des
perspectives importantes, analysant minutieusement la structure interne de
la Torah et de sa législation. Et pour la question que nous nous posons, c'est l'analyse du Code de l'Alliance
(cf. Ex 20, 22-23, 19) qui est
importante. Dans ce code de lois, on peut distinguer deux sortes de droit :
le droit dit casuistique et le droit dit apodictique.
Le droit casuistique fournit des normes pour régler des questions juridiques
tout à fait concrètes : les prescriptions concernant la détention d'esclaves
et leur affranchissement, les blessures corporelles causées par des hommes
ou des animaux, l'indemnisation après un vol, etc. Aucune motivation
théologique n'est donnée, mais on instaure des sanctions concrètes,
proportionnelles au tort commis. Ces normes juridiques constituent un droit
qui s'est développé à partir de la pratique et qui se réfère à cette
dernière, servant à la construction d'un ordre social réaliste et se
référant aux possibilités concrètes d'une société, dans une situation
historique et culturelle bien déterminée.
En ce sens, il s'agit aussi d'un droit conditionné historiquement,
absolument susceptible d'être critiqué, voire méritant de l'être, en tout
cas de notre point de vue éthique. Dans le cadre de la législation
vétérotestamentaire, il s'est développé ultérieurement : des normes plus
récentes contredisent des normes plus anciennes sur le même sujet. Le corpus
ainsi constitué se situe certes dans le contexte fondamental de la foi dans
le Dieu de la révélation qui a parlé au Sinaï, mais il n'est pas lui-même
expression directe du droit divin, car c'est un droit élaboré à partir de la
référence fondamentale qu'est le droit divin et qui est donc susceptible
d'être développé et corrigé ultérieurement.
Il est en effet indispensable, qu'un ordre social ait la capacité de se
transformer. Il doit s'adapter à la diversité des situations historiques et
se laisser guider par ce qui est possible, sans pour autant perdre de vue le
critère éthique en tant que tel, celui qui confère au droit son caractère de
droit. À certains égards, la critique prophétique d'un Isaïe, d'un Osée,
d'un Amos ou d'un Michée concerne aussi, comme l'a montré par exemple
Olivier Artus, le droit casuistique, qui est présent dans la Torah, mais qui
est devenu, dans les faits, une source d'injustice et qui, dans certaines
situations matérielles concrètes d'Israël, ne sert plus à protéger le
pauvre, la veuve et l'orphelin, alors que les prophètes voyaient là
l'intention suprême de la législation provenant de Dieu.
Certaines parties du Code de l'Alliance lui-même, que l'on considère comme
du « droit apodictique »
(cf. Ex 22, 20 ; 23, 9-12), sont proches de cette
critique prophétique. Le «
droit apodictique » est édicté au nom de Dieu
lui-même, sans aucune mention de sanction concrète. « Tu ne maltraiteras
point l'immigré qui réside chez toi, tu ne l'opprimeras point, car vous
étiez vous-mêmes des immigrés en Egypte. Vous n'accablerez pas la veuve et
l'orphelin » (Ex 22, 20-21). Dans ces grandes normes, la critique des
Prophètes a trouvé son point d'appui et, à partir de ces normes, elle a
constamment mis en discussion des habitudes juridiques concrètes, pour faire
prévaloir le noyau essentiellement divin du droit comme critère et ligne
d'orientation pour toute évolution du droit et pour tout ordre social. Frank Criisemann, à qui nous devons des éclaircissements essentiels en la matière,
a qualifié les dispositions du « droit apodictique » de « méta-normes », qui
représentent une instance critique en regard des règles du droit
casuistique. Pour définir le rapport entre droit casuistique et droit
apodictique, il propose les deux concepts de « règles » et de «
principes ».
Ainsi, il y a, dans la Torah elle-même, différents degrés d'autorité et,
pour reprendre l'expression d'Olivier Artus, un dialogue constant entre
normes historiquement déterminées et méta-normes, ces dernières formulant
les exigences permanentes de l'Alliance. Le choix fondamental des « méta-normes » est l'engagement de Dieu en faveur des pauvres, qui perdent
facilement leurs droits et qui ne peuvent obtenir justice eux-mêmes.
A cela est lié un autre aspect : la norme fondamentale qui apparaît en
premier lieu dans la Torah, celle dont finalement tout dépend, est
l'affirmation de la foi en un Dieu unique : Lui seul, YHWH, peut être adoré.
Mais dans l'évolution prophétique, cet engagement en faveur du pauvre, de la
veuve et de l'orphelin acquiert désormais le même statut que l'adoration
exclusive du Dieu unique : elle se confond avec l'image de Dieu, qu'elle
définit très concrètement. La perspective sociale est une perspective
théologique et la perspective théologique a un caractère social : l'amour de
Dieu et l'amour du prochain sont indissociables, et l'amour du prochain
trouve ici sa définition très pratique, en tant que perception de la
présence directe de Dieu dans le pauvre et le faible.
Tout cela est indispensable à la bonne compréhension du Sermon sur la
montagne. Dans la Torah elle-même, puis dans le dialogue entre la Loi et les
Prophètes, nous voyons déjà se dégager la distinction entre le droit
casuistique changeant, qui forme d'une fois sur l'autre la
structure sociale, et les principes essentiels du droit divin lui-même, qui
servent de référence pour évaluer, développer et corriger sans discontinuer
les normes pratiques.
Jésus ne fait donc rien d'inouï ni de tout à fait nouveau lorsqu'il oppose
aux normes casuistiques et aux pratiques développées dans la Torah la pure
volonté de Dieu, conçue comme une « justice supérieure » que doivent
attendre les enfants de Dieu (cf. Mt 5, 20). Il reprend à son compte la
dynamique intrinsèque à la Torah elle-même, déployée ultérieurement par les
prophètes, et, en tant qu'Élu, en tant que prophète qui se tient en face à
face avec Dieu (cf. Dt 18, 15),
il lui donne sa forme radicale. Aussi
va-t-il de soi que ces mots ne définissent pas un ordre social, mais qu'ils
fournissent aux différents ordres sociaux leurs critères fondamentaux, étant
entendu qu'ils ne pourront jamais être réalisés tels quels dans quelque
ordre social que ce soit. La dynamisation des régimes juridiques et sociaux
concrets ainsi opérée par Jésus, leur extrapolation du domaine immédiatement
divin et le transfert de responsabilité au profit d'une raison désormais
capable de discerner correspondent à la structure interne de la Torah
elle-même.
Dans les antithèses du Sermon sur la montagne, Jésus ne se présente à nous
ni comme un rebelle ni comme un libéral, mais comme l'interprète prophétique
de la Torah, comme celui qui ne l'abolit pas mais qui l'accomplit,
et qui
l'accomplit justement en assignant à la raison qui agit dans l'histoire son
domaine propre de responsabilité. Ainsi la chrétienté sera tenue d'innover
en matière d'ordre social, redéfinissant et reformulant sans cesse une «
doctrine sociale chrétienne ». À chaque nouvelle étape de l'évolution, elle
corrigera ce qui a été précédemment établi. C'est dans la structure
intrinsèque de la Torah, dans les transformations successives opérées grâce
à la critique des Prophètes
et dans le message de Jésus intégrant les deux qu'elle trouve à la fois
l'espace qui permet les évolutions historiques nécessaires et l'assise qui
garantit la dignité de l'homme procédant de la dignité de Dieu.
à suivre... :
Le chapitre VI : Les disciples
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"Jésus de Nazareth"
Sources: Jésus de Nazareth
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Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.12.2007 - BENOÎT XVI
- T/J.N. |