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Lettre ouverte au pape :
Comment sélectionner les évêques: cinq idées nouvelles
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Le 09 février 2015 -
(E.S.M.)
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C’est un théologien et économiste australien qui les propose, dans
une lettre ouverte au pape François. Une contribution simple et
concrète à la réforme de la curie qui est en chantier.
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Lettre ouverte au pape :
Comment sélectionner les évêques: cinq idées nouvelles
par Sandro Magister
Le 09 février 2015 - E.
S. M. -
À partir d’aujourd’hui et pendant deux jours de plus, les neuf cardinaux du
conseil qui assiste le pape dans le gouvernement de l’Église universelle
feront le bilan du travail qui a été accompli jusqu’à présent en ce qui
concerne la réforme de la curie.
Et les 12 et 13 février ils soumettront leurs propositions à l'examen de
tout le collège des cardinaux, qui seront réunis en consistoire.
Ce consistoire va être secret mais, quoi qu’il en soit, il ne produira
aucune conclusion. Le pape François lui-même s’est donné du temps et il a
renvoyé à 2016 au plus tôt toute décision concrète.
D’après les informations qui ont filtré jusqu’à maintenant, en effet, les
propositions sont encore très loin de constituer un projet structuré. Elles
comprennent, par exemple, le regroupement d’un certain nombre de services de
la curie en deux nouvelles congrégations, l’une pour la justice et la paix
et l’autre pour la famille et le laïcat, composées chacune de cinq
départements, mais il n’y a aucun accord sur ce que pourrait être leur
fonctionnement concret.
Et la même incertitude règne également en ce qui concerne certains
dicastères-clés qui existent déjà actuellement, tels que la secrétairerie
d’état, la congrégation pour la doctrine de la foi et la congrégation pour
les évêques.
La secrétairerie d’état est sur la voie du changement, elle a déjà à ses
côtés le secrétariat pour l'économie créé récemment, mais on n’a encore
aucune idée des compétences qui lui seront attribuées en fin de compte et de
celles qu’elle n’aura pas.
La congrégation pour la doctrine de la foi, dont l’une des missions est de
contrôler, mot par mot, que tous les discours et tous les documents du
Saint-Siège et du pape sont corrects au point de vue dogmatique, se trouve
fréquemment désavouée. Il n’est pas rare que ses corrections et ses
observations tombent dans le vide.
Quant à la congrégation pour les évêques, qui assure la sélection de ceux
qui seront chargés de diriger les diocèses, l’innovation que l’on peut déjà
constater dans les faits est qu’elle fonctionne de manière intermittente.
Sous le pontificat du pape François, en effet, il arrive souvent que
celui-ci procède tout seul au choix du nouvel évêque, en laissant
complètement de côté la congrégation et ses procédures et en faisant
délibérément abstraction des orientations et attentes des épiscopats locaux.
Un exemple spectaculaire de cette autocratie papale est la nomination du
nouvel archevêque de Chicago, Blase Cupich.
En tout cas, la réflexion sur ce que pourrait être le fonctionnement d’une
congrégation pour les évêques rénovée ne progresse pas du tout. La
proposition de faire élire les évêques par les communautés locales est
fréquemment évoquée dans les médias, mais au stade d’un simple souhait.
Et pourtant il serait très possible de réaliser des innovations plus
justifiées et plus faciles à mettre en œuvre.
Le texte ci-dessous indique justement quelques unes des innovations qui
pourraient être réalisées.
Il se présente sous la forme d’une lettre au pape et il a été rédigé par le
théologien australien Paul Anthony McGavin, du diocèse de Canberra et
Goulburn. Cet ancien directeur de l’École de Commerce de l'Université de
Nouvelle-Galles du Sud et président du conseil académique de cette
université est ensuite devenu prêtre et curé et il est aujourd’hui aumônier
de l'Université de Canberra. Il est l’auteur d’essais appréciés.
Les cinq innovations qu’il propose découlent principalement d’une analyse
critique des modalités concrètes selon lesquelles les évêques agissent
vis-à-vis de leurs prêtres.
Cette analyse occupe la première partie de la lettre, dont le texte intégral
est disponible sur cette autre page de www.chiesa
►
Open Letter to Pope Francis. About the Reform of the Congregation for
Bishops
Quant à ce qui est reproduit ci-dessous, c’est d’une part le début de la
lettre et d’autre part sa seconde partie, avec les cinq propositions de
réforme de la congrégation pour les évêques.
LETTRE OUVERTE AU PAPE FRANÇOIS
par Paul Anthony McGavin
Très Saint Père,
C’est à propos de la réforme de la congrégation pour les évêques que je vous
écris. Vous avez déclaré que, pendant le conclave destiné à élire le pape,
les évêques avaient indiqué qu’ils voulaient que la curie romaine soit
réformée et certains aspects de la mise en œuvre de cette réforme ont attiré
l'attention du public. Cependant, en ce qui concerne la congrégation pour
les évêques, nous n’avons pas entendu beaucoup parler de sa réforme. Je
voudrais expliquer pourquoi elle est fondamentale.
La référence originelle et fondatrice en ce qui concerne cette congrégation
se trouve en Marc 3, 13-14 : "Ensuite Jésus gravit la montagne et il appela
à lui ceux qu’il voulait et ils vinrent à lui. Il en institua douze, qu’il
appela apôtres, pour qu’ils restent avec lui et pour les envoyer prêcher".
Bien entendu, Très Saint Père, vous connaissez très bien ce texte, notamment
le caractère personnel de l’appel qu’il raconte et le caractère collégial de
cet appel. Ce que je voudrais souligner, en tant que prêtre diocésain, c’est
le "rester avec lui", le fait de rester avec Jésus. Cette mise en évidence
pourrait être développée sous l’angle des rapports entre le successeur de
Pierre et le collège apostolique des évêques. Mais je voudrais plutôt
souligner et mettre au point ce "rester avec" en référence à chaque évêque
diocésain "avec" ses prêtres. [...]
On pourrait se poser la question suivante : "Quel est le lien entre ces
remarques et la réforme de la congrégation pour les évêques ?". La réponse
consiste dans le retour à un véritable principe de responsabilité des
évêques sous le mandat pétrinien. La congrégation pour les évêques a besoin
d’être remodelée et redéveloppée en tant qu’instrument de "confirmation des
frères" dans l'exercice d’un ministère épiscopale responsable, qui soit le
reflet des sentiments exprimés dans le [document curial de 2004] "Directoire
pour le ministère pastoral des évêques" et des principes évangéliques
sous-jacents.
Comment tout cela peut-il être réalisé ? Je ne propose ici que quelques
éléments qui constituent un point de départ :
1. Il apparaît que la documentation qui est préparée pour la visite "ad
limina" que les évêques effectuent tous les cinq ans provient principalement
du bureau de l’évêque diocésain. En effet, c’est lui qui rédige le rapport
qui décrit ce qu’il a accompli. Le nonce apostolique du pays concerné peut
fournir à la curie romaine des informations supplémentaires. Mais ces
informations supplémentaires ne sont pas systématiquement recueillies et
elles ne proviennent certainement pas de la consultation directe du clergé
diocésain correspondant.
Il serait nécessaire de recourir, au contraire, à un système semblable à
celui qui était utilisé par la congrégation pour l’éducation catholique à
l’époque où cette congrégation était responsable des séminaires, mais en
introduisant des garanties qui n’étaient pas présentes lors des visites aux
séminaires, pour garantir que la consultation des séminaristes ne soit pas
orchestrée par les supérieurs des séminaires eux-mêmes.
Il faudrait qu’une délégation de visiteurs appartenant à la congrégation
pour les évêques se présente dans quelques diocèses sélectionnés, avant que
les visites "ad limina" rendues au pape et à la curie romaine ne soient
effectuées par ceux-ci. Il faudrait que la délégation de visiteurs agisse
indépendamment des évêques diocésains et indépendamment des conférences
épiscopales nationales, parce qu’une conférence épiscopale agit
habituellement comme une association d’intérêts communs. Il faudrait que la
délégation de visiteurs soit accessible à tous ceux qui demanderaient à la
rencontrer, y compris aux laïcs, mais principalement au clergé et aux
séminaristes. Pour que la délégation de visiteurs soit informée de manière
approfondie, elle devrait inclure des compétences locales qui pourraient
provenir du clergé et des laïcs.
Le choix des membres de la délégation de visiteurs pourrait s’avérer
difficile, parce que les évêques et les bureaucraties épiscopales n’ont pas
intérêt à ce que le contrôle effectué soit désintéressé. Il n’est pas exclu
que, pour la sélection d’une délégation de visiteurs, l’unique ressource
dont disposerait la congrégation soit le conseil du nonce du pays.
2. Une fois que la délégation de visiteurs aurait rédigé un rapport, il
faudrait qu’une suite soit donnée à celui-ci, de manière opportune et
proactive, par la congrégation pour les évêques. On a rarement vu des
évictions d’évêques en Australie et c’est toujours avec des retards
prolongés que cela a été fait. Il semble que seuls les cas d’aberrations
sexuelles donnent lieu à une sanction rapide. Même les écarts caractérisés
par rapport à la doctrine catholique suscitent seulement des interventions
tardives. Enfin, lorsqu’une administration épiscopale ne respecte pas une
procédure canonique correcte, il semble que cela ne provoque aucune action.
Les prêtres sont conscients du fait que le recours à la congrégation pour le
clergé ne peut provoquer, chez les évêques, que des tactiques de
discrimination et de procrastination, dans la mesure où il y a un manque de
compétence pratique dans l'application des décrets de la congrégation pour
le clergé qui sont favorables au clergé. L’instinct qui pousse les évêques
vers la souveraineté absolue et vers le manque de transparence et de
responsabilité a des racines profondes.
Cette dynamique s’est récemment manifestée de manière publique, en
Australie, sous la forme d’une "Commission Royale" et d’un certain nombre
d’enquêtes parlementaires portant sur la gestion par les évêques d’affaires
d’abus sexuels commis sur des mineurs. À de nombreuses reprises il a été
embarrassant de constater à quel point les évêques se sentent désorientés
lorsqu’ils se trouvent confrontés à ce genre d’examen public. Ces enquêtes
publiques civiles d’un type particulier ont été mal comprises quant à
certains de leurs aspects, dans la mesure où elles ont concentré l'attention
sur la performance institutionnelle de l’Église, alors que le problème est
surtout celui de la performance ou de la non-performance sociale dans un
sens plus large. Cependant ces enquêtes publiques ont mis en évidence ce qui
se produit lorsque la structure institutionnelle cultive un certain manque
de transparence et de responsabilité.
Il est donc nécessaire qu’il y ait une réflexion stratégique, une
planification et une capacité de perception de ce que l’on peut faire et ce
que l’on doit faire afin de rendre les visites "ad limina" nettement plus
constructives, pour faire contrepoids à l'influence corrosive et corruptrice
d’un certain manque de responsabilité épiscopale. Il s’agit de reconfigurer
et de redonner de la force au mandat de la congrégation pour les évêques.
3. Du point de vue adopté ici, il résulte que les actes pontificaux qui sont
à la seule initiative du pape devraient, eux aussi, être accomplis avec
prudence et modération. Il ne manque pas d’occasions pour de tels actes.
Très Saint Père, Votre vénéré prédécesseur a introduit, par un "motu
proprio", le nom de Joseph dans les textes de la consécration eucharistique.
Il y a un autre texte liturgique qui aurait besoin d’une insertion "motu
proprio". Je fais référence aux rites de l’ordination au diaconat et de
l’ordination au sacerdoce, dans lesquels le candidat, agenouillé devant son
évêque qui est assis, promet "respect et obéissance" à son évêque et à ses
successeurs légitimes.
Lorsqu’on le lit isolément, ce texte liturgique ne met pas suffisamment en
évidence le fait qu’il s’agit du respect et de l’obéissance d’un fils. J’ai
toujours pensé qu’il serait terrible pour nous d’avoir, pour le mariage, des
textes liturgiques dans lesquels la mariée promettrait "respect et
obéissance" à son époux, sans que le marié ne promette, de son côté,
"respect et honneur" à son épouse. Pour cet autre moment liturgique crucial
et public qu’est une ordination, il serait nécessaire d’insérer dans la
liturgie un texte qui mette en lumière les privilèges et les responsabilités
de l’évêque lorsqu’il reçoit de l'ordinand cette promesse solennelle.
Si un texte de ce genre était inséré, l’évêque qui procéderait à
l’ordination pourrait répondre : "Et moi, à mon tour, je te promets un
service filial de ta vocation ministérielle conformément au modèle donné par
le Christ, mon maître et le vôtre". Tous les prêtres, tous les diacres,
devraient avoir la possibilité de demander respectueusement à leur évêque de
rendre compte de sa manière de se comporter avec ses fils et avec ses frères
dans le ministère sacré.
4. Il y a, chez les évêques, une perception pratique insuffisante du fait
que leur épiscopat est exercé comme par "un homme sous autorité" et qu’un
élément crucial de cette "autorité" est le Code de droit canonique. Bien
entendu, l'autorité épiscopale des évêques est personnelle, mais c’est
également une autorité qui est exercée canoniquement et que l’on exerce en
gardant un œil sur les bonnes procédures.
La responsabilité exercée par les évêques devrait comporter le contrôle de
l’application des lois canoniques dans leur administration, mais également
le contrôle de la cohérence dans le respect des bonnes procédures. En
Australie, devant la "Commission Royale", les évêques ont décrit la
congrégation pour le clergé – "le Vatican" – comme un obstacle à leurs
politiques de protection de l'enfance, alors que, en réalité, la
congrégation pour le clergé demandait que les évêques appliquent le bon
processus canonique lorsqu’ils géraient les affaires. Le profil stratégique
de la congrégation pour les évêques doit inclure une attitude proactive
lorsqu’il s’agit de demander aux évêques des comptes à propos de la bonne
administration canonique dans tous les aspects de leur gouvernement
épiscopal.
5. Les diocèses pâtissent trop souvent d’intervalles d’une durée
anormalement longue entre deux mandats d’évêques. Les raisons de ce
phénomène peuvent être nombreuses et complexes, mais, en tout cas, une chose
est claire : la congrégation pour les évêques n’est pas suffisamment
structurée pour mener une action stratégique à long terme en ce qui concerne
les sièges épiscopaux vacants.
Il est débilitant pour les diocèses et pour les prêtres diocésains de
supporter des interrègnes prolongés. Les administrateurs diocésains n’ont
pas la possibilité de lancer de nouveaux projets, ce qui fait que les
projets et les programmes de l’évêque précédent sont consolidés, y compris
ceux qui sont déconsidérés et qui ne fonctionnent pas correctement. Les
prêtres s’adaptent à l’absence d’évêque et ce n’est pas une bonne habitude
pour des prêtres diocésains.
Il y a sans doute beaucoup d’autres choses que l’on pourrait dire à propos
de la réforme de la congrégation pour les évêques. Mais les quelques
considérations qui précèdent pourraient fournir un fil conducteur, à partir
du point de vue d’un prêtre diocésain ayant une grande expérience de haut
niveau dans le domaine civil et qui a exercé pendant plusieurs décennies un
ministère diocésain, loin des centres d’influence et avec l’avantage d’être
un observateur impartial.
Je vous les confie respectueusement, Très Saint Père.
***
Le directoire pour le ministère pastoral des évêques, publié en 2004 par la
congrégation vaticane pour les évêques
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Apostolorum successores
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 09.05.2015 -
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