"Tradition" et "succession", écrit
Benoît XVI, furent originellement
très proches |
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Le 08 juin 2008 -
(E.S.M.) -
Il est donc dès l'origine, précise Benoît XVI, étroitement lié à la
question de la véritable apostolicité; qui plus est, on voit que « successio » et « traditio
» furent originellement très proches, les deux termes ayant au départ
une signification quasi identique.
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"Tradition" et
"succession" -
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"Tradition" et "succession", écrit Benoît XVI, furent originellement très
proches
LA PAROLE DE DIEU
Rubrique : Théologie
Primauté, épiscopat et succession apostolique
1ère partie ►
Le papisme
Réflexions générales sur le concept de successio apostolica
Le concept de succession - ainsi que l'a très justement analysé von
Campenhausen - a été clairement formulé lorsque eut lieu la polémique
anti-gnostique au IIe siècle (H. CAMPENHAUSEN, Fonction ecclésiastique et délégation spirituelle au
cours des trois premiers siècles, Tùbingen, 1953, p. 163-194).; cela afin d'opposer à la transmission
[Überlieferung] pseudo-apostolique de la gnose l'authentique tradition [Überlieferung]
apostolique de l'Église. Il est donc dès l'origine,
précise Benoît XVI, étroitement lié à la
question de la véritable apostolicité ; qui plus est, on voit que «
successio » et «
traditio » furent originellement très proches, les deux
termes ayant au départ une signification quasi identique; ils étaient
désignés par le même mot qui signifie aussi bien « tradition » que «
succession » (Cf. E.
Caspar, « La plus Ancienne Liste romaine d'évêques », Écrits de la société
savante de Kônigsberg, section Sciences humaines 2, 4 (1926).Th. Klauser, «
Les Débuts de la liste romaine d'évêques », dans Bonner Zeitschrift fur
Théologie und Seelsorge 8 (1931) 193-213, en part. 196. - Une analyse
systématique de la relation entre tradition et succession : G. Sôhngen, «
Tradition et proclamation apostolique », dans Die Einheit in der Théologie,
Munich, 1957, p. 305-323).
La « tradition
», poursuit Benoît XVI, n'est en effet jamais la simple transmission anonyme d'une doctrine, elle
est personnelle; c'est une parole vivante qui possède sa réalité concrète
dans la foi. Inversement, la succession n'est pas la réappropriation de
pouvoirs administratifs qui se soumettent dès lors à leur nouveau détenteur,
mais une mise au service du Verbe, un office [Amt]
de témoin auprès du bien
confié, lequel s'élève au-dessus de son détenteur de sorte que celui-ci se
place entièrement en retrait de ce qui lui a été transmis, comme si - pour
reprendre les superbes figures d'Isaïe et de saint Jean-Baptiste - il
n'était que la voix qui donne au Verbe la capacité de résonner dans le
monde. La fonction, la succession des apôtres, se fondent sur le Verbe
-
cela vaut pour aujourd'hui comme pour hier. À quoi ressemble la situation du IIe siècle ? La gnose oppose au christianisme d'Église sa philosophie
religieuse tordue et la fait passer pour une tradition apostolique tenue
jusqu'alors secrète. Dans le même temps naît, au sein de l'Église, une
polémique qui souligne le fait que celle-ci regroupe les communautés au sein
desquelles les apôtres avaient prêché ou ayant été les destinataires de
leurs épîtres. À l'intérieur de ces communautés, il est possible de remonter
pour ainsi dire jusqu'à la bouche de l'apôtre lui-même; l'homme qui se
trouve aujourd'hui à la tête de l'une d'elles peut, en nommant ses
prédécesseurs l'un après l'autre, faire remonter son arbre généalogique
spirituel jusque-là. Si la connaissance d'une tradition orale des apôtres
existe, elle ne peut se trouver qu'au sein de ces communautés, qui sont les
véritables aunes auxquelles on mesure ce qui seul est en droit de s'appeler
« apostolique ».
On voit ici très
clairement en quoi tradition = succession. Effectivement,
la succession, c'est la persistance du Verbe
apostolique, tandis que la tradition, c'est la permanence de témoins
mandataires. Hans von Campenhausen a déclaré à ce sujet que, au-delà
du rôle médiateur de la gnose, l'Église avait, par la formulation du
principe de succession (de tradition), repris à
son compte un schéma de la philosophie antique qui, la première, avait
pratiqué, au sein de ses écoles, la technique des listes de succession
(Op. cit.., p. 183. L. Koep met davantage l'accent sur
les modèles juifs, art. « Liste d'évêques », dans RAC II 405-415, en part.
407 et suiv. Pour un développement supplémentaire de l'idée, il faudrait
renvoyer à la pensée juridique romaine. Cf. G. TELLENBACH, art. « Auctoritas
A », dans RAC I 904-909, notamment p. 906 : « Le juriste Tertullien a
introduit dans la pensée chrétienne l'idée du droit privé romain, selon
laquelle tout prédécesseur légal est considéré comme Yauctor, c'est-à-dire
comme le garant et témoin, du propriétaire d'une chose. Les apôtres, en tant
que premiers récipiendaires de la doctrine... transmettent celle-ci aux
communautés ou à leurs chefs et ceux-ci les transmettent à leur tour à leurs
successeurs. Cela fait des apôtres et des premiers évêques les auctores
de ceux qui suivent: la lignée légitime de succession garantit la foi et
la persistance de Yauctoritas apostolique. La tradition et Yauctoritas
s'engagent dans une relation fidèle l'une à l'autre... ». Tellenbach renvoie
par ailleurs à U. GMELIN, Idée romaine de la souveraineté et autorité
papale, 1937). C'est bien possible, quoique les sources
existantes ne permettent pas d'émettre un jugement entièrement fiable.
Du
reste, indique Benoît XVI, le Verbe divin et la réalité créée par lui n'ont-ils pas toujours
besoin de se servir de médiateurs humains afin de pouvoir s'exprimer parmi
les hommes ? Si toutefois von Campenhausen voulait dire par là qu'une
théologie de l'Écriture avait précédé la théologie de la
successio-traditio et que cette dernière était ainsi plus tardive et
donc secondaire (Cela est suggéré p. 176. Page 177, il est
dit qu'Irénée était davantage théologien de l'Écriture qu'on ne le reconnaît
et l'admet habituellement. S'il est bien vrai qu'Irénée se servait dans une
large mesure de l'Écriture et que sa spiritualité s'en nourrissait
entièrement, l'usage de l'Écriture et le principe de l'Écriture sont
toutefois deux choses distinctes), il faudrait qualifier cela
d'erreur. Car la compréhension du Nouveau Testament en tant que « Écriture
», c'est-à-dire la formulation possible d'un principe d'écriture
néotestamentaire, n'est pas antérieure à la fixation du principe de
successio-traditio ; depuis Marcion, elle est d'ailleurs bien davantage
déterminée par la gnose que ne l'est le dit principe (Cf.
A. VON HARNACK, Histoire du dogme I, Tùbingen, 1931, p. 372 et suiv.; A.
JÙLICHER - E. FASCHER, Introduction au Nouveau Testa ment., Tùbingen, 1931,
p. 478 et suiv). Qu'on ne s'y trompe pas : l'existence d'écrits
néotestamentaires, reconnus comme apostoliques, n'inclut pas encore
l'existence d'un « Nouveau Testament » en tant qu'« Écriture » -
des écrits
à l'Écriture, le chemin est long. Il est connu - et on ne doit pas négliger
ce fait-, que le Nouveau Testament ne se conçoit nulle part lui-même comme «
Écriture ». Pour lui, l'« Écriture » ne désigne que l'Ancien Testament.,
tandis que le message christique est précisément conçu comme l'«Esprit» qui
enseigne comment comprendre l'Écriture (Voir en
particulier les analyses fondamentales de 2 Cor 3, et les commentaires
importants de G. SCHRENK dans ThWNTl, p. 766 et suiv).
L'idée
d'un « Nouveau Testament » qui serait « Écriture » est encore ici
totalement
inconcevable - et même dans le sens où la « fonction » prend nettement forme
en tant qu'aspect de la παραδοσις
(ndlr : paradosis, qui est transmis). Cette existence clairement établie
d'écrits néotestamentaires reconnus en l'absence d'un principe d'Écriture
néotestamentaire - ou plutôt d'une conception canonique claire -, remonte
loin, jusqu'au IIe siècle - en pleine époque, justement, des discussions
avec les tenants de la gnose. Avant même que l'idée d'une Écriture
néotestamentaire « canonique » ne fût formulée, l'Église avait déjà forgé un
autre concept du canon; son Écriture était certes dans l'Ancien Testament,
mais il lui fallait un corpus de commentaires canoniques néotestamentaires,
corpus que l'Église voyait dans la traditio telle qu'elle était
garantie par la successio. Le « canon » - ainsi que l'a drastiquement
formulé von Harnack -, « c'était à l'origine la règle de la foi; en réalité,
l'Écriture s'est incrustée en plein milieu (DG II 87, note
3. Cf. également H. Bracht, « Le Rôle de la tradition dans la formation du
canon », dans Catholica 12 (1958) 16-37) ».
Avant que le Nouveau
Testament ne devienne lui-même Écriture, c'est la foi qui commente l'«
Écriture », à savoir l'Ancien Testament. Cependant il faut à ce propos
réfuter une autre erreur. Lorsque l'Église oppose à la gnose la
διαδοχή (ndlr
: succession; ensemble de choses qui se succèdent.)
vivante qui est l'unification (comme nous l'avons dit) de la traditio
et de la successio - le Verbe qui est lié au témoin et le témoin qui
est lié au Verbe -, cela ne signifie pas qu'elle affirme à son tour
canoniser des traditions orales transmises en parallèle de l'Écriture, mais
au contraire qu'elle souhaite se protéger au moyen de ce principe de
l'affirmation gnostique d'une παραδοσις. La
διαδοχή (παραδοσις)
αποστολιχη (ndlr :
apostolichi) sans faille de l'Église représente, selon le dessein des
premiers théologiens antignostiques, la démonstration, précisément, que la
παραδοσις αγαΦος propagée par les gnostiques n'existe pas, du moins pas
sous la forme prétendue. Quelle que soit donc la dépendance terminologique,
παράδοσις (διαδοχή) signifie d'un côté comme de l'autre deux choses
complètement différentes, voire carrément contraires. Dans la gnose, elle
signifie des doctrines ayant trait au contenu et d'origine prétendument
apostolique; dans la théologie ecclésiastique, elle signifie
l'attachement
de la foi vivante à l'autorité de l'Église, incarnée par la succession
épiscopale. L'Église n'invoque pas la διαδοχή afin de placer aux côtés de
l'Écriture des doctrines apostoliques non écrites, mais au contraire afin de
contester l'existence de tels héritages secrets. Pour elle,
παράδοσις représente le fait que, dans la
communauté néotestamentaire, « l'Écriture » (= l'Ancien Testament) est
subordonnée à l'exégèse vivante au moyen de la foi reçue des apôtres
(Cela n'exclut aucunement des vérités révélées et ouvertement transmises
par l'Église sans être pour autant incluses dans le Nouveau Testament).
L'outil essentiel pour parvenir à cette exégèse fidèle, ce sont les écrits
néotestamentaires et le Symbole des apôtres qui les résume, et ce sont
justement des instruments au service de cette foi vivante, qui trouve sa
forme concrète dans la διαδοχή
(Il est impossible d'analyser ici en détail les conséquences
pour la théologie systématique contemporaine. On trouve d'importantes pistes
de réflexion dans K. RAHNER, De l'inspiration de l'Écriture, Fribourg, 1958,
en particulier p. 80-84) . Ou, pour le répéter en d'autres termes :
pour les premiers théologiens antignostiques, la
« tradition » existe dans l'Église dans la mesure où le siège initial de
l'auctoritas apostolica réside dans la Parole vivante de l'Église
proclamatrice, mais certainement pas au sens où elle conserverait par-devers
elle des informations secrètes datant des temps apostoliques. En d'autres
termes, affirme Benoît XVI, dans l'Église, il existe une Tradition, et non pas des traditions.
L'idée de la Tradition est ecclésiastique,
celle des traditions est
gnostique (Cela ne veut bien entendu pas dire que l'idée de tradition ne peut se
manifester dans un sens ecclésiastique légitime ; il est simplement affirmé
qu'elle a auparavant été formulée par la gnose et par conséquent de façon
gnostique. - Une lecture précieuse à ce sujet : J. N. BAKHUIZEN VAN DEN
BRINK, « La Traditio au sens théologique », dans Vigilia christ. 13 (1959)
65-86).
A suivre :
la "tradition apostolique" et la "succession" se définissent mutuellement
Sources : La Parole de Dieu,
cardinal Ratzinger/Benoît XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 08.06.08 -
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