Caritas in Veritate, l'encyclique
sociale du pape Benoît XVI, IVème partie |
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Caritas in Veritate, Introduction et Ier chapitre
: Le message de Populorum Progressio
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Caritas in Veritate, IIème chapitre : Le
développement humain aujourd'hui
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Caritas in Veritate, IIIème chapitre : Fraternité,
développement économique et société civile
CHAPITRE IV
DÉVELOPPEMENT DES PEUPLES,
DROITS ET DEVOIRS, ENVIRONNEMENT
43. « La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour
nous, est aussi un devoir » [105]. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui
sont tenté de prétendre ne rien devoir à personne, si ce n’est à eux-mêmes.
Ils estiment n’être détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de
grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à l’égard de leur
développement personnel intégral et de celui des autres. C’est pourquoi il
est important de susciter une nouvelle réflexion sur le fait que les
droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires
[106]. Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une grave contradiction. Tandis
que, d’un côté, sont revendiqués de soi-disant droits, de nature arbitraire
et voluptuaire, avec la prétention de les voir reconnus et promus par les
structures publiques, d’un autre côté, des droits élémentaires et
fondamentaux d’une grande partie de l’humanité sont ignorés et violés [107].
On a souvent noté une relation entre la revendication du droit au superflu
ou même à la transgression et au vice, dans les sociétés opulentes, et le
manque de nourriture, d’eau potable, d’instruction primaire ou de soins
sanitaires élémentaires dans certaines régions sous-développées ainsi que
dans les périphéries des grandes métropoles. Cette relation est due au fait
que les droits individuels, détachés du cadre des devoirs qui leur confère
un sens plénier, s’affolent et alimentent une spirale de requêtes
pratiquement illimitée et privée de repères. L’exaspération des droits
aboutit à l’oubli des devoirs. Les devoirs délimitent les droits parce
qu’ils renvoient au cadre anthropologique et éthique dans la vérité duquel
ces derniers s’insèrent et ainsi ne deviennent pas arbitraires. C’est pour
cette raison que les devoirs renforcent les droits et situent leur défense
et leur promotion comme un engagement à prendre en faveur du bien. Si, par
contre, les droits de l’homme ne trouvent leur propre fondement que dans les
délibérations d’une assemblée de citoyens, ils peuvent être modifiés à tout
moment et, par conséquent, le devoir de les respecter et de les promouvoir
diminue dans la conscience commune. Les Gouvernements et les Organismes
internationaux peuvent alors oublier l’objectivité et l’« indisponibilité »
des droits. Quand cela se produit, le véritable développement des peuples
est mis en danger [108]. De tels comportements compromettent l’autorité des
Organismes internationaux, surtout aux yeux des pays qui ont le plus besoin
de développement. Ceux-ci demandent, en effet, que la communauté
internationale considère comme un devoir de les aider à être « les artisans
de leur destin » [109], c’est-à-dire à assumer eux-mêmes à leur tour des
devoirs. Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise beaucoup plus
que la seule revendication de droits.
44. La conception des droits et des devoirs dans le développement est mise à
l’épreuve de manière dramatique par les problématiques liées à la
croissance démographique. Il s’agit d’une limite très importante pour le
vrai développement, parce qu’elle concerne les valeurs primordiales de la
vie et de la famille [110]. Considérer l’augmentation de la population comme
la cause première du sous-développement est incorrect, même du point de vue
économique: il suffit de penser d’une part à l’importante diminution de la
mortalité infantile et à l’allongement moyen de la vie qu’on enregistre dans
les pays économiquement développés, et d’autre part, aux signes de crises
qu’on relève dans les sociétés où l’on enregistre une baisse préoccupante de
la natalité. Il demeure évidemment nécessaire de prêter l’attention due à
une procréation responsable qui constitue, entre autres, une contribution
efficace au développement humain intégral. L’Église, qui a à cœur le
véritable développement de l’homme, lui recommande de respecter dans tout
son agir la réalité humaine authentique. Cette dimension doit être reconnue,
en particulier, en ce qui concerne la sexualité: on ne peut la réduire à un
pur fait hédoniste et ludique, de même que l’éducation sexuelle ne peut être
réduite à une instruction technique, dans l’unique but de défendre les
intéressés d’éventuelles contaminations ou du « risque » de procréation.
Cela équivaudrait à appauvrir et à ignorer le sens profond de la sexualité,
qui doit au contraire être reconnue et assumée avec responsabilité, tant par
l’individu que par la communauté. En effet, la responsabilité interdit aussi
bien de considérer la sexualité comme une simple source de plaisir, que de
la réguler par des politiques de planification forcée des naissances. Dans
ces deux cas, on est en présence de conceptions et de politiques
matérialistes, où les personnes finissent par subir différentes formes de
violence. À tout cela, on doit opposer, en ce domaine, la compétence
primordiale des familles [111] par rapport à celle l’État et à ses
politiques contraignantes, ainsi qu’une éducation appropriée des parents.
L’ouverture moralement responsable à la vie est une richesse sociale et
économique. De grandes nations ont pu sortir de la misère grâce au grand
nombre de leurs habitants et à leurs potentialités. En revanches, des
nations, un temps prospères, connaissent à présent une phase d’incertitude
et, dans certains cas, de déclin à cause de la dénatalité qui est un
problème crucial pour les sociétés de bien-être avancé. La diminution des
naissances, parfois au-dessous du fameux « seuil de renouvellement », met
aussi en difficulté les systèmes d’assistance sociale, elle en augmente les
coûts, réduit le volume de l’épargne et, donc, les ressources financières
nécessaires aux investissements, elle réduit la disponibilité d’une
main-d’œuvre qualifiée, elle restreint la réserve des « cerveaux » utiles
pour les besoins de la nation. De plus, dans les familles de petite, et même
de toute petite dimension, les relations sociales courent le risque d’être
appauvries, et les formes de solidarité traditionnelle de ne plus être
garanties. Ce sont des situations symptomatiques d’une faible confiance en
l’avenir ainsi que d’une lassitude morale. Continuer à proposer aux
nouvelles générations la beauté de la famille et du mariage, la
correspondance de ces institutions aux exigences les plus profondes du cœur
et de la dignité de la personne devient ainsi une nécessité sociale, et même
économique. Dans cette perspective, les États sont appelés à mettre en
œuvre des politiques qui promeuvent le caractère central et l’intégrité de
la famille, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, cellule
première et vitale de la société [112]. prenant en compte ses
problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa nature
relationnelle.
45. Répondre aux exigences morales les plus profondes de la personne a aussi
des retombées importantes et bénéfiques sur le plan économique. En effet,
pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas
d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne.
Aujourd’hui, on parle beaucoup d’éthique dans le domaine économique,
financier ou industriel. Des Centres d’études et des parcours de formation
de business ethics sont créés. Dans le monde développé, le système
des certifications éthiques se répand à la suite du mouvement d’idées né
autour de la responsabilité sociale de l’entreprise. Les banques proposent
des comptes et des fonds d’investissement appelés « éthiques ». Une «
finance éthique » se développe surtout à travers le microcrédit et, plus
généralement, la microfinance. Ces processus sont appréciables et méritent
un large soutien. Leurs effets positifs se font sentir même dans les régions
les moins développées de la terre. Toutefois, il est bon d’élaborer aussi un
critère valable de discernement, car on note un certain abus de l’adjectif «
éthique » qui, employé de manière générique, se prête à désigner des
contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des
décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de
l’homme.
En fait, cela dépend en grande partie du système moral auquel on se réfère.
Sur ce thème, la doctrine sociale de l’Église a une contribution spécifique
à apporter, qui se fonde sur la création de l’homme « à l’image de Dieu
» (Gn 1, 27), principe d’où découle la dignité inviolable de la personne
humaine, de même que la valeur transcendante des normes morales naturelles.
Une éthique économique qui méconnaîtrait ces deux piliers, risquerait
inévitablement de perdre sa signification propre et de se prêter à des
manipulations. Plus précisément, elle risquerait de s’adapter aux systèmes
économiques et financiers existant, au lieu de corriger leurs
dysfonctionnements. Elle finirait également, entre autres, par justifier le
financement de projets non éthiques. En outre, il ne faut pas utiliser le
mot « éthique » de façon idéologiquement discriminatoire, laissant entendre
que les initiatives qui ne seraient pas formellement parées de cette
qualification, ne seraient pas éthiques. Il faut œuvrer – et cette
observation est ici essentielle!
– non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes « éthiques »
dans l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute
la finance soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage
extérieur, mais à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur nature
même. La doctrine sociale de l’Église aborde ce sujet avec clarté quand elle
rappelle que l’économie, en ses différentes ramifications, est un secteur de
l’activité humaine [113].
46. Considérant les thématiques relatives au rapport entre entreprise et
éthique, ainsi que l’évolution que le système de production connaît
actuellement, il semble que la distinction faite jusqu’ici entre entreprises
à but lucratif (profit) et organisations à but non lucratif (non
profit) ne soit plus en mesure de rendre pleinement compte de la
réalité, ni d’orienter efficacement l’avenir. Au cours de ces dernières
décennies, une ample sphère intermédiaire entre ces deux types d’entreprises
a surgi. Elle est constituée d’entreprises traditionnelles, – qui cependant
souscrivent des pactes d’aide aux pays sous-développés –, de fondations qui
sont l’expression d’entreprises individuelles, de groupes d’entreprises
ayant des buts d’utilité sociale, du monde varié des acteurs de l’économie
dite « civile et de communion ». Il ne s’agit pas seulement d’un « troisième
secteur », mais d’une nouvelle réalité vaste et complexe, qui touche le
privé et le public et qui n’exclut pas le profit mais le considère comme un
instrument pour réaliser des objectifs humains et sociaux. Le fait que ces
entreprises distribuent ou non leurs bénéfices ou bien qu’elles prennent
l’une ou l’autre des formes prévues par les normes juridiques devient
secondaire par rapport à leur orientation à concevoir le profit comme un
moyen pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et de la
société. Il est souhaitable que ces nouveaux types d’entreprise trouvent
également dans tous les pays un cadre juridique et fiscale convenables. Sans
rien ôter à l’importance et à l’utilité économique et sociale des formes
traditionnelles d’entreprise, elles font évoluer le système vers une plus
claire et complète acceptation de leurs devoirs, de la part des agents
économiques. Bien plus, la pluralité même des formes institutionnelles de
l’entreprise crée un marché plus civique et en même temps plus compétitif.
47. Le renforcement des diverses typologies d’entreprises et, en
particulier, de celles capables de concevoir le profit comme un instrument
pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et des sociétés, doit
être poursuivi aussi dans les pays qui sont exclus ou mis en marge des
circuits de l’économie mondiale, et où il est très important d’avancer par
le biais de projets, fondés sur une subsidiarité conçue et administrée de
façon adaptée, qui tendent à affermir les droits tout en prévoyant toujours
une prise de responsabilités correspondantes. Dans les interventions en
faveur du développement, le principe de la centralité de la personne humaine
doit être préservé car elle est le sujet qui, le premier, doit prendre en
charge la tâche du développement. L’urgence principale est l’amélioration
des conditions de vie des personnes concrètes d’une région donnée, afin
qu’elles puissent accomplir ces tâches qu’actuellement leur indigence ne
leur permet pas de remplir. La sollicitude ne peut jamais être une attitude
abstraite. Les programmes de développement, pour pouvoir être adaptés aux
situations particulières, doivent être caractérisés par la flexibilité. Et
les personnes qui en bénéficient devraient être directement associées à leur
préparation et devenir protagonistes de leur réalisation. Il est aussi
nécessaire d’appliquer les critères de la progression et de l’accompagnement
– y compris pour le contrôle des résultats –, car il n’existe pas de
recettes universellement valables. Cela dépend largement de la gestion
concrète des interventions. « Ouvriers de leur propre développement, les
peuples en sont les premiers responsables. Mais ils ne le réaliseront pas
dans l’isolement » [114]. Aujourd’hui, avec la consolidation du processus
d’intégration progressive de la planète, cette exhortation de Paul VI est
encore plus actuelle. Les dynamiques d’inclusion n’ont rien de mécanique.
Les solutions doivent être adaptées à la vie des peuples et des personnes
concrètes, sur la base d’une évaluation prévoyante de chaque situation. À
côté des macroprojets, les microprojets sont nécessaires et, plus encore, la
mobilisation effective de tous les acteurs de la société civile, des
personnes juridiques comme des personnes physiques.
La coopération internationale a besoin de personnes qui aient en
commun le souci du processus de développement économique et humain, par la
solidarité de la présence, de l’accompagnement, de la formation et du
respect. De ce point de vue, les Organismes internationaux eux-mêmes
devraient s’interroger sur l’efficacité réelle de leurs structures
bureaucratiques et administratives, souvent trop coûteuses. Il arrive
parfois que celui à qui sont destinées des aides devienne utile à celui qui
l’aide et que les pauvres servent de prétexte pour faire subsister des
organisations bureaucratiques coûteuses qui réservent à leur propre
subsistance des pourcentages trop élevés des ressources qui devraient au
contraire être destinées au développement. Dans cette perspective, il serait
souhaitable que tous les organismes internationaux et les Organisations non
gouvernementales s’engagent à œuvrer dans la pleine transparence, informant
leurs donateurs et l’opinion publique du pourcentage des fonds reçus destiné
aux programmes de coopération, du véritable contenu de ces programmes, et
enfin de la répartition des dépenses de l’institution elle-même.
48. Le thème du développement est aussi aujourd’hui fortement lié aux
devoirs qu’engendre le rapport de l’homme avec l’environnement naturel.
Celui-ci a été donné à tous par Dieu et son usage représente pour nous une
responsabilité à l’égard des pauvres, des générations à venir et de
l’humanité tout entière. Si la nature, et en premier lieu l’être humain,
sont considérés comme le fruit du hasard ou du déterminisme de l’évolution,
la conscience de la responsabilité s’atténue dans les esprits. Dans la
nature, le croyant reconnaît le merveilleux résultat de l’intervention
créatrice de Dieu, dont l’homme peut user pour satisfaire ses besoins
légitimes – matériels et immatériels – dans le respect des équilibres
propres à la réalité créée. Si cette vision se perd, l’homme finit soit par
considérer la nature comme une réalité intouchable, soit, au contraire, par
en abuser. Ces deux attitudes ne sont pas conformes à la vision chrétienne
de la nature, fruit de la création de Dieu.
La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle
nous précède et Dieu nous l’a donnée comme milieu de vie. Elle nous parle du
Créateur (cf. Rm 1, 20) et de son amour pour l’humanité. Elle est destinée à
être « récapitulée » dans le Christ à la fin des temps (cf. Ep 1, 9-10; Col
1, 19-20). Elle a donc elle aussi une « vocation » [115]. La nature est à
notre disposition non pas comme « un tas de choses répandues au hasard »
[116], mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indiqué les lois
intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires pour « la
garder et la cultiver » (Gn 2, 15). Toutefois, il faut souligner que
considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même
est contraire au véritable développement. Cette position conduit à des
attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme: le salut de l’homme
ne peut pas dériver de la nature seule, comprise au sens purement
naturaliste. Par ailleurs, la position inverse, qui vise à sa technicisation
complète, est également à rejeter car le milieu naturel n’est pas seulement
un matériau dont nous pouvons disposer à notre guise, mais c’est l’œuvre
admirable du Créateur, portant en soi une « grammaire » qui indique une
finalité et des critères pour qu’il soit utilisé avec sagesse et non pas
exploité de manière arbitraire. Aujourd’hui, de nombreux obstacles au
développement proviennent précisément de ces conceptions erronées. Réduire
complètement la nature à un ensemble de données de fait finit par être
source de violence dans les rapports avec l’environnement et finalement par
motiver des actions irrespectueuses envers la nature même de l’homme. Étant
constituée non seulement de matière mais aussi d’esprit et, en tant que
telle, étant riche de significations et de buts transcendants à atteindre,
celle-ci revêt un caractère normatif pour la culture. L’homme interprète et
façonne le milieu naturel par la culture qui, à son tour, est orientée par
la liberté responsable, soucieuse des principes de la loi morale. Les
projets en vue d’un développement humain intégral ne peuvent donc ignorer
les générations à venir, mais ils doivent se fonder sur la solidarité et
sur la justice intergénérationnelles, en tenant compte de multiples
aspects: écologique, juridique, économique, politique, culturel [117].
49. Aujourd’hui, les questions liées à la protection et à la sauvegarde de
l’environnement doivent prendre en juste considération les problématiques
énergétiques. L’accaparement des ressources énergétiques non renouvelables
par certains États, groupes de pouvoir ou entreprises, constitue, en effet,
un grave obstacle au développement des pays pauvres. Ceux-ci n’ont pas les
ressources économiques nécessaires pour accéder aux sources énergétiques non
renouvelables existantes ni pour financer la recherche de nouvelles sources
alternatives. L’accaparement des ressources naturelles qui, dans de nombreux
cas, se trouvent précisément dans les pays pauvres, engendre l’exploitation
et de fréquents conflits entre nations ou à l’intérieur de celles-ci. Ces
conflits se déroulent souvent sur le territoire même de ces pays, entraînant
de lourdes conséquences: morts, destructions et autres dommages. La
communauté internationale a le devoir impératif de trouver les voies
institutionnelles pour réglementer l’exploitation des ressources non
renouvelables, en accord avec les pays pauvres, afin de planifier ensemble
l’avenir.
Sur ce front aussi, apparaît l’urgente nécessité morale d’une solidarité
renouvelée, spécialement dans les relations entre les pays en voie de
développement et les pays hautement industrialisés [118]. Les sociétés
technologiquement avancées peuvent et doivent diminuer leur propre
consommation énergétique parce que d’une part, leurs activités
manufacturières évoluent et parce que d’autre part, leurs citoyens sont plus
sensibles au problème écologique. Ajoutons à cela qu’il est possible
d’améliorer aujourd’hui la productivité énergétique et qu’il est possible,
en même temps, de faire progresser la recherche d’énergies alternatives.
Toutefois, une redistribution planétaire des ressources énergétiques est
également nécessaire afin que les pays qui n’en ont pas puissent y accéder.
Leur destin ne peut être abandonné aux mains du premier venu ou à la logique
du plus fort. Ce sont des problèmes importants qui, pour être affrontés de
façon efficace, demandent de la part de tous une prise de conscience
responsable des conséquences qui retomberont sur les nouvelles générations,
surtout sur les très nombreux jeunes présents au sein des peuples pauvres et
qui « demandent leur part active dans la construction d’un monde meilleur »
[119].
50. Cette responsabilité est globale, parce qu’elle ne concerne pas
seulement l’énergie, mais toute la création, que nous ne devons pas
transmettre aux nouvelles générations appauvrie de ses ressources. Il est
juste que l’homme puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature
pour la protéger, la mettre en valeur et la cultiver selon des formes
nouvelles et avec des technologies avancées, afin que la terre puisse
accueillir dignement et nourrir la population qui l’habite. Il y a de la
place pour tous sur la terre: la famille humaine tout entière doit y trouver
les ressources nécessaires pour vivre correctement grâce à la nature
elle-même, don de Dieu à ses enfants, et par l’effort de son travail et de
sa créativité. Nous devons cependant avoir conscience du grave devoir que
nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état tel
qu’elles puissent elles aussi l’habiter décemment et continuer à la
cultiver. Cela implique de s’engager à prendre ensemble des décisions, «
après avoir examiné de façon responsable la route à suivre, en vue de
renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit
être le reflet de l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui
nous allons » [120]. Il est souhaitable que la communauté internationale et
chaque gouvernement sachent contrecarrer efficacement les modalités
d’exploitation de l’environnement qui s’avèrent néfastes. Il est par
ailleurs impératif que les autorités compétentes entreprennent tous les
efforts nécessaires afin que les coûts économiques et sociaux dérivant de
l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon
transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et
non par les autres populations ou par les générations futures: la protection
de l’environnement, des ressources et du climat demande que tous les
responsables internationaux agissent ensemble et démontrent leur résolution
à travailler honnêtement, dans le respect de la loi et de la solidarité à
l’égard des régions les plus faibles de la planète [121]. L’une des plus
importantes tâches de l’économie est précisément l’utilisation la plus
efficace des ressources, et non leur abus, sans jamais oublier que la notion
d’efficacité n’est pas axiologiquement neutre.
51. La façon dont l’homme traite l’environnement influence les modalités
avec lesquelles il se traite lui-même et réciproquement. C’est pourquoi
la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie qui, en de
nombreuses régions du monde, est porté à l’hédonisme et au consumérisme,
demeurant indifférente aux dommages qui en découlent [122]. Un véritable
changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux
styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de
consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du
beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une
croissance commune » [123]. Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié
civique provoque des dommages à l’environnement, de même que la
détérioration de l’environnement, à son tour, provoque l’insatisfaction dans
les relations sociales. À notre époque en particulier, la nature est
tellement intégrée dans les dynamiques sociales et culturelles qu’elle ne
constitue presque plus une donnée indépendante. La désertification et la
baisse de la productivité de certaines régions agricoles sont aussi le fruit
de l’appauvrissement et du retard des populations qui y habitent. En
stimulant le développement économique et culturel de ces populations, on
protège aussi la nature. En outre, combien de ressources naturelles sont
dévastées par les guerres! La paix des peuples et entre les peuples
permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. L’accaparement des
ressources, spécialement de l’eau, peuvent provoquer de graves conflits
parmi les populations concernées. Un accord pacifique sur l’utilisation des
ressources peut préserver la nature et, en même temps, le bien-être des
sociétés intéressées.
L’Église a une responsabilité envers la création et doit la faire
valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la
terre, l’eau et l’air comme dons de la création appartenant à tous, elle
doit aussi surtout protéger l’homme de sa propre destruction. Une sorte
d’écologie de l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La
dégradation de l’environnement est en effet étroitement liée à la culture
qui façonne la communauté humaine: quand l’« écologie humaine » [124]
est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi
avantage. De même que les vertus humaines sont connexes, si bien que
l’affaiblissement de l’une met en danger les autres, ainsi le système
écologique s’appuie sur le respect d’un projet qui concerne aussi bien la
saine coexistence dans la société que le bon rapport avec la nature.
Pour préserver la nature, il n’est pas suffisant d’intervenir au moyen
d’incitations ou de mesures économiques dissuasives, une éducation
appropriée n’y suffit pas non plus. Ce sont là des outils importants,
mais le point déterminant est la tenue morale de la société dans son
ensemble. Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas
respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont
rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la
recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie
humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des
nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une
contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se
respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible,
qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du
mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement
humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement
sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en
elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et
piétiner les autres. C’est là une grave antinomie de la mentalité et de la
praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse l’environnement et
détériore la société.
52. La vérité et l’amour que celle-ci fait entrevoir ne peuvent être
fabriqués. Ils peuvent seulement être accueillis. Leur source ultime n’est
pas, ni ne peut être, l’homme, mais Dieu, c’est-à-dire Celui qui est Vérité
et Amour. Ce principe est très important pour la société et pour le
développement, dans la mesure où ni l’une ni l’autre ne peuvent être
produits seulement par l’homme. La vocation elle-même des personnes et des
peuples au développement ne se fonde pas sur une simple décision humaine,
mais elle est inscrite dans un dessein qui nous précède et qui constitue
pour chacun de nous un devoir à accueillir librement. Ce qui nous précède et
qui nous constitue – l’Amour et la Vérité subsistants – nous indique ce
qu’est le bien et en quoi consiste notre bonheur. Il nous montre donc la
route qui conduit au véritable développement.
►
Caritas in Veritate, Vème chapitre : La collaboration de la famille
humaine
►
Caritas in Veritate, VIème chapitre et conclusion : Le développement des
peuples et la technique
Notes :
[105] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 17: loc.
cit., 265-266; DC 64 (1967) col. 680.
[106] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2003, n.
5: AAS 95 (2003), 343; DC 85 (2003) p. 6.
[107] Cf. ibid.
[108] Cf. Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n.
13: loc. cit., 781-782; DC 89 (2007) p. 59.
[109] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65: loc.
cit., 289; DC 64 (1967) col. 674-704.
[110] Cf. ibid. nn. 36.37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.
[111] Cf. ibid. n. 37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.
[112] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Décr. Apostolicam actuositatem, n. 11.
[113] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 14:
loc. cit., 264; Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n.
32: loc. cit., 832-833; DC 88 (1991) p. 534.
[114] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967) n 77: loc. cit.,
295; DC 64 (1967) p. 700.
[115] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6:
AAS 82 (1990), 150; DC 89 (1990) p. 10.
[116] Héraclite d’Ephèse (Ephèse 535 av. J-C environ – 475 av. J-C environ),
Fragment 22B124, en H. Diels e W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker,
Weidmann, Berlin 19526.
[117] Cf. Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la
Doctrine Sociale de l’Église, nn. 451-487.
[118] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n.
10: loc. cit., 152-153; DC 89 (1990) p. 11.
[119] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65: loc.
cit., 289; DC 64 (1967) col. 696.
[120] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2008, n. 7:
AAS 100 (2008), 41; DC 105 (2008) p. 4.
[121] Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de
l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105 (2008) pp.
533-537.
[122] Cf. Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n.
13: loc. cit., 154-155; DC 97 (1990) pp. 11-12.
[123] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36: loc.
cit., 36; DC 88 (1991) pp. 536-537.
[124] Ibid. n. 38: loc. cit., 840-841; DC 88 (1991) pp. 537-538; Benoît XVI,
Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n.8: loc. cit., 779; DC
104 (2007) pp. 57-58.
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Espagnol,
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Caritas in Veritate
Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.07.09 -
T/Benoît XVI |