Benoît XVI et la dimension esthétique
de la liturgie |
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Le 06 juin 2009 -
(E.S.M.)
- Pour Benoît XVI, la dimension esthétique de la liturgie est un
sujet de première importance: cela se voit déjà dans sa Lettre
post-synodale du 22 février 2007 sur le thème de l'Eucharistie "Sacramentum
Caritatis": Conférence donnée par Dom Karl Joseph Wallner le 4 mai 2009 au Congrès
"Liturgie et vie psychique" qui s'est tenu à l'abbaye cistercienne d'Heiligenkreuz.
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Benoît XVI et la dimension esthétique
de la liturgie
Beauté de la liturgie - Beauté de l'âme
Le 06 juin 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- Conférence donnée par Dom Karl Joseph Wallner le 4 mai 2009 au Congrès
"Liturgie et vie psychique" qui s'est tenu à l'abbaye cistercienne d'Heiligenkreuz
cum permissio : Pour lire les pages précédentes
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Pour Benoît XVI, la liturgie est la clé pour l'avenir de la foi chrétienne - 24.05.09
(1)
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Benoît XVI et Urs von Balthasar, une amitié qui n'est pas due au hasard - 26.05.09 (2)
(SUITE)
Pour Benoît XVI, la dimension esthétique de la liturgie est un sujet de
première importance: cela se voit déjà dans sa Lettre post-synodale du 22
février 2007 sur le thème de l'Eucharistie "Sacramentum
Caritatis". On y trouve un paragraphe traitant du rapport entre la
beauté et la liturgie, où il décrit la Beauté comme une valeur théologique
et liturgique. Lisons ce passage: "La beauté de la liturgie (...) est
expression très haute de la gloire de Dieu et elle constitue, en un sens, le
Ciel qui vient sur la terre. Le mémorial du sacrifice rédempteur porte en
lui-même les traits de la beauté de Jésus dont Pierre, Jacques et Jean ont
donné témoignage quand le Maître, en marche vers Jérusalem, voulut être
transfiguré devant eux (cf. Mc 9, 2).
Par conséquent, la beauté n'est pas un facteur décoratif de l'action
liturgique; elle en est plutôt un élément constitutif, en tant qu'elle est
un attribut de Dieu lui-même et de sa révélation. Tout cela doit nous rendre
conscients de l'attention que nous devons avoir afin que l'action liturgique
resplendisse selon sa nature propre."
Six mois plus tard, le 9 septembre 2007, Benoît XVI reprenait ce thème au
cours de sa visite au monastère d'Heiligenkreuz: dans son
discours il développait sa vision d'une théologie de la liturgie et tout
spécialement de l'Office divin monastique. En se référent au passage de la
Règle de S. Benoît qui dit: "operi Dei omnino nihil praeponere",
c'est-à-dire "ne rien préférer à l'Œuvre de Dieu", le Pape nous a
donné, à nous moines, ainsi qu'à toute l'Eglise une mission:
"Votre première mission en faveur de ce monde doit être votre prière et
la célébration de l'Office divin. Le souci de chaque prêtre, de chaque homme
consacré à Dieu doit être de "ne rien préférer à l'Œuvre de Dieu". La
grandeur d'une telle prise de conscience trouve sa meilleure expression dans
la beauté de la liturgie: là où nous chantons ensemble, où nous louons Dieu,
où nous célébrons et prions, là se trouve un petit morceau de ciel sur la
terre. Il n'est certainement pas inapproprié de voir dans une liturgie toute
concentrée sur Dieu par ses rites et ses chants une image de l'éternité."
Lorsque, quelques mois plus tard, le Bon Dieu nous fit un beau clin d'œil en
mettant le CD présentant notre Office chanté en grégorien au sommet de tous
les classements du box office, nous n'avons pas hésité à faire imprimer sur
toutes les pochettes de disques cette phrase du pape: "Là où nous
chantons ensemble, où nous louons Dieu, où nous célébrons et prions, là se
trouve un petit morceau de ciel sur la terre."
Après cette bien longue introduction, je voudrais présenter, de façon
thématique, trois points de rencontre entre l'esthétique liturgique et le
ressenti de l'âme: la beauté liturgique produit dans l'âme tout d'abord un
apaisement, une consolation, ensuite une élévation, et finalement une
spiritualisation.
II. Trois thèses sur une influence réciproque.
1. L'apaisement par l' "Opus operatum".
Toutes les religions possèdent leurs cultes et leurs cérémonials, quelque
chose comme une liturgie. Le terme grec "leiturgía" provient
d'ailleurs, étymologiquement parlant, du terme "leítos" qui signifie
"publique" (mot qui, lui-même, provient de "laós", le peuple), et du
mot "érgon" signifiant "oeuvre", "service". La liturgie
est donc, dans un sens large, un culte publique, un acte religieux se
projetant dans l'espace du divin ou des dieux. S. Benoît appellera cela "Opus
Dei", ce qu'on peut traduire par: "oeuvre de Dieu" ou "oeuvre pour Dieu"
selon qu'on envisage dans l'original latin un génitif objectif ou un génitif
subjectif (ndlr: la langue allemande utilise ici la
traduction littérale "Gottesdienst" qui, comme en latin, peut être comprise
dans les deux acceptions.)
N'oublions pas non plus que chez les peuples païens la "leiton ergon",
le culte publique, servait aussi à entretenir la bonne humeur des dieux. Le
terme grec désignant l'offrande cultuelle est "hilasmos", dont une
racine est "hilaria", ce qui veut dire "bien disposé". De
fait, une des raisons d'être du culte est de s'assurer la "bonne
disposition" des dieux à votre égard, par le moyen de l'odeur agréable des
offrandes.
Quoi qu'il en soit, si extérieurement les attitudes et les actions
cultuelles, les gestes d'offrande et les chants se ressemblent, leur
signification propre est fort différente selon le contexte. La liturgie, en
effet, exprime la foi, et inversement: "Lex credendi, lex orandi".
C'est pourquoi chacune de nos actions repose sur un préalable: l'irruption
de Dieu dans nos vies.
Dans son commentaire de l'Epître aux Romains, le théologien protestant Karl
Barth a formulé cette idée en disant que Dieu nous vient "verticalement
d'en-haut". La religion basée sur la Révélation biblique confesse un
Dieu qui, de par sa propre initiative, et de façon vraiment surprenante et
imposante , franchit le gouffre qui sépare son monde d'éternité de notre
monde de finitude. Dieu s'introduit dans notre monde: il pénètre et
intervient dans notre finitude. Il vient dans ce monde en en faisant éclater
la mesure, en l'étirant à l'infini. Et là où, dans ce monde, la Gloire de
Dieu est présente, l'adjectif "kabod" utilisé dans l'Ancien Testament
devient un substantif et le nom même de Dieu: Dieu est "kabod", Dieu est
"Gloire". Il n'est plus alors question seulement de la beauté d'un
coucher de soleil, ou de la fulgurance d'une idée de génie qui vient
illuminer une réflexion, ou encore de la beauté de l'air de "Don Giovanni"
de Mozart...
"Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre
sainte", s'entend dire Moïse devant le buisson ardent. Et plus loin: "Ehje
ascher Ehje", "Je suis celui qui suis". Dieu, dans sa Gloire, est
insaisissable.
Moïse a survécu à sa rencontre avec l'insaisissable Gloire de Dieu: des
rayons de lumière, tels des stigmates, marquent à présent son corps.
Dans le Psaume 72, au verset 19, il est dit que la "Gloire de Dieu remplit
toute la terre". Ailleurs, le psalmiste est sous l'emprise de
l'Insaisissable lorsqu'il s'écrie: "Voix du Seigneur, elle secoue les
térébinthes, elle dépouille les futaies. Dans son palais tout crie: Gloire!"
(Ps. 29, 9).
Rencontrer la Gloire de Dieu, c'est donc être submergé par quelque chose qui
vient d'en-haut, "de ariba", selon l'expression de S. Ignace. Ce que
l'on peut expérimenter là est sans commune mesure avec les sensations que
véhiculent les expériences d'autosuggestion ou de dynamique de groupe.
Dans certains de nos chants liturgiques, le Christ est désigné comme "Seigneur
Jésus, Splendeur du Père". Le dogme reconnaît dans le Christ la Parole
faite chair, Celui qui donne sens à la vie sur cette terre, Celui qui veut
faire éclater la splendeur de l'Etre divin à l'intérieur de notre condition
humaine. Ainsi, dans l'Evangile de S. Jean, la Croix s'éclaire dans le nimbe
de la splendeur éternelle déjà révélée. S. Matthieu rapporte que le
centurion, à la faveur des événements qui ont suivi la mort de Jésus, a vu
le Crucifié s'illuminer de la Splendeur divine, et a ainsi trouvé le chemin
vers la foi. Dans S. Luc, le voile du Temple, qui jusque là cachait aux yeux
des hommes la Gloire de Dieu, s'est déchiré par le milieu. Dans
l'Apocalypse, qui reprend la tradition iconographique propre à S. Jean et la
développe en une grande fresque fantastique, se trouve la figure de l'Agneau
immolé, débarrassée de tout ce qu'elle pouvait avoir de repoussant: le voilà
devenu au contraire l'Agneau vainqueur, debout devant le trône, Lumière
éclairant la Cité de Dieu.
La liturgie est ainsi célébration d'une splendeur déjà advenue, déjà
présente. Et c'est pourquoi, son premier effet en nous est un apaisement
d'ordre psychologique.
Il n'y a rien qui soit plus contraire à la liturgie catholique que de
prétendre forcer une réponse divine au cours de rituels usant de magie. Il
n'y a pas, chez nous, cette crispation sur une volonté de conquête de la
grâce divine, cette recherche d'expériences censées mener à l'apaisement, à
l'extase ou la divinisation. Il n'y a dans nos liturgies qu'une expectative,
un laisser-faire et, ensuite, un étonnement muet devant la venue effective
de Dieu en nous. L'Eglise exprime cela en parlant, à la suite de S. Thomas
d'Aquin, de l' "opus operatum", notion que Luther et les Réformateurs
ont malheureusement cru devoir par la suite remplacer par la simple foi
subjective des croyants.
L'efficacité de cet "opus operatum" suppose que le noyau central de notre
foi se trouve pris en compte et prolongé, exprimé dans notre liturgie. Elle
suppose que nous n'ayons pas à nous démener pour chercher ce noyau central,
désespérément, mais qu'il nous suffit de lui laisser le champ libre, de le
laisser approcher: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est Moi qui vous
ai choisi." L' "opus operatum" nous parle d'une prévalence de la
grâce, d'une volonté divine de procurer à l'homme le Salut décidée a priori.
Joseph Ratzinger avait caractérisé notre époque de "néopélagienne",
dans le sens que nos contemporains estiment aujourd'hui avoir à gérer par
eux-mêmes une éventuelle relation au divin. En pensant ainsi pouvoir
acquérir une expérience du divin par la seule force de la méditation et de
techniques de maîtrise corporelle, cette mentalité néopélagienne a produit
les fruits pseudo religieux que sont le New Age et les mouvements
ésotériques.
La raison pour laquelle notre liturgie est belle, c'est que croyons que le
Christ lui-même est présent dans la liturgie, que sa grâce peut être
véritablement agissante lorsque, par notre attitude, nos prières et nos
rites nous lui laissons le champ libre.
Il se produit alors une "mimesis" sacrée, selon le terme des Pères grecs:
dans la "représentation" des faits, il se produit une "actualisation" du don
du Salut, don déjà réalisé par Dieu au cours du temps. Cela nous permet
aussi, malgré toutes nos imperfections, de devenir les sujets d'une action
véritablement belle et pure. Quel soulagement, quel apaisement! S. Augustin
avait formulé la chose ainsi: "Lorsque Pierre baptise, c'est le Christ qui
baptise; lorsque Paul baptise, c'est le Christ qui baptise", et il poursuit
en enfonçant le clou: "Lorsque Judas baptise, c'est le Christ qui baptise."
Le premier acteur est donc toujours Dieu, ce Dieu qui vient à notre
rencontre dans les signes, les attitudes et les rites sacrés.
C'est pour cela que la liturgie ne sera jamais ni la mise en avant des
liturges, ni l'autocélébration de la communauté. Le prêtre n'est pas un
acteur ou un artiste de scène qui tremble de savoir s'il était à la hauteur
de son public, et qui, à la sortie de la messe se retrouve entouré de fans
qui lui demandent un autographe. Après un office solennel célébré dans la
ferveur et la dignité, il ne saurait y avoir, au retour à la sacristie, de
briefing concernant la réussite de la messe, du moins pas dans le but
d'encenser tel ou tel célébrant. S'il devait arriver que la "cheftaine"
des servants d'autel vienne se glisser lestement auprès du prêtre pour
minauder: "Alors, comment m'avez-vous trouvée aujourd'hui?", il
faudrait de toute urgence chercher l'erreur!
Je pose donc en principe que, si les rites et les chants liturgiques ont une
influence positive sur notre âme, c'est parce qu'ils nous apaisent, qu'ils
nous déchargent de nos inquiétudes religieuses (ce qui
signifie très clairement que n'importe quels chants, n'importe quelles
pratiques n'ont pas leur place en liturgie - n.d.l.r. -). Les
rites ne sont pas des mises en scène, des chorégraphies, des représentations
purement humaines, par lesquelles nous devrions par nos propres forces
attirer sur nous les grâces divines. Tout au contraire: ces rites doivent
nous permettre d'accueillir dans le calme et la sérénité la venue en nous de
la Gloire de Dieu.
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Sources : Pro
Liturgia
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(E.S.M.) 06.06.09 -
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