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Au synode sur la famille le pape émérite
Benoît XVI prend lui aussi la parole
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Le 03 décembre 2014 -
(E.S.M.)
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Il a réécrit la conclusion de l’un de ses articles, publié en
1972, que le cardinal Kasper avait cité à l’appui de ses propres
prises de position. Voici le texte intégral de sa "retractatio",
dans laquelle il réaffirme et explique l’interdiction de communier
imposée aux divorcés remariés.
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Le pape émérite Benoît XVI
Au synode sur la famille le pape émérite Benoît XVI prend lui aussi la
parole
par Sandro Magister
Le 03 décembre 2014 - E.
S. M. -
En ce qui concerne l’accès des divorcés à la communion, la position de
Joseph Ratzinger est bien connue. Il l’a exprimée à plusieurs reprises, en
tant que cardinal préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi puis
en tant que pape.
Mais voici qu’il revient maintenant sur ce sujet avec un nouveau texte, qui
vient tout juste d’être publié en Allemagne dans la collection de ses
Opera Omnia [Œuvres Complètes].
Ce texte est reproduit ci-dessous dans son intégralité. Mais il est
indispensable d’en expliquer la genèse.
Dans ses Opera Omnia, Ratzinger est en train de publier à nouveau – avec
l’aide du préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, Gerhard
Ludwig Müller – tous les textes théologiques qu’il a écrits, regroupés par
thèmes. Dans le dernier des neuf volumes publiés jusqu’à ce jour en allemand
par l’éditeur Herder – il compte près de 1 000 pages et est intitulé
"Introduction au christianisme. Profession, baptême, vie religieuse" – on
trouve un article de 1972, relatif à la question de l'indissolubilité du
mariage, publié cette année-là en Allemagne dans un livre à plusieurs
auteurs consacré au mariage et au divorce.
Cet article publié par Ratzinger en 1972 a été exhumé par le cardinal Walter
Kasper qui l’a utilisé, au mois de février dernier, dans le discours qu’il a
prononcé pour ouvrir le consistoire des cardinaux convoqué par le pape
François afin de débattre sur le thème de la famille en vue du synode des
évêques programmé pour le mois d’octobre
►Kasper change le paradigme, Bergoglio applaudit
Pour plaider en faveur de l’accès des divorcés remariés à la communion
eucharistique, Kasper a déclaré :
"L’Église des premiers temps nous donne une indication qui pourrait être
utile et à laquelle le professeur Joseph Ratzinger avait déjà fait allusion
en 1972. […] Ratzinger avait suggéré de reprendre de manière nouvelle la
prise de position de Basile. Il semblerait que ce soit une solution
appropriée et elle est également à la base de mes réflexions".
En effet, dans cet article de 1972, Ratzinger, alors âgé de quarante-cinq
ans et professeur de théologie à Ratisbonne, affirmait que le fait de donner
la communion aux divorcés remariés apparaissait, si l’on respectait
certaines conditions particulières, comme étant "tout à fait en ligne avec
la tradition de l’Église" et en particulier avec "ce type d’indulgence que
l’on voit apparaître dans l’œuvre de Basile, selon qui, après une période
prolongée de pénitence, le "digamus" (c’est-à-dire celui qui vit en secondes
noces) se voit concéder l’accès à la communion sans que son second mariage
ait été annulé : dans la confiance en la miséricorde de Dieu, qui ne laisse
pas sans réponse la pénitence".
Cet article de 1972 a été la première et la dernière manifestation par
Ratzinger d’une "ouverture" à l’accès des divorcés remariés à la communion.
Par la suite, en effet, non seulement il a pleinement adhéré à la position
rigoriste, consistant à leur interdire de communier, qui a été réaffirmée
par le magistère de l’Église au cours du pontificat de Jean-Paul II, mais il
a également, en tant que préfet de la congrégation pour la doctrine de la
foi, contribué dans une mesure déterminante à l'argumentation déployée en
faveur de cette interdiction.
Il y a contribué, en particulier, lorsqu’il a signé la lettre adressée aux
évêques le 14 septembre 1994, dans laquelle le Saint-Siège repoussait les
thèses favorables à l’accès des divorcés remariés à la communion qui avaient
été soutenues au cours des années précédentes par quelques évêques
allemands, parmi lesquels figurait Kasper
►"L'Année internationale de la Famille…"
Et de nouveau par un texte publié en 1998 par la congrégation pour la
doctrine de la foi et qui a fait l’objet d’une nouvelle publication dans "L'Osservatore
Romano" du 30 novembre 2011
►La pastorale du mariage doit se fonder sur la vérité
Sans compter que par la suite, en tant que pape, il a confirmé à nouveau et
motivé à plusieurs reprises l’interdiction de communier, dans le cadre de la
pastorale pour les divorcés remariés.
Il n’est donc pas surprenant que Ratzinger ait considéré comme inapproprié
qu’au mois de février dernier Kasper ait cité, à l’appui de ses propres
thèses, son article de 1972, comme si, depuis cette année-là, il ne s’était
rien produit.
C’est de là que vient la décision prise par Ratzinger, lors de la
republication dans ses Opera Omnia de l'article de 1972, d’en réécrire et
d’en développer la partie finale, qui a ainsi été mise en conformité avec sa
pensée ultérieure et actuelle.
Le texte qui suit est la traduction de la nouvelle partie finale de
l'article comme il apparaît dans le volume des Opera Omnia qui a été remis à
l’imprimeur par le pape émérite Benoît XVI au mois de mars 2014 et qui est
depuis peu disponible en librairie.
Immédiatement après ce texte, on pourra lire la reproduction de la partie
qui a été remplacée, c’est-à-dire le texte original que Kasper a cité à
l’appui de ses thèses lors du consistoire du mois de février dernier.
Dans la réédition de 2014 il est précisé que "la contribution a été
complètement revue par l’auteur".
1. LA "RETRACTATIO"
La nouvelle conclusion de l’article de 1972, réécrite par Joseph Ratzinger
en 2014
L’Église est Église de la Nouvelle Alliance, mais elle vit dans un monde
dans lequel cette "dureté de [...] cœur" (Mt 19, 8)
à cause de laquelle
Moïse a légiféré continue à exister sans aucun changement. Que peut-elle
donc faire de concret, en particulier à notre époque où la foi devient de
plus en plus édulcorée, y compris au sein de l’Église, et où les "choses que
recherchent les païens", contre lesquelles le Seigneur met ses disciples en
garde (cf. Mt 6, 32), menacent de devenir de plus en plus la norme ?
Avant tout et essentiellement, elle doit annoncer le message de la foi de
manière convaincante et compréhensible et chercher à ouvrir des espaces où
elle puisse être vécue véritablement. La guérison de la "dureté de cœur"
peut être obtenue seulement par la foi et c’est seulement là où celle-ci est
vivante qu’il est possible de vivre ce que le Créateur avait destiné à
l’homme avant le péché. Voilà pourquoi la chose principale et vraiment
fondamentale que l’Église doit faire est de rendre la foi vivante et forte.
En même temps, l’Église doit continuer à s’efforcer de sonder les limites et
l'ampleur des paroles de Jésus. Elle doit rester fidèle aux commandements du
Seigneur et elle ne peut même pas trop les étirer. Il me semble que ce que
l’on appelle les "clauses de fornication", que Matthieu a ajoutées aux
paroles du Seigneur transmises par Marc, reflètent déjà un tel effort. Un
cas particulier que les paroles de Jésus ne concernent pas est mentionné.
Cet effort a été poursuivi au cours de toute l’Histoire. L’Église
d'Occident, sous la conduite du successeur de Pierre, n’a pas pu suivre le
chemin emprunté par l’Église de l'empire byzantin, qui s’était rapprochée de
plus en plus du droit temporel, affaiblissant par là même la spécificité de
la vie dans la foi. Cependant, elle a mis en lumière à sa manière les
limites de l'applicabilité des paroles du Seigneur, définissant ainsi leur
portée de manière plus concrète.
Il y a surtout deux situations qui sont apparues, chacune d’elles étant
ouverte à une solution spécifique fournie par l'autorité ecclésiastique.
1. Saint Paul déclare aux Corinthiens (1 Cor 7, 12-16) et, à travers eux, à
l’Église de tous les temps – ce faisant, il apporte une indication qui lui
est personnelle, qui ne provient pas du Seigneur mais qu’il se sait autorisé
à donner – que, dans le cas d’un mariage entre une personne chrétienne et
une qui ne l’est pas, ce mariage peut être dissous si la personne
non-chrétienne fait obstacle à la vie de foi de l’autre. À partir de cette
indication, l’Église a élaboré ce que l’on appelle le "privilegium paulinum"
[privilège paulin], en continuant à l’interpréter dans sa tradition
juridique (cf. CIC, canons 1143-1150).
La tradition de l’Église a déduit de ce qu’affirme saint Paul que
le mariage
entre deux baptisés est le seul qui constitue un sacrement authentique et
par conséquent absolument indissoluble. Les mariages entre non-chrétiens et
chrétiens sont certes des mariages selon l'ordre de la création et ils sont
donc définitifs par eux-mêmes. Cependant ils peuvent être dissous au
bénéfice de la foi et d’un mariage sacramentel.
La tradition a fini par donner davantage d’extension à ce "privilège paulin",
aboutissant ainsi à ce que l’on appelle le "privilegium petrinum" [privilège
pétrinien]. Celui-ci signifie que le successeur de Pierre est mandaté pour
décider, en ce qui concerne les mariages non sacramentels, quels sont les
cas dans lesquels la séparation est justifiée. Cependant ce "privilège
pétrinien" n’a pas été introduit dans le nouveau Code, contrairement à ce
qui était prévu initialement.
Cela s’explique par le désaccord existant entre deux groupes d’experts. Le
premier groupe soulignait que l’objectif de tout le droit élaboré par
l’Église, son instrument de mesure interne, est le salut des âmes. Il en
résulte que l’Église a la possibilité et l’autorisation de faire ce qui est
utile pour atteindre cet objectif. L'autre groupe, au contraire, était
d’avis que les mandats correspondant au ministère pétrinien ne devaient pas
être trop élargis et qu’il était nécessaire de rester à l’intérieur des
limites reconnues par la foi de l’Église.
Étant donnée l’impossibilité de parvenir à un accord entre ces deux groupes,
le pape Jean-Paul II décida de ne pas introduire dans le Code cette partie
des coutumes juridiques de l’Église, mais de continuer à la confier à la
congrégation pour la doctrine de la foi qui, en même temps que la pratique
concrète, doit examiner continuellement les bases et les limites du mandat
attribué à l’Église dans ce domaine.
2. Au fil du temps, on a pris conscience, de plus en plus clairement, du
fait qu’un mariage qui a été contracté de manière apparemment valide peut,
en raison de vices juridiques ou réels, ne pas s’être véritablement
concrétisé et que par conséquent il peut être nul. Dans la mesure où
l’Église a développé son propre droit en matière de mariage, elle a
également défini de manière détaillée les conditions de validité et les
motifs d’éventuelle nullité.
La nullité du mariage peut provenir d’erreurs concernant la forme juridique,
mais également et surtout d’une conscience insuffisante. En ce qui concerne
la réalité du mariage, l’Église a reconnu très rapidement que le mariage est
constitué en tant que tel à travers le consentement des deux partenaires,
qui doit aussi être exprimé de manière publique sous une forme définie par
le droit (CIC, canon 1057 § 1). Le contenu de cette décision commune,
c’est
le don réciproque, effectué à travers un lien irrévocable (CIC, canon 1057 §
2 ; canon 1096 § 1). Le droit canonique présuppose que les personnes adultes
savent par elles-mêmes, en raison de leur nature, ce qu’est le mariage, et
par conséquent qu’elles savent également qu’il est définitif ; le contraire
devrait être expressément démontré (CIC, canon 1096 § 1 et § 2).
En ce qui concerne ce point, de nouvelles questions sont apparues au cours
des dernières décennies. Peut-on encore, aujourd’hui, présumer que les gens
soient conscients "par nature" du caractère définitif et de
l’indissolubilité du mariage et qu’ils y consentent lorsqu’ils prononcent
leur oui ? Ou bien est-ce qu’il ne s’est pas produit dans la société
actuelle - ou tout au moins dans les pays occidentaux - un changement de la
conscience qui fait plutôt présumer le contraire ? Peut-on considérer comme
un fait acquis la volonté de dire un oui définitif ou ne faut-il pas,
plutôt, s’attendre au contraire, c’est-à-dire au fait que, avant même de
dire oui, les époux sont déjà prédisposés au divorce ? Au cas où le
caractère définitif serait consciemment exclu, le mariage au sens de la
volonté du Créateur et de l'interprétation du Christ ne serait pas
véritablement réalisé. Cela permet de comprendre à quel point une
préparation correcte au sacrement est devenue importante aujourd’hui.
L’Église ne connaît pas le divorce. Cependant, après ce qui vient tout juste
d’être indiqué, elle ne peut pas exclure la possibilité de mariages nuls.
Les procès en annulation doivent être menés dans deux directions et avec
beaucoup d’attention. Ils ne doivent pas aboutir à un divorce camouflé. Ce
serait malhonnête et contraire au caractère sérieux du sacrement. D'autre
part, ils doivent examiner aussi consciencieusement que nécessaire les
problèmes posés par l’éventuelle nullité et, dans le cas où il y aurait de
justes motifs en faveur de l'annulation, ils doivent formuler le jugement
correspondant, ouvrant ainsi aux personnes concernées une nouvelle issue.
À notre époque, de nouveaux aspects du problème de la validité sont apparus.
J’ai déjà fait remarquer ci-dessus que le fait d’être naturellement
conscient de l'indissolubilité du mariage est devenu problématique et qu’il
en résulte que de nouvelles tâches doivent être accomplies par la procédure
de jugement. Je voudrais indiquer rapidement deux autres éléments nouveaux :
a. Le canon 1095 n° 3 a inscrit la problématique moderne dans le droit
canonique lorsqu’il dit que les personnes qui "pour des causes de nature
psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage" sont
incapables de contracter un mariage. Aujourd’hui, les problèmes psychiques
des gens, précisément face à une réalité aussi importante que le mariage,
sont perçus plus clairement que dans le passé. Cependant il est bon de
lancer une mise en garde contre le fait de construire de manière
inconsidérée la nullité à partir des problèmes psychiques. Si l’on procède
ainsi, en réalité, il serait trop facile de prononcer un divorce sous
l'apparence de la nullité.
b. Aujourd’hui une autre question se pose de manière très sérieuse. Il y a
actuellement un nombre croissant de païens baptisés : je veux dire par là
des gens qui sont devenus chrétiens parce qu’ils ont reçu le baptême, mais
qui ne croient pas et qui n’ont jamais connu la foi. Il s’agit là d’une
situation paradoxale : le baptême fait d’un être humain un chrétien, mais
celui-ci, n’ayant pas la foi, n’est, de toute façon, rien d’autre qu’un
païen baptisé. Le canon 1055 § 2 affirme qu’"entre baptisés, il ne peut
exister de contrat matrimonial valide qui ne soit, par le fait même, un
sacrement". Mais que se passe-t-il si un baptisé non croyant ne connaît pas
du tout le sacrement ? Il pourrait même avoir la volonté de
l'indissolubilité, mais il ne voit pas ce qui fait la nouveauté de la foi
chrétienne. L'aspect tragique de cette situation apparaît de manière
évidente surtout lorsque des baptisés païens se convertissent à la foi et
commencent à mener une vie totalement nouvelle. Cela fait naître des
questions pour lesquelles nous n’avons pas encore de réponse. Il est donc
encore plus urgent de les approfondir.
3. De tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant il résulte d’une part que
l’Église d'Occident – l’Église catholique – sous la conduite du successeur
de Pierre, sait qu’elle est étroitement liée à ce que le Seigneur a dit à
propos de l'indissolubilité du mariage, mais d’autre part qu’elle a
également cherché à discerner quelles étaient les limites de cette
indication afin de ne pas imposer aux gens plus de contraintes que
nécessaire.
C’est ainsi que, en partant de la suggestion faite par l’apôtre Paul et en
s’appuyant en même temps sur l'autorité du ministère pétrinien, elle a en
outre élaboré, pour les mariages non sacramentels, la possibilité de
divorcer pour le bien de la foi. De la même manière, elle a examiné sous
tous les aspects la question de la nullité d’un mariage.
L'exhortation apostolique "Familiaris
Consortio" de Jean-Paul II, publiée en
1981, a franchi un pas supplémentaire. Il est écrit, au numéro 84 : "Avec le
Synode, j’exhorte chaleureusement les pasteurs et toute la communauté des
fidèles à aider les divorcés en faisant en sorte, avec une grande charité,
qu’ils ne se sentent pas séparés de l’Église [...]. Que l’Église prie pour
eux, qu’elle les encourage et se montre à leur égard une mère
miséricordieuse et qu’ainsi elle les soutienne dans la foi et dans
l’espérance".
C’est ainsi qu’une mission importante est attribuée à la pastorale, mission
qui n’a peut-être pas encore été suffisamment transposée dans la vie
quotidienne de l’Église. Certains détails sont indiqués dans l’exhortation
elle-même. Il y est dit que ces personnes, dans la mesure où elles sont
baptisées, peuvent participer à la vie de l’Église et même qu’elles ont le
devoir de le faire. Une liste des activités chrétiennes qui leur sont
ouvertes et nécessaires est donnée. Peut-être, cependant, faudrait-il
souligner avec davantage de clarté ce que peuvent faire leurs pasteurs et
leurs frères dans la foi afin que ces personnes puissent ressentir
véritablement l'amour de l’Église. Je pense qu’il faudrait leur reconnaître
la possibilité de s’engager dans les associations ecclésiales et également
celle d’accepter d’être parrain ou marraine, ce que le droit ne prévoit pas
pour le moment.
Il y a un autre point de vue qui s’impose à moi. Si l’impossibilité de
recevoir la sainte eucharistie est perçue comme tellement douloureuse, c’est
notamment parce que, de nos jours, presque toutes les personnes qui
participent à la messe s’approchent aussi de la table du Seigneur. Ce qui
fait que ceux qui sont frappés par cette impossibilité apparaissent
également comme étant publiquement disqualifiés en tant que chrétiens.
Je pense que l’avertissement que nous lance saint Paul, quand il nous invite
à nous examiner nous-mêmes et à réfléchir au fait qu’il s’agit ici du Corps
du Seigneur, devrait être de nouveau pris au sérieux : "Que chacun, donc,
s’éprouve soi-même et qu’alors il mange de ce pain et boive de ce calice ;
car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et
boit sa propre condamnation" (1 Cor 11, 28 s.) Un sérieux examen de soi, qui
peut même conduire à renoncer à la communion, nous ferait en outre sentir
d’une manière nouvelle la grandeur du don de l'eucharistie et il
représenterait en même temps une forme de solidarité avec les divorcés
remariés.
Je voudrais ajouter à cela une autre suggestion pratique. Dans beaucoup de
pays on a vu s’installer la coutume selon laquelle les personnes qui ne
peuvent pas recevoir la communion (par exemple celles qui appartiennent à
d’autres confessions) s’approchent de l’autel, mais en gardant les mains sur
la poitrine. Elles font comprendre, par ce comportement, qu’elles ne
reçoivent pas le saint sacrement, mais qu’elles demandent une bénédiction,
qui leur est donnée en tant que signe de l'amour du Christ et de l’Église.
Il est certain que cette forme pourrait être également choisie par les
personnes qui vivent un second mariage et qui, par conséquent, ne sont pas
admises à la table du Seigneur. Le fait que cela rende possible une
communion spirituelle intense avec le Seigneur, avec tout son Corps, avec
l’Église, pourrait être pour elles une expérience spirituelle qui leur
donnerait de la force et les aiderait.
2. LE TEXTE ORIGINAL
L’ancienne conclusion de l'article écrit par Joseph Ratzinger en 1972
L’Église est Église de la Nouvelle Alliance, mais elle vit dans un monde
dans lequel la "dureté de [...] cœur" (Mt 19, 8) de l'Ancienne Alliance
continue à exister sans changement. Elle ne peut pas arrêter d’annoncer la
foi de la Nouvelle Alliance mais, très souvent, elle est obligée de
commencer sa vie concrète un peu en-dessous du seuil des Écritures.
Voilà pourquoi, dans des cas qui sont de manière évidente des situations
d’urgence, elle peut faire des exceptions limitées, dans le but d’éviter une
aggravation de la situation. Le critère d’utilisation de cette façon de
procéder devrait être le suivant : les limites de l'action contre "ce qui
est écrit" consistent en ce que cette action ne peut pas mettre en
discussion la forme fondamentale elle-même, dont l’Église vit. Par
conséquent ce critère est lié au caractère de solution exceptionnelle et
d’aide dans une situation de besoin urgent, telles que l’ont été, par
exemple, la situation transitoire missionnaire mais également la situation
d’urgence concrète de l'union des Églises.
Toutefois on est ainsi amené à se poser une question pratique : est-il
possible de citer une telle situation d’urgence dans l’Église actuelle et
d’indiquer une exception qui corresponde à ces paramètres ? Je voudrais
tenter, avec toute la prudence nécessaire, de formuler une proposition
concrète qui me paraît rentrer dans ce cadre.
Dans le cas où un premier mariage est détruit depuis très longtemps et de
manière irréparable pour chacune des deux parties ; où, au contraire, on
peut constater qu’un second mariage, contracté ultérieurement, a constitué
pendant une longue période une situation vertueuse et qu’il a été vécu dans
un esprit de foi, notamment en ce qui concerne l'éducation des enfants (de
sorte que la destruction de ce mariage causerait la destruction de quelque
chose de vertueux et provoquerait un préjudice moral), à travers un parcours
extrajudiciaire, sur la base du témoignage du curé de la paroisse et de
celui des membres de la communauté, il faudrait accorder à ceux qui vivent
leur second mariage de cette manière la permission d’accéder à la communion.
Il me semble qu’une telle réglementation est justifiée par la tradition pour
deux raisons :
a. Il est nécessaire de rappeler expressément la marge de pouvoir
discrétionnaire qui existe dans tout procès d’annulation. Cette marge
discrétionnaire et la disparité d’opportunités qui résulte immanquablement
du niveau culturel des personnes impliquées, mais aussi de leurs
possibilités financières, devraient mettre en garde contre l'idée que, de
cette manière, il est possible de satisfaire parfaitement la justice. À cela
il faut ajouter qu’il existe un très grand nombre de choses qui ne sont tout
simplement pas jugeables, même lorsqu’elles sont bel et bien réelles. Les
questions posées lors du procès doivent nécessairement être limitées à ce
qui est juridiquement démontrable mais, précisément pour cette raison, elles
peuvent négliger des faits décisifs. Mais surtout, en procédant ainsi, les
critères formels (erreurs de forme ou forme ecclésiale volontairement omise)
deviennent tellement prédominants que cela peut conduire à des injustices.
Dans l’ensemble, au point de vue juridique, le fait de déplacer la question
sur l'acte qui fonde le mariage est inévitable ; cependant cela constitue
une limitation du problème qui ne peut pas rendre pleinement justice à la
nature de l'action humaine. Le procès d’annulation indique concrètement un
groupe de critères qui permettent de décider si les paramètres du mariage
entre croyants ne sont pas applicables à un mariage déterminé. Mais il
n’épuise pas le problème et par conséquent il ne peut pas émettre la
prétention d’avoir cette rigoureuse exclusivité qu’il a fallu lui attribuer
en raison de la domination d’une forme donnée de pensée.
b. Le fait de reconnaître que le second mariage a bien constitué, pendant
une longue durée, une situation vertueuse et qu’il a été vécu dans un esprit
de foi, correspond en fait à ce type d’indulgence que l’on voit apparaître
dans l’œuvre de Basile, selon qui, après une période prolongée de pénitence,
le "digamus" (c’est-à-dire celui qui vit en secondes noces) se voit concéder
l’accès à la communion sans que son second mariage ait été annulé : dans la
confiance en la miséricorde de Dieu, qui ne laisse pas sans réponse la
pénitence. Lorsque le second mariage a fait naître des obligations morales
envers les enfants, envers la famille et aussi envers l’épouse et qu’il
n’existe pas d’obligations analogues découlant du premier mariage ; lorsque
donc, pour des raisons morales, la cessation du second mariage est
inadmissible et que, d'autre part, l'abstinence n’est pas, en pratique, une
possibilité réelle ("magnorum est", dit Grégoire II), l'ouverture de la
communion eucharistique, après un temps d’épreuve, semble être
indiscutablement juste et tout à fait en ligne avec la tradition de l’Église
: dans ce cas, la concession de la "communio" ne peut pas dépendre d’un acte
qui serait immoral ou, en fait, impossible.
La distinction établie en confrontant la première thèse avec la seconde
devrait également correspondre à la prudence tridentine, même si, en tant
que règle concrète, elle va au-delà : l'anathème contre une doctrine qui
prétend faire de la forme fondamentale de l’Église une erreur, ou tout au
moins une coutume pouvant être dépassée, subsiste dans toute sa rigueur. Le
mariage est "sacramentum", il a la forme fondamentale non éliminable de la
décision prise jusqu’au bout. Toutefois cela n’exclut pas que la communion
eucharistique de l’Église comprenne également les personnes qui
reconnaissent cette doctrine et ce principe de vie, mais qui se trouvent
dans une situation d’urgence d’une nature spéciale, dans laquelle elles ont
particulièrement besoin de la pleine communion avec le Corps du Seigneur. De
cette manière aussi, la foi de l’Église restera un signe de contradiction :
c’est ce qu’elle considère comme essentiel et, précisément en cela, elle
sait qu’elle marche à la suite du Seigneur, qui a annoncé à ses disciples
qu’ils ne devaient pas avoir la prétention d’être au-dessus du Maître, qui a
été rejeté par les dévots et les libéraux, par les juifs et les païens.
***
Le titre de l’article de 1972, conservé dans la réédition de 2014, est "Zur Frage nach der Unauflöslichkeit der Ehe. Bemerkungen zum
dogmengeschichtlichen Befund und zu seiner gegenwärtigen Bedeutung (À propos
de la question de l'indissolubilité du mariage. Observations sur ce que
montre l’histoire des dogmes sur son importance actuelle)".
Cet article a été publié à Munich en 1972 dans un ouvrage à plusieurs
auteurs intitulé "Ehe und Ehescheidung. Diskussion unter Christen (Mariage
et divorce. Débat entre chrétiens)" et réalisé sous la direction de Franz
Henrich et Volker Eid.
La réédition de l'article, dont la conclusion a été entièrement réécrite, a
été publiée à l’automne de 2014 dans le volume suivant de l’édition
allemande des Opera Omnia
►
J. Ratzinger - Benedikt XVI, "Einführung in das Christentum.
Bekenntnis, Taufe, Nachfolge", Joseph Ratzinger Gesammelte Schriften, Band
4, Verlag Herder, Freiburg, 2014.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.12.2014-
T/International |