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Dans l'intimité de
Benoît XVI
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Le 03 novembre 2014 -
(E.S.M.)
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Pour Benoît XVI, le pape n'a pas à se présenter en glorieux
souverain, il est là pour rendre témoignage à celui qui fut crucifié, et
être prêt à exercer son ministère, y compris, lui-même, sous cette forme, en
liaison avec Lui.
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Le pape Benoît XVI et
Peter Seewald
Extraits de la première partie "SIGNES DES TEMPS" - Entretien de Benoît XVI
avec Peter Seewald
1)
LES PAPES NE TOMBENT PAS DU CIEL
Saint-Père, le 16 avril 2005, jour de votre soixante-dix-huitième
anniversaire, vous déclariez à vos collaborateurs à quel point vous vous
réjouissiez de prendre votre retraite. Trois jours plus tard, vous étiez le
chef de l'Église universelle qui compte 1,2 milliard de membres. Ce n'est
pas exactement une tâche que l'on se réserve pour le grand âge.
En réalité, j'attendais de trouver enfin paix et repos. Me voir soudain
confronté à cette énorme tâche a été pour moi un choc, tout le monde le
sait. C'est effectivement une gigantesque responsabilité.
Il y eut la minute dont vous avez dit plus tard que vous aviez littéralement
senti siffler le « couperet » qui tombait sur vous.
Oui, la pensée de la guillotine m'est venue : maintenant le couperet tombe
et c'est sur toi qu'il tombe. J'étais tout à fait sûr que cette fonction ne
m'était pas destinée, que Dieu allait à présent m'accorder un peu de paix et
de repos après ces années d'efforts. Je ne pouvais que dire et comprendre :
la
volonté de Dieu est manifestement différente, c'est quelque chose de tout
autre, de nouveau, qui commence pour moi. Il sera avec moi.
Lors d'un conclave, on dispose d'avance dans ce que l'on appelle « la
Chambre des larmes » trois vêtements pour le futur pape. L'un d'eux est
long, l'autre court, le troisième de taille moyenne. Que vous est-il passé
par la tête dans cette chambre où l'on dit que plus d'un nouveau pontife
s'est déjà effondré ? Se demande-t-on encore une dernière fois, à cet
instant-là : pourquoi moi ? Qu'est-ce que Dieu veut de moi ?
En réalité, à ce moment-là on est d'abord totalement absorbé par des détails
pratiques, extérieurs. On doit se demander comment faire avec les vêtements
et autres choses du même ordre. En outre, je savais que je devrais prononcer
.tout de suite quelques mots au balcon et j'ai commencé à réfléchir sur ce
que je pourrais dire. D'ailleurs, dès l'instant où cette charge a pesé sur
moi, je n'ai pu que dire simplement au Seigneur : « Que fais-Tu de moi ?
Maintenant c'est Toi qui portes la responsabilité. Il faut que Tu me guides
! Je ne peux pas. Si Tu as voulu de moi, alors il faut aussi que Tu m'aides
! »
En ce sens, j'étais, disons, dans une relation de dialogue constant avec le
Seigneur : s'il me choisit, II doit aussi m'aider.
Jean-Paul II voulait-il vous avoir comme successeur
?
Je ne sais pas. Je crois qu'il s'en est remis entièrement au Bon Dieu.
Toujours est-il qu'il ne vous a pas laissé quitter votre fonction. On
pourrait comprendre cela comme un argumentum e silentio, comme un argument
silencieux en faveur de son candidat préféré.
Il a voulu me maintenir dans ma fonction, c'est notoire. À l'approche de mon
soixante-quinzième anniversaire, la limite d'âge à laquelle on doit proposer
sa démission, il m'a dit : « Vous n'avez aucun besoin d'écrire cette lettre,
je veux vous avoir jusqu'à la fin. » Telle fut la grande bienveillance
imméritée dont il a fait preuve dès le début à mon égard. Il avait lu mon «
Introduction au christianisme1 ». C'était apparemment pour lui une lecture
importante. Dès qu'il avait été élu pape, il avait eu l'intention de
m'appeler à Rome comme préfet de la Congrégation de la foi. Il avait placé
en moi une grande confiance, tout à fait cordiale et profonde. C'était pour
ainsi dire la garantie de garder le bon cap en matière de foi.
1. Publié en France sous le titre La foi chrétienne hier et aujourd'hui,
traduit de l'allemand par E. Ginder et P. Schouver, Paris, Éditions du Cerf,
1996. (N.d.T.)
Benoît XVI : Pouvons-nous encore croire aujourd'hui ?
Vous avez rendu visite à Jean-Paul II sur son lit de mort. Ce soir-là, vous
reveniez en hâte d'une conférence à Subiaco, où vous aviez parlé de «
l'Europe de Benoît dans la crise des cultures ». Qu'est-ce que le pape
mourant a eu le temps de vous dire ?
Il souffrait beaucoup, cependant il était très présent. Mais il n'a rien dit
de plus. Je l'ai prié de me donner sa bénédiction, et il me l'a donnée.
Ainsi, nous nous sommes séparés d'une
poignée de mains chaleureuse et avec la conscience que c'était notre
dernière rencontre.
Vous ne vouliez pas devenir évêque. Vous ne vouliez pas devenir préfet. Vous
ne vouliez pas devenir pape. N'est-on pas effrayé devant ce qui arrive sans
cesse contre sa propre volonté ?
Voici ce qu'il en est : Quand on dit oui lors de l'ordination sacerdotale,
on peut certes avoir son idée de ce qui pourrait être son propre charisme,
mais il y a une autre chose que l'on sait : je me suis mis dans la main de
l'évêque et finalement du Seigneur. Je ne peux pas choisir ce que je veux. À
la fin, je dois me laisser guider.
J'avais en fait l'idée que mon charisme était d'être professeur de
théologie, et j'ai été très heureux lorsque cette idée est devenue réalité.
Mais une autre chose encore était claire à mes yeux : je suis toujours entre
les mains du Seigneur et je dois aussi compter avec ce que je n'ai pas
voulu. En ce sens, j'ai certainement été surpris d'être soudain arraché de
mon propre chemin et de ne plus pouvoir le suivre. Mais comme je l'ai dit,
dans le « oui » fondamental, il y avait aussi l'idée que j'étais à la
disposition du Seigneur et je devrais peut-être un jour faire des choses que
je n'aimerais pas à titre personnel.
Vous êtes maintenant le pape le plus puissant de tous les temps. Jamais
auparavant l'Église catholique n'a eu autant de
fidèles, jamais encore elle n'a connu une telle extension, littéralement
jusqu'aux extrémités du monde.
Bien sûr, ces statistiques sont importantes. Elles indiquent à quel point
l'Église s'est propagée, elles montrent la taille de cette communauté qui
englobe races et peuples, continents, cultures, hommes de toute sorte. Mais
le pouvoir du pape n'est pas fondé sur les chiffres.
Pourquoi pas ?
La communion avec le pape est d'un autre ordre, tout comme, bien entendu, et
naturellement, l'appartenance à l'Église. Parmi ce 1,2 milliard, beaucoup
n'en font pas intimement partie. Saint Augustin l'a déjà dit en son temps :
il en est beaucoup dehors qui semblent être dedans, et il y en a beaucoup
dedans qui semblent être dehors. En matière de foi, d'appartenance à
l'Église catholique, intérieur et extérieur sont mystérieusement entrelacés.
En cela Staline, déjà, avait raison de dire que le pape n'a pas de divisions
et qu'il ne commande rien. Il n'est pas non plus à la tête d'une grande
entreprise où tous les fidèles de l'Église seraient pour ainsi dire ses
employés ou ses sujets.
D'un côté, le pape est un être tout à fait impuissant. D'un autre côté, il a
une grande responsabilité. Il est, dans une certaine mesure, celui qui
conduit, le représentant de la foi, il a en même temps la responsabilité de
faire que l'on croie en la foi qui unit les hommes, qu'elle demeure vivante
et qu'elle
reste intacte dans son identité. Mais seul le Seigneur Lui-même a le pouvoir
de maintenir les hommes dans la foi.
Pour l'Église catholique, le pape est le Vicarius Christi, le représentant
du Christ sur terre. Pouvez-vous vraiment parler à la place de Jésus ?
En proclamant la foi et en administrant les sacrements, chaque prêtre parle
au nom de Jésus Christ, pour Jésus Christ. Le Christ a confié sa parole à
l'Église. Cette parole vit dans l'Église. Et si j'accepte et vis
intérieurement la foi de cette Église, si je parle et pense à partir d'elle,
si je Le proclame, alors je parle pour Lui — même si naturellement il peut
toujours y avoir des faiblesses dans les détails. Il est important que je
n'expose pas mes idées, mais que j'essaye de penser et de vivre la foi de
l'Église, d'agir avec obéissance sur Son ordre.
Le pape est-il vraiment « infaillible », dans le sens où on
l'entend parfois
dans les médias ? Un souverain absolu dont la pensée et la volonté ont force
de loi ?
C'est faux. Le concept d'infaillibilité s'est développé au cours clés
siècles. Il est né pour répondre à la question de savoir s'il existe quelque
part une ultime instance qui décide. Le premier concile du Vatican, suivant
une longue tradition venue des origines de la chrétienté, a finalement
tranché : il existe une ultime décision ! Tout ne reste pas ouvert ! Le
pape, dans certaines circonstances et sous certaines conditions, peut
prendre des décisions ayant un caractère définitivement contraignant, qui éclairent ce
qu'est la foi de l'Église et ce qu'elle n'est pas.
Cela ne signifie pas que le pape peut constamment produire de «
l'infaillibilité ». Pour les affaires courantes, l'évêque de Rome agit comme
n'importe quel autre évêque qui confesse sa foi, la proclame, qui est fidèle
à l'Église. C'est seulement quand sont réunies certaines conditions, quand
la tradition est devenue claire et qu'il a conscience de ne pas agir
arbitrairement, que le pape peut dire : ceci est la foi de l'Église. En ce
sens, le premier concile du Vatican a défini la capacité de prendre une
décision ultime, afin que la foi garde son caractère contraignant.
Le ministère de Pierre, déclarez-vous, garantit la conformité avec la vérité
et avec la tradition authentique. La communion avec le pape est la condition
nécessaire à l'orthodoxie et à la liberté. Saint Augustin l'avait exprimé
ainsi : Là où est Pierre, là est l'Église, et là aussi est Dieu. Mais cette
formule date d'un autre temps, elle ne vaut pas forcément aujourd'hui.
Cette parole n'a pas été formulée ainsi, ni par Augustin, mais ici nous
pouvons laisser cela en suspens. En tout cas, c'est un vieil adage de
l'Église catholique. Là où est Pierre, là est l'Église.
Le pape peut naturellement avoir des opinions privées erronées. Mais, comme
il a déjà été dit, quand il parle comme pasteur suprême de l'Église en
conscience de sa responsabilité, alors il ne dit rien qui lui serait propre,
qui viendrait juste de lui passer par l'esprit. Il sait qu'il porte cette
grande responsabilité et
qu'il est aussi sous la protection du Seigneur. Il sait qu'en prenant une
telle décision il n'induit pas l'Église en erreur, mais qu'il garantit
l'unité de celle-ci avec le passé, le présent et l'avenir et avant tout avec
le Seigneur. C'est de cela qu'il s'agit et c'est ce que ressentent aussi
d'autres communautés chrétiennes.
À l'occasion d'un symposium pour le quatre-vingtième anniversaire de Paul
VI, en 1977, vous avez exposé ce que devait être un pape et comment. Il doit
« se tenir et se comporter comme quelqu'un de très petit », citiez-vous
d'après le cardinal anglais Reginald Pôle. Il doit « confesser qu'il ne sait
rien hors de ce qui lui a été enseigné par Dieu le Père, par le Christ ».
Être le Vicaire du Christ, c'est maintenir présent le pouvoir du Christ
comme contre-pouvoir au pouvoir du monde. Et ce, non sous la forme d'une
quelconque souveraineté, mais en portant ce fardeau surhumain sur des
épaules humaines. Dans cette mesure, le lieu réel du vicaire du Christ,
c'est la Croix.
Oui, aujourd'hui encore je tiens cela pour juste. La primauté s'est
développée dès le commencement comme primauté du martyre. Au cours des trois
premiers siècles,. Rome a été la périphérie et le centre des persécutions
des chrétiens. Résister à ces persécutions et donner témoignage du Christ
fut la tâche principale du siège épiscopal romain.
On doit considérer comme une action de la Providence qu'à l'instant même où
le christianisme entrait en paix avec l'État, l'empire se transférait au
bord du Bosphore à Constantinople. Rome était devenue la province, pour ainsi dire. Ainsi, l'évêque de
Rome pouvait plus facilement établir l'indépendance de l'Église, sa
différence par rapport à l'État. Il ne faut pas chercher volontairement le
conflit, c'est clair, il faut désirer, au fond, le consensus, la
compréhension. Mais l'Église, le chrétien et avant tout le pape doivent
toujours s'attendre à voir le témoignage qu'ils doivent porter devenir un
scandale, ne pas être accepté, et qu'alors le pape soit mis dans la
situation du témoin, du Christ souffrant.
Que tous les premiers papes aient été des martyrs a un sens. Le pape n'a pas
à se présenter en glorieux souverain, il est là pour rendre témoignage à
celui qui fut crucifié, et être prêt à exercer son ministère, y compris,
lui-même, sous cette forme, en liaison avec Lui.
Il y eut toutefois aussi des papes qui se sont dit : le Seigneur nous a
donné cette fonction, maintenant nous voulons en profiter.
Oui, cela aussi appartient au mystère de l'histoire de la papauté.
L'aptitude chrétienne à la contradiction traverse votre propre biographie
comme un constant motif de tissage. Cela commence au foyer familial, où la
résistance contre un système athée est comprise comme le signe
caractéristique d'une existence chrétienne. Au séminaire, vous avez l'appui
d'un recteur qui a été interné au camp de concentration de Dachau. Comme
prêtre, vous commencez dans une paroisse de Munich, où vos prédécesseurs
furent exécutés par les
nazis. Pendant le concile, vous vous opposez aux directives trop étroites
des instances dirigeantes de l'Église. En tant qu'évêque, vous mettez en
garde contre les menaces d'une société du bien-être. Cardinal, vous vous
arc-boutez contre la démolition du noyau chrétien par des courants étrangers
à la foi.
Ces lignes fondamentales ont-elles aussi influencé la manière dont vous
donnez forme à votre pontificat ?
Une aussi longue expérience implique aussi une formation du caractère, elle
marque la pensée et l'action. Naturellement, je ne me suis pas toujours
contenté de pratiquer une opposition frontale. Il y a eu aussi beaucoup de
belles occasions d'entente. Quand je pense au temps où j'étais simple
prêtre, l'irruption du monde profane dans la famille était déjà sensible,
mais malgré cela il y avait tant de joie dans la foi commune, à l'école avec
les enfants, avec la jeunesse, que j'étais littéralement porté par cette
joie. Et il en était ainsi quand j'étais professeur.
Ma vie a toujours aussi été traversée par cette conviction :
c'est le
christianisme qui donne la joie et fait grandir. On ne pourrait sans doute
pas supporter une vie d'opposant systématique.
Mais en même temps j'avais toujours plus ou moins présent à l'esprit, l'idée
que l'Évangile s'oppose toujours aux constellations puissantes. Ce fut bien
entendu particulièrement fort dans mon enfance et ma jeunesse, jusqu'à la
fin de la guerre. Ensuite, après les années 1968, la foi chrétienne est
entrée en opposition contre un nouveau projet de société, si
bien qu'elle a dû de nouveau tenir face à des opinions dominatrices.
Supporter les attaques et résister fait donc aussi partie de la foi
chrétienne — mais une résistance qui sert à mettre en lumière le positif.
Selon /'Annuario Pontificio, l'annuaire de l'Église catholique, vous avez
créé pour la seule année 2009 huit nouveaux diocèses, une préfecture
apostolique, deux nouveaux sièges métropolitains et trois vicariats
apostoliques. Le nombre des catholiques a augmenté de dix-sept millions
supplémentaires, autant que la population de la Grèce et de la Suisse
réunies. Dans les quelque trois mille diocèses, vous avez nommé cent
soixante-neuf nouveaux évêques. S'ajoutent à cela toutes les audiences, les
homélies, les voyages, le nombre des décisions — et vous avez en outre écrit
un grand ouvrage sur Jésus, dont le second volume sera bientôt publié. Vous
avez aujourd'hui quatre-vingt-trois ans, où puisez-vous cette force ?
Je dois d'abord dire que ce que vous énumérez montre à quel point l'Église
est vivante. Du seul point de vue de l'Europe, elle paraît être en déclin.
Mais ce n'est qu'une fraction d'un ensemble. Dans d'autres parties du monde,
elle grandit et elle vit, elle est pleine de dynamisme. Le nombre des
nouveaux prêtres s'est accru dans le monde entier, comme celui des
séminaristes. Sur le continent européen, nous ne voyons qu'une certaine
partie et non la grande dynamique d'éveil qui existe réellement ailleurs et
que je rencontre à chacun de mes voyages, et à travers les visites des
évêques.
II est vrai que c'est beaucoup demander à un homme de quatre-vingt-trois
ans. Dieu merci, il y a un grand nombre de bons collaborateurs. Tout est
élaboré et mis en œuvre dans un effort commun. J'ai confiance dans le fait
que le Bon Dieu me donnera autant de force qu'il m'en faut pour pouvoir
faire le nécessaire. Mais je remarque aussi que mes forces faiblissent.
On a tout de même l'impression que le pape pourrait donner des cours de
remise en forme.
(Le pape rit.) Je ne crois pas. Il faut naturellement bien répartir son
temps. Et faire attention à se réserver des plages de repos suffisantes. À
être présent de manière adéquate pendant les moments où l'on a besoin de
vous. Bref: il faut maintenir une discipline tout au long de la journée et
savoir à quel moment user de son énergie.
Utilisez-vous réellement le vélo d'intérieur que votre ancien médecin
personnel, le Dr Buzzonetti, a installé pour vous ?
Non, je n'en ai jamais le temps, et Dieu merci en ce moment je n'en ai pas
non plus besoin.
Le pape s'en tient donc au « no sports » de
Churchill !
Oui !
D'habitude, vous vous retirez de la Seconda Loggia, les jours d'audiences au
palais apostolique, à partir de 18 heures pour recevoir encore dans vos
appartements, lors de ce que l'on appelle
les audiences calendaires, les collaborateurs les plus importants. A partir
de 20 h 45, dit-on, le pape mène sa vie privée. Que fait un pape pendant son
temps libre, en supposant qu'il en dispose ?
Oui, que fait-il ?
Naturellement, pendant son temps libre, il doit aussi lire et étudier des
dossiers. Il reste toujours beaucoup de travail. Mais il y a aussi les repas
en commun avec la famille pontificale, les quatre femmes de la communauté
des « Memores Domini » et les deux secrétaires, ce sont des moments de
détente.
Regardez-vous la télévision tous ensemble ?
Je regarde les informations avec
les secrétaires, mais il nous arrive aussi, parfois, de regarder un DVD
ensemble.
Quels films aimez-vous ?
Il y a un très beau film que nous avons récemment regardé, sur la sainte
Joséphine Bakhita, une Africaine. Et ensuite nous regardons volontiers Don
Camillo et Peppone...
Vous devez depuis longtemps connaître par cœur chacun des épisodes.
(Le pape rit.) Pas tout à fait.
Le pape a donc aussi une vie tout à fait privée.
Naturellement. Nous fêtons
Noël tous ensemble, les jours de fête nous écoutons de la musique et nous
discutons entre
nous. Les fêtes de nos saints patrons sont aussi célébrées et à l'occasion
nous chantons les vêpres en commun.
Bref, nous célébrons les fêtes ensemble. Et puis il y a les repas en commun
et avant tout la Sainte Messe le matin. C'est un moment très important, où
nous sommes tous rassemblés par le Seigneur d'une manière particulièrement
intense.
Le pape est toujours habillé en blanc. Ne porte-t-il pas quelquefois, au
lieu de la soutane, un pull-over de détente ?
Non. L'ancien second secrétaire adjoint du pape Jean-Paul II, Mgr Mieczyslaw
Mokrzycki, m'a transmis la consigne en me disant : « Le pape a toujours
porté la soutane, vous devez faire de même. »
Les Romains ne se sont pas peu étonnés quand ils ont vu dans le camion de
déménagement les objets personnels avec lesquels, après avoir été élu deux
cent soixante-quatrième successeur de Pierre, vous avez quitté votre
logement pour habiter au Vatican. Avez-vous garni les appartements
pontificaux avec vos meubles habituels ?
En tout cas mon bureau. Il était important pour moi de garder mon bureau tel
qu'il s'est assemblé au cours de nombreuses décennies. En 1954, j'ai acheté
ma table de travail et les premières étagères pour mes livres. Cela a pris
de l'importance peu à peu. Il y a là tous mes livres, j'en connais chaque
recoin et chacun a son histoire. J'ai donc emporté tout mon
bureau au complet. Les autres pièces sont entièrement occupées par le
mobilier pontifical.
Quelqu'un a découvert que vous tenez apparemment à garder les mêmes montres.
Vous portez une montre-bracelet des années 1960 ou 1970, une Junghans.
Elle appartenait à ma sœur, qui me l'a léguée. Quand elle est morte, la
montre m'est revenue.
Un pape na pas même de portefeuille personnel et encore moins de compte en
banque. C'est exact ?
C'est exact.
Reçoit-il au moins plus d'aides et de consolations « d'en haut » que,
disons, le commun des mortels ?
Pas seulement d'en haut. Je reçois tant de lettres de gens simples, de
religieuses, de mères, pères, enfants, dans lesquelles ils m'encouragent.
Ils m'écrivent : « Nous prions pour toi, n'aie pas peur, nous t'aimons.
» Et
ils ajoutent aussi des dons en argent et d'autres petits cadeaux...
Le pape reçoit des dons en argent ?
Pas pour moi directement, mais pour que je puisse aider d'autres personnes.
Et cela m'émeut beaucoup de voir que des gens simples envoient quelque chose
en me disant : « Je sais que vous êtes très sollicité, et je voudrais vous
aider un peu moi aussi. » C'est ainsi qu'arrivent des consolations d'ordre
très
varié. Il y a aussi les audiences du mercredi avec les rencontres
individuelles. Je reçois des lettres de vieux amis, parfois aussi des
visites, bien que ce soit, bien sûr, devenu de plus en plus difficile. Comme
je ressens toujours aussi la consolation « d'en haut », lorsque j'éprouve en
priant la proximité du Seigneur, ou qu'à la lecture des Pères de l'Église je
vois briller la beauté de la foi, cela donne corps à tout un concert de
consolations.
Votre foi a-t-elle changé depuis qu'en tant que pasteur suprême vous êtes
responsable du troupeau du Christ ? On a parfois l'impression que la foi est
devenue plus mystérieuse, plus mystique.
Je ne suis pas un mystique. Mais il est exact qu'en tant que pape, on a
encore beaucoup plus d'occasions de prier et de s'en remettre entièrement à
Dieu. Car je vois bien que presque tout ce que je dois faire, je ne suis
personnellement pas capable de le faire. Ne serait-ce que pour cette raison,
je suis pour ainsi dire forcé de me mettre dans les mains du Seigneur et de
Lui dire : « Fais-le, si Tu le veux ! » En ce sens, la prière et le contact
avec Dieu sont encore plus nécessaires maintenant, et aussi plus naturels,
et vont de soi bien plus qu'auparavant.
Pour parler en profane : existe-t-il une « meilleure liaison » avec le ciel,
ou quelque chose comme une grâce d'état ?
Oui, on le sent parfois. Au sens de : j'ai pu faire quelque chose qui ne
venait pas du tout de moi. Maintenant je m'en remets au Seigneur et je
constate : Oui, il y a là une aide,
quelque chose se fait qui ne vient pas de moi-même. En ce sens, on fait
totalement l'expérience de la grâce d'état.
Jean-Paul II a raconté qu'un jour, son père lui a mis dans la main un livre
de prières où se trouvait « la prière au Saint Esprit », et lui a demandé de
la dire chaque jour. Peu à peu, il a compris ce que cela signifie quand
Jésus affirme que les vrais adorateurs de Dieu sont ceux qui « l'adoreront
en esprit et en véritél1». Qu'est-ce que cela veut dire ?
Ce passage dans le chapitre 4 de l'Évangile selon saint Jean est la
prophétie d'une adoration pour laquelle il n'existera plus de temple, mais
pour laquelle on priera sans temples extérieurs, en communion avec le
Saint-Esprit et la vérité de l'Évangile, en communion avec le Christ. Là, on
n'a plus besoin de temple visible, mais de la nouvelle communauté avec le
Christ ressuscité. Cela reste toujours important, parce que c'est aussi un
grand tournant du point de vue de l'histoire des religions.
1. Jn, 4,23. (N.d.T.)
Et comment prie le pape Benoît ?
En ce qui concerne le pape, il est aussi un simple mendiant devant Dieu,
plus encore que tous les autres hommes. Naturellement je prie toujours en
premier notre Seigneur, avec lequel je me sens lié pour ainsi dire par une
vieille connaissance. Mais j'invoque aussi les saints. Je suis lié d'amitié
avec Augustin, avec
Bonaventure, avec Thomas d'Aquin. On dit aussi à de tels saints : Aidez-moi
! Et la Mère de Dieu est toujours de toute façon un grand point de
référence. En ce sens, je pénètre dans la communauté des saints. Avec eux,
renforcé par eux, je parle ensuite avec le Bon Dieu, en mendiant d'abord
mais aussi en remerciant — ou tout simplement rempli de joie.
►
Lumière du Monde
Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.11.2014
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