5ème Prédication de Carême 2023 du cardinal Cantalamessa
Le 31 mars 2023 -
E.S.M.
- Le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la
Maison pontificale, propose chaque vendredi de Carême,
une prédication pour se préparer à Pâques. Elle se
déroule depuis la salle Paul VI au Vatican.
Aujourd'hui 5ème Prédication de Carême, sans la présence
du pape hospitalisé pour une bronchite infectieuse.
Cardinal Cantalamessa -
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5ème Prédication de Carême 2023 du cardinal Raniero Cantalamessa
Cardinal Raniero Cantalamessa: ce qui unit est plus important que ce qui
divise
Le 31 mars 2023 -
E.S.M. - Quelques jours avant la
Semaine sainte, le prédicateur de la Maison pontificale, le cardinal
Raniero Cantalamessa dans sa cinquième prédication de Carême faite
aujourd'hui 31 mars, est revenu sur la présence de Jésus dans les
moments de tempête, soulignant également « qu'une partie de la
faiblesse de notre évangélisation et de notre action » dans le
monde, est due à la « division et à la lutte mutuelle entre
chrétiens ».
Myriam Sandouno - Cité du Vatican
« Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage! Moi, je suis
vainqueur du monde», ainsi Jésus s’adressa à ses disciples, avant de
les quitter. En effet, il ajouta: «Je ne vous laisserai pas
orphelins, je reviens vers vous». Que signifie «je reviens vers
vous» s'il est sur le point de les quitter? De quelle manière et à
quel titre viendra-t-il demeurer auprès d'eux?, s’interroge le
cardinal Raniero Cantalamessa, soulignant que si «l’on ne comprend
pas la réponse à cette question, on ne comprendra jamais la vraie
nature de l'Église».
Poursuivant, il met l’accent sur quelques versets bibliques de saint
Jean qui évoquent la venue de l’Esprit Saint, notamment: «J'ai
encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous ne
pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il
vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu'il dira
ne viendra pas de lui-même: mais ce qu'il aura entendu, il le dira;
et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera,
car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître».
Est-ce lui-même, Jésus, ou un autre?
Dans sa réflexion le cardinal Cantalamessa met en lumière «le
mystère de la relation entre le Ressuscité et son Esprit». Une
relation si étroite et si mystérieuse, affirme le prédicateur de la
Maison pontificale, que saint Paul semble parfois les identifier:
«Or, le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où l'Esprit du Seigneur est
présent, là est la liberté».
Selon l'Écriture, note le cardinal capucin, l'Esprit Saint par la
rédemption, est devenu «l'Esprit du Christ »; c'est, dit-il, la
manière dont le Ressuscité agit désormais dans l'Église et dans le
monde, ayant «été, selon l'Esprit de sainteté, établi dans sa
puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les morts».
C'est pourquoi, explique le cardinal, il peut dire aux disciples:
«Il vaut mieux pour vous que je m'en aille» et ajouter: «Je ne vous
laisserai pas orphelins».
Jésus, jamais absent
Le cardinal invite à accorder une importance particulière à ces
dernières paroles de Jésus dans le livre de Matthieu: «Et moi, je
suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde», rassurant
que dans les moments de tempête, aujourd'hui encore, il répète ce
qu'il a dit à ses apôtres dans l'épisode de la tempête apaisée:
«Pourquoi êtes-vous si craintifs, hommes de peu de foi? Ne suis-je
pas avec vous? Puis-je sombrer? Celui qui a créé la mer peut-il
sombrer dans la mer?».
Parlant de l'annuaire pontifical, il explique que sous le nom du
Pape, il n'y a qu’un seul titre «Évêque de Rome»; tous les autres
titres - Vicaire du Christ, Souverain pontife de l'Eglise
universelle, Primat d'Italie, etc. - sont repris comme «titres
historiques» à la page suivante. «Cela me semble juste, lance-t-il,
surtout en ce qui concerne Vicaire du Christ». Le vicaire est celui
qui supplée en l'absence du chef, mais, précise-t-il «Jésus-Christ
ne s'est jamais absenté et ne s'absentera jamais de son Église».
Lorsque «nous disons de Jésus qu'il est présent «spirituellement»,
cette présence spirituelle n'est pas une forme inférieure à la
présence physique, mais elle est infiniment plus réelle et
efficace», relève le cardinal Cantalamessa, soulignant qu’il est par
sa mort et sa résurrection, devenu «la tête du corps, la tête de
l'Église» et il le restera jusqu'à la fin du monde: le vrai et
unique Seigneur de l'Église, renchérit-il.
L’Esprit Saint, une source d’énergie
«C'est la présence de Jésus ressuscité qui agit dans la puissance de
l'Esprit, qui agit en tout temps et en tout lieu, et agit à
l’intérieur de nous», déclare le cardinal. Pour lui, si dans la
situation actuelle de crise énergétique croissante, on découvrait
l'existence d'une nouvelle source d'énergie inépuisable, si l'on
découvrait enfin comment utiliser l'énergie solaire à volonté et
sans effets négatifs, «quel soulagement ce serait pour toute
l'humanité!», dit-il. En ce qui concerne l’Église, elle possède,
dans son domaine, affirme le cardinal, «une source d'énergie
inépuisable de ce type, la force d'en haut qu'est l'Esprit Saint».
Jésus a pu dire de lui: «Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en
mon nom; demandez, et vous recevrez: ainsi votre joie sera
parfaite».
L’oracle du prophète Aggée
Le cardinal dans son intervention met en évidence l’oracle d'Aggée
dans lequel le Seigneur par l’intermédiaire du prophète Aggée,
déclarait: «Et pour vous, est-ce bien le temps d'être installés dans
vos maisons luxueuses, alors que ma Maison est en ruine?». Quelles
sont pour nous aujourd'hui «les maisons luxueuses» dans lesquelles
nous sommes tentés de demeurer tranquille?, s’interroge le cardinal,
affirmant ensuite y apercevoir «trois maisons concentriques», l'une
dans l'autre, «d'où nous devons sortir pour gravir la montagne et
reconstruire la maison de Dieu».
Les maisons couvertes
Le «moi» selon le prélat est «la première maison» bien couverte,
soignée et meublée, ce petit confort, «ma gloire, ma position» dans
la société ou dans l'Église. Il reste le mur le plus difficile à
abattre. «Il est si facile de confondre mon honneur avec celui de
Dieu et de l'Église, l'attachement à mes idées avec l'attachement à
la vérité pure et simple», souligne-t-il tout en notant que «nous
sommes dans notre coquille, comme le ver à soie dans la sienne:
autour, il y a toute la soie, mais si le ver à soie ne brise pas la
coquille, il restera chenille et ne deviendra jamais un papillon qui
vole».
La deuxième maison bien couverte reste la «maison du Seigneur»:
«c'est ma paroisse, mon ordre religieux, mon mouvement ou mon
association ecclésiale, mon Église locale, mon diocèse...». «Malheur
si nous n'avions aucun amour ni attachement à ces réalités
particulières dans lesquelles le Seigneur nous a placés et dont nous
sommes peut-être responsables», lance le cardinal. Le mal
ajoute-t-il est de les absolutiser, de ne voir rien d'autre en
dehors d'elles, de ne s'intéresser qu'à elles, en critiquant et en
méprisant ceux qui ne la partagent pas. De perdre de vue, en somme,
la catholicité de l'Église. D’oublier, comme le dit souvent le
Saint-Père, que «le tout est supérieur à la partie». Le prédicateur
rappelle que «nous sommes un seul corps, le corps du Christ, et dans
le corps, dit Paul, «si un seul membre souffre, tous les membres
partagent sa souffrance». Il estime que le Synode devrait également
servir à cela: «nous rendre conscients et participants des problèmes
et des joies de toute l'Église catholique».
La division entre chrétiens
Et concernant la troisième maison, la confession chrétienne
particulière «à laquelle nous appartenons», le cardinal Cantalamessa
note «qu'une partie de la faiblesse de notre évangélisation et de
notre action» dans le monde est dûe à la «division et à la lutte
mutuelle entre chrétiens». L’on se souvient encore des paroles de
Jésus à Pierre: «Sur cette pierre, je bâtirai mon Église». Il n'a
pas dit, souligne-t-il: «Je bâtirai mes Églises». Il doit y avoir un
sens dans lequel, ce que Jésus appelle «mon Église», englobe tous
les croyants en lui et tous les baptisés, pense-t-il. «L'apôtre Paul
a une formule qui pourrait remplir cette tâche d'englober tous ceux
qui croient au Christ». Au début de la première lettre aux
Corinthiens, il adresse sa salutation: «à tous ceux qui, en tout
lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur
et le nôtre».
«Nous ne pouvons pas mépriser et ignorer cette unité fondamentale
qui consiste à invoquer le même Seigneur Jésus-Christ. Celui qui
croit au Fils de Dieu croit aussi au Père et à l'Esprit Saint». Ce
qui a été répété à plusieurs reprises est tout à fait vrai,
reconnaît le cardinal pour conclure: «ce qui nous unit est plus
important que ce qui nous divise».
Texte intégral :
« COURAGE ! MOI, JE SUIS VAINQUEUR DU MONDE »
Cinquième Prédication, Carême 2023
« Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis
vainqueur du monde . » Saint-Père, Vénérables Pères, frères et
sœurs, ces paroles sont parmi les dernières que Jésus adresse à ses
disciples, avant de les quitter. Il ne s'agit pas de l'habituel «
Courage ! » adressé à ceux qui restent, de la part de celui qui est
sur le point de partir. En effet, il ajoute : « Je ne vous laisserai
pas orphelins, je reviens vers vous . »
Que signifie « je reviens vers vous » s'il est sur le point de les
quitter ? De quelle manière et à quel titre viendra-t-il demeurer
auprès d'eux ? Si l'on ne comprend pas la réponse à cette question,
on ne comprendra jamais la vraie nature de l'Église. On trouve cette
réponse, comme une sorte de thème récurrent, dans les discours
d'adieu de l'évangile de Jean, et il est bon d'écouter une fois les
versets où elle devient la note dominante. Faisons-le avec
l'attention et l'émotion avec lesquelles les enfants écoutent les
dispositions de leur père à l'égard du bien le plus précieux qu'il
s'apprête à leur laisser :
« Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui
sera pour toujours avec vous : l'Esprit de vérité, lui que le monde
ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous,
vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en
vous . »
« Mais le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que
je vous ai dit . »
« Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d'auprès du Père,
lui, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en
ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous
êtes avec moi depuis le commencement . »
« Il vaut mieux pour vous que je m'en aille, car, si je ne m'en vais
pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous
l'enverrai . »
« J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant
vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l'Esprit de
vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce
qu'il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu'il aura entendu,
il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me
glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire
connaître . »
Mais qu'est-ce que l'Esprit Saint qu’il promet et qui est-il ?
Est-ce lui-même, Jésus, ou un autre ? Si c'est lui-même, pourquoi
dit-il à la troisième personne : « quand il viendra, l’Esprit... » ;
si c'est un autre, pourquoi dit-il à la première personne : « je
reviens vers vous » ? Nous touchons au mystère de la relation entre
le Ressuscité et son Esprit. Relation si étroite et si mystérieuse
que saint Paul semble parfois les identifier. En effet, il écrit : «
Or, le Seigneur, c'est l'Esprit », mais il ajoute sans transition, «
et là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté ». Si
c'est l'Esprit du Seigneur, ce ne peut pas être, purement et
simplement, le Seigneur.
La réponse de l'Écriture est que l'Esprit Saint, par la rédemption,
est devenu « l'Esprit du Christ » ; c'est la manière dont le
Ressuscité agit désormais dans l'Église et dans le monde, ayant «
été, selon l'Esprit de sainteté, établi dans sa puissance de Fils de
Dieu par sa résurrection d'entre les morts ». C'est pourquoi il peut
dire aux disciples : « Il vaut mieux pour vous que je m'en aille »
et ajouter : « Je ne vous laisserai pas orphelins ».
Nous devons nous débarrasser complètement d'une vision de l'Église
qui s'est formée petit à petit et est devenue dominante dans la
conscience de nombreux croyants. Je la définis comme vision déiste
ou cartésienne, à cause de son affinité avec la vision du monde du
déisme cartésien. Comment la relation entre Dieu et le monde
était-elle conçue dans cette vision ? Plus ou moins comme ceci :
Dieu au commencement crée le monde puis il se retire, le laissant se
développer avec les lois qu'il lui a données ; comme une horloge
qu’on a suffisamment remontée pour qu'elle fonctionne indéfiniment
toute seule. Toute nouvelle intervention de Dieu bouleverserait cet
ordre, raison pour laquelle les miracles sont jugés inadmissibles.
Dieu, en créant le monde, serait comme quelqu'un qui donne une tape
sur un ballon et le pousse en l'air, en restant, lui, au sol.
Que signifie cette vision si on l’applique à l'Église ? Que le
Christ a fondé l'Église, l'a dotée de toutes les structures
hiérarchiques et sacramentelles nécessaires à son fonctionnement,
puis l'a quittée, se retirant dans son ciel, au moment de son
Ascension. Comme quelqu'un qui pousse une petite barque dans la mer,
tout en restant lui-même sur le rivage.
Mais il n'en est rien ! Jésus est monté dans la barque et il y
reste. On doit prendre au sérieux ses dernières paroles dans
Matthieu : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin
du monde . » À chaque nouvelle tempête, y compris celles
d'aujourd'hui, il nous répète ce qu'il a dit à ses apôtres dans
l'épisode de la tempête apaisée : « Pourquoi êtes-vous si craintifs,
hommes de peu de foi ? » Ne suis-je pas avec vous ? Puis-je sombrer
? Celui qui a créé la mer peut-il sombrer dans la mer ?
J'ai remarqué avec joie que dans l'Annuaire pontifical, sous le nom
du Pape, il n'y a qu’un seul titre « Évêque de Rome » ; tous les
autres titres - Vicaire du Christ, Souverain Pontife de l'Église
universelle, Primat d'Italie, etc. - sont repris comme « titres
historiques » à la page suivante. Cela me semble juste, surtout en
ce qui concerne « Vicaire du Christ ». Le vicaire est celui qui
supplée en l'absence du chef, mais Jésus-Christ ne s'est jamais
absenté et ne s'absentera jamais de son Église. Par sa mort et sa
résurrection, il est devenu « la tête du corps, la tête de l'Église
» et il le restera jusqu'à la fin du monde : le vrai et unique
Seigneur de l'Église.
Sa présence n'est pas, pour ainsi dire, une présence morale et
intentionnelle, ce n'est pas une seigneurie par procuration. Lorsque
nous ne pouvons pas être présents en personne à un événement, nous
disons généralement : « Je serai présent spirituellement », ce qui
n'est, ni une grande consolation, ni d’une grande aide pour ceux qui
nous ont invités. Lorsque nous disons de Jésus qu'il est présent «
spirituellement », cette présence spirituelle n'est pas une forme
inférieure à la présence physique, mais elle est infiniment plus
réelle et efficace. C'est la présence de Jésus ressuscité qui agit
dans la puissance de l'Esprit, qui agit en tout temps et en tout
lieu, et agit à l’intérieur de nous.
Si, dans la situation actuelle de crise énergétique croissante, on
découvrait l'existence d'une nouvelle source d'énergie inépuisable,
si l'on découvrait enfin comment utiliser l'énergie solaire à
volonté et sans effets négatifs, quel soulagement ce serait pour
toute l'humanité ! Eh bien, l'Église possède, dans son domaine, une
source d'énergie inépuisable de ce type : la « force d'en haut »
qu'est l'Esprit Saint. Jésus a pu dire de lui : « Jusqu'à présent
vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous recevrez :
ainsi votre joie sera parfaite . »
Il y a un moment dans l'histoire du salut qui rappelle de près les
paroles de Jésus lors de la dernière Cène. Il s'agit de l'oracle du
prophète Aggée. Il dit :
Le vingt et unième jour du septième mois, la parole du Seigneur se
fit entendre par l'intermédiaire du prophète Aggée : « Va parler à
Zorobabel, fils de Salathiel, gouverneur de Juda, à Josué, fils de
Josédeq, le grand prêtre, et au reste du peuple. Tu leur diras :
Reste-t-il encore parmi vous quelqu'un qui ait vu cette Maison dans
sa gloire première ? Eh bien ! Qu'est-ce que vous voyez maintenant ?
N'est-elle pas devant vous réduite à rien ? Mais à présent, courage,
Zorobabel ! - oracle du Seigneur. Courage, Josué fils de Josédeq,
grand prêtre ! Courage, tout le peuple du pays ! - oracle du
Seigneur. Au travail ! Je suis avec vous - oracle du Seigneur de
l'univers […] Mon esprit se tient au milieu de vous : Ne craignez
pas ! »
C'est l'un des rares textes de l'Ancien Testament que l’on peut
dater avec précision, le 17 octobre 520 av JC. Ne nous semble-t-il
pas qu'il décrit, avec les mots d'Aggée, la situation actuelle de
l'Église catholique et, à bien des égards, celle de toute la
chrétienté ? Les plus âgés parmi nous se rappellent avec nostalgie
l'époque, juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, où les
églises étaient remplies le dimanche, où mariages et baptêmes se
succédaient dans les paroisses, où séminaires et noviciats religieux
abondaient en vocations... « Mais dans quel état la voyons-nous
aujourd'hui ? » pourrions-nous dire avec Aggée ? Cela ne vaut pas la
peine de perdre du temps à répéter la liste des maux actuels, de ce
qui, pour certains, semble n'être que ruines, un peu comme les
ruines de la Rome antique que nous avons tout autour de nous dans
cette ville.
Tout ce qui brillait autrefois et que nous sommes enclins à
regretter n’était pas or. Si tout avait été or, si ces séminaires
remplis avaient été des forges de saints pasteurs et que l'éducation
traditionnelle qui y était dispensée avait été solide et vraie, nous
n'aurions pas autant de scandales à déplorer aujourd'hui... Mais ce
n'est pas de cela qu’il s’agit de parler ici, et je ne suis
certainement pas le mieux qualifié pour le faire. Ce que je tiens à
relever, c'est l'exhortation que le prophète adressa au peuple
d'Israël ce jour-là. Il ne les exhorte pas à s'apitoyer sur leur
sort, à se résigner et à se préparer au pire. Non, il dit comme
Jésus : « Courage ! Au travail ! Je suis avec vous - oracle du
Seigneur […] Mon esprit se tient au milieu de vous. »
Mais attention : il ne s'agit pas d'un vague et stérile « Ayez
courage ». Le prophète a déjà dit quel est le « travail » auquel ils
doivent s'atteler. Et puisqu'il nous concerne de près, écoutons
aussi l'oracle précédent d'Aggée au peuple et à ses dirigeants :
Ainsi parle le Seigneur de l'univers : Ces gens-là disent : « Le
temps n'est pas encore venu de rebâtir la Maison du Seigneur ! » Or,
voilà ce que dit le Seigneur par l'intermédiaire d'Aggée, le
prophète : Et pour vous, est-ce bien le temps d'être installés dans
vos maisons luxueuses, alors que ma Maison est en ruine ? Et
maintenant, ainsi parle le Seigneur de l'univers : Rendez votre cœur
attentif à vos chemins : Vous avez semé beaucoup, mais récolté peu ;
vous mangez, mais sans être rassasiés ; vous buvez, mais sans être
désaltérés ; vous vous habillez, mais sans vous réchauffer ; et le
salarié met son salaire dans une bourse trouée. […] Allez dans la
montagne, rapportez du bois pour rebâtir la maison de Dieu. Je
prendrai plaisir à y demeurer, et j'y serai glorifié - déclare le
Seigneur .
Une fois prononcée, la parole de Dieu redevient active et pertinente
chaque fois qu'elle est à nouveau proclamée. Il ne s'agit pas d'une
simple citation biblique. Nous sommes maintenant « ce peuple »
auquel la Parole de Dieu est adressée. Quelles sont pour nous
aujourd'hui « les maisons luxueuses » (certaines traductions disent
: « lambrissées ») dans lesquelles nous sommes tentés de demeurer
tranquilles ? Je vois trois maisons concentriques, l'une dans
l'autre, d'où nous devons sortir pour gravir la montagne et
reconstruire la maison de Dieu.
La première maison bien couverte, soignée et meublée, c'est mon «
moi » : mon petit confort, ma gloire, ma position dans la société ou
dans l'Église. C'est le mur le plus difficile à abattre, le mieux
dissimilé. Il est si facile de confondre mon honneur avec celui de
Dieu et de l'Église, l'attachement à mes idées avec l'attachement à
la vérité pure et simple. Celui qui parle en ce moment ne pense pas
faire exception. Nous sommes dans notre coquille, comme le ver à
soie dans la sienne : autour, il y a toute la soie, mais si le ver à
soie ne brise pas la coquille, il restera chenille et ne deviendra
jamais un papillon qui vole.
Mais laissons ce sujet de côté, car nous avons de nombreuses
occasions d'en entendre parler. La deuxième maison bien couverte
dont nous devons sortir pour travailler à la « maison du Seigneur »,
c'est ma paroisse, mon ordre religieux, mon mouvement ou mon
association ecclésiale, mon Église locale, mon diocèse... Ne nous
méprenons pas. Malheur si nous n'avions aucun amour ni attachement à
ces réalités particulières dans lesquelles le Seigneur nous a placés
et dont nous sommes peut-être responsables. Le mal est de les
absolutiser, de ne voir rien d'autre en dehors d'elles, de ne
s'intéresser qu'à elles, en critiquant et en méprisant ceux qui ne
la partagent pas. De perdre de vue, en somme, la catholicité de
l'Église. D’oublier, comme le dit souvent le Saint-Père, que « le
tout est supérieur à la partie ». Nous sommes un seul corps, le
corps du Christ, et dans le corps, dit Paul, « si un seul membre
souffre, tous les membres partagent sa souffrance . » Le Synode
devrait également servir à cela : nous rendre conscients et
participants des problèmes et des joies de toute l'Église
catholique.
Mais venons-en à la troisième maison bien couverte. En sortir est
d'autant plus difficile que, pendant des siècles, on nous a inculqué
que ce serait péché et trahison. J’ai lu récemment, pendant la
semaine de prière pour l'unité des chrétiens, le témoignage d'une
femme catholique d'un pays à « religion mixte ». Lorsqu'elle était
jeune, le prêtre de sa paroisse enseignait que le seul fait d'entrer
physiquement dans une église protestante était un péché mortel. Et
je suppose que l'on disait la même chose, de l'autre côté de la
palissade, à propos de l'entrée dans une église catholique.
Je parle, bien sûr, de la troisième maison bien couverte qu'est la
confession chrétienne particulière à laquelle nous appartenons, et
je le fais en ayant encore en mémoire, tout frais, l'événement
extraordinaire et prophétique de la réunion œcuménique qui a eu lieu
au Sud-Soudan en février dernier. Nous sommes tous convaincus qu'une
partie de la faiblesse de notre évangélisation et de notre action
dans le monde est due à la division et à la lutte mutuelle entre
chrétiens. On voit ce que Dieu dit, toujours dans notre Aggée :
« On attendait beaucoup, et voici qu'il y a peu ; ce que vous avez
rapporté à la maison, j'ai soufflé dessus.
À cause de quoi ? -
oracle du Seigneur de l'univers.
À cause de ma Maison qui est en
ruine, quand chacun de vous s'agite pour sa propre maison . »
Jésus dit à Pierre : « Sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». Il
n'a pas dit : « Je bâtirai mes Églises ». Il doit y avoir un sens
dans lequel ce que Jésus appelle « mon Église » englobe tous les
croyants en lui et tous les baptisés. L'apôtre Paul a une formule
qui pourrait remplir cette tâche d'englober tous ceux qui croient au
Christ. Au début de la première lettre aux Corinthiens, il adresse
sa salutation : « à tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de
notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre ».
Nous ne pouvons certes pas nous satisfaire de cette unité si vaste,
mais si vague. Et cela justifie l'engagement et la confrontation, y
compris doctrinale, entre les Églises. Mais nous ne pouvons pas non
plus mépriser et ignorer cette unité fondamentale qui consiste à
invoquer le même Seigneur Jésus-Christ. Celui qui croit au Fils de
Dieu croit aussi au Père et à l'Esprit Saint. Ce qui a été répété à
plusieurs reprises est tout à fait vrai : « ce qui nous unit est
plus important que ce qui nous divise ».
Dans les cas où nous ne pouvons que désapprouver l'usage qui est
fait du nom de Jésus et la manière dont l'Évangile est annoncé,
peut-être serons-nous aidés par ce que saint Paul dit de certains
qui, en son temps, annonçaient l'Évangile « en intrigants, sans
intention pure ». « Qu'importe ! » écrivait-il aux Philippiens, « De
toute façon, que ce soit avec des arrière-pensées ou avec sincérité,
le Christ est annoncé, et de cela je me réjouis ». Sans oublier que
les chrétiens d'autres confessions trouvent aussi chez nous,
catholiques, des choses qu'ils ne peuvent pas approuver.
L'oracle d'Aggée sur le Temple reconstruit se termine par une
promesse radieuse : « La gloire future de cette Maison surpassera la
première - déclare le Seigneur de l'univers -, et dans ce lieu, je
vous ferai don de la paix, - oracle du Seigneur de l'univers . »
Nous n'osons pas dire qu'une telle prophétie se réalisera aussi pour
nous et que la maison de Dieu qu'est l'Église du futur sera plus
glorieuse que celle du passé que nous regrettons aujourd'hui ; nous
pouvons cependant l'espérer et le demander à Dieu dans un esprit
d'humilité et de repentance.
Les signes encourageants ne manquent pas : l'un des plus évidents
est la recherche de l'unité entre les chrétiens. Dans un entretien
avec un journaliste catholique, lors de son voyage de retour du
Sud-Soudan, l'archevêque Justin Welby déclarait : « Lorsque nous
voyons travailler ensemble des Églises qui, par le passé, étaient
des ennemis déclarés, s’attaquaient et brûlaient les prêtres les
unes des autres, se condamnant mutuellement dans les termes les plus
violents ; lorsque cela se produit, cela signifie que quelque chose
de spirituel se passe. Il y a une libération de l'Esprit de Dieu qui
donne une grande espérance ».
La prophétie d'Aggée que j'ai commentée, Vénérables Pères, frères et
sœurs, est liée à un souvenir personnel et je vous demande pardon si
j'ose le rappeler ici après que certains d’entre vous l’ont déjà
écouté dans d’autres occasions. Je le fais avec la certitude que la
parole prophétique revient libérer sa charge de confiance et
d'espérance chaque fois qu'elle est proclamée et écoutée dans la
foi.
Le jour où mon Supérieur général me permit de quitter l'enseignement
à l'Université catholique pour me consacrer à plein temps à la
prédication, il y avait, dans la Liturgie des Heures, la prophétie
d'Aggée que j'ai commentée. Après avoir récité l'Office, je vins ici
à Saint-Pierre. Je voulais prier l'Apôtre de bénir mon nouveau
ministère. À un moment donné, alors que j'étais sur la Place, cette
parole de Dieu me revint à l’esprit avec force. Je me tournai alors
vers la fenêtre du Pape au Palais apostolique et je me mis à
proclamer à haute voix : « Courage, Jean-Paul II, courage,
cardinaux, évêques et tout le peuple de l'Église ; et au travail car
je suis avec vous, dit le Seigneur ». C'était facile à faire parce
qu'il pleuvait et qu'il n'y avait personne à l’entour.
Sauf que quelques mois plus tard, en 1980, je fus nommé Prédicateur
de la Maison Pontificale et me retrouvai en présence du Pape pour
entamer mon premier Carême. Cette parole revint résonner en moi, non
pas comme une citation et un souvenir, mais comme une parole vivante
pour ce moment précis. Je racontai ce que j'avais fait ce jour-là
sur la place Saint-Pierre. Puis je me tournai vers le Pape, qui
suivait alors la prédication depuis une chapelle latérale, et je
redis avec force les paroles d'Aggée : « Courage, Jean-Paul II,
courage, vous, cardinaux, évêques et peuple de Dieu ; et au travail,
car je suis avec vous, dit le Seigneur. Mon Esprit sera avec vous ».
Et il me sembla, à voir son visage, que la parole donnait ce qu'elle
promettait, c’est-à-dire du courage (même si Jean-Paul II était la
dernière personne au monde à qui l'on devait recommander d'avoir du
courage !).
Aujourd'hui, j'ose proclamer à nouveau cette Parole, sachant qu'il
ne s'agit pas d'une simple citation, mais d'une parole toujours
vivante qui revient faire chaque fois ce qu'elle promet. Courage
donc, pape François ! Courage, frères cardinaux, évêques, prêtres et
fidèles de l'Église catholique et au travail, car je suis avec vous,
dit le Seigneur. Mon Esprit sera avec vous !
Je vous souhaite à tous une Sainte Pâque de paix et d'espérance.
Revoir la 5ème prédication de Carême du cardinal Raniero
Cantalamessa
A relire :
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1ère Prédication de Carême du Cardinal Cantalamessa
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2ème Prédication de Carême 2023 du Cardinal Cantalamessa
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3ème Prédication de Carême 2023 du Cardinal Cantalamessa
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4ème Prédication de Carême 2023 du Cardinal Cantalamessa
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5ème Prédication de Carême 2023 du cardinal Cantalamessa
Sources : vaticannews.va-
ktotv-
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(E.S.M.)
31.03.2023