Un trait de lumière dans l'Égypte
révoltée |
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Rome, le 31 janvier 2011 -
(E.S.M.)
- C'est l'appel lancé par 23 personnalités musulmanes en faveur
d'un islam plus authentique et plus respectueux des droits de tous. Dans
la ligne de la révolution des Lumières proposée par Benoît XVI.
L'analyse du jésuite égyptien Samir
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Un trait de lumière dans l'Égypte révoltée
par Sandro Magister
Le 31 janvier 2011 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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L'Égypte de Moubarak était un point d’appui pour
la politique occidentale au Moyen-Orient. C’était aussi un point d’appui
pour le dialogue entre l’Église de Rome et l'islam sunnite, avec la mosquée
et l'université Al-Azhar comme épicentre. L'Égypte était considérée comme
une barrière contre l'islamisme radical et une protection pour les chrétiens
locaux, même si, pour ceux-ci, le prix à payer était une soumission pénible,
dans un régime de "dhimmitude" permanente.
Aujourd’hui, tout cela risque d’être emporté par un bouleversement dont les
bénéficiaires seront inéluctablement les Frères Musulmans et les courants
musulmans radicaux. Le massacre perpétré dans la nuit du 31 décembre à
l’église copte d’Alexandrie est le corollaire tragique d’une "fitna", d’une
rupture qui est interne au monde musulman en Égypte et dans d’autres pays,
vis-à-vis des régimes et des leaders considérés comme apostats et vis-à-vis
d’une présence chrétienne considérée comme polluante et qu’il faut balayer.
Les accusations d’"ingérence" lancées inopinément au début de cette année
contre Benoît XVI par le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed al-Tayyeb, et le fait
que ce dernier ait ensuite abandonné le dialogue avec l’Église de Rome font
également partie de cette rupture, qui s’est manifestée avec violence dans
les manifestations de ces jours-ci. L'imam d’Al-Azhar est étroitement lié au
régime non libéral de Moubarak, avec lequel il partage le qualificatif de
"modéré" dans le panorama des équilibres internationaux. Pour contenir la
révolte des masses musulmanes, les deux autorités - politique et religieuse
- égyptiennes ont toujours restreint d’une part les libertés des chrétiens
coptes mais aussi, et encore davantage, le champ d’action des courants
musulmans radicaux.
Enfin, la crainte croissante d’un écroulement du régime a conduit aussi bien
Moubarak qu’Al-Azhar à durcir encore davantage leurs positions. En effet,
avant même que le massacre d’Alexandrie n’ait eu lieu, l'imam Al-Tayyeb –
qui est pourtant l’un des signataires de la fameuse "lettre des 138 sages
musulmans" au pape - avait ouvert les hostilités contre l’Église de Rome. Il
avait réclamé et obtenu que le Vatican écarte d’un colloque – qui était
programmé au Caire et qui est aujourd’hui définitivement annulé – l’un de
ses principaux délégués, le père Khaled Akasheh, Jordanien, fin connaisseur
de l’islam et membre du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
Par ailleurs, aussi bien Moubarak qu’Al-Azhar ont même réduit
systématiquement au silence, jusqu’au dernier moment, toutes les voix
réformistes qui, dans le camp musulman, se sont éloignées des courants
traditionnels. La liste des "hérétiques" tués, blessés, poursuivis en
justice, incarcérés, muselés, exilés, est impressionnante. Parmi eux, il y a
même un Prix Nobel de littérature, le grand Naguib Mahfouz.
Il n’est donc pas surprenant que, au cours de la révolte générale de ces
jours-ci, quelques unes de ces voix réformistes se soient exprimées
ouvertement.
Parmi les autres acteurs collectifs présents en Égypte, les coptes se sont
abstenus de descendre dans la rue (une brusque manifestation de protestation
de leur part avait éclaté seulement après le massacre d’Alexandrie). Ils
craignent que, en cas de chute du régime de Moubarak, leur vie ne devienne
encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Les Frères Musulmans se sont également tenus tranquilles, mais pour des
raisons opposées. Leur calcul est qu’une chute du régime tournera de toute
façon à leur avantage.
Pour les musulmans réformistes, en revanche, un passage s’est ouvert. Et ils
ont fait entendre leur voix.
*
Le 24 janvier, la version en ligne de la revue égyptienne "Yawm al-Sâbi" (Le
Septième Jour) a publié un texte intitulé "Document pour le renouvellement
du discours religieux". Avant la fin de ce jour-là, le texte en question
était déjà présent sur plus de 12 000 autres sites arabes.
C’est un jésuite islamologue, Samir Khalil Samir, Égyptien de naissance,
très apprécié par Benoît XVI, qui l’a signalé en dehors du monde arabe et en
a souligné l'importance. Il a traduit et commenté les passages essentiels du
document dans deux articles qui ont été publiés sur le site de l'agence de
presse en ligne "Asia News" de l’Institut Pontifical des Missions
Étrangères.
Il est expliqué sur cette page que ce document a été écrit en suivant les
indications fournies par 23 penseurs musulmans égyptiens, dont les noms sont
indiqués un par un.
D’après le père Samir, ce sont tous des intellectuels et des croyants
renommés. On trouve parmi eux Nasr Farid Wasel, ancien grand mufti d’Égypte
; Gamal al-Banna, frère du fondateur des Frères Musulmans ; l’imam Safwat
Hegazi ; les professeurs Malakah Zirâr et Âminah Noseir ; le célèbre
écrivain islamiste Fahmi Huweidi ; les prédicateurs de la mission musulmane
Khalid al-Gindi, Muhammad Hedâyah, Mustafa Husni. Trois d’entre eux
figurent, au début du document, sur la photo qui est reproduite sur cette
page.
Le document est composé de 22 points rédigés en style télégraphique, qui
dessinent un programme de réforme de l'islam : passer d’une pratique
superficielle et extérieure de cette religion à une pratique qui soit plus
authentique et plus essentielle.
Le voici, sur la base d’une traduction "à chaud" du texte en arabe
effectuée par le père Samir :
DOCUMENT POUR LE RENOUVELLEMENT DU DISCOURS
RELIGIEUX
Le Caire, le 24 janvier 2011
1. Réexaminer les recueils de Hadiths [phrases attribuées à Mahomet par la
tradition] et les commentaires du Coran, pour les purifier.
2. Soumettre à une vérification le vocabulaire politico-religieux musulman,
comme par exemple la jizya [impôt spécial demandé aux dhimmis, les minorités
non musulmanes soumises à des restrictions].
3. Trouver une nouvelle formulation du concept de fraternisation entre les
sexes.
4. Mettre au point la vision musulmane de la femme et trouver des formes
convenables pour le droit du mariage.
5. L’islam est une religion de la créativité.
6. Expliquer le concept musulman de djihâd [la guerre sainte intérieure et
extérieure] et clarifier les normes et obligations qui la régissent.
7. Bloquer les attaques contre les manifestations extérieures de piété et
les pratiques étrangères provenant d’états voisins.
8. Séparer la religion et l’état.
9. Purifier le patrimoine des premiers siècles de l’islam (salafisme), en
écartant les mythes et les attaques contre la religion.
10. Donner une formation adéquate aux prédicateurs missionnaires et, dans ce
domaine, ouvrir les portes à ceux qui n’ont pas étudié à l’université
Al-Azhar, selon des critères bien clairs.
11. Formuler les vertus communes aux trois religions révélées.
12. Donner des orientations en ce qui concerne les us et coutumes
occidentaux et éliminer les comportements erronés.
13. Préciser la relation qui doit exister entre les membres des religions à
travers l’école, la mosquée et l’église.
14. Rédiger de manière adaptée à l’Occident la présentation de la biographie
du Prophète.
15. Ne pas éloigner les gens des systèmes économiques par l’interdiction de
traiter avec les banques.
16. Reconnaître le droit des femmes à accéder à la présidence de la
république.
17. Combattre les prétentions sectaires, [en soulignant] que la bannière de
l’islam [doit être] unique.
18. Inviter les gens à aller vers Dieu par la gratitude et la sagesse, et
pas par les menaces.
19. Faire évoluer l’enseignement d’Al-Azhar.
20. Reconnaître le droit des chrétiens à accéder à des fonctions importantes
et [même] à la présidence de la république.
21. Séparer le discours religieux et le pouvoir et rétablir son lien avec
les besoins de la société.
22. Améliorer le lien entre la dawah [l’appel à se convertir à l’islam] et
la technologie moderne, les chaînes satellitaires et le marché des cassettes
musulmanes.
*
Ces 22 points sont suivis d’autant de paragraphes de commentaires. Qui,
d’après le père Samir, laissent entrevoir une véritable révolution par
rapport aux manières traditionalistes et puritaines de vivre l'islam qui ont
été introduites dernièrement en Égypte et qui proviennent surtout d'Arabie
Saoudite.
Dans son analyse publiée par "Asia News", le père Samir considère comme
important le point 8, qui propose de séparer la religion et la politique.
Dans le commentaire joint – souligne-t-il – figure le mot "almaniyyah",
laïcité. Un mot qui, dans les pays arabes, est généralement compris comme
signifiant athéisme et qui est donc condamné par principe. C’est tellement
vrai que, pendant le synode consacré au Moyen-Orient qui a eu lieu à Rome en
octobre dernier, les évêques ont évité de l’utiliser.
Dans le cas présent, au contraire, les auteurs du document écrivent dans
leur commentaire que la laïcité ne doit pas être considérée comme une
ennemie de la religion, mais plutôt comme une protection contre
l'utilisation politique ou commerciale de la religion. "Dans ce contexte
–
écrivent-ils – la laïcité se trouve en harmonie avec l'islam et par
conséquent elle est juridiquement acceptable". Mais elle ne l’est pas si
elle se transforme en un contrôle exercé par l’État sur les activités
musulmanes.
Commentaire du père Samir :
"Ce point, même s’il a fait l’objet de beaucoup de débats, est la preuve du
fait qu’est en train de naître en Égypte le concept de société civile, qui
ne coïncide pas immédiatement avec la communauté musulmane".
Le point 6 concernant la guerre sainte est également remarquable. Les
auteurs du document n’admettent celle-ci que si elle est défensive et
uniquement en terre musulmane. Il n’est jamais permis de tuer des gens
désarmés, des femmes, des personnes âgées, des enfants, des prêtres, des
moines. Il n’est jamais permis d’attaquer des lieux de prière. Les auteurs
soulignent que cette doctrine est celle de l'islam depuis 1 400 ans et que
ceux qui la violent la trahissent gravement.
*
Le signal qui est émis par ce document est faible. Cependant il ne faut pas
le négliger. Lorsque ces sujets ont été traités – c’est arrivé plusieurs
fois jusqu’à maintenant – lors de discussions entre personnalités de
l’Église catholique et de l'islam, il n’est jamais arrivé qu’ils soient
repris et diffusés dans l'opinion publique musulmane.
La "lettre des 138" elle-même est jusqu’à présent inconnue de la
quasi-totalité des musulmans dans le monde.
Ce document du Caire, au contraire, est né chez les musulmans et il a
immédiatement été diffusé dans un cercle d’opinion plus vaste. Il provoque
de très nombreux commentaires sur différents sites internet, opposés et
hostiles pour la plupart, mais qui constituent néanmoins, en tout cas, la
preuve d’une volonté d’en discuter.
Si l’on examine ce que Benoît XVI a dit – l’année même de son discours de
Ratisbonne et de son voyage en Turquie – à propos de l’avenir de l'islam, ce
document du Caire constitue un petit pas précisément dans la direction
souhaitée par le pape.
Benoît XVI avait affirmé devant la curie romaine, le 22 décembre 2006 :
"Le monde musulman se trouve confronté aujourd'hui de manière très urgente à
une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du
Siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des
solutions concrètes pour l’Église catholique au terme d’une longue et
difficile recherche.
D'une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison
positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation
publique, privant ainsi l'homme de ses critères spécifiques de mesure.
D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de la
philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté
de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels
également pour l'authenticité de la religion. De même que dans la communauté
chrétienne il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face
à ces convictions – une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de
façon définitive – de même le monde musulman se trouve également, avec sa
tradition propre, face à la grande tâche de trouver les solutions adaptées à
cet égard".
*
Pour plus de détails à propos des accusations lancées par le grand imam
d’Al-Azhar contre le pape, dans le contexte des violences musulmanes contre
les régions du monde
►
Noël de sang entre le Nil et l'Indus
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 31.01.2011 -
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