L’œcuménisme de Benoît XVI est celui de Vatican
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Le 27 août 2007 -
(E.S.M.) - L'on peut facilement s'imaginer la
vague d'indignation que susciterait dans l'opinion publique la non
confirmation épiscopale, d'un prêtre de l'Église
catholique en Suisse parce que ce prêtre entretient des relations
amicales avec des responsables réformés ! Querelles en Suisse !
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Dr Thomas Wipf,
Président du Conseil de la Fédération des Églises protestantes de Suisse
L’œcuménisme de Benoît XVI est celui de Vatican II
Lettre ouverte sur la situation œcuménique actuelle
Monsieur le Président du Conseil de la Fédération des Églises protestantes
de Suisse,
Cher Thomas Wipf,
La situation œcuménique en Suisse est à nouveau apparue laborieuse cet été.
C'est pourquoi je m'adresse à toi avec une lettre ouverte, en ta qualité de
représentant des Églises réformées en Suisse, étant donné que la Fédération
se comprend comme « voix unie dans le dialogue œcuménique »
(ta préface au rapport annuel
2006 de la FEPS). La responsabilité œcuménique commune me tient
trop à coeur pour mettre simplement aux actes ce qui s'est passé cet été.
J'aurais vraiment souhaité ne jamais devoir t'écrire cette lettre. Pendant
mes onze ans de service épiscopal, j'en aurais eu souvent l'occasion, mais
me tenais toujours à l'avertissement biblique du règlement des conflits
(Mt 18,15-20). Je me convainquais
devoir discuter de nos situations conflictuelles à huit clos et non pas aux
yeux de l'opinion publique. Après ce qui est arrivé ces dernières semaines,
suite à la parution du document de la Congrégation
pour la Doctrine de la foi concernant la doctrine sur l'Église, je ne puis
me taire. Je dois intervenir en public en ma fonction de Président de
la Conférence des évêques suisses. Je le dois aussi à bien des membres de
notre Église catholique, peines par tes prises de position et beaucoup
d'autres provenant de différents milieux des Églises réformées dans notre
pays. L'impression gagne l'opinion publique que tout irait bien dans
l'œcuménisme en Suisse si seulement l'Église
catholique ne l'entravait pas : dire cela est injuste et faux, tu le
sais aussi bien que moi. Ces dernières semaines, vous avez largement débattu
au grand jour sur ce qui vous agace et vous blesse par rapport à notre
Église. Il faut maintenant nous permettre de rendre public ce qui nous agace
également, nous les catholiques, et comment nous apercevons la situation
œcuménique en Suisse. Ainsi nous pourrons poursuivre sincèrement le chemin
commun. Je suis convaincu que le cheminement de l'œcuménisme en Suisse vers
un avenir positif requiert une analyse honnête et sincère de la situation
actuelle. Pour mon compte, j'essaierai de le faire par cette lettre.
Comprendre la déclaration de la Congrégation pour
la Doctrine de la foi (Rappel
explicite de la doctrine catholique sur l'Église)
J'aimerais souligner d'emblée que le document de la Congrégation pour la
Doctrine de la foi n'entend nullement diminuer ou discriminer les Églises et
les Communautés ecclésiales issues de la Réforme. Il ne veut pas dire que
l'Église catholique est meilleure par sa foi ou par sa morale, que les
catholiques sont de meilleurs chrétiens que les réformés. De telles
suppositions seraient absurdes et pourraient être rapidement démenties par
la réalité. A l'échelle du vécu chrétien, les Églises peuvent prôner
exclusivement un « concours », à savoir la recherche constante d'une
meilleure suite de Jésus-Christ. Au niveau du croire et de l'agir des
Églises, la Congrégation pour la Doctrine de la foi s'abstient fermement de
toute prise de position. Ses affirmations ne concernent pas l'aspect
existentiel de la foi et de la vie ecclésiale, mais la dimension
institutionnelle, à savoir sacramentelle de
l'Église, dimension qui pour l'Église catholique est fondamentale et
inaliénable.
A mes yeux, l'usage linguistique pose déjà problème. Il va de soi que nous,
catholiques, dans le quotidien, parlons des Églises réformées en Suisse, de
la Communautés de travail des Églises chrétiennes et encore de la Church of
England etc. - et nous continuerons à le faire, car nous reconnaissons l'auto-compréhension
de ces Églises. La pensée théologique sur l'Église diffère pourtant de
l'emploi du mot « Église » au quotidien, elle questionne les éléments
essentiels de l'être-Eglise. C'est pourquoi il y a entre nous, et ce n'est
pas la première fois que nous le voyons, des
différences fondamentales indéniables, sur lesquelles nous
devrions pouvoir discuter.
A mon avis, ce qui vous a particulièrement affectés est l'interprétation
faite par la Congrégation pour la Doctrine de la foi du Concile Vatican II,
visant à dire que là où ne sont pas donnés le ministère épiscopal dans la
succession apostolique et conséquemment la sauvegarde du mystère
eucharistique, l'on ne peut parler d'Église au sens propre. Précisément on
ne veut pas dire que les Églises réformées ne sont pas des Églises, on ne
soustrait pas aux Églises réformées le fait d'être-Eglise. L'on affirme
plutôt que les Églises réformées ne sont pas des Églises dans le sens que
s'attribue et doit s'attribuer l'Église catholique à partir des fondements
de sa foi. Ceci est évident pour tout un qui s'intéresse à l'œcuménisme,
dans la mesure où vous-mêmes soulignez que les Églises réformées ne
souhaitent pas être des Églises dans le sens entendu par l'Église catholique
et qu'elles détiennent une autre compréhension d'Église et de ministère.
A leur tour, les catholiques ne retiennent pas pour
leur compte votre vision d'Église.
Cette affirmation fondamentale du Concile Vatican II peut être comprise dans
le bon sens, comme l'a démontré juste après le Concile le théologien
évangélique Edmund Schlink en commentant l'assertion conciliaire « Églises
et Communautés ecclésiales » : les autres Églises sont difficilement
comprises par le Concile « dans le sens entendu par l'Église catholique
elle-même, mais plutôt par analogie ». La Congrégation pour la Doctrine de
la foi n'a fait que répéter cela. Dans sa prise de position sur le document
de la Congrégation, le chargé de l'œcuménisme de la Fédération des Églises
protestantes de Suisse, M. le Pasteur Martin Hirzel, apprécie mes
affirmations après la parution, en 2000, de
Dominus Jesus : j'avais alors écrit que les Églises issues de la Réforme
ne sont pas des « non-Eglises ou des Églises apparentes » mais des « Églises
dans un sens analogue ». Il serait donc mieux, disais-je alors, de parler «
d'Églises d'un autre type ». Je souscris
toujours à ces affirmations et précise qu'il ne s'agit aucunement de nuancer
le texte de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, mais d'aider à une
meilleure compréhension. Je vous remercie d'en tenir compte aussi
maintenant.
Je dois reconnaître que la formulation choisie par la Congrégation pour la
Doctrine de la foi, suivant laquelle les Communautés ecclésiales issues de
la Réforme ne sont pas des « Églises au sens propre », a été comprise
différemment par vous et a donc produit des blessures que je regrette
vivement et qui m'attristent. Je ne peux que répéter que telle n'était pas
l'intention du document de la Congrégation. Même si l'on avait choisi une
autre manière de dire, le problème œcuménique sous-jacent demeurerait
toujours.
Irritations œcuméniques dans les Églises réformées
Je peux comprendre votre grande sensibilité sur l'arrière-fond de ce qui a
été dit. Mais je vous prie de comprendre que vos attitudes et affirmations
sur notre Église nous touchent et blessent aussi, quand bien même nous avons
rarement réagi publiquement. Pour ne pas en rester à des généralités,
j'apporterai quelques exemples concrets du comportement œcuménique dont vous
faites preuve, pour brosser un portrait réaliste de la situation œcuménique
actuellement si difficile.
Cher Thomas, tu as affirmé en public, avec raison, que chaque Église a le
droit de faire connaître sa propre compréhension d'elle-même, et que le
problème surgit quand cela se fait en excluant les autres Églises.
Permets-moi de te demander en retour : est-ce que l'on trouve cette attitude
problématique simplement dans mon Église ou aussi dans tes Églises ? Maintes
fois, vous esquissez et présentez votre compréhension de l'Église marquant
des limites parfois très indifférenciées par rapport à l'Église catholique.
Vous dites par exemple que les Églises réformées ne sont pas une « Église
d'en haut » mais une « Église d'en bas », qu'elles ne sont pas structurées
de manière hiérarchique mais démocratique et qu'ainsi elles peuvent renoncer
au ministère épiscopal.
Vous avez fustigé comme spirituellement insolente
l'affirmation de la Congrégation pour la Doctrine de la foi selon laquelle
l'Église catholique se comprend comme Église de Jésus-Christ. Mais est-ce
que vous-mêmes, depuis la Réforme, ne prétendez-vous pas aussi que la
Réforme et les Églises qui en sont issues auraient reconstitué l'Église de
Jésus-Christ ? Pourquoi il s'agirait d'un côté d'arrogance
spirituelle et de l'autre d'humilité chrétienne ?
Ces dernières années, vous avez beaucoup entrepris pour affermir le profil
de vos Églises réformées. Cela n'a jamais constitué un problème pour moi, je
l'ai toujours considéré comme une revendication justifiée : car il est
important pour moi d'entendre mes partenaires œcuméniques dans leur version
originelle, si je puis dire. Il y a quelques années, vous avez lancé une
campagne publicitaire avec des affiches sur lesquelles on pouvait lire : «
Penser soi-même. Les réformés ». Cette manière de vous profiler ne m'avait
pas irrité, tout au plus je ne trouvais pas la devise particulièrement
ingénieuse. Par ailleurs, je ne me sens pas redevable aux réformés de ma
pensée catholique.
En lisant le nouveau livre du Président du Conseil des Églises évangéliques
d'Allemagne, l'évêque Wolfgang Huber, « Im Geist der Freiheit. Fiir eine
Ôkumene der Profile », j'y rencontre avec gratitude des définitions de
l'auto-compréhension évangélique de l'Église, parce que chaque dialogue,
aussi le dialogue œcuménique, présuppose une clarté vis-à-vis des positions
respectives. Cela ne m'indispose pas si l'évêque Huber définit l'Église
évangélique comme « Église de la liberté » en contraste avec notre Église.
Mais lorsqu'il croit devoir déclarer en public que le
Seigneur Jésus-Christ est toujours au centre de l'Église évangélique, à
l'opposé de l'Église catholique, où tout tourne autour de son représentant
sur terre, alors je considère ceci comme un affront œcuménique. Je ne
puis que tourner contre lui-même les mots de Wolfgang Huber : « Personne ne
peut parler ici de négligence, il s'agit de préméditation. » Même si l'on ne
prend acte que superficiellement de l'annonce pleinement christocentrique du
Pape Benoît XVI, nous croyons que l'Évêque Huber méconnaît
entièrement les options fondamentales du Pape actuel.
Il m'est également difficile de comprendre pourquoi le partenaire
évangélique réformé n'a pas cessé pendant des années de parler d'«
œcuménisme des profils » et que d'autre part, ce même partenaire se
considère blessé quand l'Église catholique fait de même.
Je le constate aussi à propos de la suggestion émise par M. le Pasteur
Gottfried Locher et amplement débattue dans tes Églises sur la
réintroduction du ministère épiscopal dans les Églises réformées en Suisse.
J'ai suivi ces discussions avec intérêt et remarque
combien elles s'accompagnaient de jugements partiellement hostiles contre
l'Église catholique et sa structure épiscopale. J'ai alors pensé qu'à
vos yeux, le nœud du problème concernant l'Église catholique doit être la
succession apostolique du ministère épiscopal, relevant pourtant du noyau
central de l'auto-compréhension catholique de l'Église. Pour ne mentionner
qu'un exemple particulièrement abstrus : comment expliquer que le mensuel
évangélique-réformé « saemann », connu pour ses nombreux coups de
lance anti-catholiques, n'a su « commenter » mon élection comme Président de
la Conférence des évoques suisses que par un sarcasme ridicule sur la
Succession apostolique, témoignant par là non seulement d'une ignorance
théologique mais aussi d'un réel manque de classe ?
Analogiquement, je citerais un article du « Kirchenbote » réformé
zurichois qui, au printemps passé, a cru bon de se prendre la « liberté »
d'analyser tous les candidats médiatisés au siège épiscopal de Coire quant à
leur aptitude œcuménique, en établissant un critère de capacité œcuménique
dans la disponibilité ou non de reprendre telles quelles les positions
réformées. Je me demande si une pareille identification de « réformé » et «
œcuménique » ne montre précisément le comportement que vous reprochez
continuellement à notre Église, à savoir d'absolutiser sa position
confessionnelle. Si en tant que réformés vous refusez de « revenir » à Rome,
vous ne pouvez prétendre que nous nous « tournions » vers Zurich, Genève ou
Wittenberg.
Finalement, je souhaite reprendre un malaise œcuménique dont a parlé
récemment le Père-Abbé Martin Werlen dans son article « Oekumenischer
Zwischenruf », à savoir les démarches entreprises du côté réformé pour
empêcher la candidature de M. le Pasteur Gottfried Locher, vice-président
européen de l'Alliance Réformée Mondiale, en tant que Président du Conseil
synodal des Églises réformées de Berne-Jura-Soleure. Naturellement, il ne me
revient pas de me mêler d'affaires intra-protestantes, mais ce qui m'a
laissé songeur et m'a attristé, c'est de savoir qu'une partie non
indifférente côté réformé a supposé le Pasteur Locher inadéquat pour couvrir
ce mandat, seulement parce qu'il a tenu des exercices spirituels à l'Abbaye
d'Einsiedeln et qu'il est lié d'amitié avec l'évêque de Baie. Aucun de vous
n'a pris ses distances, publiquement, d'un tel affront à l'œcuménisme.
L'amitié avec des responsables de l'Église catholique serait donc une
maladie transmissible contre laquelle se protéger... Et pourtant vous
vous référez volontiers à l'œcuménisme du quotidien et demandez un
œcuménisme « à même hauteur des yeux », mais jugez inacceptable l'amitié
avec des responsables catholiques. A mon avis cela décèle un comportement
opposé à un œcuménisme sincère. L'on peut facilement s'imaginer la vague
d'indignation que susciterait dans l'opinion publique la non confirmation
épiscopale, par le Pape, d'un prêtre de l'Église catholique en Suisse
parce que ce prêtre entretient des relations amicales avec des responsables
réformés ! Je ne peux que souscrire à l'affirmation de Mgr Martin Werlen : «
La compréhension de l'œcuménisme qui se cache derrière
de telles attitudes est, je pense, l'obstacle principal à l'unité de
l'Église. Quoi mieux que l'amitié peut contribuer à l'unité ? ».
Si j'étends mon regard au-delà de la situation œcuménique suisse, je me dois
de rappeler la prise de position du Conseil de l'Église évangélique en
Allemagne (EKD) sur la coexistence ordonnée d'Églises de différentes
confessions, ayant pour titre « Kirchengemeinschaften nach evangelischem
Verstàndnis ». L'on y voit en quoi consiste le modèle œcuménique de
communautés d'Églises du point de vue évangélique et l'on déduit qu'il est
proprement impossible de pratiquer l'œcuménisme avec l'Église catholique : «
apparemment, la conception catholique-romaine d'unité
visible et pleine des Églises n'est pas compatible avec la compréhension de
communautés d'Églises ». Cela est dit avec une rudesse telle que la
déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi apparaît gentille
à côté. Si les évangéliques en Allemagne décrètent que « la nécessité et la
forme du ministère pétrinien et du primat du Pape, la compréhension
de la Succession apostolique, la non-ordination des femmes et la place du
droit canon dans l'Eglise catholique-romaine sont des situations auxquelles
faire face du côté évangélique » et empêchant de conduire quelconque
dialogue œcuménique, force est de considérer cette attitude comme un refus
clair et net de dialogue œcuménique. En revanche, nous notons avec gratitude
que les théologiens évangéliques Wolfhart Pannen-berg et Gunter Wenz
considèrent qu'avec l'« exclusion prônée par la EKD de la constitution
épiscopale des Églises de l'ensemble des conditions requises pour une
communauté des Églises », les Églises évangéliques « elles-mêmes s'excluent
de la discussion œcuménique autour de ce thème » : car « l'accord sur la
constitution épiscopale de l'Église en vue de la reconstitution de la
communauté des Églises » est indispensable dans un contexte œcuménique
élargi.
Je suis porté à émettre un même jugement sur le nouveau document de l'Église
évangélique unie en Allemagne (VELKD) concernant le ministère et
l'ordination. En ignorant largement les résultats jusqu'ici fournis par le
dialogue évangélique-luthérien / catholique-romain, le document porte un
jugement négatif sur la compréhension catholique de l'Église et du
magistère, jugée « indifférente » du point de vue de l'Église évangélique.
Si l'on peut dire d'un document qu'il nous rétrograde de 40 ans dans
l'œcuménisme, c'est bel et bien ce texte et certainement pas le document de
la Congrégation pour la Doctrine de la foi.
La conversion est nécessaire dans les deux Églises.
Ce ne sont que quelques exemples qui documentent les nombreuses irritations
œcuméniques provoquées ces dernières années également par vous, sur
lesquelles nous, catholiques, nous sommes souvent tus. Vu par après, cela a
été une erreur, car nous avons tacitement confirmé l'impression suscitée
dans l'opinion publique que les Églises réformées sont les protagonistes
œcuméniques et que l'Église catholique en est le grand empêchement.
Sur la base de cette impression unilatérale, nullement
confirmée par la réalité, nous ne pouvons pas construire un avenir
œcuménique honnête.
A mes yeux, cet avenir n'est possible que si les deux côtés reconnaissent
leurs propres irritations œcuméniques, moins liées à la confession que dues
au péché originel. En plus, nous devrions renoncer des deux côtés à toujours
attribuer la faute à l'autre. L'œcuménisme se montrera crédible s'il
s'attachera en première ligne non pas à la conversion des autres mais à sa
propre conversion, prélude à la connaissance et reconnaissance autocritique
de ses propres faiblesses et erreurs. Si nous réussirons à le faire
ensemble, la situation actuellement difficile ne constituera pas un obstacle
à l'œcuménisme, mais plutôt une chance de compréhension et enrichissement
réciproques. Ma lettre à toi, cher Thomas, est motivée par cette conviction
et je te prie de l'accueillir dans ce sens.
Je suis bien conscient que ma lettre ne correspond pas à la « political
correctness » quant à la situation œcuménique en Suisse. Il est aussi
clair pour moi que toute personne se reconnaissant dans cette «political
correctness » m'aurait déconseillé d'écrire cette lettre ouverte ; mais
je me sais redevable à ma conscience de le faire tout de même - pour le bien
de l'œcuménisme. On peut voir cette « political correctness » déjà
dans le fait que les irritations œcuméniques que vous-mêmes suscitez ne
trouvent qu'un faible impact dans l'opinion publique et à la télé. La
Télévision suisse n'a pas vraiment envie d'organiser un « Club » pour cela,
la présentatrice catholique du « Wort zum Sonntag » ne se voit pas
vraiment poussée à exprimer sa tristesse et sa colère à la télé. Cela
correspond à l'expérience que j'ai faite tout au cours de ces années et
décennies. Si les irritations œcuméniques sont déclenchées par l'Église
catholique où retenues telles, catholiques et protestants disent ensemble
leur indignation. Si par contre elles se déclenchent dans les Églises
réformées, protestants et catholiques se taisent ensemble. Je ne peux croire
là à un œcuménisme sincère. La sincérité exige qu'on reconnaisse en toute
ouverture et amitié les erreurs œcuméniques et qu'on pratique mutuellement,
si nécessaire, la correctio fraterna. C'est une expérience que je vis
au niveau de l'œcuménisme mondial en tant que membre du Conseil pontifical
pour la promotion de l'Unité des chrétiens, expérience qui fait cruellement
défaut dans la situation œcuménique en Suisse.
En esprit d'ouverture et de lien œcuménique, je dois te contredire, cher
Thomas, surtout sur un point. Tu as affirmé que le
document de la Congrégation pour la Doctrine de la foi met en danger les
succès essentiels des derniers quarante ans d'œcuménisme. Je ne peux
nullement souscrire à ce jugement par le simple fait que dans la vie de la
foi et donc de l'œcuménisme il n'y a jamais de voies maîtresses bien larges
mais toujours aussi des sentiers sinueux et des détours. Si l'on est
conscient que l'œcuménisme est toujours en marche, il appartient aussi à la
lucidité chrétienne de savoir vivre des deux côtés avec des déceptions.
Celles-ci ne doivent pas occasionner la résignation, mais marquer une
opportunité pour sortir de ses propres visions et gagner un nouvel élan pour
l'avenir.
Je dois contredire ton jugement également pour un autre motif. Je suis actif
depuis trente ans dans l'œcuménisme, engagé surtout dans le dialogue
réformé-catholique. Convaincus que nous ne pouvons poursuivre sur la voie de
l'œcuménisme que si nous débattons sur les conceptions très différentes de
ce qu'est l'Église et que nous cherchons de nouveaux chemins dans l'avenir,
nous, catholiques, avons toujours invité les Églises réformées en Suisse à
mener un dialogue commun sur ce qu'est l'Église. Ce dialogue est
indispensable. Je suis déçu de voir que cette invitation n'a pas vraiment
été accueillie et que la question n'a jamais été sérieusement abordée.
Pourtant, dans les divergences sur ce qu'est l'Église réside le motif des
divergences quant à la tâche œcuménique, sur laquelle nous devons urgemment
nous entendre, puisque les conceptions différentes au sujet du chemin
œcuménique ont leur source la plus profonde dans les différences sur la
compréhension de l'Église. D'un point de vue catholique, ces questions
constituent également la clef pour avancer dans la thématique de
l'hospitalité eucharistique.
Malheureusement, je dois rappeler que la Fédération des Églises protestantes
de Suisse a décliné et n'a pas accueilli comme base de discussion
l'importante déclaration de convergence de la Commission Foi et Constitution
du Conseil Oecuménique des Églises « Baptême, eucharistie et ministère »,
qui a précisément thématisé les questions ouvertes entre nous. En outre, les
Églises réformées en Suisse considèrent volontiers la déclaration commune
sur la doctrine de la justification, signée en 1999 à Augsburg par
l'Alliance Luthérienne Mondiale et le Conseil pontifical pour la Promotion
de l'Unité des chrétiens, comme pierre miliaire du dialogue œcuménique ;
d'autre part, il faut savoir que cette déclaration commune n'a pas été
adoptée par les Églises réformées en Suisse - hormis l'Alliance Méthodiste
Mondiale qui y a adhéré en 2006.
Si tu penses que la déclaration de la Congrégation
pour la Doctrine de la foi a repoussé l'œcuménisme 40 ans en arrière, cela
ne correspond pas à une description honnête de la situation. En réalité, un
dialogue sincère sur la compréhension théologique de l'Église n'a jamais
vraiment eu lieu.
L'œcuménisme doit poursuivre sa route.
En me référant à cet état de fait, je ne vois pas comment le document de la
Congrégation pour la Doctrine de la foi engagerait une nouvelle situation de
l'œcuménisme en Suisse. En réalité, ce document a mis en évidence, une fois
de plus, que nous ne comprenons pas pareillement la parole « Église »
utilisée par vous et par nous. Nous l'utilisons de façon équivoque et cela
dessert la clarté et ainsi le progrès du dialogue œcuménique. Je m'associe
volontiers au Cardinal Walter Kasper, Président du Conseil pontifical pour
la Promotion de l'Unité des Chrétiens, affirmant que la déclaration de la
Congrégation « n'ôte rien aux progrès œcuméniques obtenus » mais « indique
la tâche œcuménique encore à accomplir » : « c'est nous que ces différences
dans la compréhension de l'Église devraient irriter, et non ceux qui les
désignent par leur nom. Ceci est bien plus une invitation urgente à un
dialogue objectif et constructif ».
Je me sens confirmé dans ce jugement en regardant les réactions au niveau
mondial à la déclaration de la Congrégation, qui sont négatives surtout dans
le monde germanophone, contrairement au monde anglophone, qui l'a accueillie
plutôt comme un défi positif. Le Conseil épiscopal de l'Église méthodiste
mondiale a pris acte surtout des affirmations positives sur les Églises
réformées et se dit disponible à un approfondissement œcuménique avec
l'Église catholique. De même, l'expert œcuménique méthodiste Geoffrey
Wainwrigt regrette la manière négative dont beaucoup de notices de presse
ont approché ce document et pense qu'il constitue une vraie opportunité pour
réfléchir plus intensément, au niveau œcuménique, sur les questions
suivantes : qu'est-ce que l'Église ? où trouver l'Église ? Également le
Président de l'Alliance Luthérienne Mondiale, l'évêque Marc Hanson,
encourage à aborder avec conviction les questions soulevées par la
Congrégation, en esprit de fraternité et prière.
Si je note ces réactions c'est qu'elles t'invitent, toi et les Églises
réformées en Suisse, à ne pas en rester au sentiment de blessure, mais à
poursuivre le dialogue œcuménique et aborder courageusement les questions
qui encore nous séparent. Je partage ta conviction que le fond de notre
dialogue n'est pas ce qui nous sépare mais bien plus ce qui déjà nous unit.
Sur ce fond, il sera possible et nécessaire de conduire des discussions
engagées sur ce qui nous divise encore. Cela est, en première ligne, la
compréhension différente d'Église.
Je te prierais aussi de ne pas opposer, au sein des Églises réformées,
l'œcuménisme de la base à l'œcuménisme des responsables d'Église. Je peux
comprendre que votre insistance sur cette dissemblance est tout à fait
licite du côté réformé ; mais si vous voulez vraiment prendre au sérieux
notre compréhension de l'Église, alors l'œcuménisme théologique et
l'œcuménisme de la communauté vivante ne peuvent pas être séparés aussi
facilement que vos prises de position le laissent entendre.
Cher Thomas, ma lettre est devenue très longue et je te prie de me
comprendre ; cette longueur montre peut-être
précisément la complexité de toutes ces questions, que nous devons aborder
de façon nuancée et avec une compréhension mutuelle des différences qui
subsistent entre nous. J'espère que tu as pu percevoir à travers ma
longue lettre combien le dialogue œcuménique me tient à cœur. J'aimerais t'y
inviter, toi et les Églises réformées en Suisse que tu représentes, car le
chemin de l'œcuménisme, entamé par l'Église catholique avec le Concile
Vatican II, est irréversible. Il n'y a pas d'alternative,
car telle est la volonté de notre Seigneur
Jésus-Christ. Je t'adresse mes salutations dans cette conviction
de foi commune, et attends avec impatience ta réponse que j'espère positive.
Nous sommes encore en été et savons par expérience que les orages estivaux,
tout en étant puissants, ont finalement un effet purificateur et nous
apportent de l'air frais. Dans ce sens, j'espère que l'orage œcuménique de
cet été nous épure et donne de la fraîcheur à notre respiration œcuménique.
Ou pour le formuler encore une fois avec le Cardinal Kasper : « Malgré tout,
la caravane continue son chemin, l'œcuménisme marche ». Car l'œcuménisme,
lui aussi, ne peut marcher autrement que par « hominum confusione, sed
Dei providentia ».
Dans cet espoir confiant, je te présente, sur le chemin commun de
l'œcuménisme, mes salutations amicales et mes vœux les meilleurs.
+ Kurt Koch
Président de la Conférence des évêques suisses
En format Pdf :
Lettre ouverte sur la situation oecuménique
actuelle
Congrégation pour la Doctrine de
la Foi: ►
Réponses à des interrogations concernant certains aspects de la doctrine sur
l'Eglise
Commentaire aux Réponses à des questions concernant
certains aspects de la doctrine sur l'Église
: ►
Rappel explicite de la doctrine catholique sur
l'Église
Table
►
Doctrine catholique sur l'Église
Sources:
Conférence des Évêques suisses CES
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 27.08.2007 - BENOÎT XVI -
Table Doctrine catholique sur l'Église |