Benoît XVI : les mots justes
Le 27 février 2023 -
(E.S.M.)
- Que Dieu se « fasse connaître » et que nous le « connaissions »,
voilà d'une certaine manière ce qui est premier dans la foi,
souligne Benoît XVI, et ce
qui la constitue comme grâce. Sans cette grâce, la foi ne pourrait
naître ni se développer.
Le
jour où Benoît XVI a sidéré le monde intellectuel
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LA FOI RAISONNABLE
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La foi ne nécessite ni de voir ni d'entendre d'une
manière sensible. «Heureux ceux qui croiront sans avoir vu.» Elle s'appuie
sur les témoignages et se fonde sur la « connaissance » que Dieu nous donne
de lui-même par pure grâce.
Ces réflexions montrent combien le premier et le dernier mot du Credo - « Je
crois » et « Amen » - se rejoignent harmonieusement, encadrant toutes les
propositions et indiquant la dimension intime de tout le contenu. Dans cet
accord du Credo et de l'Amen apparaît le mouvement spirituel qui anime tout.
Le mot hébreu Amen, nous l'avons vu, appartient au même radical que le mot «
foi ». Ainsi Amen est comme l'écho de « croire » :
s'appuyer avec confiance
sur une assise solide, indépendante de nos efforts et de nos calculs, mais
qui nous porte pour cette raison même ; s'en remettre à ce « sens » qui nous
précède, qui est le fondement du monde et qui nous octroye la liberté de
créer.
Toutefois, agir ainsi, ce n'est pas se livrer aveuglément à l'absurde. Bien
au contraire, c'est aller vers le logos, vers la ratio, vers le sens et donc
vers la vérité elle-même; car en fin de compte, la base sur laquelle l'homme
prend appui ne peut et ne doit être que la vérité même qui se révèle. Par là
nous nous heurtons, de façon imprévue, à une dernière antinomie entre la foi
et le savoir opérationnel. Ce dernier, en effet - nous l'avons vu - se
limite logiquement au positif, au fait, au mesurable; il fait donc
abstraction de la vérité. Ses grands succès, il les obtient en renonçant au
problème de la vérité ; il se contente de vérifier la « vérité » (Stimmigkeit)
du système, dont l'hypothèse doit être confirmée par le bon fonctionnement
de l'expérience. Autrement dit, le savoir opérationnel ne se préoccupe pas
de l'en-soi des choses, mais uniquement de leur utilité pour nous. La
conversion vers le savoir opérationnel est une conséquence de cet abandon de
l' « être-en-soi », pour ne le considérer qu'en fonction de la rentabilité.
La transposition du problème de l'être sur le plan du factum et du
faciendum a nécessairement entraîné un changement radical du concept de la
vérité elle-même. A la vérité de l' « être en-soi » s'est substituée
l'utilité des choses pour nous, confirmée par la « vérité » des résultats.
Il faut reconnaître que seule cette vérité-là se prête à notre vérification,
à laquelle l'être lui-même se dérobe.
Par son attitude de foi, exprimée dans le petit mot amen,
précise Benoît XVI, comprenant les sens apparentés de : se fier, se confier, fidélité, fermeté,
base solide, être debout, vérité, le chrétien entend affirmer qu'il n'a
d'autre fondement que la vérité, qui seule peut lui donner un sens. Ainsi
l'acte de foi implique essentiellement la conviction que le logos, le
fondement « rationnel » sur lequel nous nous appuyons et qui est porteur de
sens, ne peut être que la vérité. Un sens qui ne serait pas la vérité
serait tout simplement un non-sens. Il y a toute une vision du monde dans
ces deux mots amen et logos, qui signifient à la fois : sens, fondement et
vérité. C'est dans cette impossibilité de dissociation des différents sens
contenus dans ces mots - trop prégnants pour nous - qu'apparaît tout le
réseau des coordonnées, à travers lequel la foi chrétienne regarde le monde
et lui fait face. Ainsi la foi, on le voit, dans son essence, ne consiste
pas en une accumulation de paradoxes incompréhensibles ;
et l'on voit combien
il est contre-indiqué de vouloir se retrancher derrière le mystère, comme il
arrive pourtant assez souvent, pour pallier la défaillance de
l'intelligence. Quand la théologie en arrive à toutes sortes d'inepties et
qu'elle veut, en recourant au mystère, non seulement les excuser mais
encore, si possible, les canoniser, elle fait preuve d'une méconnaissance de
la vraie notion du « mystère ». En effet, le mystère n'est pas la négation
de l'intelligence; il permet plutôt à la foi d'être une certaine
intelligence. S'il est vrai que la foi n'est pas un savoir sur le modèle du
savoir opérationnel avec la possibilité de vérification, et qu'elle ne peut
que se couvrir de ridicule si elle s'obstine malgré tout à vouloir paraître
sous cette forme, il n'en est pas moins vrai que le savoir opérationnel
vérifiable, qui se limite essentiellement au phénomène et au fonctionnel,
est à son tour incapable de trouver la vérité, qu'en vertu de sa méthode il
veut systématiquement ignorer. Le mouvement d'approche vers la vérité de
l'être doit revêtir la forme du « comprendre » et non pas celle du « savoir
» : comprendre le sens auquel l'on s'est confié. Il faut ajouter
nécessairement que la possibilité de comprendre ne nous est ouverte que dans
la mesure où nous nous confions ainsi, où nous prenons appui. L'un ne va pas
sans l'autre ; car comprendre veut dire que le sens reçu comme fondement est
saisi et conçu comme sens. C'est là, je crois, la vraie signification de ce
que nous appelons « comprendre » : concevoir le fondement, sur lequel nous
nous appuyons, comme étant sens et vérité, reconnaître que ce fondement
représente le sens.
S'il en est ainsi, comprendre, loin de s'opposer à croire,
constitue l'élément le plus propre. En effet, connaître le monde dans sa
fonctionnalité, comme nous le permet aujourd'hui admirablement la pensée
technique et scientifique, ce n'est pas encore comprendre le sens du monde
et de l'être. On ne peut comprendre qu'à partir d'une foi. Aussi la
théologie, comme discours sur Dieu qui fait comprendre, comme discours
conforme au logos (= rationale : qui comprend de façon raisonnable),
est-elle une tâche primordiale de la foi chrétienne. C'est à ce point de vue
aussi qu'il faut rattacher le droit imprescriptible de l'élément grec dans
le christianisme. Ce n'est pas un hasard si le message chrétien, dans son
élaboration, a d'abord pénétré dans le monde grec, et s'est mêlé au problème
de l'intelligibilité et de la vérité ". On ne saurait dissocier croire et
comprendre, de même que l'on ne peut séparer croire et prendre appui, car «
prendre appui » et « comprendre » sont indissolublement liés. C'est pourquoi
la traduction des Septante du verset d'Isaïe découvre une dimension, que
l'on ne peut retrancher de la Bible, si l'on veut éviter la fantaisie et le
sectarisme. Il est vrai que l'acte de comprendre, de sa nature, dépasse
continuellement notre « saisie conceptuelle » pour reconnaître que nous
sommes nous-mêmes saisis et « compris » dans plus grand que nous. Or si «
comprendre » c'est saisir que nous sommes nous-mêmes com-pris », « con-tenus
», cela veut dire que nous ne saurions aller au-delà pour « comprendre » ce
qui nous « comprend » et qui nous donne par là même un sens (Begreiƒen/Umgriƒƒensein).
Dans cette perspective, il est juste de parler de mystère, en tant que
principe qui nous précède et nous dépasse sans cesse et que nous ne pourrons
jamais rejoindre. Mais c'est précisément dans le fait d'être saisis, «
compris » par ce que nous ne pouvons à notre tour appréhender que se réalise
la responsabilité de « comprendre », sans laquelle la foi perdrait sa
dignité et se détruirait elle-même.
« JE CROIS EN TOI »
Toutes ces réflexions ne nous ont pas encore dévoilé la
caractéristique la plus profonde de la foi : son ouverture sur un être
personnel. La foi chrétienne est plus que l'option pour un principe
spirituel du monde. Sa formule centrale ne dit pas : « Je crois à quelque
chose », mais « Je crois en Toi15 ». Elle est rencontre avec l'homme Jésus,
et elle découvre dans une telle rencontre que le sens du monde est une
personne. Par sa vie dans le Père, par l'immédiateté et la densité de ses
relations avec Lui, il est le témoin de Dieu, en qui l'intouchable peut être
touché, l'infiniment Éloigné est devenu tout proche. Bien plus, il n'est pas
seulement le témoin, dont nous acceptons le témoignage sur ce qu'il a perçu
dans une existence qui avait véritablement accompli le retournement à partir
de la fausse limitation au superficiel vers la profondeur de la vérité
totale; il est la présence de l'éternel lui-même dans ce monde. Dans sa vie,
dans la donation totale de lui-même pour les hommes, le sens de la vie se
révèle comme une présence, sous la forme de l'amour, qui m'aime moi-aussi et
qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, grâce à ce don
incompréhensible d'un amour qui n'est pas menacé par une fin ou troublé par
l'égoïsme. Le sens du monde, c'est le « Tu », non pas celui d'une
interrogation qui resterait elle-même en quête de réponse, mais le « Tu »
qui est le fondement de tout, sans avoir besoin d'aucun autre fondement.
Ainsi, croire, c'est trouver un « Tu » qui me porte et qui
m'apporte la promesse d'un amour indéfectible, malgré l'accueil humain
obligatoirement imparfait, un amour qui non seulement aspire à l'éternité
mais qui la donne de fait. La foi chrétienne vit de cette vérité qu'il n'y a
pas seulement un sens objectif, mais que ce Sens me connaît et m'aime, que
je puis m'y abandonner avec le geste de l'enfant qui sait que tous ses
problèmes sont résolus dans le « tu » de la mère. Ainsi foi, confiance et
amour ne forment finalement qu'une seule et même chose; toutes les vérités
de la foi ne sont que les expressions concrètes de cette option fondamentale
: « Je crois en Toi », de la découverte de Dieu dans le visage de l'homme
Jésus de Nazareth.
Bien sûr, tout cela ne supprime pas pour autant la réflexion
- nous l'avons constaté plus haut. « Es-tu bien celui-là
? » : telle fut la
question, qu'en une heure de sombre angoisse, Jean-Baptiste fit poser, en
son nom, par ses disciples au rabbi de Nazareth, en qui il avait reconnu son
Supérieur et dont il n'était que le précurseur. « Es-tu bien celui-là
? » Le
croyant éprouvera toujours le lancinement de ce clair-obscur, dont le halo
l'entoure comme d'une prison noire, de laquelle il ne pourra s'échapper.
Ajoutez à cela l'indifférence du monde, qui continue son cours comme si rien
ne s'était passé et qui apparaît comme une ironie en face de son espérance.
« Es-tu bien celui-là ? » : cette question doit être posée non seulement par
honnêteté intellectuelle, et à cause de la responsabilité encourue par notre
raison, mais aussi à cause de la loi profonde de l'amour, qui désire
connaître toujours plus Celui à qui il a accordé son « oui
», pour mieux
pouvoir l'aimer. Toutes ces réflexions sont ordonnées en
dernière analyse à cette question et gravitent autour de ce principe
fondamental de notre confession de foi : « Je crois en Toi, Jésus de
Nazareth », en Toi qui es le Sens (Logos) du monde et de ma vie.
13. Le mot grec logos a toute une
gamme de sens, qui présente une certaine correspondance avec la racine
hébraïque 'mn (Amen) : parole, sens, raison,
vérité.
14. On peut renvoyer à ce propos au passage significatif des Actes
16, 6-10 : (le Saint-Esprit empêche Paul d'annoncer la parole en Asie,
l'Esprit de Jésus ne lui permet pas d'aller en Bithynie, puis vient la
vision et l'appel du Macédonien : « Passe en Macédoine, viens à notre
secours »). Ce texte mystérieux constitue comme un premier essai de «
théologie de l'histoire », cherchant à présenter le passage de l'Evangile en
Europe, « aux Grecs » comme une disposition de Dieu ; -cf. E. PETERSON, «
Die Kirche », dans Theolotische Traktate, Munchen, 1951, pp. 409-429.
15. Cf. H. PRIES, Glauben-Wissen, Berlin, I960, surtout pp. 84-95; - J.
MOUROUX, Je croîs en toi, Paris, 1948; - C. ORNE-LIMA, Der personalc Glaube,
Innsbruck, 1959.
A suivre : Le visage Ecclésial de la Foi
Nous rappelons pour ceux qui ne l'auraient pas lu, le
discours du pape Benoît XVI prononcé aux Bernardins. Ce lieu, demandait le
pape, évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou
n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ? Vient
ensuite le discours du pape sur la nature même du monachisme occidental,
racines de la culture
européenne. A lire absolument
:
ce discours des Bernardins, le jour où Benoît XVI a sidéré le monde
intellectuel
º
Le pape Benoît XVI insiste sur le dialogue entre foi et
raison
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 27.02.2023