Lettre à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Jean-Paul II
Le 24 avril 2023 - E.S.M. - Ce texte a été rédigé, par le pape Benoit XVI, le 4 mai 2020 en prévision du 100e anniversaire de la naissance de saint Jean-Paul II, qui tombait le 18 mai 2020.


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Benoît à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Jean-Paul II

Le 18 mai 2020, le centenaire de la naissance du pape Jean-Paul a été célébré dans la petite ville polonaise de Wadowice.
Après avoir été divisée et occupée pendant plus de cent ans par les trois empires voisins - la Prusse, la Russie et l'Autriche —, la Pologne a retrouvé son indépendance à la fin de la Première Guerre mondiale. Cet événement a suscité de grands espoirs, mais a également exigé de grands efforts, car le nouvel État restauré ressentait constamment la pression des deux puissances voisines, l'Allemagne et la Russie. C'est dans ce contexte d'oppression, mais surtout d'espoir, que grandit le jeune Karol Wojtyla ; il perdit très tôt sa mère, son frère, puis son père, à qui il devait sa profonde et fervente piété. L'attrait particulier du jeune Karol pour la littérature et le théâtre l'a conduit, à la fin de sa scolarité, à étudier ces matières.
Afin d'éviter d'être déporté aux travaux forcés en Allemagne, il commença à l'automne 1940 à travailler comme ouvrier dans la carrière de l'usine chimique Solvay 2. À l'automne 1942, il prit la décision d'entrer au séminaire de Cracovie que l'archevêque Adam Sapieha avait organisé secrètement dans son diocèse. Alors qu'il était encore ouvrier, il commença à étudier la théologie sur de vieux manuels ; il put ainsi être ordonné prêtre le 1er novembre 1946. Il apprit la théologie non seulement dans les livres, mais aussi en tirant des leçons utiles du contexte particulier dans lequel son pays et lui-même se trouvaient. Ceci allait être un trait caractéristique qui marquerait toute sa vie et son activité : il apprend dans les livres, mais vit aussi des questions d'actualité qui le préoccupent. Ainsi, pour lui, en tant que jeune évêque - à partir de 1958 comme évêque auxiliaire, puis de 1964 comme archevêque de Cracovie - le Concile Vatican II a été l'école de toute sa vie et de son œuvre. Les questions importantes qui se sont posées, notamment celles concernant le « Schéma XIII » — la future constitution Gaudium et Spes -, étaient également les siennes. Les réponses élaborées au concile lui indiquèrent l'orientation qu'il aurait à donner à son travail, d'abord en tant qu'évêque, puis en tant que pape.

Lorsque le 16 octobre 1978 le cardinal Wojtyla fut élu successeur de saint Pierre, l'Église se trouvait dans une situation dramatique. Les délibérations du concile furent présentées en public comme une dispute sur la foi elle-même, foi qui semblait ainsi privée de son caractère infaillible et inviolable. Un curé bavarois a décrit la situation en ces termes : « En fin de compte, nous sommes tombés dans une foi erronée. » Ce sentiment que plus rien n'était certain, que tout pouvait être remis en question, a été encore alimenté par la manière dont la réforme liturgique a été menée. Finalement, il semblait que, même dans la liturgie, tout pouvait être remis en question. Paul VI a conduit le Concile avec vigueur et détermination jusqu'à sa conclusion, après quoi il a été confronté à des problèmes de plus en plus difficiles, qui ont fini par ébranler l'Église elle-même. Les sociologues de l'époque comparaient la situation de l'Église à celle de l'Union soviétique sous Gorbatchev, où, dans la recherche des réformes nécessaires, c'est toute l'image puissante de l'État soviétique qui a fini par s'effondrer.
C'est donc une tâche très difficile à affronter avec les seules capacités humaines qui s'est présentée au nouveau pape. Mais, dès le début, se révéla chez Jean-Paul II la capacité de susciter une admiration renouvelée pour le Christ et pour son Église. Les paroles qu'il prononça au début de son pontificat, son cri, avaient valeur de principe : « N'ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez grand les portes au Christ ! » Ce ton a caractérisé tout son pontificat, faisant de lui un rénovateur et un libérateur de l'Église. Et cela, parce que le nouveau pape venait d'un pays où le Concile avait été accueilli favorablement. Là-bas, on ne doutait pas de tout, mais on renouvelait tout avec joie.
Au cours des cent quatre grands voyages pastoraux qui l'ont conduit à travers le monde entier, le pape a prêché l'évangile comme une bonne nouvelle, joyeuse, expliquant également que c'était ainsi qu'il fallait accueillir le bien et le Christ.
En quatorze encycliques, il a présenté d'une manière nouvelle la foi de l'Église et son enseignement humain ; ce qui inévitablement, a suscité des oppositions dans les Églises occidentales en pleine remise en question.
Il me semble important aujourd'hui d'indiquer à partir d'où lire avec justesse le message contenu dans ses différents écrits, message qui s'imposa à nous tous à l'heure de sa mort. Le pape Jean-Paul II est retourné à Dieu aux premières heures de la fête de la Miséricorde divine, fête qu'il avait lui-même instituée. Je voudrais d'abord citer ici une petite anecdote personnelle, qui nous révèle un aspect important pour comprendre la nature profonde de ce pape et sa manière d'agir. Très tôt, Jean-Paul II a été fortement marqué par le message de sœur Faustine Kowalska (Vie et message de Sainte Faustine) la religieuse de Cracovie, message qui présentait la miséricorde de Dieu comme le centre essentiel de toute la foi chrétienne, et il avait voulu instaurer une fête de la Miséricorde divine. Après consultation, le pape envisagea de la fixer au dimanche in albis. Toutefois, avant de prendre une décision définitive, il demanda l'avis de la congrégation pour la Doctrine de la Foi afin d'évaluer la pertinence de ce choix. Nous avons donné une réponse négative, estimant que, à une date aussi importante, ancienne et significative que le dimanche in albis, il ne fallait pas ajouter de nouvelles thématiques. Pour le Saint-Père, accepter notre « non » n'a certainement pas été facile ; mais il l'a fait en toute humilité et il a accepté notre deuxième « non ». Finalement, il a présenté une proposition qui, tout en laissant au dimanche in albis sa signification historique, lui permettait d'intégrer la miséricorde de Dieu en son acception originelle. Il y a eu de nombreux cas où j'ai été impressionné par l'humilité de ce grand pape, qui pouvait renoncer aux idées qui lui étaient chères lorsqu'il n'obtenait pas l'accord des organes officiels qu'il devait, selon les procédures officielles, solliciter.
Lorsque Jean-Paul II rendit son dernier souffle, l'heure des premières vêpres de la fête de la Divine Miséricorde venait de passer; cela illumina l'heure de sa mort: la lumière de la miséricorde de Dieu a brillé sur sa mort comme un message de réconfort. Dans son dernier livre, Mémoire et identité, publié presque à la veille de sa mort, le pape présentait encore en quelques mots le message de la miséricorde divine. Il y soulignait que sœur Faustine, bien que morte avant les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, avait déjà diffusé la réponse du Seigneur à ces horreurs. « Le mal ne remporte pas la victoire finale ! Le mystère pascal confirme que le bien est finalement victorieux, que la vie est plus forte que la mort et que l'amour triomphe de la haine. »
La vie entière du pape fut centrée sur la décision d'accepter subjectivement comme sien le centre objectif de la foi chrétienne - l'enseignement du salut - et de permettre aux autres de l'accueillir eux aussi. Grâce au Christ ressuscité la miséricorde de Dieu est pour tous. Même si ce fondement de l'existence chrétienne ne nous est donné que par la foi, il a aussi une signification philosophique, puisque la miséricorde divine n'étant pas un donné de fait, nous devons aussi nous accommoder d'un monde dans lequel l'équilibre final entre le bien et le mal n'est pas reconnaissable. En définitive, au-delà de cette signification historique objective, chacun doit indispensablement savoir que la miséricorde de Dieu se révélera finalement plus forte que notre faiblesse. C'est ici que nous devons trouver l'unité intérieure du message de Jean-Paul II et les intentions fondamentales du pape François : contrairement à ce qui est parfois dit, Jean-Paul II n'était pas un moraliste rigide. En démontrant l'importance essentielle de la miséricorde divine, il nous donne la possibilité d'accepter les exigences morales imposées à l'homme, même si nous ne pouvons jamais y répondre pleinement. Nos efforts moraux sont entrepris à la lumière de la miséricorde de Dieu, qui se révèle être une force qui guérit notre faiblesse.
Lors de la mort de Jean-Paul II, la place Saint-Pierre était remplie de gens, en particulier de jeunes, qui souhaitaient revoir leur pape une dernière fois. Je n'oublierai jamais le moment où l'archevêque Leonardo Sandri a fait part du décès du pape, ni celui où la grande cloche de Saint-Pierre a annoncé cette nouvelle. Le jour des funérailles du Saint-Père, on pouvait voir de nombreuses pancartes portant l'inscription « Santo subito ». Cette clameur s'est élevée de toutes parts. En outre, non seulement sur la place Saint-Pierre, mais aussi dans différents cercles intellectuels, on évoqua la possibilité d'accorder à Jean-Paul II d'accoler « le Grand » à son nom.
Le mot « saint » renvoie à la sphère divine tandis que le mot « grand » désigne la dimension humaine. Selon les principes de l'Église, la sainteté est évaluée sur la base de deux critères : les vertus héroïques et les miracles. Ces deux critères sont étroitement liés l'un à l'autre. Le concept de « vertus héroïques » ne signifie pas un succès olympique, mais le fait que ce qui est visible dans une personne ne trouve pas sa source dans l'homme lui-même mais révèle l'action de Dieu en lui. Il ne s'agit pas d'une compétition morale, mais d'un renoncement à sa propre grandeur. Il s'agit d'un homme qui permet à Dieu d'agir en lui et de rendre ainsi visible l'action et la puissance de Dieu à travers lui.
Il en va de même pour le critère du miracle. Ici aussi, il ne s'agit pas de quelque chose de sensationnel, mais du fait que la bonté du Dieu qui guérit se rend visible d'une manière qui dépasse les capacités humaines. Un saint est un homme ouvert, pénétré par Dieu. Un saint est une personne ouverte à Dieu, imprégnée de Dieu. Un saint est quelqu'un qui n'attire pas l'attention sur lui-même mais nous fait voir et reconnaître Dieu. Le but des procès de béatification et de canonisation est précisément de l'examiner autant que possible selon les normes du droit. Pour Jean-Paul II, les deux processus se sont déroulés dans le strict respect de la loi. Il se tient donc maintenant devant nous comme un père qui nous montre la miséricorde et la bonté de Dieu.
Il est plus difficile de définir correctement le terme « Grand ». Au cours des presque deux mille ans d'histoire de la papauté, l'appellation de « Grand » n'a été conférée qu'à deux papes : Léon Ier (440-461) et Grégoire Ier (590-604). Le mot de « Grand » a une connotation politique dans les deux cas, mais au sens où, à travers les réalisations politiques quelque chose du mystère de Dieu lui-même est révélé. Léon le Grand, lors d'une entrevue avec le chef des Huns Attila, a obtenu de celui-ci qu'il épargne Rome, la ville des apôtres Pierre et Paul. Sans armes, sans pouvoir militaire ou politique, il a réussi à persuader le terrible tyran d'épargner Rome grâce à la force de sa foi. Dans la lutte de l'esprit contre le pouvoir, l'esprit s'était montré le plus fort.
Grégoire Ier n'a pas connu un succès aussi spectaculaire, mais il a néanmoins réussi à sauver Rome des Lombards à plusieurs reprises, en opposant également l'esprit au pouvoir.
Lorsque l'on compare l'histoire de l'un et l'autre avec celle de Jean-Paul II, la similitude est indéniable. Jean-Paul II n'avait pas non plus de force militaire ni de pouvoir politique. En février 1945, lorsqu'on discutait de la forme future de l'Europe et de l'Allemagne, quelqu'un fit remarquer que l'on devait tenir compte de l'opinion du pape. Staline a alors demandé: « Le pape, combien de divisions ? » Bien sûr, il n'en avait pas. Mais le pouvoir de la foi s'est révélé être une force qui, à la fin de 1989, a renversé le système de pouvoir soviétique et a permis un nouveau départ. Il ne fait aucun doute que la foi du pape a été un élément important pour briser ce pouvoir. Et là aussi, nous pouvons certainement constater la grandeur qui s'est manifestée, comme dans le cas de Léon Ier et Grégoire Ier.
La question de savoir si l'appellation de « Grand » sera acceptée ou non dans ce cas doit être laissée ouverte. Il est vrai qu'en Jean-Paul II, la puissance et la bonté de Dieu sont devenues visibles pour nous tous. À l'heure où l'Église souffre à nouveau des assauts du mal, il est pour nous un signe d'espérance et de réconfort.
Cher saint Jean-Paul II, priez pour nous !

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Homélie de la messe de canonisation


Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI - E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 24.04.2023