Vers le conclave. Même une mauvaise diplomatie peut nuire à l’Église
Le 23 juillet.2024 -
E.S.M.
- Dans le collège des cardinaux, certains voient en
Parolin le candidat qui pourrait succéder à François
pour remettre un peu d’ordre dans l’agenda de l’Église,
avec cette prudence et cette méthode propres aux
diplomates, son premier métier.
Le
cardinal Parolin -
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Vers le conclave. Même une mauvaise diplomatie peut nuire à l’Église
Le 23 juillet 2024 -
E.S.M. -
Pendant qu’outre-Atlantique, le poids des années a mis hors-jeu Joe
Biden dans sa course à la Maison Blanche contre Trump, à Rome, un
pape encore plus âgé, à la veille de ses 88 ans et à la démarche
plus que chancelante, programme tranquillement pour septembre un
voyage épuisant dans les mers du Pacifique entre Indonésie,
Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor oriental et Singapour avant de
reconvoquer en octobre un synode mondial qui traîne tellement en
longueur que l’on sait quand il a commencé mais pas quand il finira,
comme s’il fallait transformer l’Église en un synode permanent.
Jean-Claude Hollerich, 66 ans, un cardinal jésuite qui s’est fait
l’interprète habile de Jorge Bergoglio, n’a pas caché sa satisfaction en
déclarant dans une interview fleuve à Gerald O’Connell pour le numéro du 12
juillet d’« America » qu’« à ce stade, il est vraiment difficile de bloquer
ce processus », et qu’il ne peut pas non plus « imaginer que l’Église
revienne en arrière », même si c’est un autre pape qui devait succéder à
François, qui qu’il soit.
Parce qu’Hollerich lui-même est considéré comme l’un des candidats à la
succession, il serait d’ailleurs celui qui serait le plus en continuité avec
le pontifical actuel. François lui a confié un rôle clé au synode, celui de
rapporteur général. Il est hautement improbable qu’il puisse sortir élu d’un
conclave mais il est intéressant de remarquer comment il envisage l’avenir
de l’Église.
Dans l’interview pour « America », Hollerich compare l’époque actuelle
aux premiers siècles, quand l’Église était en forte minorité et parfois
persécutée, mais créative. Mais à la différence de l’Église de cette époque,
qui employait toutes ses énergies pour imprimer dans la culture de son temps
les nouveautés essentielles de la foi chrétienne, l’agenda qu’il associe à
l’Église d’aujourd’hui est substantiellement celui qui lui est dicté par le
monde : nouvelle morale sexuelle, prêtres mariés, femmes diacres et prêtres,
un surcroît de démocratie, l’agenda mâché et remâché sur lequel s’épuise
depuis des années l’Église d’Allemagne et dont le Pape François a
provisoirement mis à l’abri le synode mondial du fait de l’impossibilité
évidente d’en tirer immédiatement des solutions partagées, se bornant à
faire tirer quelques coups de semonce par son théologien de cour, le
cardinal Victor Manuel Fernández, parachuté à la tête du Dicastère pour la
Doctrine de la foi après la disparition de Joseph Ratzinger, avec par
exemple cette autorisation de bénir les couples homosexuels qui a provoqué
la révolte en chœur des évêques de l’unique continent dans lequel les
chrétiens sont en croissance au lieu de diminuer, l’Afrique, et qui a
aggravé la rupture avec les Églises orthodoxes d’Orient.
Mais bien plus qu’Hollerich, deux autres candidats à la succession, eux
aussi considérés comme étant en continuité avec François, bien qu’avec des
corrections plus ou moins importantes, concentrent les craintes et les
faveurs en cette veille de conclave à la durée imprévisible : les cardinaux
Matteo Zuppi et Pietro Parolin, tous deux âgés de 69 ans et italiens.
Le cardinal Zuppi a la capacité, typique de la Communauté de Sant’Egidio
à laquelle il appartient depuis toujours, de dire sans dire, d’entrebâiller
sans jamais ouvrir en grand, et de fuir les questions clivantes. Il
ressemble en cela au Pape François, passé maître dans l’art de se
contredire, et ce dernier lui a d’ailleurs confié à plusieurs reprises des
charges et des missions de grande importance. Mais un observateur attentif
tel que le vaticaniste américain Josh Allen a également mis en évidence
certaines
frictions récentes entre eux deux, surtout en ce qui concerne les
relations avec l’actuel gouvernement italien, des frictions susceptibles de
constituer le prélude d’une chute en disgrâce de Zuppi, comme cela a déjà
été le cas pour bien d’autres membres illustres du cercle des préférés du
Pape, avant d’être ensuite chassés et humiliés par lui.
Quant au cardinal Parolin, son rôle de secrétaire d’État implique une
adhésion institutionnelle aux lignes directrices du pontificat actuel, mais
ces années ont aussi été pour lui un exercice de patience, vu comment
François l’a maltraité, d’abord en l’excluant du cercle rapproché des
cardinaux, aujourd’hui au nombre de neuf, appelés à conseiller le Pape dans
le gouvernement de l’Église universelle, ensuite en dépouillant la
Secrétairerie d’État d’un grand nombre de ses prérogatives et de la totalité
de son bas de laine, avant de l’humilier encore une fois devant le monde
entier devant les tribunaux à cause de l’acquisition malheureuse d’un
coûteux immeuble de rapport à Londres.
C’est pour cette raison que dans le collège des cardinaux, certains
voient en Parolin le candidat qui pourrait succéder à François pour remettre
un peu d’ordre dans l’agenda de l’Église, avec cette prudence et cette
méthode propres aux diplomates, son premier métier.
Mais c’est précisément la diplomatie qui constitue le point faible du
curriculum de Parolin. Et c’est également celui qui est le plus exposé aux
critiques, non seulement à cause de la série d’échecs ou d’accords
discutables, comme en Chine, qui ont apporté à l’Église plus de problèmes
que d’avantages, mais plus encore à cause de sa méthode de travail – appelée
l’Ostpolitik – qui depuis ses débuts, en pleine guerre froide, a
immédiatement été contestée, principalement par ceux qui en ont payé le prix
fort aux limites du martyre, dans les pays communistes.
À sa manière, le Pape François a adopté cette méthode dans le domaine
international, comme le prouvent ses silences complets sur la persécution
des chrétiens dans plusieurs pays, et pas seulement le Chine. Et Zuppi, son
délégué personnel sur bien des fronts, fait pareil, trop arrangeant aussi
bien avec la
Russie qu’avec la
Chine, où la Communauté de Sant’Egidio tisse sa toile depuis des années.
Et le corps diplomatique du Vatican, qui dépend de la Secrétairerie d’État,
ne peut pas non plus trop se démarquer de ces lignes directrices, clairement
privilégiées par le pape.
La nouveauté c’est que ces derniers, jours, on assiste à une critique
ouverte et franche de cette méthode diplomatique, notamment au sein du
collège des cardinaux qui élira tôt ou tard le successeur de François. Et il
est clair que cette critique vient torpiller les candidatures de Zuppi et de
Parolin.
*
Cette critique émane du cardinal
Dominik Duka, 81 ans, dominicain, théologien de valeur et archevêque de
Prague entre 2010 et 2022, qui a payé en prison le prix de l’oppression
communiste.
Son réquisitoire a été publié le 9 juillet dans le quotidien italien « Il Foglio » sous le titre « Il coraggio che serve alla Chiesa ». Et il
s’inspire de deux colloques, un à Milan et un autre à Rome le 20 et 21 mai
dernier, organisés pour le centenaire du Concile de Shanghai de 1924 par la
Communauté de Sant’Egidio qui a invité comme orateurs deux évêques chinois
parmi les plus proches du régime de Xi Jinping, ainsi que le cardinal
Parolin et plusieurs experts.
L’analyse la plus approfondie des deux colloques a été publiée le 23 mai
par le directeur d’« Asia News »,
Gianni Criveller, théologien et sinologue, qui a longtemps été
missionnaire en Chine. Ce dernier a sévèrement critiqué ceux qui voudraient
réduire l’émergence du catholicisme dans ce pays à un produit du
colonialisme occidental en passant sous silence l’originalité de nombreuses
actions missionnaires et « en fermant même les yeux sur les campagnes de
persécution religieuses ».
Alors qu’en revanche, la réalité actuelle qu’il faudrait dénoncer est
bien différente :
« Ce n’est pas le nationalisme des puissances européennes qui menace la
liberté de l’Église en Chine, mais plutôt le nationalisme inculqué par les
autorités politiques à travers la pratique de la sinisation. La politique
religieuse inspirée de cette politique conditionne de manière invasive et
envahissante tous les aspects de la vie des communautés et des organismes
religieux. Le problème fondamental de l’Église en Chine aujourd’hui, c’est
sa liberté. Liberté non pas des nationalismes passés mais du nationalisme
actuel ».
À partir de ce constat, le cardinal Duka va « reparcourir l’histoire et
les résultats de la diplomatie papale », qu’il synthétise et critique comme
suit dans les principaux passages de son texte :
« À la fin des années 1950, on a assisté à une transformation du service
diplomatique du Saint-Siège. On a commencé à délaisser les principes de la
lutte pour la liberté et pour la dignité humaine au profit d’une politique
de détente, qui était surtout promue par la gauche et par les États
communistes. La diplomatie du Vatican a favorisé une forme de réalisme et de
diplomatie silencieuse (qu’on a appelé l’Ostpolitik) qui fonctionnait de
manière semblable à celle des États nationaux, qui faisaient parfois
l’impasse sur leurs propres valeurs et sur l’État de droit pour atteindre
leurs objectifs. »
« La diplomatie vaticane aspirait à conclure des accords bilatéraux avec
les États pour protéger la vie des communautés locales, en allant jusqu’à
sacrifier les désirs et les attentes des Églises locales. Dans sa tentative
de « coopérer » avec les régimes communistes, le Vatican a essayé d’adopter
une méthode plus douce, cédant sur des sujets liés aux droits de l’homme et
à la liberté religieuse. »
« Cette diplomatie silencieuse fut habilement dépassée sous le Pape
Jean-Paul II. Ce dernier a fortement soutenu la lutte pour la dignité et
pour les droits de la personne créée à l’image de Dieu, pour le bien
fondamental de la famille et l’autonomie de la nation. »
« Aujourd’hui, l’Église fait face à des menaces et à des défis
différents. En Occident en général, et y compris dans mon pays, la
République Tchèque, on assiste à des tentatives d’exclure l’Église et la
vérité sur la personne humaine et de la reléguer à l’écart de la sphère
publique. »
« En-dehors de l’Occident, les menaces qui pèsent sur les libertés
fondamentales sont encore plus graves. Alors que le Saint-Siège, au nom du
réalisme, semble préférer échanger le territoire ukrainien contre une paix
avec la Russie, cet accord qui n’a pas encore été atteint est malgré tout
meilleur que l’accord secret conclu avec le gouvernement chinois ».
« Tout comme le silence et la complicité avec le régime communiste ont
abîmé mon pays et ont facilité l’emprisonnement des dissidents par le
gouvernement, le silence de l’Église face aux abus des droits humains
perpétrés par la Chine communiste se fait au détriment des catholiques
chinois. Nina Shea, chercheuse à l’Hudson Institute, documente comment huit
évêques catholiques chinois sont détenus à durée indéterminée en l’absence
de procès. Nous savons que le grand cardinal Joseph Zen a été arrêté et se
trouve actuellement sous contrôle et sous surveillance de l’État. Jimmy Lai,
converti au catholicisme et propriétaire d’un journal, a été détenu en
isolement à Hong Kong pendant plus de trois ans. »
« Vaclav Havel, avec lequel j’ai une fois partagé une cellule de prison,
écrivait que la seule manière de combattre un régime totalitaire est pour
chacun de nous d’avoir le courage de choisir de vivre la vérité de nos
propres vies, sans se soucier des conséquences ».
« Aujourd’hui, nous nous retrouvons à nouveau à devoir affronter des
dictatures et des idéologies totalitaires. Et encore une fois, des individus
courageux sont en train de payer pour avoir osé s’y opposer. Encouragée par
de tels témoignages modernes, connus et inconnus, la diplomatie vaticane
doit retrouver sa voix et l’élever pour s’unir à eux et défendre de la
personne humaine et l’Évangile. Encore une fois, voici venu le temps du
courage ».
*
L’accord secret avec le gouvernement chinois auquel le cardinal Duka fait
référence a été ratifié en septembre 2018 pour une durée de deux ans et sera
certainement été renouvelé pour la troisième fois, sans modification, à
l’automne de cette année.
Il porte sur la nomination des évêques, dont le choix est confié aux
autorités de Pékin, et que Rome est dans les faits forcée de subir, comme
cela a été le cas en 2023 avec l’imposition unilatérale à Shanghai de
l’évêque Joseph Shen Bin, un apparatchik du régime (sur la photo en haut
avec le cardinal Parolin).
La Chine ne semble pas non plus tenir compte le moins du monde du désir
de Rome – rappelé par le cardinal Parolin en marge des colloques de mai sur
le centenaire du Concile de Shanghai – de permettre aux évêques contraints à
la clandestinité par le régime en tant qu’opposants d’intégrer la Conférence
épiscopale chinoise, et pas même d’accueillir une représentation
diplomatique stable de l’Église de Rome en Chine.
*
Pour revenir à la confrontation en vue du conclave, il faut également
noter qu’il n’y a pas qu’au sein du collège des cardinaux que des voix
s’élèvent en public pour exprimer de manière étonnamment explicite leurs
critiques sur l’état actuel de l’Église, certaines sont également issues des
hautes sphères de la Curie vaticane.
On doit la dernière sortie significative à
Sergio Pagano, 75 ans, dans une interview de Massimo Franco pour le
« Corriere della Sera » du 13 juillet pour couronner ses vingt-sept années
en tant que préfet des archives apostoliques du Vatican.
Voici la réponse de Mgr Pagano à la question de savoir s’il voyait dans
l’Église d’aujourd’hui une décadence ou une renaissance :
« C’est triste, après le Concile Vatican II, il y a eu une débandade
générale : trop d’attentes. On a créé du désordre dans la discipline, dans
les séminaires et dans les athénées pontificaux. La doctrine est entrée dans
une crise toujours plus profonde. Et dans ce climat d’incertitude, c’est une
confusion ostentatoire qui a triomphé. Je constate la désorientation des
fidèles et une certaine décadence de la pensée théologique. La pastorale
elle-même est réduite à la charité pour la charité, sans inspiration
verticale, sans la foi ».
Il sera difficilement imaginable que dans un futur conclave, des voix ne
s’élèvent pour demander avec insistance un changement de cap, si vraiment
l’Église d’aujourd’hui se trouve dans un telle « confusion ostentatoire ».
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.07.2024