Interview du Cardinal Vingt-Trois
Le 22 mars 2008 -
(E.S.M.) - Nous fêtons Pâques dimanche. Comment, dans une
société française de plus en plus sécularisée, faire comprendre le sens
de la « résurrection » ? C'est la première question posée au cardinal
Vingt-Trois lors d'une interview dans Pèlerin.
Le Cardinal Vingt-Trois,
Archevêque de Paris
Interview du Cardinal Vingt-Trois dans Pèlerin
Nous fêtons Pâques dimanche. Comment, dans une
société française de plus en plus sécularisée, faire comprendre le sens de
la « résurrection » ?
Notre devoir de chrétiens n’est pas de trouver une formule magique destinée
à convaincre nos contemporains. En revanche, nous pouvons les aider à se
poser certaines questions. En voici deux. Premièrement, que veut dire aimer
? A travers le récit de la Passion, Dieu donne une réponse : c’est être
capable de se donner tout entier, d’aimer « jusqu’au bout ». Ensuite, la
question de la mort et de la vie. Nous observons, à travers l’histoire, une
peur commune de la mort et, actuellement, des tentatives diverses pour la
dissimuler, pour éviter le choc de la mort à l’œuvre dans le monde, celle de
nos proches et finalement, la nôtre... Comment réagir ? La mort est-elle la
fin de tout, ou peut-elle être replacée dans un autre registre, celui de la
vie ? La résurrection du Christ, c’est l’affirmation que l’amour est plus
fort que la mort. Tel est notre message d’espérance à l’occasion de Pâques.
Compte tenu des rythmes actuels de vie et de
travail en France, Pâques, Noël, la Pentecôte, et même le dimanche, perdent
peu à peu leur caractère religieux. Cette évolution est-elle irréversible ?
Ce qui est valable dans un petit espace de sécularisation, - à savoir
l’Europe occidentale -, ne l’est pas forcément à l’échelle universelle. Le
mode de vie qui s’est élaboré dans nos sociétés depuis les débuts de l’ère
moderne rend-il les hommes plus heureux ? Certes, ils sont moins malheureux,
moins soumis aux contraintes matérielles de l’existence. Mais ont-ils pour
autant progressé dans le bonheur ? Je ne le pense pas. Sinon, nous ne
serions pas les champions du monde de la vente de neuroleptiques !
Commençons par votre responsabilité d’archevêque de Paris. Quelles sont vos
priorités pour la capitale ?
Je souhaite prolonger l’élan missionnaire donné par mon prédécesseur, le
cardinal Lustiger, dont les Journées mondiales de la jeunesse
(JMJ), en 1997, ou l’opération Paris-Toussaint
2004 furent des points d’orgue. En décembre 2005, j’avais convié tous les
catholiques parisiens à investir le champ social, la réflexion éthique, les
jeunes et la famille. Nous allons achever un cycle de visites pastorales et
définir des orientations communes pour l’action du diocèse de Paris. Ce
travail se fera dans des « Assisse diocésaines pour la Mission » au cours de
la prochaine année scolaire. Il coïncidera avec l’ouverture du Collège des
Bernardins qui offrira un centre de rencontre et de dialogue sur les grandes
questions de notre société.
Si la capitale est en apparence moins touchée,
l’effondrement de la pratique et la crise des vocations n’épargnent pas
l’Église de France, dont vous présidez depuis peu la conférence des évêques.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Certaines convictions, certaines expériences s’appliquent à tout le pays
autant qu’à Paris. A commencer par la remise en cause du postulat, dominant
dans les années 70, selon lequel le christianisme serait en fin de parcours.
Trente ans plus tard, force est de constater qu’il n’est toujours pas
enterré. Pour reprendre l’expression de l’écrivain Georges Suffert, « le
cadavre de Dieu bouge encore ». Après ce constat en creux, une certitude
: la Parole de Dieu a quelque chose à dire aux hommes d’aujourd’hui. Les
chrétiens ne sont pas seulement les gestionnaires d’une religion sociale
assurant les baptêmes, les mariages et les enterrements...
Sur quels exemples précis fondez-vous cette
conviction ?
Le million de personnes présentes aux JMJ, en 1997, et le succès de Paris
Toussaint 2004 ne dépendaient pas des seuls catholiques familiers de nos
églises ou de nos associations. Une partie de ce public n’était pas
forcément fervent ou engagé. Ainsi, lorsque l’Évangile est présenté comme
une expérience vécue, et non comme un slogan publicitaire, je constate qu’il
intéresse nos contemporains. Nous n’en sommes plus au temps où, dans les
années 50, le christianisme n’était plus perçu comme une référence
pertinente. Aujourd’hui, des intellectuels et des non-croyants s’interrogent
positivement au sujet de l’Église et de ce qu’elle propose à la société.
Vous semblez dire qu’il est temps, pour les
catholiques, de redresser la tête...
En tout cas, qu’ils ne soient pas en retard d’un combat ! Nous fondre dans
le décor puisque plus personne ne veut nous écouter... Mener notre vie le
plus honnêtement possible en préservant notre piété dans un petit sanctuaire
personnel... Ces attitudes d’hier ne sont plus en phase avec la société
d’aujourd’hui. Les chrétiens doivent se convaincre que l’Évangile n’est pas
un produit du passé dont on gèrerait les restes le plus paisiblement
possible, mais un produit d’avenir. Ni défaits, ni soumis, ni provocateurs,
les chrétiens existent. Ils sont dépositaires d’une force, d’une sagesse
qu’il leur faut apprendre à remettre au service des autres.
Au mois de septembre, Benoît XVI devrait se rendre
en France. Notre pays joue-t-il un rôle particulier dans l’Église ?
Le pape Benoît XVI vient d’abord en pèlerinage à Lourdes, pour les
150 ans des apparitions de la Vierge Marie. Quant à la France, elle est un
pays comme les autres dans la vie de l’Église. Pourtant, le regard que l’on
porte sur elle depuis l’étranger est plus aiguisé. Nos qualités de réflexion
suscitent en permanence l’attention, avec cette double conséquence : ce qui
marche dans l’Hexagone est considéré comme prémonitoire, mais quand une
expérience échoue, cela prend des allures de catastrophe...
La laïcité est une des caractéristiques de la
République française. Or celle-ci a fait l’objet, ces derniers mois, de
multiples déclarations de Nicolas Sarkozy. Approuvez-vous sa conception de
la « laïcité positive » ?
Pour avoir entendu le président de la République s’exprimer à plusieurs
reprises sur ce thème, je pense que ses convictions sont réelles. Par
ailleurs, les propos qu’il a tenus à Rome ne sont pas si novateurs qu’il y
paraît : quand le général De Gaulle disait au pape que « la France est une
nation chrétienne », il n’exprimait pas quelque chose de très différent.
L’essentiel est de pousser la société française à réfléchir : nos
concitoyens veulent-ils vraiment d’une société où les religions
n’apparaissent pas ? Avec la place prise par l’islam, cette question ne se
pose plus comme il y a 30 ou 40 ans, lorsque le catholicisme était la
référence dominante.
C’est-à-dire ?
Sans rien changer au cadre législatif, la société française est invitée à
redéfinir ses « marqueurs » religieux : la neutralité de l’État, telle
qu’elle se concevait lorsque 80 % de la population se reconnaissait dans le
christianisme, ne recouvre plus le même sens aujourd’hui. Quant aux
religions, elles ne prétendent évidemment pas jouer dans la société de 2008
le même rôle qu’au XIXème siècle ! Ceux qui persistent dans cette vision de
la laïcité n’ont aucun sens des évolutions historiques. Cela porte un nom :
le dogmatisme. La laïcité devient un laïcisme qui n’est plus un mode de
fonctionnement des institutions, mais comme une religion en soi.
Immigration, justice, repos dominical... Des
évêques, mouvements et associations catholiques ne se sont pas privés
d’intervenir, ces derniers mois, pour faire valoir leurs désaccords avec des
projets de réforme du gouvernement. Avez-vous le sentiment d’être entendus ?
Nous sommes entendus. Cela dit, exprimer publiquement un désaccord n’est pas
une fin en soi. S’il s’agissait de se faire remarquer, je pourrais le faire
toutes les semaines pour le seul plaisir de me sentir utile... Mais pour
quelle efficacité ? En politique, la façon la plus efficace de progresser
n’est pas forcément d’obtenir de la place dans les journaux. D’autres moyens
d’action sont quotidiennement mis en oeuvre. Dans le domaine du logement par
exemple, l’action des catholiques, notamment par le Secours catholique a
infiniment plus de poids que des déclarations médiatiques.
En 2009, les lois de bioéthique devraient être actualisées. Quand et comment
l’Église compte-t-elle participer à la réflexion ?
Tout le monde sait déjà ce que pensent les évêques sur des sujets comme la
protection de l’embryon ou des personnes en fin de vie. Un groupe de travail
a même été constitué au sein de notre conférence, dont les premiers
résultats nous seront communiqués à Lourdes, début avril. Quel est notre
but, là encore ? Aider les évêques à dialoguer avec les parlementaires de
leurs diocèses. Les élus sont confrontés à des questions si nombreuses et
complexes qu’ils ne peuvent pas les maîtriser toutes. Si les évêques peuvent
les aider à une réflexion plus large, dégagée de la pression ambiante, cela
peut faire avancer le bien commun.
Vous avez tout de même réclamé, à plusieurs
reprises, que l’embryon soit « traité comme une personne » sans pour autant
remettre en cause la loi dépénalisant l’IVG. Est-ce vraiment compatible ?
Ce n’est pas moi qui ai demandé que l’avortement soit dépénalisé... Cela
relève de la responsabilité du législateur. En attendant, comme dans toutes
les situations que nous ne maîtrisons pas, nous demandons que le principe de
précaution si souvent invoqué soit appliqué et donc que l’embryon soit
protégé par un statut juridique. Si je veux faire progresser la manière de
traiter l’embryon, je ne pense pas que le déclenchement d’une nouvelle
guerre à propos de la loi de 1975 soit la meilleure formule.
Concernant l’euthanasie, une partie de l’opinion, y
compris des chrétiens, reprochent à l’Église son manque de compassion
vis-à-vis des souffrances de tel ou tel relayées par les médias. Que leur
répondez-vous ?
Ne nous laissons pas enfermer par l’émotion qu’engendre la médiatisation de
drames individuels. La question n’est pas de désigner qui, dans ces
situations, a tort ou raison, mais de savoir quelle société nous voulons.
Les facultés de médecine doivent-elles enseigner à leurs étudiants des
techniques de mise à mort de leurs futurs patients ? Les enfants sont-ils
des objets de satisfaction que l’on peut se procurer à n’importe quel prix ?
Voulons-nous, au fond, une société marchande privilégiant le désir sur
toutes les autres considérations ? Il n’y aurait alors plus d’espace pour la
raison. Au nom de cette dernière, évitons de légiférer à partir de
situations particulières et sachons mettre en œuvre les solidarités
nécessaires pour que ces personnes qui souffrent soient accompagnées dans la
proximité.
Autre sujet brûlant, la lutte contre les sectes. Le
changement d’approche du gouvernement - moins de prévention et plus de
répression d’une part, distinction entre sectes et nouveaux mouvements
religieux d’autre part - représente-t-il, selon vous, un progrès ?
Tout d’abord, la législation n’a pas été modifiée. Ensuite, qui est capable
d’établir la différence entre ce qui est une secte et ce qui ne l’est pas ?
Ou bien le gouvernement se transforme en tribunal d’inquisition, distinguant
entre les bonnes religions et les mauvaises : on entrevoit alors les litiges
que cela entraînerait... Ou bien les pouvoirs publics continuent, comme
c’est le cas aujourd’hui, d’intervenir légitimement sur les questions
d’ordre public et la justice sur des délits caractérisés. Lorsque la
Préfecture de police autorise l’organisation d’un chemin de croix dans la
rue, elle ne prend pas position sur la résurrection du Christ mais sur
l’absence de trouble sur la voie publique.
Dans beaucoup de pays du monde, la liberté
religieuse est remise en cause. En Irak, l’archevêque chaldéen de Mossoul a
été retrouvé mort deux semaines après son enlèvement. Comment réagissez-vous
?
Avec beaucoup de peine et une grande préoccupation. Ma peine vient de ce qui
est arrivé à Mgr Rahho et à ses compagnons, de ce qui menace les communautés
chrétiennes en Irak et de ce que subit le peuple irakien qui est entraîné
dans une spirale de violence infernale. Ma préoccupation concerne les
communautés chrétiennes du Moyen-Orient et leur avenir. Leurs membres,
malgré le courage dont ils font preuve, vont-ils être acculés à quitter leur
terre, leurs familles et leurs pays pour survivre ? J’ai exprimé ces
sentiments aux communautés chaldéennes de France dont je suis l’Ordinaire,
et je les ai assurées de la prière et du soutien de nos communautés
chrétiennes françaises comme je l’avais fait avec le Conseil des Églises
chrétiennes en France il y a quelques jours.
Propos recueillis par Paula Boyer,
Vincent Cabanac et Samuel Lieven
Sources : Diocèse de
Paris
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.03.08 -
T/International/France