Motu proprio de Benoît XVI, interview
de Mgr Ranjith |
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Cité du Vatican, le 20 novembre 2007 -
(E.S.M.)
- Ci-dessous, le texte de
l'interview de Mgr. Ranjith, interrogé par l'Osservatore Romano. Il
s'agit d'une part d'une interview en direct et d'autre part d'une
traduction non officielle réalisée par nos soins.
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Mgr Albert Malcom
Ranjith -
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Motu proprio de Benoît XVI, interview de Mgr. Ranjith
Messe tridentine et fidélité au Concile
L'archevêque Mgr Ranjith intervient dans le débat sur la liturgie
A soixante ans de la publication de l'encyclique de Pie XII 'Mediator
Dei', le débat sur la liturgie est plus que jamais ouvert et vivant : la
récente entrée en vigueur du
Motu Proprio Summorum Pontificum - avec lequel Benoît XVI a accordé la
possibilité de célébrer l'Eucharistie selon le missel tridentin sans devoir
demander la permission à l'évêque - a alimenté une discussion qui, depuis
le Concile Vatican II, n'a, en réalité, jamais été apaisée.
« Dans l'Osservatore Romano » du dimanche 18 novembre, Nicola Bux,
précisément en rappelant 'Mediator
Dei', a réaffirmé l'importance d'un
vaste débat sur la liturgie, mené « sans pré jugement et avec une
grande charité » : un débat - a-t-il spécifié - nécessairement guidé
par la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements.
Interview du secrétaire de la Congrégation pour le Culte Divin, l'archevêque
Albert Malcom Ranjith.
Partons précisément de Mediator Dei : pouvons-nous en
reprendre les critères qui la qualifient ?
Avec l'encyclique 'Mediator Dei', Pie XII - sur la base même de ce qu'a
affirmé Pie X dans le Motu Proprio 'Tra le sollecitudini' - tâche de
présenter aux fidèles, une synthèse théologique de l'essence intime de la
liturgie : il se limite à en définir les
origines et la définit comme l'acte sacerdotal du Christ qui rend louange et
gloire à Dieu et - surtout à travers son sacrifice - effectue la volonté
salvifique du Père. En ce sens, le Christ est au centre de la prière et du
rôle sacerdotal de l'Église.
« Le Divin Rédempteur - lisons-nous dans l'encyclique - voulut, ensuite, que
la vie sacerdotale commencée en Lui, dans son corps mortel avec ses
prières et son sacrifice, ne cesse pas au cours des siècles dans son Corps
Mystique qui est l'Église ».
En somme, l'encyclique met en évidence que le culte n'est pas le nôtre, mais
celui du Christ dans lequel nous sommes tous insérés. C'est plus ou moins,
la ligne que Benoît XVI a offert dans ses écrits liturgiques d'avant
et après son élection : ce n'est pas nous qui accomplissons l'acte
liturgique mais en Lui, nous nous conformons à l'acte liturgique céleste.
L'encyclique de Pie XII « sur la liturgie sacrée »
anticipe de seize ans Sacrosanctum Concilium : quels rapports
pouvons-nous trouver entre les deux documents ? Y a-t-il une continuité
entre eux ? précisément - comme l'a écrit l'abbé Bux - sans 'Mediator Dei'
on ne peut pas comprendre pleinement la constitution conciliaire ?
On peut certainement affirmer que la réforme liturgique préconciliaire fut
une sorte d'ouverture envers ce qui se serait ensuite passé avec le Concile
Vatican II.
Du reste, le fait que
Sacrosanctum Concilium ait été le premier
document des assises œcuméniques, confirme non seulement l'importance
première de la liturgie pour la vie de l'Église, mais aussi que les pères
conciliaires avaient évidemment déjà à disposition les moyens pour procéder
à une rapide définition et au renouvellement de la liturgie. On doit ensuite
se rappeler que la plupart des experts qui avaient travaillé pour préparer la
réforme conciliaire, les ont complétées et impliqués dans la préparation de
Sacrosanctum Concilium.
Il y a en somme une continuité pratique qui va de paire avec la continuité
théologique : Sacrosanctum Concilium, en effet ,exprime bien le concept de
la participation à la liturgie céleste. Cet aspect de 'Mediator Dei', en un
certain sens, conflue de manière naturelle dans Sacrosanctum Concilium. Les
liens apparaissent clairs : Sacrosanctum Concilium continue la grande
tradition du 'Mediator Dei', tout comme 'Mediator Dei' s'aligne sur les
précédents pontifes, en particulier Pie X.
Comme cela est rappelé, depuis 'Mediator Dei'
jusqu'aux documents
conciliaires, la centralité du Christ dans la liturgie est toujours affirmée
avec clarté et vigueur : l'Église conciliaire a-t-elle su
incarner pleinement cette réalité ?
Avec cela nous touchons un point douloureux. Il y a en effet un problème
pratique : la valeur des règles et des indications des livres liturgiques
n'ont pas été pleinement comprises par tous dans l'Église. Je donne un exemple.
Ce qui se passe à l'autel est bien expliqué dans les textes liturgiques,
cependant, certaines indications n'ont pas été prises intégralement au sérieux
: il y a en effet une certaine tendance à interpréter la réforme liturgique
conciliaire en utilisant la « créativité » comme règle. Ceci n'est pas
permis par les textes. La liturgie, en certains lieux ne semble pas refléter
son christocentrisme mais exprimer par contre un esprit d'immanentisme et
d'anthropocentrisme.
La vérité est bien différente : un vrai anthropocentrisme doit être
christocentrique. Ce qui se passe à l'autel est quelque chose dont nous ne
sommes pas maîtres : c'est le Christ qui agit et la centralité de la figure
du Christ soustrait cet acte à notre arbitrage.
Nous sommes absorbés et nous nous laissons absorber dans cet acte,
tellement, qu'à la fin de la prière eucharistique nous prononçons la superbe
doxologie qui affirme : « Par Lui, avec Lui et en Lui ».
La tendance « créatrice » à laquelle je faisais allusion n'est pas permise
par les instructions des livres liturgiques. Malheureusement, elle dérive
des mauvaises interprétations des textes ou peut-être d'une insuffisante
connaissance de ceux-ci et de la liturgie elle-même.
Nous devons nous rendre compte que la liturgie a une caractéristique
particulière « conservative » - mais pas dans l'acception négative
qu'aujourd'hui certains donnent au mot.
Dans l'Ancien Testament, on observe une grande fidélité aux rites et Jésus Lui-même a continué à être fidèle au rituel du Père. Ensuite, l'Église a poursuivi sur
cette même ligne. Saint Paul affirme : « Je vous transmets ce que j'ai
reçu » (1 Co, 11, 23), et pas
« ce que j'ai inventé ». Ceci est un aspect central : nous sommes appelés à
être fidèles à quelque chose qui ne nous appartient pas mais qui nous est
donné ; nous devons être fidèles au sérieux avec lequel on célèbre les
sacrements. Pourquoi devrions-nous remplir des pages et des pages
d'instructions si ensuite chacun se sent autorisé à faire ce qu'il veut ?
Après la publication du Motu Proprio Summorum
Pontificum de Benoît XVI, on a ravivé la discussion entre les soi-disant
traditionalistes et les progressistes. Y a-t-il en ce sens une opposition de
genre ?
Absolument pas.
En parlant du Motu Proprio nous revenons plutôt au discours précédent. En ce qui concerne la messe tridentine, il y a eu une question
grandissante avec le temps. La fidélité aux règles de la célébration des
sacrements continuait à baisser. Plus cette fidélité au sens de la
beauté et de la stupeur dans la liturgie diminuait, plus augmentait la demande pour la messe
tridentine. Et alors, de ce fait, qui a réellement demandé la messe tridentine
? Non seulement ces groupes, mais même ceux qui ont eu peu de respect pour les
règles de la célébration digne selon le Novus ordo.
Pendant des années, la liturgie a subi trop d'abus et de nombreux évêques les ont
ignorés. Le Pape Jean Paul II avait lancé un appel attristé dans
Ecclesia Dei
Adflicta, qui n'était rien d'autre qu'un appel à l'Église à être plus
sérieuse dans la liturgie. La même chose s'est produite avec l'instruction
Redemptionis Sacramentum. Pourtant, dans certains cercles de liturgistes et
commissions liturgiques, ce document a été critiqué. Le problème
donc n'était pas la demande de la messe tridentine, mais plutôt un
abus sans limite de la noblesse et de la dignité de la célébration
eucharistique.
Face à cela, le Saint Père Benoît XVI ne pouvait pas se taire : comme on le
remarque dans la
Lettre écrite aux évêques sur le
Motu Proprio et même dans ses multiples discours, on sent un profond
sens de responsabilité pastorale. Ce document donc - au-delà d'être une tentative de chercher l'union avec la
Fraternité Sacerdotale saint Pie X - est aussi un appel fort du Pasteur
universel à un sens du sérieux.
Est-il un rappel aussi d'une certaine manière aux prêtres ?
Je dirais oui. Du reste, devant certaines conceptions arbitraires et
peu sérieuses de la liturgie on peut se demander ce qu'on enseigne
dans certains séminaires.
On ne peut pas aborder la liturgie avec une attitude superficielle et peu
scientifique. Ceci vaut pour celui qui adopte des interprétations
« créatrices » de la liturgie, mais aussi pour celui qui présume trop facilement
établir comment était la liturgie aux origines de l'Église. Il faut toujours
une exégèse attentive, on ne peut pas se lancer dans des interprétations naïves.
Au-delà de tout, dans quelques cercles liturgiques on a une certaine
tendance à sous-estimer combien l'Église a mûri dans le second millénaire de
son histoire. On parle d'appauvrissement du rite, mais c'est une conclusion
trop banale et simpliste : nous croyons par contre que la tradition de
l'Église se manifeste dans un développement continu.
La liturgie est centrale pour la vie de l'Église :
lex credendi
(la règle de ce qu’il faut
croire),
lex orandi
(la
règle de ce qu’il faut dire dans la prière),
mais même lex vivendi. Pour un renouvellement véritable de l'Église -
tellement désiré par le Concile - il est nécessaire qu'on ne limite pas la
liturgie à l'étude seulement académique, mais que celle-ci devienne une
priorité absolue dans les Églises locales. Il est donc urgent de donner une
importance juste au niveau local à la formation liturgique
selon l'esprit de l'Église. Au bout du compte, la vie sacerdotale est étroitement liée à ce
que le prêtre célèbre et comment il célèbre. Si un prêtre célèbre bien l'Eucharistie,
il est cohérent et devient une partie du sacrifice du Christ. La
liturgie devient ainsi fondamentale pour la formation de saints prêtres.
C'est la grande responsabilité des évêques qui peuvent ainsi
faire beaucoup pour un vrai renouvellement de l'Église.
Un aspect non moins secondaire du débat sur la liturgie, est
aussi celui de
l'art sacré, à commencer par l'important chapitre de la musique liturgique. Entre autre, « l'Osservatore
Romano » a justement ces derniers jours
abordé ces thèmes en rapportant des considérations pas très rassurantes de
Mgr Valentín Miserachs Grau.
La Congrégation étudie encore le document pour le nouveau antiphonal, et
nous
avons également consulté l'Institut Pontifical de Musique Sacrée et espérons
pouvoir arriver à une conclusion rapide.
Chanter signifie prier deux fois et ceci vaut surtout pour le chant
grégorien
qui est un trésor inestimable. Le Pape Benoît XVI dans "Sacramentum
Caritatis", a
parlé clairement de la nécessité d'enseigner dans les séminaires le chant
grégorien et la langue latine : nous devons garder et valoriser cet
immense patrimoine de l'Église catholique et l'utiliser pour rendre gloire
au Seigneur. Il faut sûrement travailler encore sur cet aspect.
Il y a ensuite, dans l'usage commun, beaucoup de chants qui ne sont pas dans la tradition du grégorien : il est important d'assurer qu'ils soient
édifiants pour la foi, qu'ils nourrissent spirituellement celui qui participe à la
liturgie et qu'ils disposent réellement le cœur des fidèles à l'écoute de la
voix de Dieu. Les contenus, ensuite, doivent être contrôlés par les évêques pour
éviter, par exemple, des tendances new age. À cet égard, même dans
l'usage
des instruments musicaux, il faut exercer un grand sens de pondération : que
tout soit uniquement fait pour l' édification de la foi.
Dans le domaine de l'architecture sacrée, le dialogue avec les spécialistes
semble plus délinéé ; plus difficile semble par contre, celui avec les
artistes. Si quelques grands artistes contemporains
apparaissent impliqués dans l'interprétation des thèmes sacrés, cela
l'est beaucoup moins pour la production expressément pensée pour les
lieux de culte. Est ce seulement un problème de concomitance ou de dialogue
très soutenu par Paul VI qui nécessite une nouvelle impulsion ?
Le Concile a consacré un chapitre entier à l'art sacré. Parmi les principes
affirmés, le lien entre art et foi est essentiel .
Le dialogue est fondamental. Chaque artiste est une personne en particulier, a
son style dont il est très fier. Il faut savoir entrer dans le cœur
de l'artiste avec la dimension de la foi. C'est difficile, mais l'Église
doit trouver les voies pour un dialogue plus profond.
Le 1° décembre il y aura - sur ce thème - une journée d'étude au Vatican
organisée par la Congrégation : nous comptons qu'elle puisse être une occasion
pour donner une impulsion à ce dialogue et à la promotion de l'art sacré.
Lire le texte intégral de l'interview
►
Motu Proprio de Benoît XVI, Mgr Ranjith
s'exprime
Sources: © L'Osservatore Romano - 19-20 novembre 2007-
©
traduction
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 20.11.2007 - BENOÎT XVI |