Benoît XVI : pasteur, collègue et ami


Cité du Vatican, le 20 janvier 2008 - (E.S.M.) - Le cardinal Marc Ouellet, a prononcé en anglais, à l’Université McGill de Montréal, il y a quelques mois, la conférence qui suit. Un an et demi plus tard, il nous semble que ce texte n’a rien perdu de son actualité et qu’il demeure, au contraire, très éclairant. Mgr Ouellet avoue avoir sous-estimé la capacité du pape Benoît XVI de s’ajuster à son nouveau ministère et la capacité des médias de mettre à jour quelques hypothèses à son égard.

Le cardinal Marc Ouellet
Benoît XVI : pasteur, collègue et ami
Au printemps 2006, le cardinal Marc Ouellet, a prononcé en anglais, à l’Université McGill de Montréal, la conférence qui suit. Un an et demi plus tard, il nous semble que ce texte n’a rien perdu de son actualité et qu’il demeure, au contraire, très éclairant.

Nous tenons à remercier sœur Thérèse Martel, scsl, qui en a assuré la traduction pour nous. R.T.

(première partie)

Marc Cardinal Ouellet
Archevêque de Québec

Lors de mon entrée en Conclave le 18 avril 2005, je ne savais pas à quoi m’attendre ni quant à la longueur, ni quant au résultat. Personne ne pouvait en prévoir l’aboutissement puisque aucun conclave n’avait eu lieu depuis presque 27 ans. Mais au fond de moi, j’avais le sentiment que « si ce devait être Joseph Ratzinger, ce devait être vite et clair, autrement la réaction serait désastreuse ». La première réaction après l’élection, du côté de l’Atlantique et ici à Québec a été assez claire pour confirmer mon présage; mais maintenant, après presque un an, je dois avouer que j’avais sous-estimé la capacité de Benoît XVI de s’ajuster à son nouveau ministère et la capacité des médias de mettre à jour quelques hypothèses à son égard. Tout s’est passé mieux que je ne l’avais prévu : le Conclave, l’accueil et la performance du nouveau pasteur, Benoît XVI.

Je dois souligner d’abord que la principale raison de cet heureux achèvement est la performance de l’homme ou plutôt le charisme du pape Benoît qui incarne, d’une nouvelle manière, la mission du successeur de Pierre. Celle-ci est de confirmer ses frères dans la foi et d’être le signe visible de l’unité dans l’Église catholique. Un tel charisme est une grâce de Dieu pour un service spécifique dans l’Église. Il résulte d’une élection par ses pairs, mais une fois désigné, le successeur de Pierre reçoit son autorité du Christ lui même et non plus du consensus de ses pairs. Un tel charisme est, pour ainsi dire, un don du Ciel, mais il a été mûri longuement durant plusieurs années de prière, de méditation, de ministère de la Parole, de ministère épiscopal et de responsabilités en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce qui m’impressionne le plus dans le long parcours de Joseph Ratzinger n’est pas sa performance théologique, laquelle est très impressionnante, mais sa foi, son intelligence et son courage à témoigner de la vérité. Rappelez-vous que sa devise se lit : Cooperatores Veritatis (coopérateurs de la Vérité), une tâche qui n’est certes pas facile aujourd’hui, alors que proclamer la vérité est presque banni du vocabulaire et de la sensibilité modernes.

Je voudrais partager avec vous quelques réflexions autour de trois aspects de sa personnalité, qui me sont restés de mes contacts personnels avec Joseph Ratzinger, maintenant Benoît XVI. Foi, intelligence et courage sont des traits de l’homme qui a grandi dans une famille de la Bavière catholique. Il a hérité de la foi de sa famille qui a courageusement résisté à l’influence des Nazis. Après la Deuxième guerre mondiale, la tragédie de l’Allemagne l’a laissée en ruines mais aussi avec la conviction que la reconstruction de son pays reposait sur une foi vivante et sur des valeurs chrétiennes authentiques.

En 1967, l’année avant mon ordination, Joseph Ratzinger était un jeune professeur à l’Université de Tübingen avec Hans Küng, son collègue, qui plus tard prit une position contraire à la sienne à propos de la relation entre foi catholique et modernité. Le père Ratzinger fut invité à enseigner Une introduction à la Christianité (chrétienté, cristendom) aux étudiants de toutes les facultés de l’Université. Un tel mandat représentait un grand défi à l’époque mais fut couronné d’un succès extraordinaire. Nous pouvons apprécier, même aujourd’hui, la fraîcheur et la justesse de sa présentation de la foi catholique. Pendant qu’Hans Küng critiquait vivement l’Église en dénonçant le leadership du pape Jean-Paul II, Joseph Ratzinger devenait un pilier de l’Église sous le pape polonais et s’affirmait le principal opposant au relativisme contemporain. Quelle réussite, pour ne pas dire un miracle, que les deux hommes aient pu se rencontrer et échanger durant plusieurs heures à Castel Gandolfo l’an dernier, ouvrant un nouveau dialogue et peut-être préparant le chemin pour une réconciliation sérieuse et sincère.

Le succès du professeur Ratzinger auprès de ses étudiants était dû à l’authenticité de sa foi, à son intelligence perspicace et à sa culture très étendue. Il appartient à une prestigieuse tradition intellectuelle allemande, où les noms comme Môhler, Scheeben, Casel, Guardini et Schmaus signifient renouveau et continuité en regard des sources bibliques et de l’exégèse patriarcale. Joseph Ratzinger est ouvert à la modernité, mais profondément enraciné dans saint Augustin et saint Bonaventure. Son style théologique révèle une pensée étroitement liée à Newman, de Lubac et Hans Urs von Balthasar. Sa réflexion repose sur une base métaphysique marquée par un sens théologique de l’histoire et du développement de la doctrine. Tout en évaluant la légitime pluralité des approches théologiques, il demeure très préoccupé de l’unité de la foi, laquelle lui permet de transcender les nouvelles expressions du mystère.

Lorsque j’enseignais l’eschatologie en Amérique du Sud au début des années quatre-vingts, je me souviens d’avoir utilisé son livre sur ce sujet et j’ai découvert une approche très équilibrée, qui amalgamait de nouveaux éclairages avec la doctrine traditionnelle issue des époques patriarcale et médiévale. Il estime, de concert avec Balthasar, que la doctrine de l’ultime destinée humaine a besoin d’une plus grande intégration christologique. Les cosmologies qui représentent l’enfer, le purgatoire et le ciel ont besoin d’être revues et relativisées selon l’image moderne du monde et de la perspective théologique christocentrique de Vatican II. J’ai été emballé, par exemple, par sa manière de comprendre la dimension eschatologique de la Sainte Eucharistie avec le concept paulinien de parousia, entendu comme la manifestation du Royaume de Dieu.

Je me rappelle l’avoir entendu prêcher dans la cathédrale de Munich, lorsqu’il y était archevêque entre 1977 et 1981. J’ai été impressionné par son courage et sa capacité d’aborder des sujets difficiles, de manière à inspirer et à provoquer une prise de position devant son enseignement magistral. La théologie de la libération était alors à la mode, porteuse d’ambiguïtés subtiles entre des projets politiques séculiers tels le socialisme et quelques visions nébuleuses du Royaume de Dieu. Mgr Ratzinger affrontait le problème dans toute sa complexité avec une vision claire, une intelligence tranchante et un appel ferme à l’engagement théologique et pastoral. Il ne se serait jamais caché derrière un langage sophistiqué ou la rectitude politique. Je me souviens l’avoir entendu parler de la logique de la foi et par le fait même dénoncer le rationalisme théologique autant qu’il dénonce aujourd’hui la dictature du relativisme.

Joseph Ratzinger est un des co-fondateurs, avec Balthasar et de Lubac, de la revue théologique Communio, dans laquelle j’étais impliqué depuis 1990, comme membre du Comité éditorial pour l’Amérique du Nord. Lorsque Communio fit ses débuts en 1972, le Concile Vatican II avait été interprété d’une manière déformée, ce qui menaçait la continuité de la tradition catholique. Communio voulait offrir une compréhension plus profonde de la nouveauté de Vatican II dans le contexte de la tradition intégrale. Le pape Benoît a éclairé ce point en décembre 2005, dans son adresse à la Curie Romaine, en déclarant que l’enseignement du Concile avait été mis en danger par une discontinuité herméneutique, aux dépens de la continuité propre de la tradition catholique. Je pense qu’ici, au Québec, nous devrions méditer sur cette profonde affirmation et relire notre propre interprétation conciliaire à la lumière de cette clarification. Il n’est pas rare dans notre milieu d’entendre les gens et même le clergé, les religieux, parler du Concile d’une manière qui verse précisément dans cette mauvaise interprétation. Dans certains domaines, tels la liturgie, le mariage, la collégialité, la vie religieuse, nous sommes trop collés à une interprétation dite progressiste, qui ne correspond ni à l’esprit ni à la lettre de Vatican II.

Je me souviens spécialement de son intervention, à l’occasion du 20e anniversaire de Communio à l’Université Grégorienne à Rome en 1992. Inquiet devant ce qu’il appelait le peu d’intérêt pour notre publication, il a avancé qu’il fallait s’abstenir de la sophistication théologique et aborder directement les questions relatives à la crise contemporaine de la foi et de la culture. Il était alors préoccupé par l’interprétation biblique et la domination de l’exégèse critique de l’histoire. J’ai aussi admiré son courage face à ce problème, à New York, au cours d’une célèbre conférence qui souleva la controverse. Une fois de plus, Mgr Ratzinger sut mettre le doigt sur la blessure et permettre aux gens de se libérer d’une interprétation trop rationaliste de l’Écriture. J’ai eu le privilège de travailler avec lui à la Congrégation de la doctrine de la foi, précisément dans la recherche d’une interprétation biblique conforme à la tradition ecclésiale. Comme préfet de la Congrégation, il a promu un important Symposium romain en 1999, suivi d’un second plus tard en 2002, dans le but de favoriser le dialogue entre exégètes et théologiens sur l’interprétation biblique. Ce dialogue se poursuit présentement au plus haut niveau avec la participation internationale d’auteurs renommés, non seulement parmi les catholiques mais aussi parmi les autres confessions.

Mon expérience du dialogue théologique avec lui a aussi pris une dimension plus informelle au cours de mes années à l’Université du Latran, comme professeur de théologie dogmatique dans les sphères du mariage et des sacrements. Il m’a demandé, ainsi qu’à quelques collègues, de planifier une rencontre annuelle d’environ 25 théologiens intéressés à discuter avec lui sur les sujets jugés importants pour l’avenir de l’Église. Nous savions que sur certaines questions, il aurait une contribution importante à faire, sans pouvoir compléter définitivement sa pensée par écrit. Comme il a été appelé à Rome pour diriger la Congrégation de la Doctrine de la Foi, Mgr Ratzinger a laissé plusieurs manuscrits et projets qui ne seront probablement jamais finalisés et publiés. Nous voulions l’inviter à échanger avec nous dans une discussion ouverte et informelle entre des amis afin de dégager au moins quelques idées théologiques pour notre croissance personnelle et notre inspiration. Je garde précieusement un grand nombre de notes et des commentaires de ce dialogue traitant de la foi et de la raison, de la métaphysique, de la mariologie, du mystère eucharistique, etc.

Lire la suite º Le cardinal Ouellet nous conte le pape Benoît XVI - 21.01.08

Marc Cardinal Ouellet
Archevêque de Québec

Table : Québec 2008

Sources: www.vatican.va- E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 20.01.2008 - BENOÎT XVI - Québec