Benoît XVI se référant à Bernard de Clairvaux
Le 19 janvier 2023 - (E.S.M.) - Benoit XVI commente ainsi un passage de cette page : « Dans la ligne de Romains 11,25, l'Eglise ne doit pas se préoccuper de la conversion des juifs, parce qu'il faut attendre le moment préétabli par Dieu « jusqu'à ce que soit entrée la totalité des païens » (11,25)


Le pape François rappelle un passage de Benoit XVI : " les prosélytes sont des païens qui se font passer pour des chrétiens" - Pour agrandir l'image º Cliquer
Benoît XVI se réfère à Bernard de Clairvaux
Le temps des païens

Une lecture ou une écoute superficielles du discours eschatologique de Jésus donnent facilement l'impression que, du point de vue chronologique, Jésus a lié la fin de Jérusalem de manière immédiate à la fin du monde, surtout lorsqu'on lit en Matthieu : « Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil s'obscurcira... Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme... » (24,29s.). Cet enchaînement chronologique direct entre la fin de Jérusalem et la fin du monde entier semble plus fortement se confirmer lorsque, quelques versets plus loin, ces paroles sont rapportées : « En vérité je vous dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé » (24,34).

A première vue, il semble que seul Luc ait atténué cette relation. Chez lui nous lisons: « Ils tomberont sous le tranchant du glaive et ils seront emmenés captifs dans toutes les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par les païens jusqu'à ce que soient accomplis les temps des païens » (21,24). Entre la destruction de Jérusalem et la fin du monde s'intercale « les temps des païens ». On a reproché à Luc d'avoir ainsi déplacé l'axe chronologique des Évangiles et du message originaire de Jésus, d'avoir transformé la fin des temps dans le temps intermédiaire, inventant ainsi le temps de l'Église comme nouvelle phase de l'histoire du salut. Mais, si nous y regardons de plus près, nous découvrons que ces « temps des païens », avec des mots différents et à un autre moment du discours de Jésus, sont aussi annoncés en Matthieu et Marc.

En Matthieu nous trouvons les paroles suivantes du Seigneur: « Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin » (24,14). En Marc, nous lisons : « II faut d'abord que l'Évangile soit proclamé à toutes les nations » (13,10).

Ceci nous montre avant tout qu'il faut être très prudent en opérant des liens à l'intérieur de ce discours de Jésus ; le discours a été composé avec des morceaux rapportés qui ne constituent pas simplement un déroulement linéaire mais qui doivent être lus comme s'ils se trouvaient les uns dans les autres. Nous reviendrons de manière plus précise, dans la troisième partie (« Prophétie et apocalypse... »), sur ce problème rédactionnel qui est d'une grande importance pour une juste compréhension du texte.

Du point de vue du contenu, il apparaît évident que chacun des trois Synoptiques sait quelque chose d'un temps des païens: la fin du monde ne peut arriver que lorsque l'Évangile aura été porté à tous les peuples. Le temps des païens - le temps de l'Église des peuples du monde - n'est pas une invention de saint Luc ; c'est le patrimoine commun de la tradition de tous les Évangiles.


De nouveau, ici, nous rencontrons le lien entre la tradition des Évangiles et les motifs fondamentaux de la théologie paulinienne. Si Jésus dans le discours eschatologique dit que d'abord l'Évangile doit être annoncé aux nations et que seulement après peut survenir la fin, nous trouvons en Paul une affirmation pratiquement identique dans la Lettre aux Romains : « Une partie d'Israël s'est endurcie jusqu'à ce que soit entrée la totalité des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé » (11,25). La totalité des païens et tout Israël : en cette formule apparaît l'universalisme de la volonté divine de salut. Dans notre contexte, toutefois, il est important que Paul connaisse aussi le temps des païens qui se déroule maintenant et qui doit être achevé, afin que le plan de Dieu puisse atteindre son but.

Le fait que la chrétienté primitive ne puisse pas se faire une idée chronologiquement adaptée de la durée de ces « kairoi » (temps) des païens, en les imaginant certainement comme plutôt brefs, est finalement secondaire. L'essentiel se trouve dans l'affirmation fondamentale et dans la prédiction d'un tel temps, qui aux yeux des disciples, sans faire de calculs sur sa durée, devait être et a été interprété avant tout comme un devoir : accomplir maintenant ce qui a été annoncé et demandé, et donc porter l'Évangile à tous.

D'une manière inlassable, Paul s'était mis en chemin vers tous les peuples, pour apporter à tous le message, pour arriver même si possible à accomplir ce devoir durant sa vie. Cette énergie inlassable s'explique justement et seulement par sa conscience de la signification historique et eschatologique de l'annonce: « C'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile !» (1 Co 9,16).


En ce sens, l'urgence de l'évangélisation dans la génération apostolique est motivée non pas tant par la question de la nécessité de connaître l'Évangile pour le salut individuel de chacun, mais bien plus par cette grande conception de l'histoire : afin que le monde atteigne son but, l'Évangile doit arriver à tous les peuples. En certaines périodes de l'histoire, la perception de cette urgence s'est affaiblie notablement, mais elle s'est ensuite toujours réveillée, suscitant un nouveau dynamisme dans l'évangélisation.

En arrière-plan, nous avons toujours, à cet égard, la question concernant la mission d'Israël. Nous sommes aujourd'hui déconcertés devant les nombreux malentendus, lourds de conséquences, qui à ce propos ont pesé sur les siècles passés. Par une nouvelle réflexion, nous pouvons cependant reconnaître qu'au milieu de tous ces obscurcissements, la possibilité de la mise en route d'une juste compréhension est toujours apparue.

Je voudrais ici me référer à ce que Bernard de Clairvaux conseillait, concernant cette question, à son disciple le pape Eugène III. Il rappelle au pape qu'il ne lui a pas été confié de prendre soin seulement des chrétiens : « Tu es également débiteur vis-à-vis des infidèles, des juifs, des Grecs et des païens » (De cons. III/1,2). Toutefois, il se corrige immédiatement en précisant: « J'admets que, pour ce qui concerne les juifs, tu as une excuse liée au temps ; un moment précis a été déterminé pour eux, que l'on ne peut pas anticiper. Les païens doivent les précéder dans leur totalité. Mais que dis-tu à propos des païens eux-mêmes ?... À quoi pensaient tes prédécesseurs pour interrompre l'évangélisation alors que l'incrédulité est toujours diffuse ? Pour quel motif... la parole qui court avec rapidité s'est-elle arrêtée? » (III/1,3).

Hildegarde Brem commente ainsi ce passage : « Dans la ligne de Romains 11,25, l'Eglise ne doit pas se préoccuper de la conversion des juifs, parce qu'il faut attendre le moment préétabli par Dieu « jusqu'à ce que soit entrée la totalité des païens » (11,25). Bien plus, les juifs eux-mêmes sont une prédication vivante à laquelle l'Église doit renvoyer, parce qu'ils réalisent la Passion du Christ (cf. Ep 363) » (Winkler I, p. 834).


L'annonce du temps des païens et le devoir qui en découle est un point central du message eschatologique de Jésus. Le devoir particulier de l'évangélisation des païens, que Paul a reçu du Ressuscité, est fortement ancré dans le message que Jésus a donné aux disciples avant sa Passion. Le temps des païens - « le temps de l'Église » - qui, comme nous l'avons vu, a été repris dans tous les Évangiles, constitue un élément essentiel du message eschatologique de Jésus.

Le TOME I º Benoît XVI

Le TOME II º Benoît XVI


Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI - E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 19.01.2023