Benoît XVI : être chrétien n'est pas une
idée philosophique ou morale mais la rencontre avec le Christ
Le 14 janvier 2024 -
E.S.M.
-
Au cours de son entretien avec Nicolas Diat, le cardinal Sarah
nous livre sa pensée sur les fausses valeurs de ce monde. Qu'est ce
qu'être chrétien ? Le christianisme ne se réduit pas à une morale,
il a pourtant des conséquences morales ; l'amour et la foi donnent à
la vie de l'homme une orientation, une profondeur et une ampleur
nouvelles.
Benoît XVI -
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Benoît XVI : être chrétien n'est pas une
idée philosophique ou morale mais la rencontre avec le Christ
LES PIERRES ANGULAIRES ET LES FAUSSES VALEURS
NICOLAS DlAT : Comment percevoir le rapport authentique entre
christianisme et morale ? Benoît XVI considérait qu 'il ne fallait pas
confondre les deux, au risque de déformer leurs natures. Souscrivez-vous à
cette analyse ?
CARDINAL ROBERT SARAH : Oui, dans
Deus caritas est, Benoît XVI écrit qu'à l'origine du fait d'être
chrétien il n'y a pas une décision éthique, une idée philosophique ou
morale, mais la rencontre avec un événement, une Personne. Cet homme qui
vient vers nous, le Christ, donne à la vie un nouvel horizon, et par là même
son orientation décisive.
Benoît XVI reprenait ainsi une idée du théologien
Romano Guardini pour qui le christianisme n'est pas le produit d'une expérience
intellectuelle mais un événement qui, de l'extérieur, vient à ma rencontre.
Le christianisme, c'est l'irruption de Quelqu'un dans ma vie. Ce mouvement
implique aussi l'historicité du christianisme, reposant sur des faits et non
sur une perception des profondeurs de mon propre monde intérieur.
En prenant comme exemple les mystères de l'Incarnation et de
la Trinité, Romano Guardini écrit avec justesse que ce n'est pas en faisant
appel à notre intelligence que nous découvrirons les trois personnes
divines.
« Nous voyons, dit saint Jean Chrysostome dans ses
Homélies sur saint Matthieu, que Jésus est issu de
nous et de notre substance humaine, et qu'il est né d'une mère
Vierge. Mais nous ne comprenons pas comment ce prodige a pu se réaliser. Ne
nous fatiguons pas à essayer de le découvrir, mais acceptons plutôt avec
humilité ce que Dieu nous a révélé, sans scruter avec curiosité ce que Dieu
nous tient caché. »
Pour beaucoup de cultures, le christianisme est scandale et
folie : « Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en
quête de sagesse, nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour
les Juifs et folie pour les païens » (1 Co 1, 22-23). Cette phrase de
l'apôtre Paul montre à quel point notre religion s'attache essentiellement à
une personne qui vient à nous pour faire appel à notre cœur et lui donner
une nouvelle orientation bouleversant toute notre appréhension du monde.
Si le christianisme ne se réduit pas à une morale, il a
pourtant des conséquences morales ; l'amour et la foi donnent à la vie de
l'homme une orientation, une profondeur et une ampleur nouvelles. L'homme
quitte les ténèbres de sa vie passée. Sa vie est éclairée par la lumière,
qui est le Christ. Il vit de la vie du Christ. Il ne peut plus marcher qu'en
compagnie de Jésus, lumière, vérité et vie. Après sa
rencontre avec Jésus, un vrai chrétien change de comportement.
De la même façon, une société imprégnée d'esprit chrétien
avance avec une ambition nouvelle, sans comparaison aucune avec les
préceptes d'une société païenne. De ce point de vue, j'aime beaucoup la
Lettre à Diognète : « Les chrétiens [...] sont dans la chair, mais ils ne
vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont
citoyens du Ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre
est plus parfaite que les lois, parce qu'ils suivent
fidèlement Jésus Christ qui est le chemin, la vérité et la vie. »
Oui, le christianisme se résume à une personne qui vient révéler et offrir
son amour : « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a envoyé son Fils pour
que celui qui croit en lui soit sauvé et possède la vie éternelle » (Jn 3,
16). Il ne s'agit certes pas de « moralisme » mais de « morale ». Le premier
précepte moral n'est-il pas l'amour de Dieu et du prochain ? La plénitude de
la Loi, dit saint Paul, c'est l'amour (Rm 13, 10).
L'amour constitue l'être même de Dieu : « Tu vois la Trinité
quand tu vois la charité », écrivait saint Augustin. Si nous le découvrons,
notre comportement sera différent par rapport au bien et au mal. À certaines
époques de l'Église, il y a eu une forme de fixation hygiéniste sur les
questions morales. Cette dérive ne pouvait produire de bons fruits car elle
plaçait dans l'ombre le caractère véritable de la Révélation, irruption
radicale de Dieu.
L'Église a été parfois écartée, en raison d'un moralisme
étroit que certains clercs ont promu. Combien de fidèles ont eu le sentiment
qu'ils n'étaient pas compris, qu'ils étaient parfois même rejetés ? Quand le
Christ entre dans une vie, il la déstabilise, la transforme de fond en
comble. Il lui donne une orientation nouvelle et des références éthiques
nouvelles ; le baptême est une rupture en forme d'alliance, et non un pacte
moral ! Le comportement moral authentique est le
reflet de Celui que j'ai accueilli dans mon cœur, et qui se définit par son
amour, sa perfection, sa sainteté et sa bonté.
Avec raison, le pape François refuse de donner une place
envahissante aux questions morales, sans pour autant les minimiser. Il
considère que la rencontre la plus importante, c'est le Christ et son
Évangile ; le Saint-Père agit comme Benoît XVI qui voulait distinguer la
morale de l'essence du christianisme. Lors de sa visite au monastère
Sainte-Catherine-du-Sinaï, en février 2000, Jean-Paul II lui-même expliquait
que le chemin indiqué par la Loi divine n'est pas un règlement de police
morale, mais la pensée de Dieu.
La Loi de Dieu promulguée par Moïse
renferme les grands principes, les conditions impérieuses de la
survie spirituelle des hommes. Toutes les interdictions qu'elle contient
sont une protection qui empêche l'homme de tomber dans le précipice du mal
et le gouffre du péché et de la mort.
Une vie éclairée par l'amour de Dieu n'a pas besoin de se
mettre à l'abri de barrières moralisatrices qui sont souvent l'expression de
peurs inavouées. La morale est fondamentalement une conséquence de la foi
chrétienne.
La pression des lobbies
LGBT, une supercherie, immorale et démoniaque
NICOLAS DlAT : Comment l'Eglise peut-elle dépasser les montagnes
d'incompréhension qui se sont élevées depuis l'encyclique
Humanae vitae de
Paul VI, publiée en 1968 ? L'opposition entre la morale chrétienne et les
valeurs dominantes des sociétés occidentales est-elle encore surmontable ?
CARDINAL ROBERT SARAH : Il est important de situer cet antagonisme dans le contexte
de la sécularisation et de la déchristianisation ; l'éloignement de pans
entiers de la société moderne par rapport à l'enseignement moral de l'Eglise
est allé de pair avec l'ignorance et le rejet de sa doctrine ou de son
héritage culturel. Il y a un ensemble complexe que nous devons prendre en
compte, une indifférence vis-à-vis de Dieu qui dépasse le simple problème
des règles morales. Je pense que les prêtres et les évêques doivent déployer
des trésors de pédagogie, en prenant garde de se réfugier dans des
présentations dogmatiques trop savantes, pour faire comprendre que les
questions de morale sexuelle ne résument pas le message de l'Église.
Pour autant, l'Église doit rester vigilante devant le
dérèglement des valeurs, qui amène la confusion entre le bien et le mal ;
dans nos sociétés relativistes, le bien devient ce qui plaît et convient à
l'individu. Dès lors, incompris ou méprisé, l'enseignement moral de l'Église
est rejeté comme l'émanation d'un faux bien. Les médias contribuent souvent
à discréditer volontairement la position de l'Église, à la travestir ou à
rester silencieux. Le discours dominant cherche sans cesse à présenter
l'idée d'une Église arriérée et médiévale - quelle ignorance sur le Moyen
Âge ! - qui refuserait de s'adapter à l'évolution du monde, hostile aux
découvertes scientifiques et crispée sur de vieux idéaux. Face à ces
torrents de boue, il faut être ferme et lucide, ne pas faire preuve de
naïveté, être irréprochable, prier et rester en union avec Dieu. Les
attaques passeront si elles sont injustes.
Comment ne pas remercier Paul VI pour le courage qui fut le
sien avec l'encyclique
Humanae vitae ? Ce texte fut prophétique en développant une
morale qui puisse défendre la vie. Malgré des pressions multiples au sein
même de l'Église, le pape voyait se dessiner l'horizon funeste de ce que
Jean-Paul II nomma « la culture de mort ». Je n'oublie pas les violentes
critiques dont il fut l'objet en refusant d'abdiquer les principes
élémentaires de la vie. A sa suite, Jean-Paul II a prodigué un enseignement
très riche sur le corps humain et la sexualité. Malgré le respect dont il
faisait l'objet, en particulier après ses interventions décisives pour
libérer les peuples d'Europe de l'Est du joug de la dictature communiste,
combien de critiques acerbes ne se sont-elles pas élevées contre sa vision
de la morale ? Il avait pourtant compris que l'Église ne devait pas baisser
les bras. Par sa fermeté, il obéissait à Jésus qui a dit à Pierre : « Et
toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 21, 32).
Je crois que l'histoire donnera raison
à l'Eglise, car la défense de la vie est celle de l'humanité. Aujourd'hui, tant d'organisations
et de groupes font profession de libération de la femme pour qu'elle soit
maîtresse de son corps et de son destin... En fait, le corps de la femme est
exploité, utilisé dans de nombreuses circonstances, souvent à des fins
commerciales et publicitaires, pour n'être plus qu'une simple marchandise et
un objet de jouissance. Dans une société
hyper érotisée, qui cherche à
faire croire que l'homme ne se réalise pleinement qu'à travers une «
sexualité épanouie », il me semble que la dignité de la femme connaît de
grandes régressions. L'Occident est le continent qui humilie et méprise le
plus honteusement la femme en la dénudant publiquement et en l'utilisant
pour des fins commerciales hédonistes.
Mais il faut se réjouir de ce que beaucoup de femmes puissent accéder à une
éducation supérieure. De même, le droit de vote ne leur a été accordé que
trop tardivement en Europe. Il est important aussi que la femme puisse
exercer un travail compatible avec la maternité.
Pourtant, l'Occident se fourvoie dans ses illusions en croyant que le
libéralisme moral permet un progrès de la civilisation ; comment prétendre
que la pornographie en libre accès, au travers des nouveaux moyens de
communication, et dont la vision abjecte de la sexualité — pourtant sainte
en soi — se diffuse dans toute la société, y compris auprès des plus jeunes,
soit l'exemple d'une avancée du monde ? Comment comprendre que les grandes
agences onusiennes qui disent lutter pour les droits de l'homme ne se
battent pas avec vigueur contre la puissante industrie européenne et
américaine du sexe ? Toutes ces ténèbres sont l'expression d'un monde qui
vit loin du Christ. Sans le Fils de Dieu, l'homme est perdu et l'humanité ne
possède plus d'avenir.
Aujourd'hui, l'Église doit combattre à contre-courant, avec courage et
espérance, sans craindre d'élever la voix pour dénoncer les tartuffes, les
manipulateurs et les faux prophètes. En deux mille ans, l'Église a affronté
bien des vents contraires, mais au bout des chemins les plus arides, la
victoire fut toujours acquise.
Vous considérez donc que le monde se laisse hypnotiser
par le modèle occidental ?
Au risque de choquer, je pense que le colonialisme occidental se poursuit
aujourd'hui, en Afrique et en Asie, avec plus de vigueur et de perversion,
par l'imposition violente d'une fausse morale et de valeurs mensongères. Je
ne nie pas que la civilisation européenne ait pu apporter de grands
bienfaits, en particulier avec ses missionnaires qui furent souvent de
grands saints. Elle a répandu partout la parole des Évangiles, ainsi que de
belles expressions culturelles façonnées par le christianisme.
C'est avec raison que Benoît XVI souligne, dans
ses derniers vœux à la Curie, que « l'identité européenne se manifeste dans le mariage et la
famille. Le mariage monogamique, la structure fondamentale de la relation
entre l'épouse et l'époux, ainsi que la famille conçue comme cellule de
formation pour la communauté sociale, voilà ce qui fut modelé à partir de la
foi biblique ». À l'inverse, il existe des tentatives répétées pour
implanter une nouvelle culture qui nie l'héritage chrétien. (1) Cardinal
Joseph Ratzinger, L’Europe, ses fondements aujourd’hui et demain, Éditions
Saint-Augustin, 2005, p.34-35.
Concernant mon continent d'origine, je veux dénoncer avec force une volonté
d'imposer de fausses valeurs en utilisant des arguments politiques et
financiers. Dans certains pays africains, des ministères dédiés à la théorie
du genre ont été créés en échange de soutiens économiques ! Quelques
gouvernements africains, heureusement minoritaires, ont déjà cédé aux
pressions en faveur d'un accès universel aux droits sexuels et reproductifs.
Nous constatons avec une grande souffrance que la santé reproductive est
devenue une « norme » politique mondiale, contenant ce que l'Occident a de
plus pervers à offrir au reste du monde en quête de développement intégral.
Comment des chefs d'États occidentaux peuvent-ils exercer une telle pression
sur leurs homologues de pays souvent fragiles ? L'idéologie du genre est
devenue la condition perverse pour la coopération et le développement.
En Occident, des personnes homosexuelles réclament que leur vie commune soit
juridiquement reconnue, pour être assimilée au mariage ; faisant écho à
leurs revendications, des organisations exercent de fortes pressions pour
que ce modèle soit aussi reconnu par les gouvernements africains au titre du
respect des droits humains. Dans ce cas précis, nous sortons, à mon sens, de
l'histoire morale de l'humanité. Dans d'autres cas, j'ai pu constater
l'existence de programmes internationaux qui imposent l'avortement et la
stérilisation des femmes.
Ces politiques sont d'autant plus hideuses que la plus grande partie des
populations africaines sont sans défense, à la merci d'idéologues
occidentaux fanatiques. Les pauvres demandent un peu d'aide, et des hommes
sont suffisamment cruels pour empoisonner leur esprit. L'Afrique et l'Asie
doivent absolument protéger leurs cultures et leurs valeurs propres. Les
agences internationales n'ont en fait aucun droit de pratiquer ce nouveau
colonialisme malthusien et brutal. Par ignorance ou complicité, les
gouvernements africains et asiatiques seraient coupables de laisser
euthanasier leurs peuples. L'humanité perdrait beaucoup si ces continents
venaient à tomber dans le grand magma indistinct du mondialisme, tourné vers
un idéal inhumain qui est en fait une hideuse barbarie oligarchique.
Le Saint-Siège doit jouer son rôle. Nous ne pouvons accepter la propagande
et les groupes de pression des lobbies LGBT — lesbiens, gays, bisexuels et
transgenres. Le processus est d'autant plus inquiétant qu'il est rapide et
récent. Pourquoi cette volonté forcenée d'imposer la théorie du genre ? Une
vision anthropologique inconnue il y a quelques années, fruit de l'étrange
pensée de quelques sociologues et écrivains, comme Michel Foucault,
deviendrait le nouvel eldorado du monde ? Il n'est pas possible de rester
inerte devant une telle supercherie, immorale et démoniaque.
Le pape François a raison de critiquer l'action du démon qui œuvre pour
saper les fondements de la civilisation chrétienne. Derrière la nouvelle
vision prométhéenne de l'Afrique ou de l'Asie, il y a la marque du diable.
Les premiers ennemis des personnes homosexuelles, ce sont les lobbies LGBT.
C'est une grave erreur que de réduire un individu à ses comportements,
notamment sexuels. La nature finit toujours par se venger.
Lire à ce sujet º
Fiducia supplicans : Cardinal Sarah : On s’oppose à une hérésie qui mine
gravement l’Église
Le combat de Jean-Paul II contre
cette « culture de mort »
NICOLAS DlAT : Selon vous, le combat de Jean-Paul II contre cette «
culture de mort » est donc toujours aussi actuel ?
CARDINAL ROBERT SARAH : Au début des années 1990, le pape, voyant les peuples
d'Europe de l'Est s'enfoncer peu à peu dans l'oppression du matérialisme et
du relativisme moral, plus sournoise encore que l'idéologie soviétique, a
lancé une grande lutte. Jean-Paul II avait compris que les nouvelles
atteintes à la vie devenaient un véritable système social, un esclavagisme
rampant. Je crois que l'idéologie malthusienne est toujours aussi puissante
[N.D.L.R. : Le malthusianisme désigne une réduction de la
natalité, soit planifiée par une autorité (une politique malthusienne), soit
adoptée par une population (un comportement malthusien). Le terme dérive des
travaux de l'économiste britannique Thomas
Malthus (1766–1834).]; son idée demeure, et son programme d'action
est de promouvoir des politiques antinatalistes dans de nombreux pays
pauvres. De même, les statistiques internationales sur les avortements sont
effrayantes. Dans le monde, en 2014, environ une grossesse sur quatre est
interrompue volontairement. Cela représente un peu plus de
40 millions d'avortements dans une seule année.
Ce chiffre est d'autant plus impressionnant que le droit à l'avortement,
c'est-à-dire le permis légal de tuer un bébé innocent, demeure heureusement
très limité dans les trois quarts des pays.
Lors du synode extraordinaire sur la famille, en octobre 2014, Mgr Paul Bui
Van Doc, archevêque de Hô Chi Minh-Ville, nous a expliqué que le cas le plus
dramatique au monde était le Vietnam. En effet, ce pays pratique 1 600 000
avortements par an, dont 300 000 chez les jeunes de quinze à dix-neuf ans.
Il s'agit d'une vraie catastrophe pour le pays.
En France, 220 000 interruptions volontaires de grossesse sont pratiquées
chaque année, soit un avortement pour trois naissances.
Il y a une guerre déclarée contre la vie, avec des moyens financiers
gigantesques. Comment concevoir que tant d'enfants sans défense soient
éliminés dans le sein de leur mère sous prétexte d'un droit de la femme à la
liberté de son corps ? La dignité de la femme est un noble et grand combat
mais il ne passe pas par le meurtre des enfants à naître. Jean-Paul II avait
compris que de généreuses intentions cachaient un véritable programme de
lutte contre la vie. En Afrique, quand je vois les sommes faramineuses qui
sont promises par la Fondation Bill et Melinda Gâtes, visant à augmenter
exponentiellement l'accès à la contraception aux filles non mariées et aux
femmes, ouvrant ainsi la voie à l'avortement, je ne peux que m'insurger face
à une volonté de mort.
Quelles sont les motivations cachées de ces campagnes de grande ampleur qui
aboutiront à des dizaines de milliers de morts ? Y aurait-il une
planification bien étudiée pour éliminer les pauvres en Afrique et ailleurs
? Dieu et l'histoire nous le diront un jour.
Aujourd'hui, le nouveau combat idéologique de la postmodernité occidentale
est devenu l'euthanasie. Lorsqu'une personne semble avoir fini sa course sur
cette terre, sous couvert de soulager sa souffrance, certaines organisations
considèrent qu'il vaut mieux lui donner la mort. En Belgique, ce droit, qui
n'en est pas un, vient d'être étendu aux mineurs ! En prétextant aider un
enfant qui souffre, il est possible de lui donner froidement la mort. Les
tenants de l'euthanasie veulent ignorer que les soins palliatifs sont
aujourd'hui parfaitement adaptés pour ceux qui n'ont plus d'espoir de
guérison ; la mort glaciale et brutale est devenue l'unique réponse.
L'euthanasie est le marqueur le plus aigu d'une société sans Dieu,
infrahumaine, qui a perdu l'espoir. Je reste stupéfait de voir à quel point
ceux qui propagent cette culture se drapent dans une bonne conscience, en se
donnant les allures faciles de héros d'une humanité nouvelle. Par une sorte
d'étrange inversion des rôles, les hommes qui luttent pour la vie deviennent
des monstres à abattre, des barbares d'un autre temps qui refusent le
progrès. Avec l'aide des médias, les loups font croire qu'ils sont de
généreux agneaux aux côtés des plus faibles ! Mais le plan des promoteurs de
l'avortement, de l'euthanasie et de toutes les atteintes à la dignité de
l'homme n'en est que plus dangereux.
Si nous ne sortons pas de la culture de mort, l'humanité court à sa perte.
En ce début du troisième millénaire, la destruction de la vie n'est plus un
fait de barbarie mais un progrès de la civilisation ; la loi prend le
prétexte d'un droit à la liberté individuelle pour donner à l'homme la
possibilité de tuer son prochain. Le monde pourrait devenir un véritable
enfer. Il ne s'agit plus d'une décadence, mais d'une dictature de l'horreur,
d'un génocide programmé dont sont coupables les puissances occidentales. Cet
acharnement contre la vie représente une nouvelle étape, déterminante, dans
l'acharnement contre le plan de Dieu. Pourtant, dans tous mes voyages, je
constate un réveil des consciences. Les jeunes chrétiens d'Amérique du Nord
montent progressivement au front pour repousser la culture de mort. Dieu ne
s'est pas endormi, II est vraiment avec ceux qui défendent la vie !
Pensez-vous que Jean-Paul II a été un prophète ?
Les saints sont tous des prophètes. Ils nous transmettent fidèlement la
vision, la volonté, l'amour et l'espérance de Dieu pour l'homme. Ce pape
extraordinaire est aujourd'hui inscrit parmi les saints de l'Église. Mais je
pense que nous n'avons pas fini de comprendre à quel point il a été un
visionnaire. La manière dont Jean-Paul II a érigé en priorité de son
pontificat la sacralité et l'inviolabilité de la vie ouvre un immense
chemin, au-delà de sa présence parmi nous. Il n'a fait que rappeler la
sainte loi de Dieu : « Tu ne tueras pas » ; en même temps, la grandeur
simple de ses mots, son pouvoir de conviction ont été libérateurs pour ceux
qui voyaient les ténèbres avancer.
L'exclamation « N'ayez pas peur » est le plus beau prolongement dont Paul VI
pouvait rêver, lui qui a tant souffert des critiques qui se sont déversées
comme un torrent de haine après son encyclique
Humanae vitae. Jean-Paul II
n'avait que faire des objections sirupeuses des tenants d'un humanisme
antichrétien. Il entendait semer des graines qui permettraient de donner
naissance à une nouvelle culture. Ce pape a eu une perception d'autant plus
aiguë des problèmes qu'il avait lui-même vécu dans sa chair les atteintes
aux droits les plus fondamentaux. À travers les dictatures nazies et
communistes, il possédait une connaissance personnelle du véritable combat
pour la liberté humaine. Voilà pourquoi il ne pouvait accepter que les
tenants de la culture de mort se cachent derrière les paravents d'une fausse
promotion des droits de l'homme pour faire avancer leurs plans destructeurs.
En 1995, dans
Evangelium vitae, il écrivait : « On en arrive ainsi à un
tournant aux conséquences tragiques dans un long processus historique qui,
après la découverte de l'idée des "droits humains" — comme droits innés de
toute personne, antérieurs à toute constitution et à toute législation des
États -, se trouve aujourd'hui devant une contradiction surprenante : en un
temps où l'on proclame solennellement les droits inviolables de la personne
et où l'on affirme publiquement la valeur de la vie, le droit à la vie
lui-même est pratiquement dénié et violé, spécialement en ces moments les
plus significatifs de l'existence que sont la naissance et la mort. »
Jean-Paul II a voulu dénoncer la schizophrénie de notre monde qui maquille
des situations abominables de bons sentiments. Il savait que l'époque
verrait se multiplier les faux prophètes, les stratèges du mal et les devins
d'un futur sans espérance ; mais Karol Wojtyla ne cherchait pas à être un
héros car il était simplement un messager de Dieu. En France, les
manifestations de grande ampleur qui se sont multipliées pour protester
contre la mise en place d'un mariage mensonger entre personnes de même sexe
sont aussi une réponse à l'appel lancé par Jean-Paul II au Bourget, le 1er
juin 1980, lors de son premier voyage en France : « Aujourd'hui, dans la
capitale de l'histoire de votre nation, je voudrais répéter ces paroles qui
constituent votre titre de fierté : Fille aînée de l'Eglise. [...] Il
n'existe qu'un seul problème, celui de notre fidélité à l'Alliance avec la
Sagesse éternelle, qui est source d'une vraie culture, c'est-à-dire de la
croissance de l'homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre
baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Alors permettez-moi de
vous interroger : France, Fille aînée de l'Église, es-tu fidèle aux
promesses de ton baptême ? Permettez-moi de vous demander : France, Fille
aînée de l'Eglise et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de
l'homme, à l'Alliance avec la Sagesse éternelle ? Pardonnez-moi cette
question. Je l'ai posée comme le fait le ministre au moment du Baptême. Je
l'ai posée par sollicitude pour l'Église dont je suis le premier prêtre et
le premier serviteur, et par amour pour l'homme dont la grandeur définitive
est en Dieu, Père, Fils et Esprit. » Le pape venu de Pologne a réveillé
l'esprit révolutionnaire des saints qui ont jalonné toute l'histoire de la
France.
Dans de nombreux discours, et dans ce livre, vous dénoncez explicitement la
théorie du genre. Pourquoi cette insistance répétée ?
La philosophie africaine affirme : « L'homme n'est rien sans la femme, la
femme n'est rien sans l'homme, et les deux ne sont rien sans un troisième
élément qui est l'enfant. » Fondamentalement, la vision africaine de l'homme
est trinitaire. Il y a en chacun de nous quelque chose de divin ; Dieu un et
trine nous habite et imprègne tout notre être.
Selon l'idéologie du genre, il n'existe pas de différence ontologique entre
l'homme et la femme. Les identités masculine et féminine ne seraient pas
inscrites dans la nature ; il s'agirait du résultat d'une construction
sociale, un rôle que jouent les individus à travers des tâches et des
fonctions sociales. Pour ses théoriciens, le genre est performatif, et les
différences homme-femme ne sont que des oppressions normatives, des
stéréotypes culturels et des constructions sociales qu'il faut défaire afin
de parvenir à la parité entre l'homme et la femme. L'idée d'une identité
construite nie en fait de façon irréaliste l'importance du corps sexué.
Un
homme ne devient jamais une femme, celle-ci ne devient jamais un homme,
quelles que soient les mutilations que l'un ou l'autre peut accepter de
subir. Dire que la sexualité humaine ne dépendrait plus de l'identité de
l'homme ou de la femme, mais des orientations sexuelles, comme
l'homosexualité, est un totalitarisme onirique.
Je ne vois pas d'avenir possible à une telle supercherie. Mon inquiétude
porte plus sur la manière dont des États et des organisations
internationales tentent d'imposer par tous les moyens, souvent à marche
forcée, la philosophie déconstructiviste dite du genre. Si la sexualité est
uniquement une construction sociale et cultuelle, nous en venons à remette
en cause la manière dont l'humanité se reproduit depuis ses origines. En
fait, il est presque difficile de prendre au sérieux une vision si
outrancière. Si des chercheurs se prêtent à des propos fantaisistes et
dangereux, libre à eux ; mais je n'accepterai jamais que ces théories soient
imposées directement ou insidieusement à des populations sans défense.
Comment voulez-vous qu'un petit enfant ou qu'un jeune adolescent des
campagnes africaines reculées puisse se défendre face à de telles
spéculations mensongères ?
Une chose est de respecter véritablement les personnes homosexuelles, qui
ont droit à un authentique respect, et une autre de promouvoir
l'homosexualité comme un modèle social.
Cette manière de concevoir les rapports humains est en fait une atteinte aux
personnes homosexuelles, victimes d'idéologues indifférents à leur sort. Il
faut certes prendre garde que les homosexuels ne fassent l'objet d'attaques,
souvent honteuses et insidieuses. Pourtant, je crois aberrant de vouloir
ériger cette sexualité en idéologie progressiste. Je constate une volonté de
certaines structures influentes à faire de l'homosexualité la pierre
angulaire d'une nouvelle éthique mondiale. Tout projet idéologique
extrémiste porte en lui son propre échec ; à terme, je crains que les
personnes homosexuelles ne soient les premières victimes de tels
débordements politiques.
Le combat pour la
pérennité des racines de l'humanité, le plus grand défi pour le monde
NICOLAS DlAT : La culture africaine accorde à la famille une grande importance. Comment ce
modèle peut-il être intéressant pour l'Eglise et le reste du monde ?
CARDINAL ROBERT SARAH : La famille africaine est d'abord construite autour d'une vie commune. Pour
beaucoup, l'argent possède une place secondaire. Ma famille était pauvre,
mais nous restions heureux et soudés. En Guinée, la famille demeure la
première cellule de la société, le lieu où nous apprenons à être attentifs
aux autres et à les servir sans ostentation. Je crois que l'Europe et
l'Occident doivent retrouver le sens de la famille en regardant les
traditions que l'Afrique n'a jamais abandonnées. Dans mon continent, la
famille constitue le creuset des valeurs qui irriguent toute la culture, le
lieu de la transmission des coutumes, de la sagesse et des principes moraux,
le berceau de l'amour gratuit. Sans la famille, il n'y a plus ni société ni
Église. En famille, les parents transmettent la foi. C'est la famille qui
pose les fondements sur lesquels nous structurons l'édifice de notre
existence. La famille est la petite Église où nous commençons à rencontrer
Dieu, à l'aimer et à tisser des rapports personnels avec Lui.
Mon père m'a appris à beaucoup aimer la Vierge Marie. Je le revois encore se
jeter à genoux, dans le sable d'Ourous, pour prier l'angélus, chaque jour, à
midi et le soir. Je n'ai jamais oublié ces moments où il fermait les yeux
pour rendre grâce à Marie. Je l'imitais et je récitais mes prières pour la
mère de Jésus, à ses côtés.
Les parents sont les premiers éducateurs de l'homme. Dans la famille,
l'homme peut apprendre à vivre et à manifester la présence de Dieu. Si le
Christ constitue le lien d'une famille, alors celle-ci aura une solidité
indestructible. En Afrique, il existe une place importante qui est réservée
aux anciens ; le respect dû aux personnes âgées est une des pierres d'angle
de la société africaine. Je pense que l'homme européen ne réalise pas à quel
point les peuples d'Afrique sont choqués par le peu de cas qui est réservé
aux anciens dans les pays occidentaux. Cette manière de cacher la
vieillesse, de la tenir à l'écart, est le signe d'un égoïsme préoccupant,
d'une absence de cœur, ou, pour mieux dire, d'un durcissement. Certes, les
personnes âgées ont tout le confort et les soins physiques nécessaires. Mais
il leur manque la chaleur, la proximité et l'affection humaines de leurs
proches trop occupés par leurs obligations professionnelles, leurs loisirs
et leurs vacances.
En fait, la famille est un espace où l'homme apprend à être au service de la
société. En Afrique, la famille n'a jamais été fermée sur elle-même ; elle
prend place dans un large tissu social. L'ethnie et le village sont
généralement le prolongement naturel de la famille ; l'ethnie porte la
culture, protège et transmet des traditions très anciennes. « II faut tout
un village pour éduquer un enfant », dit un proverbe africain. Chacun reçoit
et, dans un même mouvement, participe à la survie du groupe ; je parle de
survie, car rien n'est facile. Certes, je n'ignore pas que ce sentiment
d'appartenance peut faire l'objet de graves perversions, en particulier
lorsque des ethnies rentrent dans des logiques d'orgueil, de haine et de
mépris des autres.
Pourtant, rien ne remplace la famille où nous pouvons comprendre la
profondeur du don et de l'amour. J'ai appris de mes parents à donner. Nous
étions habitués à recevoir, ce qui imprima en moi l'importance de l'accueil
et de la gratuité. Pour mes parents, et tous les habitants de mon village,
le fait de recevoir les autres impliquait que nous cherchions à les rendre
heureux. L'harmonie familiale peut être le reflet de l'harmonie du Ciel.
Voilà le vrai trésor de l'Afrique !
D'autres régions du monde seraient en grave danger si elles venaient à
perdre cette « source du don ». Dès novembre 1981, dans son exhortation
apostolique
familiaris-consortio, Jean-Paul II a ressenti l'urgente nécessité
d'écrire que « la situation dans laquelle se trouve la famille présente des
aspects positifs et négatifs : les uns sont le signe du salut du Christ à
l'œuvre dans le monde ; les autres, du refus que l'homme oppose à l'amour de
Dieu. Car, d'une part, on constate une conscience plus vive de la liberté
personnelle et une attention plus grande à la qualité des relations
interpersonnelles dans le mariage, à la promotion de la dignité de la femme,
à la procréation responsable, à l'éducation des enfants ; il s'y ajoute la
conscience de la nécessité de développer des liens entre familles en vue
d'une aide spirituelle et matérielle réciproque, la redécouverte de la
mission ecclésiale propre à la famille et de sa responsabilité dans la
construction d'une société plus juste. Mais, par ailleurs, il ne manque pas
d'indices d'une dégradation préoccupante de certaines valeurs fondamentales
: une conception théorique et pratique erronée de l'indépendance des
conjoints entre eux ; de graves ambiguïtés à propos du rapport d'autorité
entre parents et enfants ; des difficultés concrètes à transmettre les
valeurs, comme bien des familles l'expérimentent ; le nombre croissant des
divorces ; la plaie de l'avortement ; le recours sans cesse plus fréquent à
la stérilisation ; l'installation d'une mentalité vraiment et proprement
contraceptive ».
Je sais que la famille africaine a encore un magnifique horizon qui s'ouvre
à elle. J'aimerais ne pas douter que de telles promesses existent aussi pour
les familles européennes, américaines, asiatiques et océaniennes.
Le combat
pour la pérennité des racines de l'humanité est peut-être le plus grand défi
que notre monde a connu depuis ses origines.
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Sources : Extraits de la deuxième partie "Dieu
ou rien" - Entretien du cardinal Sarah avec Nicolas Diat -
E.S.M
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(E.S.M.) 14.01.2024