Benoît XVI : Dieu est Dieu au singulier
Le 13 mai 2023 - E.S.M. - Cependant, exprime Benoît XVI, la question se pose maintenant de savoir comment la foi en un seul Dieu peut dépasser le monde des dieux. La foi en un Dieu unique se trouve à l'origine historique de la religion pour être progressivement occultée par les divinités multiples avant d'être en mesure de supprimer à nouveau les dieux.


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Benoît XVI : Dieu est Dieu au singulier
Qu'est-ce que la religion ?

Un essai de définition du concept de religion1.

Lorsque nous voulons clarifier l'essence de la religion, il ressort comme premier point que la religion n'existe que dans les religions. Il n'y a pas de nature abstraite de la religion, seulement des formes concrètes de religion ; ce qui semble conduire à une impasse la tentative de trouver des moyens de dialogue. Les religions, en effet, apparaissent comme un édifice qui s'étend dans l'espace et le temps. Un examen plus approfondi montre toutefois que les religions à travers les continents apparaissent comme de grandes constructions qui ne peuvent pas être présentées de manière statique : en effet, elles sont historiquement dans un mouvement qui tend finalement à leur propre dépassement. Ce mouvement, cependant, ne les détruit pas, mais en réalité les purifie et les restaure dans leur nature la plus authentique.

Les religions dites tribales (que l'on appelait autrefois simplement paganisme) connaissent des divinités ordonnées à chaque secteur de la vie. Les cultes de fertilité sont les plus évidents : ils consistent à célébrer de manière joyeuse le mystère de la fécondité et à le recevoir d'une manière toujours nouvelle. C'est pourquoi le soin apporté à la préservation de la fécondité, l'action de grâces pour sa préservation et la joie qu'elle procure constituent l'essentiel de leur teneur. Ce faisant, on en arrive néanmoins à un abus extatique, dans lequel les éléments divins et humains s'entremêlent et perdent alors leur dignité. Ainsi, ces cultes ont conduit des sociétés entières à la ruine en remettant en cause la nature même de la religion. La lutte contre ces cultes et leurs tentations détermine largement le rapport de la foi biblique aux religions.

Bien sûr, il existe aussi un aspect positif dans ces religions, dans la mesure où elles sont ordonnées à la conservation et à la fertilité de la terre. Dans l'Antiquité tardive, elles se présentent comme l'essence même du paganisme, qui désormais se manifeste de manière tout à fait positive dans les processions propitiatoires, les rites et autres gestes similaires. Le christianisme, qui au départ ne connaissait pas ces formes de dévotion et s'opposait à la religiosité des campagnes, a finalement dû faire siens de nombreux éléments de ce genre, les purifier et les corriger, mais aussi accepter de nouvelles ouvertures et formes concrètes de dévotion. Les « Litanies majeures » ont été conservées comme prières de supplication presque jusqu'à nos jours. Ce qui était au départ un paganisme s'opposant à la foi est aujourd'hui une forme de vision chrétienne de la vie et du monde qui est malheureusement destinée à mourir. L'apparence de paganisme, qu'il semblait d'abord nécessaire d'éliminer, a contribué finalement à la représentation d'une vie qui est encore et toujours acceptée comme venant de Dieu.

Je voudrais mentionner ici un autre domaine particulièrement important : il s'agit de la manière de se rapporter à la maladie et à la mort. Il y a des mots et des gestes profondément émouvants dans les rituels païens, mais aussi un arbitraire qui profite de l'épreuve de la maladie et de la mort pour exercer une emprise. Le pouvoir des sorciers défigure le visage des religions tribales, aujourd'hui comme hier. Une expression essentielle de la relation avec les morts est, dans toutes les religions tribales, le culte des ancêtres, qui, dans le passé, était le plus souvent considéré en opposition avec la vision chrétienne de la vie et de la mort. À partir de son expérience, Horst Bûrkle a proposé une acceptation et représentation nouvelles du culte des ancêtres qui me semble digne d'intérêt. Il montre que l'individualisme qui s'est développé en Occident et qui résiste le plus au culte des ancêtres s'oppose aussi en fait à l'image chrétienne de l'homme protégé dans le corps mystérieux du Christ. Le lien de l'homme avec le Christ n'est pas seulement une relation entre deux personnes, mais crée un nouveau nous. En effet, la communion avec Jésus-Christ nous introduit dans le corps du Christ, c'est-à-dire dans la grande communauté de tous ceux qui appartiennent au Seigneur, et franchit ainsi également la frontière entre la mort et la vie. En ce sens, la communion avec ceux qui nous ont précédés est un élément essentiel de la vie chrétienne. Elle nous permet de trouver des formes de communion avec les morts, qui se présentent peut-être différemment en Afrique et en Europe, mais qui en tout cas rend possible une transformation riche de sens du culte des ancêtres.

Cependant, la question se pose maintenant de savoir comment la foi en un seul Dieu peut dépasser le monde des dieux. Le verbite Wilhelm Schmidt, à travers son œuvre, complexe, a soutenu la thèse selon laquelle la foi en un Dieu unique se trouve à l'origine historique de la religion pour être progressivement occultée par les divinités multiples avant d'être en mesure de supprimer à nouveau les dieux. Il a finalement reconnu qu'une telle évolution ne peut être démontrée. On a plutôt su que, d'une certaine manière, les dieux ne sont pas simplement le pluriel de Dieu. Dieu est Dieu au singulier. Il n'existe qu'à titre unique. La pluralité des dieux existe à un autre niveau. En effet, le monde dans ses différents éléments est régi par des dieux qui ne peuvent en dominer la totalité. En ce qui concerne le Dieu unique, ce que Erik Peterson a écrit dans son important ouvrage de jeunesse Le monothéisme comme problème politique, s'applique: « Le roi règne, mais il ne gouverne pas. » Tout au long de l'histoire des religions, Dieu a été considéré comme un monarque qui a le pouvoir sur tout, mais qui ne l'exerce pas. L'unique vrai Dieu n'a pas besoin de culte, parce qu'il ne menace personne et qu'il n'a besoin de personne. La bonté et la puissance de l'unique vrai Dieu conditionnent en même temps son insignifiance. Il n'a pas besoin de nous et l'homme croit ne pas avoir besoin de lui. Avec la prolifération de la croyance aux dieux, a grandi la nostalgie d'un Dieu qui, par sa puissance, libérerait l'homme du régime de peur qui s'était largement développé avec le polythéisme. Selon la conviction des chrétiens, c'est précisément ce qui s'est passé avec Jésus : le Dieu unique entre dans l'histoire des religions et dépose les dieux. C'est surtout Henri de Lubac qui a montré que le christianisme était perçu comme une libération de la peur dans laquelle le pouvoir des dieux avait enfermé les hommes. Le monde puissant des dieux s'est effondré, parce que le Dieu unique est arrivé et a mis fin à leur pouvoir.

J'ai essayé de décrire cela d'un peu plus près dans l'ouvrage collectif Gott in Welt (ndlr : Dieu dans le monde) publié à l'occasion du soixantième anniversaire de Karl Rahner, et j'ai pu établir qu'il y avait deux façons de sortir du polythéisme : tout d'abord, les religions monothéistes issues de la racine d'Abraham, dans lesquelles le Dieu unique en tant que personne détermine le monde entier ; et, à côté de celles-ci, les religions mystiques dont la forme principale est le bouddhisme hinayana [« Petit Véhicule »]. Dans celui-ci, il n'y a pas de Dieu unique et personnel, mais un Dieu unique qui se dissout, devient évanescent ; la voie du Bouddha tend vers l'annihilation. En réalité, cette forme sévère de dissolution mystique de toutes les figures individuelles ne s'est pas imposée, mais elle est restée comme une fin à atteindre et a exercé une puissante attraction précisément dans les cultures européennes anciennement chrétiennes. Dans le monde germanophone, elle a trouvé son expression dans la phrase attribuée à Karl Rahner : « Le chrétien de demain sera un mystique ou n'existera plus. » Apparemment, cela vise à une intériorisation et un approfondissement intérieur de la foi. Je ne sais pas exactement ce que Rahner entendait par cette phrase. Pour beaucoup, cependant, elle ne fait que dissimuler l'intention de présenter comme secondaires toutes les formes concrètes de foi afin de parvenir ultimement à une religion impersonnelle, comme celle que Luise Rinser désigne comme forme supérieure de l'être chrétien à l'époque qui était la sienne. Elle m'a personnellement expliqué que le but de la publication de l'échange épistolaire avec Karl Rahner était de démontrer qu'elle était une mystique et que le long parcours spirituel qu'elle avait effectué avec Rahner dans les années du concile et de l'après-concile conduisit finalement à interpréter mystiquement le christianisme. Il ne m'est pas apparu clairement dans quelle mesure Luise Rinser voulait impliquer Rahner dans la transformation du christianisme en une religion mystique. En tout cas, elle a voulu proposer une explication de la célèbre phrase de Rahner comme ouverture vers le futur.

En vérité, une telle interprétation du christianisme contredit son essence profonde et sa manifestation concrète dans l'histoire. Pour le chrétien, le Dieu qui, en Jésus Christ, lie ses mains et son cœur au genre humain, et qui, pour nous et en nous, a enduré d'être un homme jusqu'à la mort et au-delà de la mort, ce Dieu est le centre du christianisme. Toute la querelle, dans l'histoire des religions, entre Dieu et les dieux [entre monothéisme et polythéisme] ne s'achève pas avec la disparition de Dieu comme un fétiche. Au contraire, elle se conclut par la victoire du seul vrai Dieu sur les dieux qui ne sont pas Dieu. Elle s'achève donc par le don de l'amour qui suppose que la nature de Dieu soit personnelle. Par conséquent, pour l'homme aussi, elle se termine par le fait qu'il devient une personne à part entière en acceptant et en témoignant qu'il est aimé de Dieu.

1 Ce texte a été achevé le 19 mars 2022.


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Sources : Extraits du Testament spirituel de Benoit XVI - E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 13.05.2023