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Le cri d'alarme d'un liturgiste ratzingerien
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Le 12 octobre 2013 -
(E.S.M.)
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Il a envoyé son aumônier à Lampedusa parmi les réfugiés. Il a
jeté le trouble chez les personnes attachées à la tradition. Le cri
d'alarme d'un liturgiste "ratzingerien".
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Le cri d'alarme d'un liturgiste ratzingerien
Les aumônes et la liturgie, telles que François les veut
par Sandro Magister
Le 12 octobre 2013 - E.
S. M. - La réforme globale de la curie du Vatican doit
encore être entièrement élaborée par les huit cardinaux qui en reçu la
mission. Mais, pour le moment, le pape François avance de son côté. Dans les
faits.
Il y a une fonction, celle d’aumônier pontifical, qu’il a déjà complètement
réorganisée. En y plaçant un de ses hommes de confiance et le mettant tout
de suite au travail selon la nouvelle organisation.
Et il a également commencé à effectuer, dans un domaine crucial comme la
liturgie, des changements si importants qu’ils suscitent une attente fébrile
quant à ce que seront les étapes suivantes.
MAIN DU PAPE CHEZ LES PAUVRES
Depuis le 3 août, le nouvel aumônier pontifical est l’archevêque polonais
Konrad Krajewski, 50 ans, qui a longtemps été l’un des cérémoniaires des
liturgies pontificales, mais que le pape François a récompensé surtout pour
l'activité volontaire qu’il exerçait parallèlement, c’est-à-dire de se
mettre au confessionnal tous les après-midi, de visiter des malades et de
s’approcher chaque soir des pauvres qui peuplent les environs de la
basilique Saint-Pierre, pour leur apporter de la nourriture et du réconfort.
Quand il a fait de lui son aumônier, le pape Jorge Mario Bergoglio lui a
également indiqué comment il devait réorganiser les missions de sa fonction
: "Tu ne resteras pas derrière un bureau à signer des parchemins. Je veux
que tu sois tout le temps parmi les gens. À Buenos Aires je sortais souvent
le soir pour aller à la rencontre des pauvres. Maintenant je ne peux plus le
faire : il m’est difficile de sortir du Vatican. C’est toi qui le feras pour
moi".
Voilà ce que Krajewski a raconté à "L'Osservatore Romano", lors d’une
interview, publiée le 4 octobre, dans laquelle il a expliqué en quoi
consistaient ses nouvelles missions.
Traditionnellement, l’aumônier pontifical faisait parvenir des parchemins
comportant la bénédiction papale aux personnes qui en avaient fait la
demande. Avec l’argent ainsi récolté et avec d’autres offrandes, il faisait
parvenir à des gens qui étaient dans le besoin de "modestes dons", qui,
dernièrement, s’élevaient à un peu moins d’un million d’euros par an.
Avec le pape François, l'aumônier portera lui-même les aides. Et Krajewski
d’expliquer :
"Je vous donne un exemple. Si quelqu’un demande qu’on l’aide à payer une
facture [d’électricité ou de gaz], c’est une bonne chose que je me rende, si
c’est possible, à son domicile afin de lui apporter matériellement cette
aide, pour lui faire comprendre que le pape, à travers son aumônier, est
proche de lui".
Ces jours-ci, lorsque des centaines de réfugiés qui fuyaient la Syrie,
l'Érythrée et d’autres pays africains se sont noyés en Méditerranée au large
de Lampedusa, Krajewski s’est rendu sur l’île, où le pape François était
déjà venu le 8 juillet, pour bénir les corps récupérés dans la mer,
rencontrer les survivants, leur faire sentir que le pape était proche d’eux
et "donner à chacun une aide consistante pour faire face aux besoins les
plus immédiats". Chacun des plongeurs qui descendaient dans l’eau pour
récupérer un corps – a indiqué "L'Osservatore Romano" – "avait sur
lui un chapelet béni par le pape François".
Pour ce qui est de la future curie réformée, il y a donc déjà l’aumônier
pontifical. Remis à neuf.
Quant au prédécesseur de Krajewski, l'archevêque Guido Pozzo, qui fut un
proche collaborateur de Joseph Ratzinger à la congrégation pour la doctrine
de la foi, il a retrouvé un poste qui lui convient mieux, celui de
secrétaire de la commission pontificale "Ecclesia Dei", qui est
chargée des groupes catholiques les plus traditionalistes et qui s’efforce
de réconcilier avec l’Église de Rome les disciples de l’archevêque
schismatique Marcel Lefebvre.
Mais, avec un pape comme François, non seulement une réconciliation avec les
lefebvristes apparaît exclue, mais l’avenir semble incertain même pour les
catholiques traditionalistes. Déjà les premiers gestes de Bergoglio dans le
domaine de la liturgie ont créé un malaise parmi ces derniers.
TROIS RAISONS POUR UNE INQUIÉTUDE
Dans le domaine de la liturgie, le pape Bergoglio a pris jusqu’à maintenant
deux décisions publiques.
La première est celle qui a fait le plus de bruit : l’interdiction faite à
la congrégation des religieux franciscains de l'Immaculée de célébrer la
messe selon le rite ancien :
Pour la première fois François contredit Benoît
Cette interdiction a été perçue comme une limitation apportée à la liberté
de célébrer la messe selon le rite ancien que le pape Benoît a donnée à tout
le monde par le motu proprio "Summorum pontificum" de 2007.
L'intention du pape Ratzinger – exprimée dans une lettre adressée aux
évêques du monde entier – était de rendre à la liturgie catholique la
"splendeur de vérité" masquée par de très nombreuses innovations
postconciliaires, grâce à un enrichissement réciproque des deux formes du
rite romain, l’ancienne et la moderne.
En revanche l'opinion du pape François à ce sujet est plus restrictive. Dans
l’interview qu’il a accordée à "La Civiltà Cattolica", il a déclaré que la
possibilité de célébrer la messe selon le rite ancien est une simple
concession à la nostalgie de "personnes qui ont cette sensibilité".
Bergoglio n’est pas tendre avec les traditionalistes. Dans la même
interview, il a jugé "préoccupant le risque d’idéologisation du 'vetus
ordo', son instrumentalisation". Et, en deux autres occasions, il les a
qualifiés de partisans d’une "restauration d’attitudes et de formes
dépassées qui, même au point de vue culturel, ne peuvent pas être
significatives".
*
La seconde décision qui a été prise par le pape François dans le domaine de
la liturgie a été de remplacer en bloc les cinq consulteurs du service des
célébrations pontificales.
Alors que les consulteurs précédents étaient en harmonie avec la manière de
célébrer de Benoît XVI, on voit au contraire réapparaître, parmi les
nouveaux, quelques-uns des plus ardents partisans des innovations
introduites pendant le pontificat de Jean-Paul II sous la direction de Piero
Marini, qui était alors maître des cérémonies pontificales.
Le bruit court au Vatican – au grand effroi des partisans de la tradition –
que Bergoglio pourrait carrément nommer Piero Marini préfet de la
congrégation pour le culte divin. Mais même si ces bruits s’avéraient
infondés, il reste le fait que, actuellement, les liturgies pontificales
sont spectaculairement différentes de celles de Benoît XVI.
Cette différence a atteint son point culminant lors de la messe célébrée par
le pape François sur la plage de Copacabana, à la fin des Journées Mondiales
de la Jeunesse qui ont eu lieu à Rio de Janeiro, avec le "musical" qui a été
introduit au cœur même de la liturgie, comportant des solistes, des chœurs
et des rythmes dignes d’un stade.
Mais, sans en arriver à ces excès, il y a, dans la manière de célébrer du
pape actuel, des éléments récurrents qui ont frappé de façon négative des
fidèles. Pendant la messe, après la consécration du pain et du vin, le pape
François ne fait jamais la génuflexion prescrite par la liturgie, mais il se
contente de s’incliner. Et à Rio de Janeiro, pendant la veillée nocturne
transmise en mondovision, il ne s’est pas mis à genoux lors de l'adoration
du saint sacrement, mais il est resté debout ou assis.
Cependant il est vrai aussi que, à la fin de la journée de prière et de
jeûne pour la paix qu’il avait organisée le 7 septembre, il est resté
longtemps agenouillé lors de l'adoration eucharistique sur la place
Saint-Pierre.
Et il faut également rappeler que, au cours du voyage aérien qui le ramenait
de Rio de Janeiro, le pape François a exprimé son admiration pour les
liturgies orientales, pleines de sacralité et de mystère et très fidèles à
la tradition. Voici ce qu’il a déclaré :
"Les Églises orthodoxes ont conservé cette liturgie originelle, qui est
tellement belle. Nous avons un peu perdu le sens de l'adoration. Elles l’ont
conservé, elles louent Dieu, elles adorent Dieu. Nous avons besoin de ce
renouvellement, de cette lumière venue d’Orient".
Et en effet le pape François a nommé, parmi les cinq nouveaux consulteurs du
service des célébrations pontificales, un moine de rite oriental, Manuel
Nin, recteur du Collège Pontifical Grec de Rome. À côté de consulteurs
d’orientation toute différente, comme le servite Silvano Maggiani et le
montfortain Corrado Maggioni, l’un et l’autre de l’équipe de Piero Marini.
Il y a donc chez Bergoglio une oscillation dans les nominations, dans les
gestes et dans les mots qui fait qu’il est difficile d’interpréter ses
décisions et plus encore de prévoir ce qu’il va faire à l’avenir.
*
Mais, en plus des deux décisions que l’on vient d’évoquer, le pape François
en a pris, de manière discrète, une troisième : il a bloqué l'examen des
messes des communautés néocatéchuménales qu’avait entrepris la congrégation
pour la doctrine de la foi.
L'ordre de vérifier si ces messes comportent des abus liturgiques, et
lesquels, avait été donné personnellement par Benoît XVI, au mois de février
2012 :
Cette messe étrange dont le pape ne veut
pas
Le début de cet examen avait été nettement défavorable au "Chemin" fondé et
dirigé par Francisco "Kiko" Argüello et Carmen Hernández, qui ont toujours
fait preuve d’une grande désinvolture quand il s’agissait de modeler les
liturgies selon leurs critères.
Mais maintenant ils se sentent en sécurité. Ils ont eu la confirmation que
le danger était éloigné, de la bouche même du pape François, lors d’une
audience qu’il leur a accordée le 5 septembre.
*
Ce qui est certain, c’est que le pape actuel, dans l’interview accordée à
"La Civiltà Cattolica" qui constitue le manifeste de son début de
pontificat, montre, quand il décrit la réforme liturgique postconciliaire,
qu’il la conçoit en termes purement fonctionnels :
"Le travail de la réforme liturgique a été un service au peuple en tant que
relecture de l’Évangile à partir d’une situation historique concrète".
Si Bergoglio avait été un élève du professeur Ratzinger – universitaire de
très haut niveau et très attaché à cette liturgie que le concile Vatican II
a désignée comme "sommet et source" de la vie de l’Église – il aurait vu
cette phrase soulignée à l’encre rouge.
*
La note ci-dessous a pour auteur l’un de ces consulteurs du service des
célébrations pontificales qui ont été congédiés par le pape François, le
liturgiste "ratzingerien" Nicola Bux."
Et elle a été écrite comme "une invitation à la réflexion pour tous ceux qui
font courir le bruit selon lequel le pape François va 'changer' la
liturgie".
***
"CHANGER" LA LITURGIE ?
par Nicola Bux
Actuellement le désaccord concernant la nature de la liturgie est plus que
manifeste. Est-elle l’œuvre de Dieu, dans laquelle il a une compétence et
des droits ? Ou bien est-elle une activité humaine dans laquelle nous
pouvons faire ce que nous voulons ?
Les ombres, les abus et les déformations – des termes utilisés par Paul VI,
Jean-Paul II et Benoît XVI et qui montrent les effets de la soif
d’innovation – ont mis dans un coin la tradition selon laquelle “ce qui
était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous
et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré
comme néfaste. Il est bon pour nous tous de conserver les richesses qui ont
grandi dans la foi et dans la prière de l’Église et de leur donner leur
juste place” (Benoît XVI, dans la lettre aux évêques qui accompagnait le
motu proprio "Summorum pontificum").
Sans "traditio" – la transmission de ce que nous avons reçu, comme l’écrit
l'Apôtre – ce qui est nouveau ne se développe pas de manière organique. Le
désaccord ne peut se résoudre que si l’on comprend que la liturgie est
sacrée, c’est-à-dire qu’elle appartient à Dieu et que celui-ci y est présent
et agissant.
Mais à qui incombe la sauvegarde des droits de Dieu sur la liturgie sacrée ?
C’est au Siège Apostolique et, selon le droit, à l’évêque ainsi que, dans
certaines limites, aux conférences épiscopales, qu’il revient de “moderare”
la liturgie : c’est ce que dit le texte latin de la constitution liturgique
du concile Vatican II (n° 22, § 1-2).
Que signifie “moderare”? Si l’on se réfère à d’autres actes de Vatican II,
cela signifie sauvegarder la légitime diversité des traditions dans les
domaines liturgique, spirituel, canonique et théologique : pensons aux
liturgies occidentales que sont la romaine et l'ambrosienne et aux
nombreuses liturgies orientales qui sont conservées au sein de la seule
Église catholique.
Le mot “moderare” peut également être traduit par “organiser”, ce qui
suppose que l'opération se fasse "sous la direction" d’une autorité suprême.
Un autre document de Vatican II, le décret relatif à l'œcuménisme (Unitatis
redintegratio n° 14), nous apprend que les rédacteurs du texte comprenaient
"moderante" comme signifiant "sous la présidence", ou en français :
"intervenant d’un commun accord" (la traduction française a été faite par
les rédacteurs du décret). La formule limite les interventions romaines "ad
extra", à l’apparition d’un désaccord grave à propos de la foi ou de la
discipline.
La sacralité de la liturgie conduit donc la constitution liturgique
conciliaire à tirer les conséquences : “C’est pourquoi absolument personne
d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou
changer quoi que ce soit dans la liturgie” (n° 22 § 3).
Le Catéchisme de l’Église catholique a de plus précisé que “même l’autorité
suprême dans l’Église [autrement dit le pape - ndr] ne peut changer la
liturgie à son gré, mais seulement dans l’obéissance de la foi et dans le
respect religieux du mystère de la liturgie” (n° 1125).
Voici ce que Joseph Ratzinger a écrit dans la préface au livre d’Alcuin Reid
"Lo sviluppo organico della liturgia" [Le développement organique de la
liturgie], éditions Cantagalli, Sienne, 2013 :
“Il me semble très important que le Catéchisme, lorsqu’il mentionne les
limites du pouvoir de l’autorité suprême dans l’Église en ce qui concerne la
réforme, rappelle quelle est l'essence de la primauté, comme cela est
souligné par les conciles Vatican I et II : le pape n’est pas un monarque
absolu dont la volonté a force de loi, il est plutôt le gardien de
l’ancienne Tradition [l’une des deux sources de la révélation divine – ndr)
et le premier garant de l'obéissance. Il ne peut pas faire ce qu’il veut et
précisément pour cette raison il peut s’opposer à ceux qui entendent faire
ce qu’ils veulent. La loi à laquelle il doit s’astreindre est non pas
l’action 'ad libitum', mais l’obéissance de la foi. C’est pourquoi, en ce
qui concerne la liturgie, il fait le travail d’un jardinier et non pas celui
d’un technicien qui construit des machines neuves et jette les vieilles. Le
'rite', c’est-à-dire la forme de célébration et de prière qui se développe
dans la foi et dans la vie de l’Église, est une forme condensée de la
Tradition vivante, dans laquelle la sphère du rite exprime l'ensemble de sa
foi et de sa prière, ce qui permet d’expérimenter, en même temps, la
communion entre les générations, la communion entre ceux qui prient avant
nous et ceux qui prient après nous. Par conséquent le rite est comme un don
fait à l’Église, une forme vivante de 'paradosis'".
Voilà une invitation à la réflexion pour tous ceux qui font courir le bruit
selon lequel le pape François va “changer” la liturgie.
Au siècle dernier, en Russie, la tentative du patriarche Nikon de changer
les livres liturgiques orthodoxes a eu comme résultat un schisme. De même,
chez les catholiques, le schisme de Mgr Lefebvre a été dû, pour une bonne
part, au fait que l’on avait touché à la liturgie et nous en subissons
encore aujourd’hui les conséquences.
__________
En plus de Nicola Bux, les consulteurs du service des célébrations
liturgiques pontificales qui ont été congédiés par le pape François sont
Mauro Gagliardi, Juan José Silvestre Valor, Michael Uwe Lang et Paul Gunter.
Le pape a nommé à leur place, le 26 septembre, Silvano Maggiani, Corrado
Maggioni, Giuseppe Midili, Angelo Lameri et Manuel Nin.
►
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 12.10.2013-
T/International |