« Nous ne pouvons pas dire qu’un chant équivaut
à un autre » |
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Le 9 décembre 2007 -
(E.S.M.) -
La musique chantée à la messe est depuis longtemps un sujet de débat
entre catholiques, et de nombreux articles ont été publiés dans quantité
de revues soit pour approuver soit pour déplorer l’état actuel de la
musique liturgique.
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« le trésor de
la musique sacrée sera conservé et cultivé avec la plus grande sollicitude »
(SC 114)
« Nous ne pouvons pas dire qu’un chant équivaut à un autre »
Chanter la Messe
par Susan Benofy
[ Article paru dans Adoremus Bulletin,
novembre 2007. Traduction : Remi Lucet, publié avec son aimable autorisation ]
« Le peuple de Dieu rassemblé pour la célébration chante les louanges de
Dieu. L’Église, dans son histoire bimillénaire, a créé et continue de créer
des musiques et des chants qui constituent un patrimoine de foi et d’amour
qui ne doit pas être perdu. En réalité, dans la liturgie nous ne pouvons pas
dire qu’un cantique équivaut à un autre. » - Benoît XVI,
"Sacramentum Caritatis",
n. 42.
La musique chantée à la messe est depuis longtemps un sujet de débat entre
catholiques, et de nombreux articles ont été publiés dans quantité de revues
soit pour approuver soit pour déplorer l’état actuel de la musique
liturgique. Ce débat s’est récemment intensifié à cause de l’approbation
d’un répertoire de chant liturgique lors de la réunion de novembre 2006 de
la Conférence des évêques des États-Unis d’Amérique.
Ce répertoire constitue la réponse à l’instruction
Liturgiam authenticam (n. 108)
demandant que les Conférences des évêques compilent un « directoire ou
répertoire de textes destinés au chant liturgique » et qu’il soit soumis
pour approbation (recognitio) par le Saint-Siège. Le travail approuvé
pour les évêques américains attend donc sa recognitio.
C’est la première fois, en presque quarante ans, que se tient un tel débat à
la Conférence épiscopale, et que l’on y mène une réflexion approfondie sur
la musique liturgique lors d’une session plénière. La
plupart des pratiques liturgiques qui ont suivi le Concile Vatican II ont,
en effet, été amorcées et développées pratiquement sans aucune directive
épiscopale – ceci en dépit du fait que les documents officiels leur
donnaient autorité sur cet aspect de la liturgie. En particulier, la
Présentation
générale du Missel Romain
(PGMR) demandait
que soient approuvés par les conférences les textes des cantiques chantés
pendant la liturgie. Dans son édition récente de 2002, le paragraphe 48
précise que :
(…) Dans les diocèses des États-Unis d’Amérique, on choisira pour l’introït
entre l’une de ces quatre possibilités : (1) l’antienne du Missel romain, ou
le Psaume du Graduale romanum tel qu’il est mis en musique (grégorien) ou
sur une autre mélodie ; (2) l’antienne du temps liturgique et le psaume du
Graduale simplex, (3) un chant tiré d’une autre collection de psaumes et
d’antiennes, approuvé par la Conférence des évêques, ou par l’ordinaire du
lieu, (4) un chant liturgique approprié approuvé pareillement. Si l’on ne
chante pas l’introït, l’antienne du Missel est récitée soit par les fidèles,
soit par certains d’entre eux, soit par un lecteur (…)
[ NdT : la traduction française de la PGMR est plus fidèle à l’original
latin qui fait foi : « On peut utiliser ou bien l’antienne avec son
psaume qui se trouvent soit dans le Graduale romanum soit dans le Graduale
simplex ; ou bien un autre chant accordé à l’action sacrée, au caractère du
jour ou du temps, et dont le texte soit approuvé par la Conférence des
évêques. » ]
Des choix semblables sont mentionnés pour les chants de l’Offertoire et de
la Communion. En pratique, c’est presque toujours la quatrième option qui
est utilisée – « un chant liturgique approprié ». On remarquera que
ce chant doit obtenir une approbation officielle. Dans l’original en latin
de la PGMR, il apparaît clairement que c’est le texte qui doit être
approuvé, et que cette approbation doit émaner de la Conférence des évêques.
La possibilité d’une approbation simple par l’évêque du lieu est une
adaptation américaine. En fait, il n’existe à ce jour aucune véritable
procédure permettant l’approbation des textes des chants utilisés au cours
de la liturgie.
En l’absence d’un telle procédure, les compositeurs déversent à flots
continus de nouveaux cantiques et de nouvelles mélodies que les éditeurs
s’empressent frénétiquement de promouvoir dans leurs publications et leurs
ateliers. Pour de nombreuses raisons, cette musique « contemporaine »
destinée à la liturgie a virtuellement supplanté tous les autres styles au
cours des décennies qui ont suivi le Concile, avec comme résultat que le «
riche patrimoine de foi et d’amour » issu de l’héritage de l’Église est
pratiquement perdu.
Pour commencer à se réapproprier cet héritage, les évêques lors de ces
débats récents au sujet de l’approbation des textes des chants et des
cantiques autorisés pendant la liturgie sacrée, sont bien obligés de
reconnaître deux points fondamentaux : tout d’abord que ces chants et
cantiques modernes ne sont que des substituts aux textes et mélodies issus
des livres liturgiques officiels ; et ensuite que ces textes officiels, si
négligés, restent le choix préféré pour ce qui doit être chanté au cours de
la messe. De nos jours, l’usage des chants liturgiques modernes est devenu
une pratique à ce point majoritaire que peu de gens sont seulement
conscients de l’existence de ces textes et mélodies propres, et encore bien
moins savent où les trouver. En dépit de quelques signes encourageants de
renaissance de la musique liturgique authentique, les discussions, lorsqu’il
s’agit de choisir des chants, se concentrent trop souvent et presque
exclusivement sur le choix de « chants liturgiques appropriés ».
La voix de l’Église
L’abandon des mélodies et des textes traditionnels de la messe n’était
clairement pas l’intention des pères du Concile, qui décrétaient dans la
Constitution sur la Liturgie,
Sacrosanctum Concilium (1963)
que « le trésor de la musique sacrée sera conservé
et cultivé avec la plus grande sollicitude » (SC 114). Ce
principe a été par la suite éclairé en 1969 par le Consilium (le
groupe d’évêques et d’experts désignés par le pape Paul VI pour mettre en
pratique la Constitution sur la Liturgie), qui a répondu à la question de
savoir si l’autorisation de chanter des hymnes en langue vernaculaire au
cours d’une messe basse (« Missa lecta ») – donnée dans l’instruction
De musica sacra et sacra liturgia en septembre 1958 (n. 33) – était
toujours valide. (Avant le Concile, les cantiques chantés au cours d’une
messe basse ne devaient pas remplacer les textes prescrits, mais s’y
ajoutaient, et étaient considérés seulement comme une forme de participation
« indirecte »).
La réponse du Consilium était très claire :
« Cette règle [permettant l’usage de chants en langue vernaculaire] est
désormais caduque. Ce qui doit être chanté, c’est la messe
(son Ordinaire et
son Propre), et pas "quelque chose", quelque soit sa qualité, qui se
surajouterait à la messe. Parce que le service liturgique est un, il n’a
qu’un seul contenu, un seul visage, une seule voix : la voix de l’Église.
Continuer de remplacer les textes de la messe devant être célébrée par des
chants même pieux et recueillis, au lieu d’utiliser ceux de la messe du jour
est la source d’une ambiguïté inacceptable : c’est tromper les gens. Le
chant liturgique n’est pas constitué d’une mélodie seule, mais de mots, de
textes, de pensées et de sentiments que la poésie et la musique renferment.
De tels textes doivent être ceux de la messe et nul autres. « Chanter »
signifie chanter la messe et pas seulement chanter pendant la messe. » –
(Cette réponse a été publiée en italien dans le journal officiel du Consilium : Notitiae 5 [1969] p. 406.)
Le Propre et le Graduel Romain
Ces textes liturgiques spécifiques (ou propres)
d’un jour particulier ou
d’une fête sont appelés le propre de la messe. Les textes du propre sont
essentiellement des extraits directs de l’Écriture, et nombre d’entre eux
sont associés à la même fête ou à la même solennité depuis des siècles. Cet
ensemble de pièces est rassemblé dans un livre liturgique officiel, le
Graduale romanum (Graduel romain).
Avant la réforme liturgique de 1970, ces textes spécifiques du propre
devaient être lus ou chantés au cours de chaque messe. On était libre
d’employer d’autres mélodies que celles du Graduale, mais le texte lui-même
ne devait pas être modifié.
Dans le cadre de la réforme de la messe, inspirée par le Concile Vatican II,
plusieurs points ont affecté l’usage des chants du propre. Deux d’entre eux
sont des réponses directes aux demandes de Sacrosanctum Concilium (SC 117)
qui stipulaient que :
« On achèvera l’édition typique (editio typica) des livres de chant
grégorien ; bien plus, on procurera une édition plus critique des livres
déjà édités postérieurement à la restauration de saint Pie X. Il convient
aussi que l’on procure une édition contenant des mélodies plus simples à
l’usage des petites églises. »
En réponse à la première demande, une nouvelle édition du Graduale romanum a
vu le jour. Toutefois, étant donné que cette nouvelle édition a dû être
révisée pour tenir compte de la réforme du calendrier liturgique, sa
publication a été attendue pendant plus de dix ans
(elle est parue en 1974).
En réponse à la deuxième demande, de fournir « des mélodies plus simples à
utiliser dans les petites églises » – une version officielle de textes de
substitution assortis de leur mélodie a été publiée. Cette collection,
connue sous le Graduale simplex (Graduel simple), est parue en 1967. Le but
de cette édition simplifiée était de permettre aux plus petites églises de
chanter le propre de la messe selon les mélodies grégoriennes. La commission
chargée de la compilation de cette édition a produit un ensemble de mélodies
grégoriennes – sous la forme de courts refrains alternés avec des versets de
Psaume – pour chaque saison liturgique, plutôt qu’un répertoire différent
pour chaque dimanche et fête.
Il y a donc deux recueils de textes officiels
(en latin) destinés à être
chantés pendant les messes : un recueil complet pour tous les dimanches et
fêtes du calendrier liturgique
(et pour quelques jours de la semaine) dans
le Graduale romanum, et un recueil de textes et mélodies plus simples,
accordés aux saisons liturgiques, dans le Graduale simplex.
Bien peu de Catholiques ont eu l’occasion de voir un exemplaire de l’un ou
l’autre de ces Graduels, mais la plupart ont sûrement remarqué que l’on
trouve des textes d’une antienne d’entrée et d’une antienne de communion
dans les missels jetables utilisés couramment dans les paroisses – ce sont
les mêmes antiennes qui apparaissent dans le Sacramentaire actuellement en
vigueur (édition de 1973/74). Mais ce ne sont pas rigoureusement les mêmes
antiennes que dans les Graduels officiels. Alors, d’où ces textes
proviennent-ils ?
Une troisième collection de textes du propre…
Les antiennes que l’on trouve dans les petits missels et dans le
Sacramentaire sont, en fait, une troisième série de textes destinée aux
parties du propre, spécialement conçue pour les messes où ces textes ne sont
pas chantés. Ces antiennes sont donc destinées seulement aux messes lues.
Certains pensent, à tort, que ces antiennes supplémentaires sont destinés à
être chantés et/ou qu’elles sont tirées du Graduale romanum. En fait, les
antiennes mentionnées pour l’introït dans le Missel correspondent presque
toujours à celles du Graduel, mais aucune d’entre elles ne comprend le
verset du psaume qui fait partie intégrante de l’introït complet.
Les textes de ce troisième recueil du propre ont donc été choisis
spécialement pour être récités au cours des messes où l’on n’a pas de chant.
(Pour plus de détails sur cette question, on se reportera à l’article «
Graduel ou Missel ? La confusion résolue » de Christopher Tietze paru dans
le numéro de l’hiver 2006 de Musique sacrée, la publication trimestrielle de
l’Association américaine de musique liturgique).
La Constitution apostolique
Missale Romanum par laquelle le « missel romain
révisé par décret du Concile Vatican II » a été promulguée, fait une mention
spéciale de la version révisée des antiennes et leur destination :
« Même si les textes du Graduale romanum n’ont pas été modifiés, du moins
pour ce qui concerne le chant, le psaume responsorial, dont saint Augustin
et saint Léon le Grand parlent si souvent, a été restauré. De même, toujours
pour en rendre la compréhension plus aisée, les antiennes d’entrée et de
communion ont été révisées afin d’être utilisées au cours des messes lues. »
En dépit de ces trois séries de textes officiels, les textes du propre ont
été pratiquement perdus dans la mise en œuvre de la réforme. Pourquoi ?
Perte de notre héritage
Comme à l’accoutumée, comprendre pourquoi la réforme liturgique demandée par
le Concile est ainsi sortie de ses rails nécessite de procéder à un retour
en arrière pour voir comment elle a été accomplie.
La mise en œuvre de la réforme conciliaire après de la messe s’est déroulée
par étapes. Les premières réformes ont été introduites le 29 novembre 1964,
moins d’un an après la promulgation de Sacrosanctum Concilium. La version
révisée du rite de la messe et des rubriques n’avait pas encore été
formulée, mais certaines parties de la messe ont été modifiées et quantité
de passages, comprenant le propre, ont reçu l’autorisation d’être dits ou
chantés en langue vernaculaire. De nombreux liturgistes ont ainsi voulu
favoriser l’utilisation la plus étendue possible de traductions tout autant
qu’une large participation vocale de l’assemblée. C’est la raison pour
laquelle l’utilisation de cantiques s’est alors trouvée largement promue.
Par exemple, en 1964 la Conférence Liturgique
[ NdT : une association
américaine, fondée en 1944, et œuvrant pour le renouveau liturgique dans les
Églises ] a publié un « Programme pour la liturgie paroissiale » – une série
de documents destinés à instruire les pasteurs, les musiciens et les
paroissiens sur la façon de mettre en œuvre la réforme liturgique. Cette
organisation était très influente dans le « Mouvement liturgique » de
l’époque, et son matériel pédagogique avait apparemment été entièrement
réalisé avant que la moindre instruction officielle sur l’application de la
Constitution sur la Liturgie n’ait été rendue publique.
L’un des principaux documents de ce programme, Le Guide du prêtre pour la
liturgie paroissiale, donne des instructions détaillées sur ce qui doit être
accompli au cours de la messe. Le programme est présenté comme « idéal en
termes de ce qu’est la compréhension de l’Église actuelle sur le sens et la
fonction de la liturgie », et les pasteurs sont priés de noter que cela ne
nécessitera aucune modification sérieuse dans un avenir prévisible.
Ce Guide du prêtre, met l’accent sur le chant de l’assemblée, et les détails
que l’on trouve dans le programme proposé indiquent clairement que cet forme
« idéale » de participation trouve sa place au cours d’une « messe basse ».
L’opinion des rédacteurs sur le chant des textes liturgiques véritables est
résolument négative. Un autre document, Le Manuel destiné aux musiciens
d’Église, recommande que le prêtre ne doit chanter ni les formules de
salutation, ni les prières. Ainsi, toutes les messes deviendraient des «
messes basses », et les cantiques en langue vernaculaire pourraient être
substitués au chant du propre.
Le Programme pour la liturgie paroissiale, a été publié avant que ne soient
connues les alternatives officielles au chant du propre – les chants du
Graduale simplex, par exemple. Toutefois, au moment où ces solutions
alternatives ont été autorisées, l’opinion prévalait déjà que l’existence
même d’une alternative officielle rendait légitime toute autre alternative.
Mgr Frederick McManus, par exemple, dont l’influence sur de telles décisions
était alors sans égale (et qui rédigea la préface du Guide du prêtre), fut
un défenseur de cette position. Prenant la parole au cours d’un symposium
organisé par la Conférence Liturgique, il se permit d’expliquer la
signification du Graduale simplex – avant même qu’il ne soit publié :
« La première alternative aux chants du propre du Graduel romain est
officiellement prévue, la porte est désormais grande ouverte à une plus
grande diversité et à une plus grande adaptation. » (Crise de la musique
dans l’Église ?, Washington D.C. : La Conférence Liturgique, 1967, p. 20)
Mgr McManus a été président de la Conférence Liturgique pendant plusieurs
années, puis est devenu directeur de la Commission épiscopale sur la
liturgie. Il a également été professeur de droit canon à l’Université
catholique des États-Unis. Alors qu’en 1969, la nouvelle Présentation
générale du Missel romain autorisait les cantiques en tant qu’alternative
aux chants du propre, Mgr McManus, écrivant dans la Revue Ecclésiastique
américaine, voyait à nouveau cette disposition comme une « porte ouverte »
au libre choix des textes de la messe :
« La référence dans l’ordo révisé aux “autres chants” ouvre une porte aussi
large qu’il est possible, et crée le premier des nombreux cas où les
prêtres, s’accordant entre eux, deviennent les responsables des choix des
textes adaptés à la messe. » (American Ecclesiastical Review, vol. 161, p.
196)
On remarquera que Mgr McManus ne fait même pas mention de la préférence
officielle de l’Église pour le propre prescrit, ni de la nécessité pour les
textes utilisés lors de la messe d’être approuvés par les Conférences
épiscopales. Plus loin dans le même commentaire, Mgr McManus explique
pourquoi il pense que de telles alternatives sont importantes. L’actuelle «
rigidité du Rite romain », dit-il, doit être dépassée :
« Le manque de flexibilité de la liturgie officielle réside dans les textes
eux-mêmes, dans la langue officielle, et dans l’exigence que, à l’exception
de la prière universelle, on doive respecter un texte prescrit. » (p. 400)
Compte tenu de l’immense influence de ces experts qui pensaient qu’ils
devaient être les bâtisseurs d’une nouvelle liturgie, il n’est guère
surprenant de constater qu’aujourd’hui – plus de quarante ans après – la
plupart des gens pensent, à tort, que le chant de cantiques en langue
vernaculaire à la messe est une « réforme »
expressément voulue par le
Concile.
Bien que les cantiques puissent être légitimement utilisés, les équipes
liturgiques paroissiales choisissent presque systématiquement d’écarter les
chants officiels au moment de faire leur sélection. En fait, si ces équipes
voulaient vraiment porter leur choix sur des chants dont les textes sont
proches de ceux du propre, elles auraient probablement de grandes
difficultés à le faire, faute de textes corrects. Comme indiqué plus haut,
seules les antiennes d’entrée et de communion
(telles que révisées pour les
messes lues) figurent sur le Missel d’autel, et sont disponibles comme des «
aides à la liturgie ».
Le fait que seule l’une des trois sources de textes officiels destinés au
propre de la liturgie soit aisément disponible explique cette profonde
confusion qui règne au sujet de l’emploi des antiennes du Missel. On trouve,
malheureusement, une telle confusion jusque dans l’édition de la PGMR de
2002 adaptée par la Conférence des évêques américains (cf. Tietze pp. 7-8).
Par exemple :
PGMR 48. [Le chant d’introït] est exécuté alternativement par la schola et
le peuple ou, de la même manière, par le chantre et le peuple, ou bien
entièrement par le peuple ou par la schola seule. Dans les diocèses des
États-Unis d’Amérique, on choisira pour l’introït entre l’une de ces quatre
possibilités : (1) l’antienne du Missel romain, ou le psaume du Graduale
romanum tel qu’il est mis en musique
(grégorien) ou sur une autre mélodie ;
(2) l’antienne de la saison liturgique et le psaume du Graduale simplex, (3)
un chant tiré d’une autre collection de psaumes et d’antiennes, approuvé par
la Conférence des évêques, ou par l’ordinaire du lieu, (4) un chant
liturgique approprié approuvé par la Conférence des évêques, ou par
l’ordinaire du lieu.
La première des options mentionnées ci-dessus parle de l’« antienne du
Missel romain, ou du psaume du Graduel romain ». Cela semble vouloir dire
que l’antienne du Missel est prévue pour être chantée, et qu’on en trouve la
musique dans le Missel. Aucune de ces deux assertions n’est exacte. Ce
paragraphe peut tout aussi bien être interprété comme disant que seul le
psaume tiré du Graduel romain, et pas l’antienne qui s’y trouve, doive être
chanté lors des messes dans les églises américaines.
La sélection des cantiques
Si l’on tient compte de ce mélange entre confusion profonde et mauvais
conseils, il n’est pas surprenant que les publications chargées d’aider les
équipes liturgiques paroissiales dans le choix des cantiques ne contiennent
seulement que les textes destinés à être lus.
Le guide trimestriel Liturgie d’aujourd’hui, publié par l’Oregon Catholic
Press, donne par exemple la liste des antiennes d’entrée et de communion
tirées du Missel. Il serait plus judicieux de donner les textes du Graduel
romain destinés à être chantés, car les textes du propre destinés à être
dits à la messe ne correspondent pas systématiquement à ceux du Graduel.
Même si l’antienne de l’introït est la même, il manque au texte du Missel le
verset de psaume qui doit toujours être chanté au cours de l’introït. De
plus, le texte de l’Offertoire ne figure pas dans le Missel ; comme il
n’existe aucune directive indiquant qu’il doive être récité, aucun texte
n’est indiqué pour les messes lues alors qu’il en existe bel et bien un dans
le Graduale pour les messes chantées.
La confusion pourrait être compréhensible. Mais même les antiennes du Missel
n’ont apparemment qu’une infime influence sur la composition des textes qui
sont proposés par les éditeurs de musique liturgique. On se rappellera que
le but du chant d’introït est « d’introduire nos esprits dans le mystère du
temps liturgique ou de la fête. » (cf. PGMR 47)
Dans sa dernière parution d’automne, Liturgie d’aujourd’hui couvre la
période qui va du 22e dimanche du temps ordinaire à la fête du Christ-Roi,
en ajoutant la Toussaint et le Thanksgiving Day. Considérons les choix qui y
sont proposés pour remplacer l’introït des dimanches lorsque les textes des
antiennes – qu’elles soient destinés à être lues ou chantées – sont
identiques. Liturgie d’aujourd’hui liste habituellement quatre à six
suggestions de cantiques pour chacune des parties de la messe, et indique
par un code le cas où la sélection correspond à l’antienne prescrite. On
trouve un seul dimanche (le 24e) où toutes les suggestions pour le chant
d’entrée correspondent (selon la revue) à l’antienne d’introït. Ce
dimanche-ci, l’antienne est un extrait du Livre de Sirac :
« Donne la paix, Seigneur, à ceux qui t’espèrent : ne fais pas mentir les
paroles de tes prophètes ; exauce la prière de ton peuple. »
Les cantiques qui sont présentés comme correspondant à l’antienne sont «
Prie, mon âme, le Roi des Cieux », dont le texte est inspiré du Psaume 103 ;
et « Réjouis-toi, le Seigneur est Roi », inspiré par le Christus Vincit.
Aucun des deux n’est vraiment en relation avec l’antienne tirée du Livre de
Sirac.
Dans certains cas, il arrive que les cantiques suggérés soient aux antipodes
de la substance et de l’esprit des textes prescrits. Considérons, par
exemple, ceux du 28e dimanche. L’antienne du Missel
(et du Graduel romain)
est : « Si tu retiens les fautes, Seigneur, qui donc subsistera ? Mais près
de toi se trouve le pardon, Dieu fidèle. » Il s’agit d’un passage du Psaume
130 (129) dont le premier verset – « Des profondeurs, je crie vers toi,
Seigneur ! » – est celui qui est prescrit pour accompagner l’introït dans le
Graduel romain. C’est donc le texte que l’Église propose aux membres de
l’assemblée pour « introduire leurs esprits dans le mystère du temps
liturgique ou de la fête ».
Que suggère donc la Liturgie d’aujourd’hui comme chant d’entrée pour ce
dimanche ? Le premier de la liste est « Chante un chant nouveau » de Dan Schutte, décrit comme étant inspiré du Psaume 98. Dans le refrain on «
chante Alleluia ! », et dans le premier couplet on y « danse de joie » et
l’on joue « des joyeux tambourins ». De telles paroles, accompagnées d’une
mélodie au rythme rebondissant, introduisent nos esprits dans une direction
radicalement différente de celles de l’antienne officiellement prescrite.
Sur quel fondement peut-on déclarer que « Chante un chant nouveau » est un
substitut approprié ? Le guide de l’Oregon Catholic Press ne nous éclaire
guère.
Le discernement « pastoral »
Les cantiques et les chants, qu’ils soient en relation avec l’antienne
prescrite ou non, sont habituellement justifiés au motif qu’ils renforcent
la participation de l’assemblée. L’utilisation du latin et de la musique
complexe du Graduel romain, priverait – dit-on – l’assemblée de son « droit
» à chanter la liturgie. Les chants ou les paraphrases de psaumes avec
refrain sont censés être plus aisés à chanter par les gens – et donc les
inciteraient à participer à la liturgie. Bien sûr, cela correspond à une
participation extérieure. Mais, la Constitution sur la Liturgie, d’autre
part, dit que tous doivent participer « à la liturgie de manière autant
intérieure qu’extérieure » (SC 19) et que cette participation comprend aussi
le « silence sacré »
(SC 30).
Dans son livre sur la liturgie, La Fête de la Foi
(traduit en américain chez Ignatius Press en 1986, non disponible en français, NdT), le Cardinal Joseph
Ratzinger (Benoît XVI) souligne la nécessité d’une participation intérieure
:
« Pour qu’une communauté puisse exister, il doit y avoir une expression
commune ; mais de peur que cette expression ne soit seulement externe, il
doit y avoir aussi un mouvement commun d’intériorisation, une voie vers
l’intérieur (tout autant que vers le haut) […]
Il devient alors vraiment
possible pour les gens de partager dans une expression commune une fois que
cette intériorisation a eu lieu par le moyen des prières communes de
l’Église et de l’expérience du Corps du Christ qu’elles contiennent. […]
Ce
n’est qu’ainsi que la communauté peut avoir lieu. » (pp. 69-70, les
soulignés sont de l’auteur)
On notera son insistance : la véritable participation doit être guidée par
les prières communes de l’Église. Parmi ces prières, on trouve les textes du
propre.
Pourtant, de nombreux liturgistes et de nombreux compositeurs pensent
réellement que les textes officiels sont inappropriés. Parmi eux, on trouve
sœur Delores Dufner, osb, qui écrit dans le numéro d’août-septembre 2007 de
Pastoral Music, publié par l’Association nationale des musiciens de
pastorale (NPM) :
« L’expérience pastorale m’amène à douter que le pratiquant moyen soit
facilement conduit dans la prière au moyen de la langue et des images
contenus dans les psaumes, qui sont le reflet d’une culture biblique
éloignée de notre temps. » (p. 20)
Elle estime que l’utilisation des psaumes exclut « ceux qui n’ont pas
formellement étudié l’Écriture et la théologie ». En outre, elle anticipe
les problèmes dus à l’introduction de la nouvelle traduction des textes
liturgiques, rédigés dans une langue plus soutenue.
« D’un point de vue pastoral, nous aurons encore plus besoin de chants et de
cantiques liturgiques pour interpréter les prières et les lectures de la
liturgie dans une langue compréhensible par nos contemporains. »
(p. 20).
En d’autres mots, les Catholiques sont donc incapables de comprendre aussi
bien les Écritures que les prières de la messe, sans le secours des
compositeurs de chants pour les aider à les interpréter
(on se demande bien
comment les musiciens ou les planificateurs de programmes, qui généralement
n’ont pas plus de formation ni en théologie ni en Écriture que l’individu
moyen d’une assemblée pourraient décider de ce qui est une bonne
interprétation).
Sœur Delores formule aussi des objections sur la forme des processionnaux
prescrits dans le Graduel, qu’elle trouve trop « hiérarchiques ». Les
rubriques précisent que l’assemblée peut chanter l’antienne, en alternance
avec la schola qui chante les versets. Elle préfèrerait un choix plus
égalitaire : un cantique. Les membres de l’équipe du NPM semblent partager
cet avis. Dans une enquête sur les chants classés comme favoris, ils
mentionnent en particulier un chant de Marty Haugen « Nous sommes tous les
bienvenus », qui parle à maintes reprises d’une maison que nous
construisons. Ils affirment y voir une « merveilleuse vision de l’Église ».
Considérant la manière de traiter l’Église en général dans ces cantiques,
ils admettent :
« On trouve peu de mots, dans ces chants et cantiques, sur l’Église
officielle et sur la tradition apostolique préservée à travers l’histoire. À
bien des égards, le côté humain et faillible de l’Église est dépeint avec
tous ses échecs, ses faiblesses, ses combats, ses espérances. »
(p. 30)
Certains liturgistes trouvent un soutien dans leur préférence auprès du
document émanant de la Commission épiscopale sur la Liturgie, La musique
dans le culte catholique. Le compositeur David Haas, dans son article
mensuel de Ministère et Liturgie (sept. 2007) dit de ce document :
« Je considère qu’il s’agit d’un texte d’une grande profondeur, qui proclame
une vision de la musique et de la liturgie que nous avons encore à exploiter
et à vivre pleinement. » (p. 34)
Il mentionne les trois critères permettant de juger de la musique liturgique
: elle doit être musicale, liturgique et pastorale. Mais il pense que la
pastorale doit passer outre les deux qualités musicales et liturgiques.
« Tout cela est bien pâle en comparaison, et doit s’incliner devant la fait
que la musique choisie, préparé et proclamée au cours de la liturgie devient
vraiment un moyen par lequel les gens sont libérés et peuvent exprimer leur
foi, célébrer cette foi, et être transformés par leur propre histoire. »
(p.
34)
Mais l’« histoire de la foi », que ce soit celle de chacun d’entre nous – ou
même celle d’une assemblée – n’est pas la foi de l’Église. Tout chant, même
vigoureusement interprété, qui met l’accent sur la foi de certaines
personnes demeure très insuffisant.
Cette manière de chanter n’est pas, et ne saurait être, la participation à
la liturgie de l’Église comme l’est par exemple l’écoute et la profonde
méditation intérieure du texte d’un introït officiel, chanté par une
chorale. Lorsque les gens n’ont pas accès aux textes authentiques de
l’Église, et doivent se contenter de chants de substitution, on les empêche
d’intérioriser les prières de l’Église et ainsi de participer vraiment à la
liturgie.
Liturgie authentique et véritable liberté
Pour accroître la véritable participation à la liturgie, nous devons
retrouver notre héritage musical perdu : « le riche patrimoine de la foi »
contenu dans la Graduel romain. Cela ne se fera pas en un jour, mais ce
n’est pas une raison pour ne pas commencer. Seuls les cantiques dont les
textes sont proches des textes du propre devraient être conservés. Les
chorales pourraient commencer à apprendre quelques pièces du Graduel dont
les traductions seraient fournies de manière à ce que l’assemblée puisse les
intérioriser tandis que la chorale chante. Les textes latins pourraient être
associés à des textes en langue vernaculaire, ainsi par exemple des versets
de psaume qui viendraient en complément ou des refrains qui seraient ajoutés
aux pièces officielles. Des nouvelles mélodies ou harmonisations pour ces
textes (en latin, ou dans une traduction officielle) pourraient être
ajoutées au « trésor de musique sacrée », renforçant ainsi les liens avec
notre héritage catholique.
L’invocation du « discernement pastoral » pour justifier l’abandon complet
des textes de la liturgie officielle est, en fait, un comportement
anti-pastoral. Si les membres de l’assemblée sont privés de l’expression
complète de leur foi – la foi de l’Église, par les textes que l’Église
elle-même nous donne – alors, il ne seront pas « libérés », mais aliénés.
Dans son livre La Fête de la Foi – approche d’une théologie de la liturgie,
rédigé il y a plus de vingt ans, le pape Benoît XVI (alors cardinal
Ratzinger), disait de la forme obligatoire de la liturgie :
« Elle est une garantie, témoignant du fait que quelque chose de plus grand
se passe à ce moment-là que ce qui peut être apporté par chaque communauté
individuelle ou groupe de personnes. Elle exprime le don de la joie, le don
de la participation à ce drame cosmique qu’est la Résurrection du Christ,
par lequel la liturgie tient, ou s’écroule. En outre, le caractère
obligatoire des parties essentielles de la liturgie garantit également la
liberté véritable des fidèles : il fait en sorte qu’ils ne soient pas les
victimes de quelque chose de fabriqué par un individu ou par un groupe,
qu’ils partagent la même liturgie qui lie le prêtre, l’évêque et le pape.
Dans la liturgie, nous est à tous donnée la liberté de nous approprier, de
notre propre manière, ce mystère qui s’adresse à tous. ».
Espérons que nous retrouverons cette liberté !
Susan BENOFY
Susan Benofy est éditorialiste
dans le mensuel américain Adoremus Bulletin. Elle intervient fréquemment sur
les sujets touchant à la musique liturgique.
Article publié dans Adoremus Bulletin, novembre 2007. (http://adoremus.org/1107MassSongs.html)
Benoît XVI semble accélérer. La curie va être
pourvue d'un nouveau service ayant autorité en matière de musique sacrée et
le choeur de la Chapelle Sixtine d'un nouveau directeur
:
Benoît XVI en faveur de la renaissance de la grande musique
sacrée
Table :
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Musique Sacrée
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un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 09.12.2007 - BENOÎT XVI
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