Dans une Église de martyrs, la
patience de Benoît XVI
Rome, le 09 juin 2010 -
(E.S.M.)
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A Chypre, le pape a vu de près le drame des chrétiens d'Orient. L'œcuménisme
fleurit mais, là où règne l'islam, il n'y a pas de liberté de conscience ni
de liberté de religion. La dernière victime en date est l'évêque Luigi
Padovese, décapité comme saint Jean.
Le pape Benoît XVI -
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Dans une Église de martyrs, la patience de Benoît XVI
par Sandro Magister
Le 09 juin 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- De la première visite jamais faite par un pape à
l’île de Chypre – évangélisée dès les temps apostoliques et devenue ensuite
une terre de frontière et de conflits entre la chrétienté et l’islam – les
médias ont mis en évidence les aspects géopolitiques, d’ailleurs limités et
ne provenant pas personnellement du pape : en particulier ceux du texte de
travail dont les patriarches et les évêques des Églises du Moyen-Orient
discuteront en octobre prochain, à Rome. Ce texte a été rendu public le
dimanche 6 juin à Nicosie.
Mais pour comprendre le sens que revêtait ce voyage dans l’esprit de celui
qui l’a fait, le meilleur moyen est d’analyser ce que Benoît XVI a dit de
vive voix.
Le pape Joseph Ratzinger aime révéler à deux moments fixés d’avance ce qu’il
pense de chacun de ses voyages.
D’abord lorsqu’il répond aux journalistes dans l’avion qui le conduit à
destination. Dans le cas de Chypre, c’était le matin du vendredi 4 juin º
Paroles de Benoît XVI lors de la conférence de presse dans l'avion vers
Chypre
Ensuite lors de l’audience générale au Vatican, le mercredi qui suit son
retour de voyage. Dans le cas de Chypre, aujourd’hui º
Audience Générale
Enfin, bien sûr, les discours prononcés sur place par le pape constituent
des références. En particulier les passages dans lesquels son empreinte
personnelle est la plus évidente.
De tous ces éléments il ressort que, pour Benoît XVI, les points essentiels
de son voyage à Chypre ont été l'œcuménisme et l'islam. Mais pas seulement.
L'ŒCUMÉNISME
La population de Chypre est orthodoxe dans sa très grande majorité et son
Église est l’une des plus anciennes et des plus nobles de la chrétienté
byzantine. Il y a entre Benoît XVI et l’archevêque Chrysostomos II un
rapport personnel d’amitié et d’estime qui s’est exprimé au plus haut niveau
symbolique dans leur accolade pendant la messe célébrée à Nicosie par le
pape, le dimanche 6 juin, avec la petite communauté catholique de l’île
présente presque au complet.
Dans le discours qu’il a prononcé au moment de quitter Chypre, le pape
Ratzinger a associé cette accolade à celle "prophétique" entre Paul VI et
Athénagoras, le patriarche de Constantinople, en 1964. Et en effet la
démarche œcuménique entreprise à partir de ce moment-là a connu avec le pape
actuel des progrès sans précédent en ce qui concerne l'Orthodoxie.
Au cours du vol qui le conduisait à Chypre, Benoît XVI a expliqué qu’il y a
trois éléments qui "rapprochent de plus en plus" l’Église de Rome et les
Églises d'Orient.
Le premier est la Sainte Écriture, lue non pas comme un texte que chacun
interprète à sa guise, mais comme un livre "mûri dans le peuple de Dieu, qui
vit dans ce sujet commun et qui ne reste toujours présent et réel que là".
Le second est la tradition dont l’Église catholique et les Églises
orthodoxes sont porteuses, une tradition qui non seulement interprète
l’Écriture mais qui a, en la personne des évêques, ses guides et ses témoins
institués sacramentellement.
Et le troisième élément est la "règle de la foi", c’est-à-dire la doctrine
fixée par les anciens conciles, qui "est la somme de tout ce qui se trouve
dans l’Écriture et ouvre la porte à son interprétation".
Il est évident que ces trois éléments rapprochent l’Église catholique des
Églises orthodoxes mais qu’ils les éloignent du protestantisme. Cependant
c’est en cela et pas en autre chose que consiste l'apport d’un pape comme
Benoît XVI à la démarche œcuménique.
La proximité entre le catholicisme et l’orthodoxie est désormais si forte
que les deux parties en sont arrivées à discuter de la question capitale qui
les sépare, c’est-à-dire la primauté de l’évêque de Rome.
C’est justement sur l’île de Chypre, à Paphos, que Chrysostomos II a
accueilli, en octobre dernier, une session d’études réunissant des
catholiques et des orthodoxes du plus haut niveau. Elle a examiné comment la
primauté de Rome était vécue au cours du premier millénaire, lorsque
l’Église d’Occident et celle d’Orient étaient encore unies.
Les deux délégations se rencontreront de nouveau à Vienne, du 20 au 27
septembre de cette année, pour poursuivre ce travail.
L'archevêque de Chypre, Chrysostomos II, est, du côté orthodoxe, l’un des
principaux animateurs de l'actuel printemps œcuménique, aux côtés du
patriarche de Constantinople Bartholomée Ier, du métropolite de Pergame
Joannis Zizioulas et – pour la grande Église russe – du patriarche de Moscou
Kirill Ier et du métropolite de Volokolamsk Hilarion.
Déjà la visite que Chrysostomos II avait faite à Rome en juin 2007 avait été
l’un des moments les plus fructueux de ces dernières années du point de vue
de l’œcuménisme.
Les résistances à la visite du pape exprimées avant son voyage par quelques
métropolites de l'île et soutenues par des fractions de l’Église grecque
n’ont eu aucune suite concrète.
L'ISLAM
En ce qui concerne le second point essentiel de la visite de Benoît XVI à
Chypre, la photo d’ouverture de cette page est emblématique.
Samedi 5 juin, alors qu’il se rendait à pied, pour la messe, à l’église
catholique de la Sainte-Croix – qui, à Nicosie, se trouve précisément sur la
frontière avec la partie de l’île qui est occupée par les Turcs – Benoît XVI
a rencontré un vieux cheikh soufi, Mohammed Nazim Abil Al-Haqqani. Ils se
sont salués. Ils ont promis de prier l’un pour l’autre. Ils ont échangé de
petits cadeaux : un chapelet musulman, une plaque avec des mots de paix en
arabe, une médaille pontificale.
Au lieu de rencontrer comme prévu la plus haute autorité musulmane de l'île,
le mufti de Chypre Yusuf Suicmez, le pape a donc rencontré un maître soufi,
c’est-à-dire un représentant d’un islam mystique, un islam qui,
"probablement en raison d’influences chrétiennes, met l'accent sur l'amour
de Dieu pour l'homme et de l’homme pour Dieu" et non pas sur un Dieu
inaccessible "qui n’a pas, parmi ses 99 noms, celui de Père".
Les phrases mises ci-dessus entre guillemets sont de l’évêque Luigi Padovese,
vicaire apostolique pour l'Anatolie et président de la conférence des
évêques catholiques de Turquie, assassiné à Iskenderun le 3 juin, veille du
voyage du pape à Chypre, auquel il aurait dû participer lui aussi.
Benoît XVI a soigneusement évité de laisser cet évènement tragique
compromettre son voyage. La diplomatie du Vatican, très attentive à éviter
toute friction avec la Turquie et avec l'islam en général, a fait tout ce
qu’elle pouvait pour convaincre le pape d’exclure tout de suite et
formellement l’hypothèse d’un assassinat "politique ou religieux".
Mais cette version conciliante et contreproductive – démentie chaque jour un
peu plus par les faits, comme l’ont montré dès le début le journal des
évêques italiens "Avvenire" et l'agence de presse de l’Institut Pontifical
des Missions Étrangères "Asia News" – n’a pas empêché le pape d’affirmer les
vérités qu’il s’était promis d’exprimer en direction du monde musulman.
Son premier pas a été de protester contre la "triste" situation réelle. Dans
le cas de Chypre, cela signifie l'occupation de la partie septentrionale de
l'île par la Turquie, l'expulsion des chrétiens qui y résidaient, la
destruction systématique des églises.
Accueillant le pape en tant qu’hôte, l'archevêque Chrysostomos II a flétri
tout cela en termes tranchants. Et Benoît XVI, à la fin de son voyage, lui a
fait écho de la manière suivante :
"Ayant passé ces dernières nuits à la Nonciature Apostolique, qui se trouve
dans la zone tampon sous le contrôle des Nations unies, j’ai vu de mes
propres yeux quelque chose de la triste division de l’île et je me suis
rendu compte de la perte d’une partie significative d’un héritage culturel
qui appartient à toute l’humanité. J’ai également pu entendre les Chypriotes
du nord qui souhaitent retourner en paix dans leurs maisons et leurs lieux
de culte, et j’ai été profondément touché par leurs requêtes".
Le pape a réagi à cet état de choses reconnu non pas en offrant des conseils
politiques ou stratégiques mais surtout en exhortant à une "patience"
active, y compris à propos des incessantes explosions de violence qui
dévastent le Moyen-Orient tout entier. Pendant le vol à destination de
Chypre il a déclaré :
"Nous devons presque imiter Dieu et sa patience. Après tous les cas de
violence, ne pas perdre patience, ne pas perdre courage, ne pas perdre la
patience de recommencer ; créer les dispositions du cœur qui permettent de
recommencer sans cesse, dans la certitude que l’on peut aller de l’avant,
que l’on peut parvenir à la paix, que la solution ce n’est pas la violence,
mais la patience du bien".
Dans un deuxième temps le pape, parlant aux diplomates et, à travers eux,
aux gouvernements de la région, leur a proposé la sagesse politique de
Platon, d’Aristote, des stoïciens, parce que "selon eux et selon les grands
philosophes musulmans et chrétiens qui les ont suivis, la pratique de la
vertu consistait à agir conformément à la juste raison, dans la recherche de
tout ce qui est vrai, bon et beau", à commencer par cette "loi naturelle qui
est commune à notre humanité".
Benoît XVI sait bien que les "grands philosophes musulmans" ouverts à la
culture grecque appartiennent à des siècles très lointains et que tout cela
a été interrompu après Averroès. Mais, en évoquant ce précédent historique,
le pape a montré qu’une révolution des Lumières analogue à celle qu’a vécue
le christianisme est possible et nécessaire pour l'islam aussi. A
Ratisbonne, il avait expliqué pourquoi l’entreprise est extrêmement ardue,
mais depuis lors il continue à proposer au monde musulman de souder la foi
au "logos" et donc à la liberté de conscience et de religion, libertés qui,
pour le moment, sont inexistantes dans les pays musulmans, comme l’évêque
Padovese le savait et l’expliquait, avec des raisonnements très
ratzingeriens.
Dans ce contexte, la rencontre du pape avec le maître soufi – personnage en
marge des courants musulmans dominants – a symbolisé la rencontre avec un
"autre" islam, avec des musulmans qui ne sont pas des ennemis mais des
"frères malgré les différences".
LA CROIX
Mais il n’y a pas eu que l’œcuménisme et l'islam dans l'agenda du voyage du
pape. De manière surprenante, Benoît XVI a consacré à la croix, la croix de
Jésus, sa méditation la plus intense, quand il a prêché dans une église
consacrée précisément au bois sacré.
À tous ceux qui souffrent – a-t-il dit – la croix "offre l’espérance que
Dieu peut transformer leur souffrance en joie, leur mort en vie". La croix
fait ce dont aucun pouvoir terrestre n’est capable. "Et si, selon ce que
nous avons mérité, nous avons part aux souffrances du Christ,
réjouissons-nous car nous jouirons d’une plus grande félicité quand sa
gloire se révélera".
Il faut du courage pour s’adresser de cette façon à des gens qui souffrent
de l'occupation injuste de leurs maisons et de leurs terres, de l'exil
forcé, de la destruction des symboles de leur foi, dans un Moyen-Orient où
l'unique état où les chrétiens jouissent de libertés est l’état Israël.
Mais la croix est l’heureux scandale de la foi chrétienne. C’est l’étendard
triomphal que le pape Benoît XVI dresse et offre au monde.
Le programme et les textes de la visite de Benoît XVI à Chypre, sur le site
du Vatican :
Benoît XVI à Chypre du 4 au 6 juin
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 09.06.2010 -
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