Benoît XVI : Création, histoire et culte se trouvent liés
Le 09 avril 2025 - E.S.M. - Création, histoire et culte se trouvent liés : la Création attend l'alliance et l'alliance, de son côté, accomplit la Création, tout en l'accompagnant. Et si le culte, bien compris, est l'âme de l'alliance, cela implique qu'il ne sauve pas l'homme seulement, mais entraîne toute la réalité dans la communion avec Dieu. On comprend alors, avec saint Augustin, que le véritable «sacrifice» soit la civitas Dei, l'humanité devenue amour, dans la déification de la Création et l'abandon de toute chose en Dieu.


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Benoît XVI : Création, histoire et culte se trouvent liés
1) La liturgie fait déjà briller la lumière du ciel sur la terre.
2) Création, histoire et culte se trouvent liés
3) L'existence créée n'est pas négative en soi, elle n'est pas le résultat de la chute.
Le 09 avril 2025 - E.S.M. - Selon la théologie contemporaine, le culte des religions dites naturelles, comme celui des grandes religions non théistes, aurait une orientation cosmique, alors que le culte judéo-chrétien aurait un caractère exclusivement historique.1 L'idée d'une accentuation du culte, soit cosmique soit historique, n'est sans doute pas infondée mais ne devrait pas conduire à une opposition exclusive. Ce serait méconnaître la conscience historique qui existe bel et bien dans les religions naturelles, et ignorer la dimension cosmique du culte chrétien. Ce serait oublier aussi que la foi dans le Rédempteur est inséparable de la foi dans le Créateur. C'est précisément l'importance de ces relations, qui touchent jusqu'aux aspects en apparence les plus extérieurs de la célébration liturgique, que cet extrait se propose de mettre en évidence.

1 Semblable en cela au judaïsme post-biblique, l'islam, lui, ne connaît qu'une liturgie de la Parole, formée et ordonnée par une révélation survenue à un moment de l'histoire. Cet enracinement historique ne limite cependant pas la dimension universelle de son message.

Dans les diverses religions du monde, aspects cultuels et aspects cosmiques sont toujours étroitement liés. La vénération des dieux ne saurait jamais se réduire à un acte social qui assurerait ainsi symboliquement la cohésion d'une communauté humaine. Cette vénération procède plutôt d'une circularité, d'un mouvement d'échange: les dieux soutiennent le monde et en retour les hommes, par leurs dons cultuels, les nourrissent et les entretiennent. On est allé jusqu'à suggérer que l'homme, maillon essentiel de cette chaîne d'échange, n'aurait été créé que pour entretenir les dieux. Pour naïve qu'elle puisse paraître, cette représentation met en lumière une détermination profonde de l'existence humaine: l'homme, en existant pour Dieu, se trouve par là au service du tout.2

Dans le récit de la création, ce mouvement d'échange entre Dieu et l'homme prend une autre forme. La Genèse (1, 1 ; 2, 4) nous présente la création débouchant sur le sabbat, le jour où l'homme et tout l'univers créé participent au repos de Dieu. Il n'y est pas directement question de culte, encore moins de ce que le Créateur puisse avoir besoin des dons des hommes. Le sabbat offre au contraire une vision de liberté : ce jour-là, esclave et maître se retrouvent sur le même plan, ils sont égaux. La « sanctification » du sabbat, en plus d'une trêve dans la peine du labeur, représente la suspension de tout rapport de soumission. Mais on se méprendrait grandement sur le sens du sabbat si on en venait à penser que l'Ancien Testament n'aurait pas lié Création et adoration ; si on en venait à concevoir, pour seul but de l'histoire, une société libérée, dotée dès l'origine d'une orientation purement anthropocentrique et sociale, voire même révolutionnaire. Car, ne l'oublions pas, la Genèse et les dispositions du Sinaï sur le sabbat proviennent de la même source, et il faut lire les règles du sabbat dans la Torah pour bien comprendre la signification de la Genèse. L'évidence alors saute aux yeux: le sabbat dévoile la signification intérieure de l'alliance entre Dieu et l'homme, et fait apparaître le sens et l'intention du récit de la Genèse : la Création est le lieu de l'Alliance, elle a pour raison d'être l'histoire d'amour entre Dieu et l'homme.

2 Bien sûr, la perversion et l'abus sont toujours à l'affût: de par son comportement envers les dieux, l'homme a sur eux un pouvoir relatif; jusqu'à un certain point, il tient la clé de la réalité dans sa main. Mais si les dieux ont besoin de lui, lui aussi a besoin d'eux : si d'aventure il abusait de son pouvoir, il pourrait certes leur nuire mais engendrerait sa propre destruction.

La liberté et l'égalité entre les hommes que le sabbat instaure ne doivent pas être envisagées d'un point de vue anthropologique ou sociologique seulement. Cette liberté et cette égalité n'ont de sens que d'un point de vue théologique : c'est par son alliance avec Dieu que l'homme devient libre, c'est dans cette alliance que tous les hommes deviennent égaux. L'alliance s'établit sur une relation: Dieu se donne à l'homme et l'homme répond à Dieu. La réponse de l'homme au Dieu qui lui veut du bien est l'amour ; et aimer Dieu, c'est l'adorer. Si la Création est l'espace de l'alliance, le lieu de la rencontre et de l'amour entre Dieu et l'homme, elle est donc destinée à être l'espace de l'adoration.

En quoi cette adoration se distingue-t-elle de la notion d'échange circulaire qui déterminait dans une large mesure le monde cultuel pré-chrétien ?

Avant de me pencher sur cette question, j'aimerais revenir au texte qui conclut la législation du culte, dans l'Exode. La construction du récit présente un parallélisme évident avec celui de la Genèse. Il y est dit sept fois : Moïse se conforma à tout ce que lui avait prescrit le Seigneur. Les sept jours de la construction du tabernacle font écho aux sept jours de la création et s'achèvent dans une sorte de vision du sabbat: Ainsi Moïse termina les travaux. La nuée couvrit la Tente de la Réunion et la gloire de Yahvé emplit la Demeure (Ex 40, 33 ss). L'achèvement du tabernacle anticipe celui de la Création : Dieu accepte de faire du monde sa demeure, ciel et terre s'unissent. À propos de ce parallélisme, j'aimerais signaler que le verbe bara en hébreu a deux significations dans l'Ancien Testament. Il désigne d'une part le déroulement de la création, la séparation des éléments qui fait émerger le cosmos du chaos ; et de l'autre la progression de l'histoire sainte, c'est-à-dire la séparation du pur et de l'impur, qui marque l'évolution de la relation de l'homme avec Dieu et qui donne lieu à la Création spirituelle, à l'Alliance, sans laquelle l'univers resterait une coquille vide. Création et histoire, Création, histoire et culte se trouvent liés: la Création attend l'alliance et l'alliance, de son côté, accomplit la Création, tout en l'accompagnant. Et si le culte, bien compris, est l'âme de l'alliance, cela implique qu'il ne sauve pas l'homme seulement, mais entraîne toute la réalité dans la communion avec Dieu.

Par quel moyen le culte accomplit-il cette transmutation ? En d'autres termes, qu'advient-il pendant le culte ? Dans presque toutes les religions, le sacrifice forme le centre du culte. Avant de considérer sa fonction, dégageons d'abord la notion de sacrifice, enfouie sous un monceau de malentendus. On comprend généralement le sacrifice comme l'offrande à Dieu d'une réalité précieuse à l'homme; l'objet de l'offrande, pour prendre toute sa valeur, doit être définitivement soustrait à l'usage de l'homme, donc détruit. On se pose d'emblée la question: quelle joie Dieu prendrait-il à cette destruction ? Que lui donne-t-on véritablement à travers celle-ci ? On avance que la destruction, dans le sacrifice, serait une manière de reconnaître la souveraineté de Dieu sur toute chose. Un acte aussi formel peut-il vraiment servir la gloire de Dieu ? Non, sans doute. Dans la vision des Pères de l'Église, qui suivent en cela la pensée biblique, le véritable don consiste dans la réunion de l'homme et de la Création avec Dieu. Or l'union avec Dieu n'a rien à voir avec la destruction ou l'annihilation, mais tient plutôt d'un mode d'être. Elle implique le renoncement à l'état de séparation, à cette apparente autonomie qui consiste à vivre uniquement en soi et pour soi. Elle implique la perte de soi-même, unique possibilité de se trouver (cf. Mc 8, 35 ; Mt 10, 39). On comprend alors, avec saint Augustin, que le véritable «sacrifice» soit la civitas Dei, l'humanité devenue amour, dans la déification de la Création et l'abandon de toute chose en Dieu. « Dieu tout en tous » (1 Co 15, 28), telle est la finalité du monde et tel est le but essentiel du sacrifice et du culte. Voilà qui nous permet d'affirmer que le culte et la Création ont en commun la déification, l'édification d'un univers de liberté et d'amour.

Cette visée commune implique toutefois que l'historique fasse irruption dans le «cosmique». Le cosmos en effet n'est pas une construction immuable, un lieu clos reposant en lui-même, où se déroulerait l'histoire. Le cosmos est aussi mouvement, qui va d'un commencement à une fin, et en ce sens il est histoire. Cette notion peut être comprise de plusieurs façons. Pierre Teilhard de Chardin, par exemple, prenant appui sur la conception moderne de l'évolution, a décrit le cosmos comme un processus d'ascension, fait d'unions successives. Ce chemin conduirait d'unités très simples à des unités de plus en plus grandes et complexes, dans lesquelles la multiplicité ne serait pas annulée mais fondue dans une synthèse en expansion qui mènerait à la noosphère, où l'esprit embrasserait tout et se fondrait dans une sorte d'organisme vivant. S'appuyant sur les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens, Teilhard voit le Christ comme cette énergie qui s'épandrait vers la noosphère et qui finalement comprendrait tout dans sa « plénitude ». À partir de là, Teilhard propose une interprétation nouvelle et personnelle du culte chrétien: l'hostie transformée serait pour lui l'anticipation de la transformation de la matière et de sa déification dans la «plénitude» christologique. L'eucharistie donnerait en quelque sorte sa direction au mouvement cosmique; elle anticiperait son but et en même temps hâterait son accomplissement.

La suite de cette page :
3) L'existence créée n'est pas négative en soi, elle n'est pas le résultat de la chute.


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Sources :Texte original des écrits du cardinal Ratzinger - Saint Père Benoit XVI - E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 09.04.2025