Benoît XVI :
la piété cordiale, la
dévotion centrée sur le Coeur de Jésus |
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Le 08 janvier 2009 -
(E.S.M.)
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Pour comprendre
l'importance des Pères de l'Église dans la spiritualité du Coeur de
Jésus, nous allons nous placer sous la lumière d'une conférence
magistrale de celui qui était alors le cardinal Ratzinger/Benoît XVI,
au Congrès de Toulouse sur le Coeur de Jésus, organisé à l'occasion du
XXV
anniversaire de
l'encyclique "Haurietis
Aquas in Gaudio".
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La
dévotion au sacré-coeur de Jésus
Benoît XVI : la piété cordiale, la dévotion centrée sur le Coeur de Jésus
Théologie
Le 08 janvier 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Cette conférence avait pour titre: "Le mystère Pascal, racine et objet plus
profond de
la dévotion au sacré-coeur de Jésus"
(Cardinal Joseph Ratzinger, "le mystère pascal, racine et objet plus profond de la
dévotion au sacré-cœur de Jésus. Conférence au Congrès de Toulouse sur
le Coeur de Jésus (24-28, 07.81),
à l'occasion du
XXV
anniversaire de l'encyclique
Haurietis
Aquas).
I.
La crise de la
dévotion au Sacré-Coeur de Jésus à l'époque de la réforme liturgique
Dès l'apparition du
mouvement biblique et liturgique, de notables efforts furent déployés
pour asseoir les fondements biblique et patristique de la dévotion au
Sacré-Coeur de Jésus, et pour la situer dans la ligne des origines du
christianisme. Pour ce qui est du monde germanique, mention spéciale
doit être faite de Hugo Rahner.
Hugo s'est efforcé de
mettre en évidence des fondements nouveaux à la dévotion au Coeur de
Jésus, reliant celle-ci à l'exégèse que les saints Pères
faisaient de Jean 7,37-39 et Jean 19,34. Ce sont deux péricopes qui
évoquent le côté transpercé de Jésus, et le sang et l'eau qui s'en
écoulent. Ces deux textes expriment à l'évidence le mystère pascal : du
Coeur transpercé du Seigneur coule la source de vie que sont les
sacrements.
//.
Éléments pour un fondement nouveau de la dévotion au
Coeur de Jésus, basé sur l'encyclique "Haurietis aquas"
1. Un fondement
basé sur une théologie de l'Incarnation
L'encyclique développe
une anthropologie et une théologie de la corporalité, où elle voit les
fondements philosophiques et psychologiques du culte du Coeur de Jésus.
Le corps n'est point une chose purement extérieure, liée à l'esprit ou à
l'âme. Le corps est plutôt l'expression de l'esprit, son "image".
Bien!
Le corps étant la partie visible de la personne,
et la personne l'image de Dieu, il s'en suit, souligne Benoît
XVI, que le corps, dans l'ensemble de toutes
ses dimensions, est l'espace où le divin se configure, se cristallise
concrètement. Dès le début, la Bible
présente le mystère de Dieu en images du corps, et du monde ordonné
selon le corps.
2. L'importance des
sens et des sentiments dans la dévotion.
Ainsi sommes-nous
conduits à la conclusion logique de base que l'encyclique tire de sa
théologie de la corporalité et de l'incarnation :
l'homme a besoin de
contempler, d'intérioriser les mystères divins à travers une
contemplation intime qui est en quelque sorte un toucher et une
palpation de la réalité. L'homme doit s'élever sur l'échelle du corps,
où se situe le chemin qui mène à la foi. Nous sommes invités au regard
perçant par lequel le coeur commence à voir et à comprendre, de sorte
que nos sens eux-mêmes sont engagés dans la contemplation cordiale. En
effet, "on ne voit bien que par le coeur", selon les mots que
Saint-Exupéry place dans la bouche du Petit Prince, parfaite image
symbolique de l'ingénuité, et du "soyez comme des enfants" si nécessaire
aux adultes pour redécouvrir la réalité spécifiquement humaine que la
raison pure n'arrive pas à saisir.
La théologie de la
corporalité, exposée dans l'encyclique, est, pour ainsi dire, une
apologie du coeur, des sens et des sentiments en général, et plus
particulièrement dans le champ de la piété. "...Que le Christ habite en
vos coeurs par la foi. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec
tous les saints, ce qu'est la largeur, la longueur, la hauteur et la
profondeur, vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse toute
connaissance" (Ép 3,17-19).
Déjà la patristique, en
particulier dans la tradition qui remonte au Pseudo-Dionisios
(catéchèse de Benoît
XVI
sur Denis l'Aéropagite), avait
retenu comment ce passage de la lettre aux Éphésiens soulignait les
limites de la raison. C'est ainsi que dans la tradition dionysiaque
apparaît l'expression ignote cognoscere,
connaître tout en
ignorant, qui donna naissance à la docta ignorancia. C'est la
mystique des ténèbres, pour laquelle seul le coeur a des yeux. A ce
propos, plusieurs références viennent à l'esprit, comme le "Amor ipse
notitia est" de saint Grégoire le Grand, ou l'expression de Ricardo
de San Victor: "Amor oculus est et amare videre est"
(L'amour est l'oeil; aimer est voir).
L'encyclique se penche
sur le verset 3,18 de la lettre aux Éphésiens où il est question de la
largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur et poursuit en disant
que l'amour de Dieu n'est pas seulement spirituel. L'amour qui s'exhale
dans l'Évangile, dans les lettres des apôtres et les pages de
l'Apocalypse n'est pas seulement d'ordre spirituel, mais il exprime
encore les sentiments d'une affection humaine.
Le Verbe de Dieu, en
effet, n'a pas pris un corps fictif. Nous sommes donc invités à
pratiquer une dévotion liée aux sentiments, en consonance avec la
corporalité de l'amour humain-divin du Christ Jésus. Justement, pour
l'encyclique la piété liée aux sentiments est essentiellement la
dévotion cordiale, puisque le coeur est la racine des sentiments, le
point de rencontre et de compénétration de la sensibilité et de
l'esprit, fondus en une seule réalité. La piété sensible bien comprise
est la dévotion en accord avec la devise du cardinal Newman: "Cor ad
cor loquitur"
(Le coeur parle au
coeur), phrase qui
synthétise de la plus belle des façons ce que nous pouvons appeler
la piété cordiale, la dévotion centrée sur le
Coeur de Jésus.
L'encyclique ajoute que
le coeur est l'expression des passions de l'homme. Face à
l'idéal stoïcien de l'apathie, face au Dieu d'Aristote, qui est la
pensée de la pensée, le coeur est la mesure
et le résumé des passions, sans lesquelles la Passion du Fils est
incompréhensible.
Dans l'encyclique
sont cités les Pères de l'Église Justin, Basile, Chrysostome, Ambroise,
Jérôme, Augustin et Jean Damascène, qui font résonner en diverses
variations la mélodie commune à toute la patristique, résumée
pratiquement d'un mot : ".. .passionum nostrarum particeps factus
est "
(Il
a partagé nos "passions").
Ce point de synthèse de
l'hérédité grecque et de la foi biblique procura les plus grandes
difficultés aux Pères qui connaissaient l'idéal moral du stoïcisme,
l'idéal de l'impassibilité du sage qui prétend dominer et dépasser par
l'intelligence et la volonté le sentimentalisme irrationnel. Par
ailleurs, il n'est pas possible de nier que la figure d'un Jésus qui se
complait, se réjouit, attend et se décourage se situe dans la ligne de
la conception vétéro-testamentaire de Dieu. Allons plus loin : en Jésus,
Logos fait homme, culminent en leur point extrême et radical les
anthropomorphismes de l'Ancien Testament. Il ne pouvait y avoir de
Passion sans les "passions". La souffrance, suppose la capacité de
souffrir, et la capacité de souffrir implique la sensibilité,
l'affection, l'émotivité, le sentiment.
A l'époque des Pères de l'Église, ce fut
incontestablement
Origène qui comprit le mieux la
thématique de Dieu "souffrant" et qui sut l'exprimer avec le plus
d'aisance, à tel point qu'il est impossible de réduire cette thématique
à l'humanité souffrante de Jésus, puisque cela touche à l'idée
chrétienne de Dieu lui-même. Voir souffrir le Fils est aussi la
"passion" du Père, et avec eux compatit
(pâtit avec)
aussi l'Esprit,
dont Paul dit ceci: "L'Esprit lui-même intercède pour nous en des
gémissements ineffables, il supporte en nous et pour nous la "passion"
de l'angoisse et de l'attente de la rédemption"
(Rm 8,26). Ceci dit, Origène fut également
celui qui définit la ligne directrice du thème du Dieu "souffrant":
Quand tu entendras parler des passions de Dieu,
souviens-toi toujours de l'amour.
Dieu est un être "souffrant" parce que Dieu est un
amant, et la thématique du Dieu
souffrant dérive de la thématique du Dieu amant, à laquelle elle nous
renvoie constamment. L'avancée spécifique du concept chrétien de Dieu,
par rapport à l'antiquité, réside dans la profession selon laquelle Dieu
est charité.
Du point de vue de
l'encyclique Haurietis aquas, les "passions" de Jésus,
concentrées en son Coeur et synthétiquement représentées par ce Coeur,
constituent la raison d'être et la justification de la nécessité de
l'intervention du coeur dans les relations de l'homme avec Dieu,
c'est-à-dire de la faculté du sentiment, de l'émotivité de l'amour.
Une dévotion incarnée doit nécessairement être une dévotion
"passionnée", une piété coeur à coeur, comme l'est précisément la
dévotion pascale, tant il est vrai que le mystère de Pâques est, par
essence, comme un mystère de souffrance, un mystère du Coeur.
3. Anthropologie et
théologie du coeur dans la Bible et chez les Pères de l'Église.
De tout ce qui vient d'être dit, il se déduit
que la dévotion chrétienne interpelle aussi la sensibilité, qui tient
son organisation et son unité du coeur, et qu'elle interpelle aussi les
sentiments, dont le foyer réside dans le coeur. Il est donc prouvé
qu'une dévotion centrée de la sorte dans le coeur correspond à l'image
chrétienne de Dieu qui a un Coeur. En
définitive, il est donc prouvé que ce Coeur est l'expression et
l'exégèse du mystère pascal, où s'inscrit l'histoire de l'amour de
Dieu pour l'homme.
Il convient cependant
de se poser cette question-ci : Une accentuation si forte du mot-clé
"coeur" correspond-elle non seulement à la chose elle-même, mais aussi
au langage de la tradition ? Si le concept de "coeur" est aussi
élémentaire que nous l'avons présenté, il doit pour le moins s'exprimer
par un terme où Bible et tradition se rejoignent.
Que trouvons-nous
dans les écrits des Pères de l'Église ?
Selon A. Hamon, le 1er
millénaire est muet sur le thème du "Coeur de Jésus". Il semble que
l'expression apparaît pour la première fois dans saint Anselme de
Canterbury, mais sans signification spécifique
(A. Hamon, Coeur [Sacré],
Dict. de spiritualité
II,
1023-1046).
Hugo Rahner, dans ses études sur l'exégèse patristique de Jean 7,37-39
et Jean 19,34 a incorporé les Pères de l'Église à l'histoire du culte du
Coeur de Jésus, bien que, comme nous l'avons dit, les Pères n'emploient
pas le terme "coeur" dans ce contexte.
Néanmoins, pour certain
qu'il soit, aujourd'hui comme hier, que l'expression "Coeur de Jésus"
n'apparaît pas chez les Pères, nous retrouvons chez eux, au-delà de ce
que dit Hugo Rahner, un principe fondamental de la dévotion au Coeur de
Jésus, un fondement que nous pourrions qualifier de théologie et
philosophie du coeur, qui revêt une importance notable dans la mentalité
patristique, à tel point, par exemple, que E. Maxsein a consacré toute
une recherche à la philosophia cordis de saint Augustin. Tout
lecteur de ses "Confessions" sait quel rôle joue le vocable
"coeur" comme centre d'une anthropologie dialogique et réalise
clairement que par cette voie pénètre dans la pensée de saint Augustin
le courant de la terminologie biblique et, avec celle-ci, le courant de
la théologie et de l'anthropologie bibliques.
Saint Jérôme en arrive,
en un certain passage, à dire que le centre de l'homme est, selon Platon
et les platoniciens, le cerveau, et, selon le Christ, le Coeur
(Epist. 64,1). La tension
entre l'anthropologie platonicienne et l'anthropologie stoïcienne
fournit aux Pères l'opportunité d'ébaucher une nouvelle synthèse
anthropologique à partir de la Bible.
Origène, à l'occasion
de la péricope du Baptiste transmise par Jean (Jn
1,26) : "Au milieu de vous, il est quelqu'un
que vous ne connaissez pas", dit ceci: C'est le Logos, sans que nous le
sachions, qui est au milieu de nous, car le milieu ou le centre de
l'homme est le coeur, et dans le coeur se trouve la force qui régit
tout, qui est le Logos (Origène, in Ioh., GCS
IV,
94,18). Ainsi, le vocable
"coeur" signifie, au-delà de la raison, "un niveau plus profond de la
vie spirituelle, où se réalise un contact avec le divin". E. Von Ivanka
a montré comment cette séquence d'idées d'Origène fit germer un courant
de dévotion et de pensée qui produisit chez les religieuses allemandes
du Moyen-Age une floraison favorable au Coeur de Jésus, et en général
une mystique qui accentue
la primauté du coeur sur la raison, de l'amour
sur la connaissance
(E. von Ivanka, Plato
christianus, Einsiedeln 1964, p. 350).
Ainsi donc, la
conception du coeur en tant que point de rencontre salvifique avec le
Logos trouva une base dans la nouvelle synthèse de la pensée
patristique, telle que la formule, par exemple, saint Augustin à propos
des psaumes: "Tournons-nous vers le Coeur pour le rencontrer".
En conclusion, nous
pouvons dire que le stoïcisme de ces Pères cités voit dans le coeur le
soleil du microcosme, la force vitale et l'énergie conservatrice de
l'organisme humain et de l'homme en sa totalité. Le stoïcisme de ces
Pères cités définit la fonction de cette force dominante comme synthèse,
comme cause de cohésion et de cohérence. La tâche du coeur est la
conservation de soi, la cohésion et la cohérence personnelles.
Le Coeur transpercé de
Jésus, en réalité, révolutionne, "retourne" cette définition
(cf. Os 11,8). Ce Coeur n'est pas la propre
conservation, mais l'offrande de soi, le don de sa personne. Il sauve le
monde en s'ouvrant. Cette révolution du Coeur ouvert est le contenu du
mystère pascal. Le Coeur sauve, mais il sauve en se donnant, en
s'offrant. Voilà comment le centre du christianisme se présente à nous
dans le Coeur de Jésus, où se retrouve toute la révolution authentique,
toute la nouveauté transformatrice dont nous parle la Nouvelle Alliance.
Ce Coeur appelle le coeur. Il nous invite à renoncer à la vaine
tentative d'auto-conservation pour le rencontrer, Lui, dans l'amour
mutuel et l'offrande de notre propre personne; et pour, avec Lui,
accéder à la plénitude de la charité, qui est l'éternité en soi et pour
soi, et qui seule conserve le monde.
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Sources : www.vatican.va
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(E.S.M.)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M. sur Google actualité)
08.01.2009 -
T/Théologie
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